[PDF] Et pourtant elle tourne ! Le mouvement de la Terre - Numilog



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JACQUES GAPAILLARD

ET POURTANT, ELLE TOURNE !

LE

MOUVEMENT DE LA TERRE

OUVRAGE

PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS

DU

CENTRE NATIONAL DES LETTRES

ÉDITIONS DU

SEUIL 27, rue Jacob, Paris VIe Retrouver ce titre sur Numilog.com

ISBN 2-02-013157-9

@ ÉDITIONS

DU SEUIL, MAI 1993

Le

Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l"auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Retrouver ce titre sur Numilog.com

A Fabien

A Christiane, Caroline et Muriel Retrouver ce titre sur Numilog.com

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Avant-propos

Est-ce

le monde qui tourne autour de la terre1 immobile, ou le monde est-il fixe et la terre roule-t-elle dans l"espace? En effet, des savants ont affirmé que l"univers nous emporte sans que nous nous en doutions ; dès lors, les levers et les couchers ne sont pas les effets des mouvements du ciel, c"est la terre qui se lève et qui se couche. Voilà une question digne que nous l"examinions. Car il s"agit de savoir quelle est notre situation dans le monde, si nous avons en partage la demeure la plus paresseuse ou la plus rapide, si Dieu fait rouler l"univers autour de nous ou si c"est nous qu"il mène. SÉNÈQUE, Questions

naturelles, VII, II, 2 2. On pourrait s"attendre à rencontrer fréquemment le mouvement de la Terre

dans la littérature historico-scientifique ; cependant, ce sujet est étrangement peu traité et les problèmes de fond ne sont jamais abordés. Cette question, qui a suscité tant de passions, occupe pourtant une posi- tion centrale dans l"histoire de l"astronomie classique. De plus, elle se situe au point de rencontre de l"astronomie et de la mécanique et est à l"origine de progrès décisifs dans ces deux disciplines. Enfin, par ses implications philosophiques et théologiques, le débat dont elle a été

l"objet a largement

débordé le cadre purement scientifique où Copernic l"avait placé. Le parti de la mobilité de notre globe l"a finalement

emporté et ses

chefs de file que sont Copernic et Galilée figurent parmi les savants les plus populaires, symbolisant l"avènement de la science moderne et le triomphe du savoir rationnel sur l"" obscurantisme médiéval ».

Dès

le XVIIe siècle, de nombreux efforts ont eu pour objet la diffu- sion des idées coperniciennes dans le public. Le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (1632), que Galilée rédigea en italien, et non en latin, poursuivait déjà ce but, de même que plus tard, et dans des genres différents, les Entretiens sur la pluralité des mondes (1686) de

1.

La règle qui veut que " Terre », " Soleil » et " Lune » prennent une majuscule est récente et ne concerne que les textes scientifiques. Sur ce point, l"attitude des auteurs était autrefois variable et sera respectée dans les citations. 2. Traduction de Paul Oltramare, Paris, Les Belles Lettres, 1961. Retrouver ce titre sur Numilog.com

1. Les résistances au mouvement

La

démonstration de la rotation de la Terre est un événement capi- tal de l"histoire. Si elle tourne, mes sens ignorent cette vitesse et ne la révèlent qu"indirectement. Je croyais savoir quelque chose. Si je puis ignorer un fait si gros, s"il faut tant de siècles et de détours pour le découvrir, quels soupçons sur tout ce dont je m"assure ! Paul VALÉRY, Cahiers.

Ce qui

nous trouble tant lorsque nous voulons reconnaître l"idée dans le phénomène, c"est que, souvent et habituellement, l"idée contredit le sens. Le système de Copernic repose sur une idée qui était difficile à saisir et qui contredit encore journellement nos sens. Nous répétons seulement ce que nous ne reconnaissons ni ne comprenons. GOETHE, Maximes et réflexions.

1.

Le bon sens bafoué

La Terre

n"est pas fixe, mais est en mouvement dans l"espace ! Si une idée extravagante a jamais germé dans un esprit humain, c"est bien celle-là ! Comment ne pas d"abord juger absurde et ridicule cette doctrine qui voudrait nous faire croire que, contrairement aux données immédiates de nos sens, la Terre tourne autour du Soleil tout en pivotant sur elle- même ? Peut-on sérieusement soutenir que nous sommes juchés sur une toupie voyageuse quand, en dehors des cataclysmes, nous apprécions jus- tement la stabilité rassurante de notre globe, la sécurité de la terre ferme ? D"autre part, nous voyons le Soleil se lever le matin à l"est, décrire dans le ciel un vaste arc de cercle avant de disparaître le soir sous l"hori- zon ouest, et ainsi chaque jour. Son déplacement dans le ciel au cours de la journée est aussi patent que la stabilité de la Terre. De plus, dès que cette dernière est conçue comme un corps isolé dans l"espace, une inter- polation naturelle nous persuade aussitôt que le Soleil poursuit la nuit sa course diurne circulaire en contournant notre globe : le Soleil tourne manifestement autour de la Terre. Par ce mouvement, il accompagne la rotation quotidienne de l"ensemble du ciel, rotation que chaque nuit étoi- lée nous permet d"observer. Aussi une théorie qui nie ces évidences que sont la stabilité de la Terre et le mouvement journalier du Soleil, ne peut- Retrouver ce titre sur Numilog.com

