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THÈSE

présentée pour l"obtention du grade de : DOCTEUR DE L"UNIVERSITÉ DE PARIS OUEST NANTERRE LA DÉFENSE spécialité : Philosophie de la biologie : épistémologie de la paléoanthropologie

Anthropologie philosophique

préparée à : l"Université de Paris Ouest Nanterre La Défense La bipédie humaine : épistémologie, paléo-anthropologie,métaphysique présentée par :

Mathilde LEQUIN

Soutenue le 2 juin 2015 devant le jury composé de : Pr. Frédéric Worms Ecole Normale Supérieure, France Rapporteur Pr. Raymond Corbey Université de Leiden, Pays-bas Rapporteur Pr. Jean Gayon Université Paris 1, France Examinateur Pr. Denis Forest Université Paris Ouest Nanterre, France Examinateur Pr. Thierry Hoquet Université Lyon 3 Jean Moulin, France Directeur de thèse Dr. François Marchal Université d"Aix-Marseille, France Co-encadrant

RemerciementsMes remerciements vont d"abord à mon directeur de thèse, Thierry Hoquet, dont les conseilstoujours avisés et malicieux ont été décisifs dans l"avancement de ce travail, ainsi qu"à FrançoisMarchal, qui a co-encadré cette thèse, pour sa disponibilité et son aide précieuse, grâce à laquellej"ai pu apprendre à déchiffrer le langage des paléoanthropologues. Je tiens également à exprimerma reconnaissance aux personnes qui m"ont accompagnée dans la genèse de ce projet, en par-ticulier Jean Gayon, Francis Wolff et Frédéric Worms. Je pense aussi aux paléoanthropologuesqui m"ont accordé de leur temps pour échanger sur la bipédie : Gilles Berillon, Guillaume Daver,Laurent Puymerail, Bernard Wood. Mes pensées vont également aux enseignants-chercheurs deNanterre, en particulier Denis Forest et Jean-Michel Salanskis. Enfin, je remercie mes prochespour leur soutien et leur compréhension tout au long de ces années de recherche : mes parents,pour l"affection et la confiance dont ils m"ont toujours témoigné, et Roland, pour sa patience sansborne et ses encouragements constants, auxquels cette thèse est infiniment redevable.

