[PDF] MARCEL PAGNOL ET LES MORALISATEURS - Revue Des Deux Mondes



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MARCEL PAGNOL ET LES MORALISATEURS - Revue Des Deux Mondes 168

MARCEL PAGNOL

ET LES MORALISATEURS

près la Renaissance qui devait bouleverser l'his toire de la littérature et des arts, la querelle des

Anciens contre les Modernes devient un débat

récurrent à travers les siècles. Au XVII?, Boileau promeut l'Antiquité grecque et romaine dans le théâtre classique, s'opposant ainsi au désir de modernité de Charles Perrault, lequel revendique le droit à l'innovation. Le XVIII? est un bouillonnement intellectuel et social qui mènera à l'éclatement de la société française à travers la Révolution. On quali?e alors le régime d'" ancien » dans tout ce que ce mot peut avoir de péjoratif, et le pré- romantisme supplante peu à peu l'idéal classique. Mais dès 1830, la bataille d'

Hernani

fait rage, secouant de nouveau le monde littéraire, et opposant cette fois les romantiques, sous l'égide de Victor Hugo, à ces mêmes classiques, dans une volonté d'assouplissement des formes et de liberté créatrice qui met le moi au centre de sa recherche. Cet éternel con?it se métamorphose encore au XX?, dans une littérature de l'idée, plus engagée politiquement et marquée, dans la seconde moitié du siècle, par les bouleversements de mai 1968.
169
littérature

Toutes ces batailles visaient surtout le style.

On pouvait légitimement imaginer, en 2020, être a?ranchis de ces clivages, dans une liberté de ton chèrement acquise. On découvre qu'il n'en est rien. Le débat fait sa mue, et les antagonismes se situentv aujourd'hui, ce qui est plus grave, non dans la forme mais dans le fond dans une volonté - légitime ou non - de distinguer l'oeuvre de l'artiste, ou bien dans l'analyse des thèmes-forces d'un auteur à l'aune de ce qu'on appelle, sans complexe, le " politiquement correct ». Or, dès lors que la morale s'invite dans le débat, immanquablement, elle le sclérose. La première phase de cette bataille a déjà eu lieu. Elle a naguère opposé Proust à Sainte-Beuve au point que l'auteur de

La Recherche

s'est vu contraint d'écrire

Contre Sainte-Beuve

, livre dans lequel il défend, avec moult arguments, sa théorie. Non, argumente-t-il en substance, il ne convient pas de juger la qualité d'une oeuvre à l'aune de la vie privée de son créateur. Si les révo lutionnaires abolissent en 1791 le " crime de sodomie

», les homosexuels continuent

à être discriminés et Proust ne peut qu'y

être sensible. On envisage combien il eût

été e?arant de nier les qualités littéraires et esthétiques intrinsèques à l'écriture proustienne au seul motif que la vie a?ective de l'écrivain ne correspondait pas aux bonnes moeurs de l'époque. À l'inverse, ne pas encenser un auteur dont le récit autobiogra phique décrit des actes criminels commis, assumés voire revendiqués dans son livre nous apparaît légitime aujourd'hui. En résumé, la ligne rouge ne sera ni la morale ni la vindicte populaire mais bien la loi. Il serait opportun de s'en souvenir lorsque l'on juge, à l'heure actuelle, des écrivains du siècle dernier. Tel l'historien qui se doit de toujours remettre l'époque en perspective dans une mise en abyme indispensable à la bonne compréhension de ses découvertes, il convient de contextualiser une oeuvre avant de la catégoriser de manière péremptoire. Un auteur apparaît presque emblématique dans ce contexte où le politiquement correct érigé en dogme devient hélas la règle suprême.

Il s'agit de Marcel Pagnol.