elle être ressentie que comme profondément contraire à la nature et, en un mot, inepte. Pourtant, dans son grand traité De revolutionibus orbium cœlestium (Des révolutions des orbes célestes) paru l"année même de sa mort en 1543, l"astronome polonais Nicolas Copernic attribue à la Terre une rota- tion diurne axiale, responsable de l"alternance des jours et des nuits, et une révolution annuelle orbitale autour du Soleil, entraînant la succes- sion des saisons. A ces deux mouvements principaux qui retiendront essentiellement notre attention, Copernic en ajoutait un troisième dont le caractère artificiel fut reconnu par la suite. Pour l"astronomie moderne, c"est de la composition d"une bonne dizaine d"autres mouvements avec les deux précédents que résultent les changements de position de la Terre par rapport à l"ensemble du cosmos. Parmi ces mouvements additionnels de la Terre, certains sont connus de longue date même s"ils n"ont pas été initialement interprétés comme tels. C"est le cas de la précession des équinoxes décelée par Hipparque au IIe siècle avant notre ère. De façon générale, rien n"est vraiment stable dans le ciel. Au début du XVIIe siècle, Kepler a découvert que les planètes, et la Terre en parti- culier, décrivent des orbites elliptiques autour du Soleil. Or, non seule- ment ces orbites se déplacent lentement au cours des siècles par rapport aux étoiles, mais leur forme évolue : la direction de leur plan, leur posi- tion dans ce plan et leur excentricité sont autant de caractéristiques variables dans le temps. Il n"est pas jusqu"aux constellations qui se déforment à la longue. En dépit de certaines apparences, l"immobilité ne se rencontre pas dans la nature. Pourquoi la Terre échapperait-elle à la règle ? Montaigne a bien raison d"écrire :

Le monde

n"est qu"une branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d"Egypte, et du branle public et du leur. La constance même n"est autre chose qu"un branle plus languissant 1.

Il

reste que l"idée du mouvement de la Terre va à l"encontre de notre appréhension spontanée du mouvement.

2.

La notion naturelle de mouvement

Lorsque

le jeune enfant prend conscience du monde qui l"entoure, la Terre joue nécessairement un rôle privilégié. Les mouvements des corps

1. Montaigne, Essais, III, 2. Retrouver ce titre sur Numilog.com

de toutes sortes sont d"abord perçus comme des mouvements par rapport au sol qui constitue la référence primordiale. Il en résulte que la question du mouvement de la Terre ne se pose pas : celle-ci est évidemment et essentiellement fixe, si cette fixité peut même avoir un sens. Cette idée a été développée en 1934 par Edmund Husserl qui déclare :

C"est

sur la Terre, à même la Terre, à partir d"elle et en s"en éloignant que le mouvement a lieu. La Terre elle-même, dans sa forme origi- naire de représentation, ne se meut ni n"est en repos, c"est d"abord par rapport à elle que mouvement et repos prennent un sens 1.

Par ailleurs,

nous nous sentons solidaires, parties intégrantes de la Terre qui s"oppose à tout ce que nous observons en dehors. Notre repré- sentation de l"univers est dès lors nécessairement géocentrique ou, ce qui revient au même, anthropocentrique. Dans le monde ainsi perçu, les notions de mouvement et de repos absolus ont un sens évident. Le public non averti s"en tient encore souvent à cette appréhension première du monde. A ce propos, Laplace écrivait en 1795 :

Concevez,

par exemple, cent personnes rassemblées indistinctement, et proposez-leur de statuer sur cette question : Le soleil tourne-t-il, chaque jour, autour de la terre ? Il y a tout lieu de croire que la déci-

sion de la majorité sera pour l"affirmative [...] 2

La situation

n"a guère évolué depuis. En 1985, un sondage d"opinion 3 a révélé qu"un quart de nos concitoyens âgés d"au moins dix- huit ans sont encore d"avis que le Soleil tourne autour de la Terre ! Voilà un résultat surprenant en cette fin du XXe siècle où il semblait acquis que le système de Copernic était une composante essentielle de la culture scientifique la plus élémentaire, et même de notre culture tout court. C"était sans doute oublier que la théorie copernicienne est d"abord une abstraction foncièrement antinaturelle, comme le souligne Galilée dans l"un de ses plus célèbres ouvrages, le Dialogo sopra i due massimi sistemi del monda (Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, 1632), dont nous aurons l"occasion de reparler :

Mais

mon étonnement, Signor Sagredo, est très différent du vôtre : vous vous étonnez qu"ainsi ils furent peu à suivre l"opinion des pytha- goriciens, et moi je suis stupéfait qu"il s"en soit trouvé jusqu"ici qui l"ait embrassée et suivie ; je ne puis assez admirer l"élévation d"esprit

1.

Husserl, La Terre ne se meut pas, trad. de D. Franck, D. Pradelle et J.-F. Lavigne, Paris, Editions de Minuit, 1989. 2. Dixième leçon à l"Ecole normale supérieure. 3. Sciences et avenir, n° 56 hors série, 1985. Retrouver ce titre sur Numilog.com

de ceux qui l"ont reçue et estimée vraie, et qui, avec la vivacité de leur intelligence, ont fait une telle violence à leurs propres sens qu"ils ont pu faire passer ce que le raisonnement leur dictait avant ce que les expériences sensibles leur montraient de manifestement contraire

Il faut donc

bien reconnaître que la diffusion de l"idée copernicienne se heurte toujours à de vives résistances malgré le développement de l"instruction et les efforts des vulgarisateurs. "L"homme est libre comme la terre est immobile. Tout est combiné pour ces illusions », écrit Paul

Valéry 2.

Aussi n"accablons pas trop ceux qui estiment que la Terre est fixe et dont nous verrons qu"après tout, et d"une certaine façon, ils n"ont peut-être pas entièrement tort. En certaines circonstances, en effet, nous pouvons avoir provisoire- ment l"illusion d"être immobiles alors qu"il n"en est rien. C"est le cas lorsque nous nous trouvons dans une voiture en marche. Laissons encore la parole à Husserl qui commente ainsi cette expérience :

Mais

si je regarde au-dehors, je dis qu"elle se meut, alors qu"au- dehors je vois que c"est le paysage qui est en mouvement. Je sais que je suis monté en voiture, j"ai déjà vu de telles voitures en mouve- ment, avec des gens dedans, je sais que, tout comme moi quand je suis à l"intérieur, ils voient le monde ambiant en mouvement. Je connais le renversement du mode d"expérience du mouvement et du repos à partir de la voiture-jouet où je suis si souvent monté, et descendu3.