i

Table des matièresIntroduction générale1

1 L"impossible naturalisation de la station droite 15

1.1 La station droite est-elle le propre de l"homme? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

1.1.1 Genèse d"untoposmétaphysique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

1.1.2 La station droite entre physique et métaphysique. . . . . . . . . . . . . . . 20

1.1.3 La définition paradigmatique de l"humain comme animal bipède. . . . . . 24

1.2 Le vacillement de la différence anthropologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

1.2.1 Humains quadrupèdes et singes bipèdes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

1.2.2 Extension et réduction du propre de l"humain . . . . . . . . . . . . . . . . 30

1.2.3 Une taxinomie désordonnée? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

1.2.4Homo duplex. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

1.3 La reconquête de l"unicité humaine dans l"anthropologie . . . . . . . . . . . . . . 40

1.3.1 Une nouvelle métaphysique de la station droite . . . . . . . . . . . . . . . 40

1.3.2 La station droite comme destin physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

1.3.3 Les difficultés de la caractéristique anthropologique . . . . . . . . . . . . . 49

2 Forme, fonction, évolution : trois philosophies du pied humain 53

2.1 L"accentuation des différences dans l"approche fonctionnelle . . . . . . . . . . . . 54

2.1.1 La perfection fonctionnelle du pied humain . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

2.1.2 La transformation fonctionnelle d"une main de singe en pied humain . . . 58

2.2 L"approche structuraliste des ressemblances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

2.2.1 L"anatomie humaine excentrée par la théorie des analogues . . . . . . . . 62

2.2.2 Unité morphologique, unicité anthropologique . . . . . . . . . . . . . . . . 65

2.2.3 Divergences méthodologiques sur le pied, convergence métaphysique sur la

main . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

2.3 La généalogie du pied humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

2.3.1 Y a-t-il eu une révolution darwinienne en anthropologie? . . . . . . . . . 72

2.3.2 Les ressemblances et les différences rapportées à la communauté d"origine 75

2.3.3 La réhabilitation de l"ordre des Primates contre l"ordre des Bimanes . . . 78

3 L"embarrassante station droite du " lien manquant » 83

3.1 Un fémur surdéterminé par la théorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

3.1.1 Le concept de " lien manquant » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

3.1.2 L"homme-singe : ni homme, ni singe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

3.1.3 Gibbon géant ouHomo sapiens? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

iii

3.2 L"invention d"une herméneutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

3.2.1 L"émergence de la paléoanthropologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

3.2.2 " L"homme sauvage », analogue de " l"homme fossile » . . . . . . . . . . . 96

3.2.3 Le développement ontogénétique comme récapitulation de l"évolution phy-

logénétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

3.2.4 Le pied du grand singe, substitut du pied " préhumain » . . . . . . . . . . 101

3.3 Station droite arboricole et bipédie terrestre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102

3.3.1 Le modèle brachiationniste d"évolution de la bipédie humaine . . . . . . . 102

3.3.2 " L"homme arboricole », résurgence d"Homo sylvestris? . . . . . . . . . . 104

4 Le critère postural et locomoteur face au critère cérébral 109

4.1 Le concept de découverte prématurée a-t-il un sens en paléoanthropologie? . . . . 110

4.1.1 Le crâne de Taung : singe ou singe-homme? . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

4.1.2 La réhabilitation du critère postural et locomoteur . . . . . . . . . . . . . 115

4.2 Pithécophobes et pithécophiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120

4.2.1 L"argument du parallélisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120

4.2.2 L"argument de l"irréversibilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122

4.2.3 L"argument de l"orthogenèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

4.3 Généralité ou spécialisation de la structure anatomique humaine . . . . . . . . . 128

4.3.1 La conception généraliste du dernier ancêtre commun . . . . . . . . . . . . 128

4.3.2 L"humain comme primate non-spécialisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

4.3.3 La station droite comme résultat de la fœtalisation . . . . . . . . . . . . . 133

5 La bipédie de la famille humaine137

5.1 La conception néo-darwinienne de la bipédie comme origine de la lignée humaine 138

5.1.1 La sélection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138

5.1.2 L"adaptation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142

5.1.3 La redéfinition des variations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144

5.2 Les différents niveaux de redéfinition de la lignée humaine . . . . . . . . . . . . . 146

5.2.1 La bipédie comme critère de définition de la famille humaine . . . . . . . 146

5.2.2 L"outil comme critère de définition du genreHomo. . . . . . . . . . . . . 151

5.2.3Homo habilis: les limites de la redéfinition du genreHomo. . . . . . . . 154

5.3 La redéfinition fonctionnelle de la bipédie comme comportement . . . . . . . . . . 157

5.3.1 La conception holiste du " patron » locomoteur . . . . . . . . . . . . . . . 157

5.3.2 Du morphologique au fonctionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

5.3.3 Représentations de l"ancêtre et modèles d"évolution de la bipédie . . . . . 164

6 L"humanisation de la bipédie des homininés169

6.1 L"archéologie du débat : individu, espèce, genre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170

6.1.1 L"individu : Lucy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170

6.1.2Australopithecus afarensis: une ou plusieurs espèces? . . . . . . . . . . . 175

6.1.3 Le genreAustralopithecus, prédecesseur ou contemporain du genreHomo? 179

6.2 La confusion entre morphologie, comportement et phylogénie . . . . . . . . . . . 182

6.2.1 Morphologie et comportement : l"approche biomécanique . . . . . . . . . . 182

6.2.2 Fonction et phylogénie : la terminologie cladistique au service d"une concep-

tion adaptationniste de la bipédie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184