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Encensé de son vivant, adulé par son public, reconnu par ses pairs, qui l'élisent à l'Académie, il a connu pourtant depuis quelques vicis situdes. Dédaigné, au ?l du temps, par une intelligentsia parisienne qui le voudrait abscons quand il se révèle accessible jusqu'à l'épure, il essuie aujourd'hui régulièrement la critique de ceux qui voient en lui un écrivain moraliste, voire moralisateur, prônant l'honneur d'une femme dans le mariage - donc l'antiféminisme -, l'invisibilité des communautés dites " racisées » et la négation des homosexuels. De là en faire un écrivain machiste, raciste et homophobe, il n'y a qu'un pas qui est parfois, çà et là, honteusement franchi. L'étude approfondie de l'oeuvre de Pagnol révèle en réalité un humanisme profond et un esprit de tolérance assez rare et au contraire su?samment avant-gardiste pour être salué. Puisque le débat entre la vie de l'homme et son oeuvre fait rage, il convient ici de souligner, au passage et non comme un argument mais à titre informatif, que Pagnol eut une vie amoureuse extrêmement dense, émaillée de pas sions orageuses, de liaisons clandestines et de mariages, heureux ou malheureux. Il eut la joie d'être père plusieurs fois, avec di?érentes compagnes et parfois en dehors des liens matrimoniaux. Liberté de moeurs, donc, dans une époque plutôt corsetée. Mais ne nous arrêtons pas à ces détails après avoir a?rmé qu'ils ne sauraient argumenter le débat et considérons plutôt les thèmes-forces de sa production et parmi ceux-ci, celui de la " ?lle-mère », ou mère céliba- taire. Sensibilisé à l'extrême au rejet e?royable dont ces jeunes femmes faisaient l'objet par l'histoire de sa propre mère, la frêle Augustine décrite avec tellement de ferveur dans les

Souvenirs d'enfance

, tombée enceinte un an avant ses noces, Pagnol est, par essence, celui qui défend et réha bilite celles que l'on nommait avec mépris des " pècheresses ». La com- munauté qui bannit, condamne et tente de dissimuler la vérité en les mariant de force pour que l'enfant naisse " dans l'honneur » est dénoncée sans relâche et sans concession par l'écrivain. "

Il est là, le vrai déshon-

neur », fait-il dire à Fanny, dans sa fameuse trilogie. Cette position est assez courageuse si l'on resitue ses oeuvres dans la mentalité de l'époque où l'avortement et la contraception n'existaient pas ! Rappelons cette très belle tirade du boulanger dont l'épouse s'est enfuie avec un jeune berger d?osi? ?e ??r i????r?e?p?r

171 ?? ???dosos ?? ???dosos

" Je suis vieux, je prends du ventre, c'est une injustice ter rible pour elle. Parce qu'elle, c'est mon idéal, et moi, je ne suis pas le sien... Maillefer me dit que je suis un cornard c'est vrai, et ce n'est pas vrai. Écoutez, mon père, une femme aussi jeune qu'elle, ça doit avoir un mari superbe jeune, musclé, jeune, bronzé, jeune, intelligent, jeune...

Eh bien, son mari, c'est moi

! Ça veut dire que j'ai eu de la chance, une chance de cocu... Lequel est-ce qui est trompé ? Ce n'est pas moi : c'est le beau jeune homme qui la méritait. On dit qu'elle me trompe avec le berger. Pas du tout. C'est moi qui, depuis cinq ans, ait trompé le ber ger avec elle ! Alors de quoi je me plaindrais ? » Pagnol érige le personnage du cocu en un être aimant désespéré qui atteint au sublime. Car, comme il le dit lui-même, " on peut être ridicule quand on aime, on ne l'est jamais quand on sou?re

». Et quelle incroyable

modernité quant à la libération de la femme ! Rappelons que nous sommes dans les années d'avant-guerre, en 1938 ! Par ailleurs, à l'instar de César, d'Honorine ou du Puisatier, le cinéaste met souvent en scène des familles monoparentales, à rebours de l'image d'Épinal que l'on conçoitquotesdbs_dbs2.pdfusesText_3