Cependant,

aucune situation de la vie quotidienne ne nous incite à opérer un tel renversement vis-à-vis de la Terre elle-même et par consé- quent à la concevoir comme un corps en mouvement. Aucun homme n"a jamais pu vivre une telle expérience avant le lundi 21 juillet 1969 à 3 heures 56 minutes et 20 secondes (heure française), instant où l"astro-

naute

Neil Armstrong a posé le pied sur la Lune. Alors, pour lui, cet astre devenait une assise stable, une base naturelle de référence pour les mou- vements du monde et, s"il avait eu le loisir de regarder la Terre suffisam-

ment

longtemps, il l"aurait vue tourner sur elle-même. Mais, pour la plu- part des humains, le mouvement de la Terre restera encore longtemps une pure abstraction, tant il est loin de s"imposer à nos sens. Comme disait Proust :

1.

Galilée, Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (cf. Bibliographie), p. 355. Toutes les citations du Dialogo sont empruntées à cette traduction. 2. P. Valéry, Cahiers, Paris, Gallimard, " Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1973, p. 563. 3. Husserl, op. cit. Retrouver ce titre sur Numilog.com

Théoriquement, on sait que la terre tourne, mais en fait on ne s"en aperçoit pas ; le sol sur lequel on marche semble ne pas bouger et on vit tranquille

Pourtant, lorsque

se déroulait cette fabuleuse aventure que fut la conquête de

la Lune, il y avait déjà largement plus de deux mille ans que des hommes avaient disposé d"assez d"imagination pour concevoir la mobilité de la Terre, et d"assez d"audace pour croire à la réalité de ce mouvement. Nous reviendrons sur ces coperniciens antiques, même si

leurs folles théories n"ont pas rencontré l"enthousiasme de leurs contem- porains. 3.

Le géocentrisme grec

De son poste d"observation

qui lui semble éminemment stable, l"homme a depuis longtemps remarqué la régularité du mouvement des astres et a vu dans ce fascinant spectacle la manifestation de puissances supérieures dans tous les sens du terme. Le ciel s"en est trouvé divinisé. Les Anciens voyaient dans les astres errants que sont les planètes autant de dieux qui présidaient aux destinées humaines. Des Babyloniens, les Grecs apprirent l"astrologie, science divinatoire leur permettant de son- der les intentions des dieux d"après la position des astres. Cette sacralisa- tion du ciel ne les a pourtant pas empêchés d"élaborer une astronomie savante. Pour Platon, qui, après Pythagore, affirmait la constitution mathé- matique de la nature, le monde est ordonné et par suite accessible à la connaissance par une démarche scientifique. Par ailleurs, l"univers de Platon est sphérique, centré sur la Terre absolument fixe, et est clos par la sphère stellaire où sont enchâssées les étoiles aux positions mutuelles immuables. Les étoiles se distinguent en cela des sept " planètes 2 » qui, par un effet de perspective, semblent circuler parmi elles. Ce mouvement propre des " planètes » par rapport aux étoiles se compose avec la rota- tion d"ensemble de la sphère stellaire, au rythme des jours et des nuits, autour de l"axe du monde. Cette description géocentrique de l"univers est pour l"essentiel celle

1.

Proust, A l"ombre des jeunes filles en fleurs, in A la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, " Bibliothèque de la Pléiade », 1.1, 1987, p. 473-474. 2. Par " planète », les Anciens désignaient aussi bien la Lune et le Soleil que cha- cune des cinq vraies planètes au sens moderne alors connues, regroupant ainsi sous un même vocable les astres errants qui sont l"origine égyptienne de la semaine de sept jours. Nous distinguerons par des guillemets cette notion large de planète. Retrouver ce titre sur Numilog.com

des apparences qui inclinent l"homme à penser qu"il vit sur une Terre immobile au centre du monde. Il faut toutefois noter que, toute simpliste qu"elle puisse nous paraître, cette représentation correspond déjà à un stade avancé de la pensée en ce qui concerne les rapports de l"homme avec l"univers. L"idée d"une Terre sphérique et isolée au centre d"un ciel également sphérique ne s"est pas imposée d"emblée. Deux siècles avant Platon, pour le célèbre Thalès de Milet, la Terre était plate et flottait sur l"eau. Le schéma sphérique du monde de Platon est repris par Aristote, qui insiste sur la disparité profonde séparant les domaines sublunaire et supralunaire et affirme qu"il n"y a absolument rien à l"extérieur de la sphère stellaire : " [... ] il est clair qu"il n existe non plus ni lieu, ni vide, ni temps en dehors du Ciel1 ». Mais ce point, dont le moins qu"on puisse dire est que sa compréhension réclame un sérieux effort d"abstraction, n"était peut-être pas aussi clair que le prétendait Aristote. Il fut contesté par le pythagoricien Archytas de Tarente, puis par les stoïciens, qui croyaient, comme ce dernier, à un univers astral borné mais prolongé par un espace vide illimité. Il n"en demeure pas moins que le géocentrisme de Platon a facile- ment triomphé des rares velléités d"attribuer quelque mouvement à la Terre, et c"est sur cette base que se développe l"astronomie mathéma- tique grecque inaugurée par Eudoxe et qui culminera au IIe siècle de notre ère avec l"œuvre magistrale de Ptolémée. A cette époque, les Grecs disposaient de connaissances étendues en mathématiques et leur science ne se résume pas à l"astronomie de Ptolé- mée, mais le degré de perfection et de sophistication atteint par cette der- nière permettrait déjà de dire que le christianisme s"est développé dans un monde hellénistique de haut niveau scientifique. Louangé par ses contemporains, Ptolémée est tombé en disgrâce après que la théorie de Copernic se fut imposée. Les historiens ont d"abord cru qu"il s"était borné à compiler l"astronomie antique, tandis qu"auprès du public conquis par la vérité copernicienne il passait pour un ignorant, auteur ridicule d"un système astronomique complètement faux. La réalité est tout autre. La valeur d"une théorie astronomique ne s"apprécie pas uniquement en fonction de son géo- ou héliocentrisme, et les mérites, aussi bien que les faiblesses, de l"astronomie de Ptolémée sont aujourd"hui dûment reconnus par les spécialistes. De plus, si Ptolé- mée a voulu déduire de son astronomie théorique un système physique du monde, il semble bien pourtant n"avoir jamais accordé sérieusement

1.