6.3 La polysémie des modèles de bipédie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188

6.3.1 Les modèles actuels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188

6.3.2 Les modèles représentationnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192

6.3.3 L"insuffisance des modèles notionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194

7 La rupture de l"équivalence entre bipédie et humanité 199

7.1 Vestiges fossiles et vestiges théoriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200

7.1.1 Des traits " humains » nécessairement " bipèdes » . . . . . . . . . . . . . 200

7.1.2 Des traits bipèdes nécessairement humains . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

7.1.3 La dialectique de la généralité et de la spécialisation . . . . . . . . . . . . 208

7.2 La rupture de l"équivalence entre bipédie et lignée humaine . . . . . . . . . . . . 212

7.2.1 La lignée humaine est-elle immunisée contre l"homoplasie? . . . . . . . . 212

7.2.2 L"os, signal génétique ou comportemental? . . . . . . . . . . . . . . . . . 216

7.2.3 De la bipédie humaine aux bipédies plurielles des homininés . . . . . . . . 222

Conclusions227

Bibliographie235

Index261

RésuméLa paléoanthropologie utilise la bipédie comme critère d"interprétation des vestiges fossiles per-mettant d"établir leur appartenance à la lignée humaine. Ainsi, la bipédie devient une caracté-

ristiquepropreà la lignée humaine et qui en marquel"origine. Nous identifions ici un " cercle

herméneutique » de la paléoanthropologie, puisque l"humain y est défini par la bipédie et, réci-

proquement, toute bipédie est interprétée comme étant nécessairement humaine. Du fait de cette

circularité, les traits associés à la bipédie sont surinterprétés dans la description des vestiges

fossiles, qui se voient alors conférer une signification fonctionnelle et phylogénétique univoque.

L"unicité de la bipédie humaine constitue un principe d"interprétation resté largement ininter-

rogé en paléoanthropologie. Ce point révèle l"attachement de cette discipline scientifique à une

conception philosophique du propre de l"homme qui semble pourtant difficilement compatible

avec l"approche évolutionniste. Au contraire, une véritable épistémologie de la paléoanthropolo-

gie doit mettre en perspective la signification accordée à cette caractéristique anthropologique :

nous nous y employons dans cette thèse, en montrant que le concept métaphysique de " station

droite » trouve son écho dans le concept naturaliste de " bipédie ». Cette continuité ou cette

capillarité de la philosophie à la science est ici mise en évidence à travers les usages du critère de

la bipédie dans la description de plusieurs espèces fossiles. DePithecanthropus erectusàArdipi-

thecus ramidus, nous analysons différents modes de l"équivalence entre " bipède » et " humain ».

Cette équivalence, souvent implicite, représente une source de confusion majeure pour la paléoan-

thropologie, impliquant un concept d" " humain » aux contours flous. Notre épistémologie de la

paléoanthropologie dégage donc différents problèmes que cette discipline se doit d"affronter pour

que le débat sur l"évolution de la bipédie dans la lignée humaine puisse avancer. vii

AbstractBipedalism is used in paleoanthropology as a criterion to decipher fossil record in order to es-tablish their membership to the human lineage. As such, bipedalism is considered as aunique

characteristicof the human lineage that marks itsorigin.In this thesis, we identify a " herme- neutic circle » of paleoanthropology, since the human is defined by its bipedal characteristics and, conversely, any bipedalism is interpreted as necessarily human. Because of this circularity, traits associated with bipedalism are overstated in describing the fossil record, being confered an unambiguous functional and phylogenetic meaning. The uniqueness of human bipedalism is a principle of interpretation remained largely unquestioned in paleoanthropology. This shows the commitment of this scientific discipline to a philosophical conception of the human uniqueness which hardly seems consistent with the evolutionary approach. On the contrary, a real epistemo- logy of paleoanthropology has to put into perspective the meaning given to this anthropological characteristic. We address this latter in showing that the metaphysical concept of " upright

station » is echoed in the naturalist concept of " bipedalism ». This continuity or capillarity

from philosophy to science is emphasized through the uses of the criterion of bipedalism in the description of several fossil species. FromPithecanthropus erectustoArdipithecus ramidus, we analyze various modes of equivalence between " biped » and " human ». This equivalence, al- beit implicit, represents a major source of confusion for paleoanthropology, implying an unclear concept of " human ». Our epistemology of paleoanthropology put thus upfront several philoso- phical and epistemological problems that this discipline has to challenge in order to the debate on the evolution of bipedalism in the human lineage can move forward. ix