Aristote, Traité du ciel (cf. Bibliographie), I, 9, 279 a. Toutes les citations du Traité du ciel sont empruntées à cette traduction. Retrouver ce titre sur Numilog.com

Il est à peine besoin de préciser que Galilée ne revendiquait pas d"autre titre que celui d"homme de science et que, s"il s"est lancé dans ce débat sur l"interprétation des Ecritures, c"est seulement parce qu"il y était contraint par des attaques émanant de certains milieux ecclésiastiques. Aussi est-ce par un curieux renversement des rôles que la condamnation de Galilée est parfois présentée, encore de nos jours, comme une extré- mité à laquelle Galilée lui-même aurait poussé l"Eglise par son intrusion dans le domaine de la théologie1. Par-delà le débat astronomique, c"était plus généralement la sépara- tion totale des domaines théologique et scientifique que Galilée récla- mait. C"est maintenant chose faite, mais l"inéluctable évolution de l"Eglise aura pris du temps. L"interdiction qui pesait sur les livres ensei- gnant le mouvement de la Terre fut levée en 1757 par le retrait de l" Index librorum prohibitorum (Catalogue des livres interdits) de la plupart des ouvrages favorables à l"héliocentrisme. Mais il fallut encore attendre 1822 pour que l"impression de tels livres fût officiellement autorisée, mesure qui fit suite à la décision du pape Pie VII de concéder l" imprima- tur aux Eléments d"optique et d"astronomie du chanoine Settele 2. La prochaine édition de l" Index, en 1846, fut alors l"occasion d"en retirer enfin les œuvres de Copernic et de Galilée qui y figuraient respective- ment depuis 1616 et 1633, malgré trois autres mises à jour de ce cata- logue depuis celle de 1757. Dans la dix-huitième lettre des Provinciales adressée en 1657 à un Père jésuite, Pascal avait fermement dénoncé la vanité des actes d"auto- rité de l"Église dans le domaine des faits et souligné l"imprudence de la condamnation de Galilée :

1.

"Le catholicisme et la science », entretien avec Paul Valadier, La Recherche, 169, 1985, p. 1038-1045. On trouve un exposé moins récent de cette même thèse sous la plume de l"abbé Moreux, astronome et vulgarisateur scientifique connu mais qui écrit l"histoire d"une manière pour le moins originale. Dans Les Confins de la science et de la foi (Paris, Gaston Douin, 1924, p. 46-47), après avoir souligné que le mouvement de la Terre n"est pas une invention de Galilée, que les Pères de l"Eglise du IVe siècle sont les plus réfractaires aux théories de Ptolémée, et que Copernic, concepteur de la " vraie théorie du Monde », appartenait à l"Eglise catho- lique, cet auteur poursuit : " Près d"un siècle plus tard, Galilée reprenait la même thèse [celle de Copernic], mais cette fois, au lieu de donner des arguments scienti- fiques, comme son devancier, l"illustre physicien florentin soutint ses idées à l"aide de passages tirés de l"Ecriture sainte; sans cette opiniâtreté à vouloir interpréter les textes sacrés, jamais une congrégation romaine n"eût osé le condamner. L"histoire est regrettable, assurément, mais avec quelle désinvolture et mauvaise foi nos adver- saires ont su la déformer et en exagérer la portée ! » 2. Dans un premier temps, les autorités avaient refusé l" imprimatur à cet ouvrage scientifique " moderne » dont le second volume incluait pourtant une Justification de la condamnation de Galilée. Retrouver ce titre sur Numilog.com

Toutes les puissances du monde ne peuvent par autorité persuader un point de fait, non plus que le changer ; car il n"y a rien qui puisse faire que ce qui est ne soit pas. [...] Ce fut aussi en vain que vous obtîntes contre Galilée ce décret de Rome, qui condamnait son opinion touchant le mouvement de la terre. Ce ne sera pas cela qui prouvera qu"elle demeure en repos ; et si l"on avait des observations constantes qui prouvassent que c"est elle qui tourne, tous les hommes ensemble ne l"empêcheraient pas de tourner, et ne s"empêcheraient pas de tourner avec elle.

Cependant,

ce n"est que vers la fin du XIXe siècle que l"Eglise commença à admettre qu"il n"appartenait pas à la théologie d"énoncer les lois de la nature. Elle comprenait enfin qu"elle n"avait rien à gagner en s"aventurant dans un domaine qui n"était manifestement pas le sien, si ce n"est à s"exposer à de cuisants démentis face à des faits incontestables et à la puissance rationnelle de l"appareil scientifique. Mais il fallut attendre pour que cette prise de conscience se concrétise dans les faits. Le 10 novembre 1979, le pape Jean-Paul II exprimait le souhait que soit créée une commission interdisciplinaire chargée de se pencher sur le cas Galilée. Une Commission pontificale d"étude de la controverse ptolé- méo-copernicienne aux XVIe et XVIIe siècles était officiellement insti- tuée le 3 juillet 1981, dont les travaux s"étalèrent sur onze années avant

de

se concrétiser dans ce que la presse a trop hâtivement qualifié de " réhabilitation » de Galilée. Le discours nuancé prononcé par Jean- Paul II le 31 octobre 1992 à l"Académie pontificale des sciences, en conclusion des travaux de la Commission, réaffirmait la " légitime auto-

nomie

de la science » et jugeait positivement les positions prises par Galilée quant à l"interprétation des Ecritures, mais n"annonçait aucune annulation de la sentence qui frappa le savant toscan en 1633. D"ailleurs,

rien de

tel ne pouvait survenir puisque, au sujet du débat qui opposa l"Eglise et la science sur la question cosmologique, ce même discours nous apprenait qu"il " fut clos en 1820 [ou plutôt 1822] avec /"imprima- tur accordé à l"ouvrage du chanoine Settele ». La perspective d"une réelle réhabilitation de Galilée est donc plus éloignée aujourd"hui qu"elle ne le semblait en 1979. Il faudra encore attendre.