Introduction généraleLe propre de l"humain se trouve-t-il dans ses deux pieds? Le pied apparaît certes comme unepartie du corps moins noble que la main ou le cerveau, trop triviale pour distinguer l"humaindes autres animaux. La bipédie, qu"on définira à titre préliminaire comme le fait d"avoir deuxpieds, est pourtant ce qui permet de se tenir droit. Or, la station droite constitue pour toute unetradition philosophique la marque immédiatement visible de l"unicité humaine, valant commel"emblème de la différence anthropologique. Le pied humain est ainsi le support d"une métaphy-sique de la station droite dont Aristote, en déclarant que " seul parmi les animaux l"homme a lastation droite »1, a jeté les fondements. Ce concept métaphysique de la station droite semble à

première vue s"opposer au concept naturaliste de la bipédie. Pourtant, cette démarcation est-elle

aussi stricte qu"il y paraît? " Seul l"homme est devenu un bipède », écrit Darwin en 1871

2, dans

une formule d"une redoutable ambiguïté. En un sens, cette déclaration substitue à la conception

philosophique de l"humain, fondée sur le critère métaphysique de la station droite, une concep-

tion biologique fondée sur le critère strictement anatomique de la bipédie, qui réduit l"humain au

statut d"animal à deux pieds. Cependant, en faisant de l"humain le seul primate à s"être redressé

sur ses deux pieds, cette déclaration porte aussi l"écho de toute la tradition métaphysique qui a

célébré dans l"unicité de la station droite une caractéristique anthropologique fondamentale.

En consacrant l"unicité de la bipédie humaine, la déclaration darwinienne est symptomatique des

difficultés auxquelles la paléoanthropologie se trouve actuellement confrontée dans ses usages du

critère de la bipédie. Dans cette branche de l"anthropologie biologique qui s"appuie sur le registre

fossile pour étudier l"unité et la diversité de l"humain au cours de son évolution, la bipédie est

en effet utilisée comme un critère d"interprétation des vestiges fossiles, permettant d"établir leur

appartenance à la lignée humaine. En partant du principe que seul l"humain est bipède, cette

discipline utilise les caractéristiques anatomiques associées à la bipédie humaine actuelle (parmi

lesquelles on peut citer un pied dépourvu d"orteil préhensile, un fémur oblique reliant le bassin

aux genoux, un bassin court et large ou encore la position avancée du trou occipital reliant le

crâne à la colonne vertébrale) comme des indices ou des signes permettant de déterminer si un

spécimen fossile est apparenté à l"espèce humaine actuelle. Tel est en effet le paradigme indiciaire

ou sémiotique

3dans lequel s"inscrit l"interprétation des fossiles en paléoanthropologie. Pourtant,

l"unicité de la bipédie humaine posée au principe de cette méthode interprétative apparaît aujour-

1. Aristote,Les parties des animaux, II, 10, 656a13, inOEuvres complètes, Paris, Flammarion, 2014, p. 1455

2. Darwin C. (1871),The descent of man, and selection in relation to sex, London, John Murray, 1e édition,

vol. 1, p. 141 : " Man alone has become a biped »

3. Ginzburg, C (1989), " Traces. Racines d"un paradigme indiciaire », inMythes, emblèmes, traces. Morphologie

et histoire. Paris, Flammarion, pp 139-180. Voir également : Cohen, C (2011),La méthode de Zadig. La trace, le

fossile, la preuve. Paris, Seuil, p. 23 1

2Introduction générale

d"hui insuffisamment fondée : chacun des termes de la sentence darwinienne recèle un problème

auquel l"épistémologie de la paléoanthropologie est actuellement exposée dans l"interprétation

des fossiles postcrâniens4. Reprenons chacun des concepts impliqués dans cette déclaration pour

en déployer la portée problématique.

" Seull"hommeest devenu un bipède ». En paléoanthropologie, la bipédie est utilisée pour re-

connaître l"humain parmi les vestiges fossiles. En quel sens doit-on toutefois comprendre le terme

" humain » dans ce contexte? On répondra que le terme d"humain doit d"abord s"entendre en un

sens taxinomique et phylogénétique. Mais on se demandera aussitôt quelle extension il convient

alors d"accorder au concept d"humain, en supposant que celui-ci soit défini dans sa compréhension

par la bipédie. " L"humain », au sens biologique, se distribue en effet à différents niveaux taxino-

miques : l"espèce actuelleHomo sapiens, le genreHomoet la lignée humaine, également désignée

comme la lignée des homininés. La lignée ou le clade des homininés

5comprend l"ensemble des

taxons fossiles plus proches des humains actuels que des chimpanzés et bonobos actuels, avec les-

quels nous partageons un dernier ancêtre commun. C"est à cette dernière catégorie taxinomique

qu"est associé en paléoanthropologie le concept d"humain défini par la bipédie : la bipédie est

considérée comme la caractéristique commune à tous les membres de la lignée des homininés

6.