5.

Les dangers de la théorie copernicienne

On

peut remarquer que les citations bibliques lues au premier degré, et principalement celles relatives à l"exploit de Josué, s"opposent surtout à la rotation axiale de la Terre. Cependant, si cette giration terrestre pou- vait heurter les convictions profondes des philosophes traditionalistes à cause de son incompatibilité manifeste avec la physique aristotélicienne, Retrouver ce titre sur Numilog.com

et si elle plaçait l"homme dans une position insolite, voire humiliante - " Quelle diminution d"être sur une toupie !l » s"exclamera Paul Valéry -, elle ne semblait pas de nature à perturber l"ordre chrétien du monde. La hiérarchie verticale évoquée plus haut ne s"en trouvait apparemment pas affectée. En revanche, le mouvement orbital de la Terre autour du Soleil n"était pas seulement contraire à l"enseignement d"Aristote, il détruisait la conception théologique de l"univers. Si la Terre, lancée dans l"espace, venait prendre rang parmi les planètes, l"opposition fondamentale entre la Terre et le Ciel n"était-elle pas sérieusement remise en cause? De plus, la communauté de nature entre la Terre et les planètes suggérait aussitôt que celles-ci pourraient être habitées. De toute façon, l"homme, qui focalise toute l"attention divine comme le démontrent les mystères de l"Incarnation et de la Rédemption, et qui, en somme, représente la finalité de la Création, ne peut avoir été placé par Dieu en un point banal et erratique de l"univers. Au contraire, il semble logique et indis- pensable que l"homme occupe une position privilégiée qui ne peut être que le centre du monde. L"univers chrétien est nécessairement anthropo- centrique. Pourtant, le transfert vers la Terre de la rotation axiale du ciel, tout inoffensif qu"il paraisse, était susceptible de déclencher un enchaînement d"idées encore plus pernicieux. La rotation quotidienne du ciel, nécessi- tée par la fixité de la Terre, militait fortement en faveur de l"existence d"une vaste sphère sur laquelle seraient réparties les étoiles, hypothèse venant naturellement à l"esprit pour expliquer leur mouvement d"en- semble. Cette sphère stellaire avait été conservée par Copernic, mais comme il la déclarait fixe, il faut bien dire que la disposition sphé- rique des étoiles ne s"imposait plus. L"immobilité du ciel devait donc tôt ou tard faire naître l"idée d"une dispersion spatiale des étoiles. Ainsi disparaîtrait la sphère stellaire, et c"est en ce sens que le Galilée de Ber- tolt Brecht déclare le " ciel aboli » quand il découvre dans sa lunette des raisons de ne plus douter du bien-fondé de la théorie copernicienne. A partir de là, il se trouverait sûrement quelqu"un pour avancer que les étoiles sont autant de soleils, chacun entouré de planètes que nous ne percevons pas mais qui n"en existent pas moins et dont certaines pourraient bien être habitées. Ces deux étapes furent franchies assez rapidement après la parution du traité de Copernic en 1543. La première le fut par Thomas Digges qui publia en 1576 A Perfit Description of the Caelestial Orbes (Une description parfaite des orbes célestes), la seconde par Giordano Bruno en 1584 dans un ouvrage au titre évocateur,

1. P. Valéry, op. cit., p. 548. Retrouver ce titre sur Numilog.com LA SPHÈRE CÉLESTE DISSOUTE (Thomas Digges, A Perfit Description of the Caelestial Orbes, 1576) De l"infinito, universo et mondi (L"Infini, l"univers et les mondes), où il affirmait de plus l"infmité de l"univers tant en extension qu"en contenu :

Il [Dieu] ne se

glorifie pas dans un seul, mais dans d"innombrables soleils, non pas en une seule terre, et un monde, mais en mille mille, que dis-je ? une infinité [de mondes] 1.

Ces

hardiesses philosophiques, parmi d"autres, conduisirent Bruno au bûcher sur le Campo dei Fiori à Rome le 17 février 1600.

Il ne

faut pas penser pour autant que la croyance en la pluralité des mondes est née de la théorie copernicienne. Elle est bien antérieure

puisque Anaximandre pensait déjà qu"il existait plusieurs mondes sem- blables au nôtre, idée reprise par Pétron d"Himère, Métrodore de Chio, et

Intemational, 1987, P. 54.l"univers ,et

les mondes, trad. de B. Levergeois, Paris, Berg Retrouver ce titre sur Numilog.com

plus tard par Lucrèce qui pourtant rejetait les antipodes. Dans l"Apologie de Raymond Sebond (Essais, II, 12), Montaigne se référera d"ailleurs à ce dernier pour appuyer son attachement à cette même thèse, sans toute- fois la lier à la théorie copernicienne :

Ta

raison n"a en aucune autre chose plus de vérisimilitude et de fon- dement qu"en ce qu"elle te persuade la pluralité des mondes : [Terre et soleil, lune et mer, rien de ce qui est n"est unique, mais existe, au contraire, en nombres infinis. Lucrèce, De la nature, II, 1085-1086.] Les plus fameux esprits du temps passé l"ont cru, et aucuns des nôtres mêmes, forcés par l"apparence de la raison humaine.

De toute

façon, ces multiples mondes habités constituaient pour l"Eglise une doctrine autrement dangereuse et inacceptable que celle des antipodes. Aussi est-il surprenant qu"il se soit trouvé une autorité ecclé- siastique pour attirer l"attention sur cette croyance en déclarant que Dieu aurait en effet très bien pu créer plusieurs mondes, et en taxant d"héré- tiques ceux qui prétendraient le contraire ! C"est dans le cadre de la lutte qui opposa au XIIIe siècle les théologiens aux aristotéliciens de l"uni- versité de Paris, qu"en 1277 l"évêque de cette ville, Etienne Tempier, fut amené à condamner officiellement 219 propositions dont plusieurs limi- taient la puissance divine. Il devint interdit d"enseigner qu"il ne peut exister plusieurs mondes, et aussi que Dieu ne pourrait mouvoir la Terre ! Mais, comme nous le savons, l"Eglise n"a pas persisté dans cette voie. Au contraire, elle a bientôt intégré une grande partie des thèses aristo- téliciennes et, après qu"elle eut senti les dangers de la théorie de Coper- nic, le durcissement de la Contre-Réforme a logiquement abouti aux condamnations de Giordano Bruno en 1600, de la théorie copernicienne

en

1616 et de Galilée en 1633. Ce qui inspire à Paul Valéry cette pensée :

L"humanité

ne se conduit pas encore comme un groupe qui se sait sur un toton. L"Eglise a eu plus de flair, le jour du procès de Galiléel.

6.

Une absence de preuves

Commencé

dès l"Antiquité et préoccupant certains esprits originaux du Moyen Age, le grand débat astronomique sur le mouvement de la Terre fut évidemment relancé par l"œuvre de Copernic et encore vigou- reusement réactivé par le militantisme copernicien de Galilée. Les âpres polémiques qui l"ont alors animé et les épisodes dramatiques qui l"ont

1. P. Valéry, op. cit., p. 548. Retrouver ce titre sur Numilog.com

assombri donnent la mesure de son enjeu philosophique et théologique. Mais l"existence même de ce débat révèle que chacun des deux partis manquait d"arguments décisifs. En particulier, on devine que les preuves de la mobilité de la Terre faisaient cruellement défaut aux coperniciens. L"opinion contraire est cependant assez répandue chez les non-spé- cialistes. Cette idée fausse a été introduite et entretenue dans les esprits par les manuels d"histoire et par les dictionnaires. Il semble que les pre- miers aient maintenant rectifié cette erreur, mais c"est après avoir long- temps célébré Copernic non seulement pour la démonstration de l"hélio- centrisme, mais parfois aussi pour celle de la sphéricité de la Terre, alors que cette propriété, dont personne ne doutait plus à l"époque, avait seule- t ment été rappelée par Copernic en introduction à sa théorie de la rotation axiale de notre globe. En revanche, et bien que certaines éditions aient été corrigées sur ce point, plusieurs dictionnaires, copiant leurs prédéces- seurs fautifs, affirment explicitement encore aujourd"hui que Copernic a démontré le mouvement de la Terre ou, plus rarement, que Kepler ou Galilée ont apporté les preuves du bien-fondé du système copernicien 1. Le système de Copernic possède une cohérence, une logique interne qu"on ne retrouve pas dans celui de Ptolémée. La description héliocen- trique du monde révèle un ordre remarquable que le géocentrisme tradi- tionnel maintenait caché. Si l"on écarte la difficulté d"admettre que notre Terre est en mouvement, il est certain que le monde de Copernic est beaucoup plus crédible et Leibniz a raison de souligner que

lorsque Copernic était presque seul de son opinion, elle était tou- jours incomparablement plus vraisemblable que celle de tout le reste du genre humain 2.

1.

Ainsi, on peut relever dans les livres d"histoire : " [...] dans son De revolutioni- bus orbium coelestium [...] [Copernic] démontrait la sphéricité de la terre et sa rota- tion autour de son axe [...]» (H. Sée, A. Rebillon, Le XVIe Siècle, PUF, 1934, p. 43). - " Copemic, l"homme qui le premier a démontré que la Terre mobile tournait autour du Soleil immobile» (L. Febvre, Le Problème de l"incroyance au XVIesiècle, Paris, Albin Michel, 1942, p. 437). - " [...] Copernic bouleversa toutes les notions établies en démontrant que la Terre tournait autour du Soleil [...]» (J. Isaac, A. Bonifacio, XVIIe siècle, XVIIIe siècle, classe de seconde, Paris, Hachette, 1952, p. 4). - Et dans les dictionnaires : " [...] il [Copernic] démontra le double mouvement des planètes sur elles-mêmes et autour du Soleil [...]» (Larousse en trois volumes, 1965). - "[...] il [Galilée] publia (1632) toutes les preuves de l"exactitude du système [de Copemic] » (Petit Larousse en couleurs, 1980). " Les preuves qui faisaient défaut au système de Copernic furent apportées par Kepler et Galilée» (Petit Robert 2, 1991). - "En démontrant le mouvement des planètes autour du Soleil, il [Copernic] mit fin à la vision d"un monde centré sur la Terre, et donc sur l"homme » (Le Robert, dictionnaire d"aujourd"hui, 1991). 2. Leibniz, Nouveaux essais sur l entendement humain, Paris, Garnier-Flamma- rion, 1966, p. 237. Retrouver ce titre sur Numilog.com

2. Pythagore de Samos

Comme Thalès

de Milet, son aîné d"environ soixante-cinq ans, Pythagore est un Ionien et doit sa notoriété auprès de nos contemporains au fameux théorème de géométrie qui porte son nom. Mais l"importance de ces deux personnages dépasse largement l"intérêt de leurs prétendues découvertes géométriques. Né à Samos vers 560 av. J.-C., Pythagore a probablement subi l"influence milésienne, peut-être pour avoir été l"élève d"Anaximandre de Milet, lui-même élève de Thalès mais qui, à l"eau de ce dernier, avait substitué l" Illimité comme principe fondamental. Toujours est-il que vers 530 ou 520, après avoir voyagé en Mésopotamie, en Egypte et en Cyré- naïque (Libye), Pythagore partait pour l"Italie du Sud où il allait fonder à Crotone une communauté religieuse et philosophique très fermée mais qui joua un certain rôle politique. C"est pour échapper à la domination perse qu"à cette époque, des populations, et parmi elles plusieurs philo- sophes, quittèrent l"Ionie, région centrale du littoral égéen de l"Asie Mineure, pour émigrer vers la Grande Grèce, nom que les Grecs avaient donné au Sud de l"Italie qu"ils colonisaient depuis déjà deux siècles. Cet épisode nous est rappelé par le nom de mer Ionienne que porte la Médi- terranée au sud de l"Adriatique. C"est à Pythagore que nous devons le mot philosophie. Il enseignait l"immortalité de l"âme et croyait en la métempsycose, mais son idée ori- ginale fut de voir dans le nombre - entendons le nombre entier - le prin- cipe fondamental de l"univers. La formule pythagoricienne " Toutes les choses sont des nombres » indique clairement qu"en ceux-ci réside la clé de la connaissance du monde. Les nombres en acquièrent une dimension sacrée et sont l"objet de spéculations arithmétiques souvent teintées de mysticisme, comme l"intérêt particulier que les pythagoriciens portent à la tétractys, ou tétrade, 10 = 1 + 2 + 3 + 4, qui rappelle à la fois leur atta- chement au nombre 4 et au nombre 10 qui est la somme des quatre pre- miers entiers. L"origine de cette doctrine aura sans doute été la rencontre dans la nature de relations arithmétiques remarquables, comme le fait que soit rectangle tout triangle dont les longueurs des côtés sont proportionnelles aux nombres 3, 4 et 5, ou plus encore les relations harmonieuses entre les sons émis successivement par la vibration d"une corde à tension constante mais dont on fait varier la longueur vibrante dans des propor- tions simples. De cette dernière découverte nous est restée la gamme dite de Pythagore, engendrée par des combinaisons d"octaves (rapport 2) et de quintes (rapport 3), et qui constitue la base théorique de la musique Retrouver ce titre sur Numilog.com

occidentale classique malgré les complications dues à l"introduction de la tierce harmonique (rapport 5). La mise en relation des nombres et de la nature par l"intermédiaire de la musique est une préoccupation fondamentale des pythagoriciens soucieux de découvrir les harmonies du monde. Aussi voyaient-ils dans les périodicités des " planètes » (en nombre égal aux sept notes de la gamme) la source d"une ineffable musique céleste que seul leur maître Pythagore avait le privilège d"en- tendre, et que Ronsard célébrera dans son Hymne du ciel :

Ainsi,

guidant premier si grande compagnie, Tu fais une si douce et plaisante harmonie, Que nos luths ne sont rien, au prix des moindres sons Qui résonnent là-haut de diverses façons.

Cela

dit, il est très difficile de cerner l"œuvre de Pythagore lui- même. Il n"a laissé aucun écrit et les renseignements dont nous dispo- sons sur sa pensée n"ont le plus souvent été rapportés que plusieurs siècles après sa mort. Il est probable qu"on lui a attribué des découvertes qui étaient plutôt celles de ses disciples ou dont il était largement rede- vable aux Egyptiens et surtout aux Babyloniens. C"est ainsi qu"il a été prouvé par Otto Neugebauer qu"un millénaire avant Pythagore, les Babyloniens savaient déjà que le carré de la lon- gueur de l"hypoténuse d"un triangle rectangle est toujours égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés. Cependant, c"est à Pythagore ou à ses élèves que reviendrait le mérite d"avoir donné la première démonstration générale de cette propriété, sans qu"on sache avec certitude en quoi elle consistait. De même, les Anciens ont porté au crédit de Pythagore la décou- verte de l"identité d"Hespéros, l"Etoile du Soir, et de Phosphoros, l"Etoile du Matin, les Vesper et Lucifer des Latins. Il est vrai qu"il n"était pas évident pour les premiers observateurs du ciel qu"il s"agissait d"un seul et même astre puisque les périodes de visibilité de Vénus, alternati- vement dans le ciel du soir et dans celui du matin, sont séparées par plu- sieurs semaines où la planète n"est pas observable. Le même problème se posait d"ailleurs, et avec plus d"acuité encore, pour Mercure qui est moins souvent visible et moins brillante que Vénus, malgré des condi- tions d"observation plus favorables dans les régions méditerranéennes que sous des latitudes plus élevées. Ces deux planètes se distinguent des autres en ceci qu"elles ne s"écartent jamais beaucoup du Soleil qui semble les entraîner dans sa course, avec une élongation maximum d"environ 48° pour Vénus et de seulement 28° pour Mercure. Elles sont par conséquent souvent noyées dans la lumière solaire et on ne peut les observer à l"œil nu que le matin Retrouver ce titre sur Numilog.com

à l"est lorsque leur lever précède suffisamment celui du Soleil, ou le soir à l"ouest quand elles se couchent nettement après lui. Cette même découverte astronomique a également été attribuée à Parménide d"Elée. Une tradition fait de ce philosophe un disciple de Xénophane de Colophon qui aurait fondé l"école d"Elée en Italie du Sud, tandis qu"il eut pour élèves Zénon d"Elée, père de la dialectique, célèbre pour ses paradoxes sur le mouvement (Achille et la tortue), et Empédocle d"Agrigente, l"inventeur de la rhétorique. Parménide a eu d"étroites relations avec les pythagoriciens, et la cosmologie qu"il enseigne est proche de la leur. Aussi se voit-il crédité par certains textes anciens de plusieurs conceptions que d"autres attribuent à Pythagore avec plus de vraisemblance. Parménide serait seulement le premier à les avoir écrites. De

toute façon, pour chacune des planètes Mercure et Vénus, le rap- prochement entre leurs apparitions vespérales et matinales avait été fait bien avant Pythagore. Les Babyloniens avaient déjà identifié les deux aspects de Vénus au XVIe siècle, tandis qu"au VIlle siècle av. J.-C. ils étaient parvenus à la même conclusion pour Mercure puisqu"ils ne dénombraient que sept astres errants. Quant aux Egyptiens, ils savaient aussi à quoi s"en tenir au sujet de Vénus et Mercure au moins à partir des XVe et XIIe siècles av. J.-C. On peut donc penser que les voyages de Pythagore en Mésopotamie et en Egypte lui auront été très profitables, ce qui n"empêche pas qu"il a probablement été à l"origine de certaines idées novatrices en astronomie. Pour des raisons purement esthétiques, le cercle et la sphère, les plus parfaites des figures du plan et de l"espace, jouissaient de la considé- ration toute spéciale de Pythagore et de ses disciples. Il n"est donc pas surprenant qu"ils aient imaginé d"associer étroitement ces merveilles géométriques à l"architecture du monde et à la régularité des mou- vements planétaires. Nous reviendrons plus loin sur cette idée qui a pro- fondément marqué l"astronomie pendant vingt siècles et nous allons seulement examiner ici son incidence sur la Terre et son éventuel mou- vement.

Le ciel

d"Anaximandre était déjà sphérique. Cette sphéricité avait pu être suggérée par le mouvement circulaire des étoiles autour du pôle céleste boréal. Pour Anaximène de Milet, un contemporain de Pythagore qui fut aussi un élève d"Anaximandre et qui considérait l"air comme l"élément primordial, la sphère céleste était de nature cristalline. Cette idée fit son chemin puisque par la suite furent attachés aux diverses planètes des sphères ou " ciels » de cristal dont l"existence fut plus ou moins admise jusqu"au XVIe siècle. A ce ciel sphérique et à l"univers qu"il enserre, Pythagore avait donné le nom de cosmos ou " monde Retrouver ce titre sur Numilog.com

ordonné », tandis qu"à l"extérieur de la sphère céleste s"étendait un espace vide infini. On

fait également remonter à Anaximandre l"idée d"une Terre isolée au centre de la sphère céleste, privée de tout appui, alors que la Terre de Thalès reposait sur l"eau et celle d"Anaximène sur l"air. Certaines sources attribuent cependant cette même idée, ainsi que l"argument ci- après qui la soutient, à Parménide, ou encore à Démocrite d"Abdère plus connu pour avoir développé une théorie atomiste de la matière et à qui Archimède attribue le calcul des volumes de la pyramide et du cône. Pour justifier que la Terre puisse se maintenir indéfiniment dans son iso- lement insolite sans tomber vers quelque lieu du ciel, Anaximandre expliquait que le centre du monde était pour elle une position d"équilibre qu"elle n"avait aucune raison de quitter dans une direction plutôt que dans une autre. En associant la pureté du ciel à celle de la sphère et en exploitant la relation privilégiée de toute sphère avec cet unique point de l"espace qui est son centre, cette image d"un ciel sphérique centré sur la Terre s"accordait parfaitement avec les conceptions pythagoriciennes. Mais Pythagore alla plus loin en déclarant que la Terre aussi était sphérique, doctrine qui a également été attribuée à Parménide et qui est l"aboutisse- ment logique de la pensée d"Anaximandre. Car, pour être tout à fait convaincant, l"argument d"équilibre invoqué par ce dernier pour défendre son système et justifier la fixité de sa Terre isolée, réclamait en effet une symétrie aussi parfaite que possible de l"ensemble Terre-ciel, et par suite la sphéricité de la Terre au lieu de la forme cylindrique dont l"avait dotée Anaximandre. Ce perfectionnement pythagoricien semble donc consolider l"immobilité de la Terre. Cependant, ce qui était gagné par cette opération était perdu d"un autre côté. Anaximandre voyait la Terre comme un cylindre aplati, sem- blable à une "? colonne de pierre » (tronquée), dont seule la face supé- rieure était habitée. Cette forme de la Terre évoquait une certaine stabi- lité et semblait lui assurer quelque assise dans l"espace en dépit de son isolement. En revanche, une Terre à la fois sphérique et dépourvue de support solide, même placée au centre du monde, paraît éminemment instable. Quoi de plus mobile qu"une boule? La Terre ainsi conçue n"était-elle pas au contraire prédisposée à rouler dans l"espace, à l"exemple des astres errants qui étaient eux-mêmes déclarés sphériques? A tout le moins sa forme ne la préparait-elle pas à pivoter sur elle- même ? L"idée de mettre en mouvement une Terre ronde devait nécessai- rement éclore tôt ou tard, et en effet la mobilité de la Terre ne tarda pas à - se manifester. ! Retrouver ce titre sur Numilog.com

Jacques Gapaillard Et pourtant, elle tourne ! Le mouvement de la Terre

Est-ce le monde qui tourne autour de la terre immobile, ou le monde est-il fixe et la terre roule-t-elle dans l"espace ? En effet, des savants ont affirmé que l"univers nous emporte sans que nous nous en doutions ; dès lors, les levers et les couchers ne sont pas les effets des mouvements du ciel, c"est la terre qui se lève et qui se couche. Voilà une question digne que nous l"examinions. Car il s"agit de savoir quelle est notre situation dans le monde, si nous avons en partage la demeure la plus paresseuse ou la plus rapide, si Dieu fait rouler l"univers autour de nous ou si c"est nous qu"il mène. » Sénèque, Questions naturelles

Depuis

l"Antiquité jusqu"au xxe siècle, la question du mouvement de la Terre a joué un rôle central dans les débats scientifiques et philosophiques. Aujourd"hui encore, elle soulève de passionnants problèmes conceptuels et reste un point critique dans l"assimilation de la science par les profanes. Étudier son évolution, depuis Thalès jusqu"à Poincaré, en passant par Ptolémée, Copernic, Galilée et Foucault, examiner les arguments théoriques et les preuves expérimentales avancés, et évaluer leur validité, c"est suivre un fil rouge qui parcourt toute l"histoire des idées sur la place de l"homme dans la nature depuis trois millénaires.

Jacques Gapaillard, professeur de mathématiques

à l"université de Nantes, est également chercheur associé au CNRS au sein du Laboratoire d"histoire des sciences et des techniques. Il est l"auteur d"une étude sur la chute des corps et le mouvement de la Terre, et de plusieurs articles sur la mécanique galiléenne.

Le

"système du monde » de Copernic (1473-1543). Gravure in A. Cellarius, Harmonia macrocosmica, seu Atlas universalis et novus, 1708. @ BN.

ISBN

2.02.013157.9 / Imprimé en France 5.93 149 F Retrouver ce titre sur Numilog.com

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