Pourtant, en paléoanthropologie, le terme " humain » est aussi utilisé pour qualifier la morpholo-

gie des vestiges fossiles : un spécimen fossile est susceptible d"être assigné à la lignée des homininés

s"il possède des caractères morphologiques jugés " ressemblant à l"humain » (human-like) plu-

tôt que des caractères " ressemblant au grand singe » (ape-like)7. La catégorie taxinomique

des homininés se trouve donc indexée sur un concept morphologique d"humain, défini à partir

des caractéristiques morphologiques associées à l"espèce humaine actuelleHomo sapiens. Faut-il

considérer que cette équivalence entre " humain » et " homininé » parasite l"épistémologie de

la paléoanthropologie, en introduisant une source de confusion dans l"interprétation des vestiges

fossiles? Ou bien ce chevauchement entre un concept morphologique et un concept phylogéné-

tique d"humain est-il une nécessité épistémologique? On rappellera en effet que la détermination

du statut phylogénétique des spécimens fossiles les plus anciens prend nécessairement appui sur

l"analyse de leurs caractères morphologiques et non sur le matériel génétique, puisque l"ADN

fossile n"est à l"heure actuelle exploitable que jusqu"à 400 000 ans.

" Seul l"homme est devenu unbipède». Mais qu"est-ce qu"être bipède? On répondra d"abord

que la bipédie est un concept anatomique, désignant le fait d"avoir deux pieds à l"extrémité

des membres postérieurs. Or, dès 1863, Thomas Huxley démontrait que les singes, parce qu"ils

possèdent eux aussi deux pieds, sont des bipèdes, et non des quadrumanes, comme on le supposait

jusqu"alors. On définira alors la bipédie comme un concept locomoteur, désignant un mode de

4. Le terme " postcrânien » est couramment utilisé en paléoanthropologie pour désigner toute partie de l"ana-

tomie située après le crâne : il s"applique de la première vertèbre cervicale jusqu"au bout des orteils. Le terme

" infracrânien » est parfois également utilisé.

5. Le terme " homininé » correspond au range taxinomique de la sous-familleHomininae. Il importe de préciser

que par souci d"uniformité, et au risque de l"anachronisme, le terme d" " homininé » sera employé tout au long de

cette thèse, même lorsque les auteurs cités utilisent une terminologie différente (par exemple, " homme-singe »

ou " hominidé »)

6. Ainsi, on recense aujourd"hui en dehors du genreHomosix genres d"homininés présentés comme bipèdes,

dont quatre ont été décrits au cours de ces vingt dernières années : les genresAustralopithecus(1925),Paranthropus

(1938),Ardipithecus(1995),Kenyanthropus(2001),Orrorin(2001) etSahelanthropus(2002).

7. Les expressions "ape-like» et "human-like» sont utilisées de manière récurrente dans la description des

spécimens fossiles depuis le début du XXe siècle.

Introduction générale3

locomotion consistant à marcher sur deux pieds. Cependant, les ours et les pingouins ne doivent-

ils pas dans ce cas être eux aussi considérés comme des bipèdes, ainsi que tous les grands singes

africains et asiatiques, qui se déplacent occasionnellement sur deux pieds? On ajoutera donc au concept locomoteur de bipédie un concept postural, relatif à la station verticale du corps. Pourtant, pris à lui seul, ce concept postural n"est pas distinctif des homininés, puisque les

singes qui se suspendent aux branches pour se déplacer dans les arbres ont également le corps en

position verticale. On en viendra ainsi à un concept comportemental de bipédie, indiquant dans

quel environnement et à quel fréquence ce comportement postural et locomoteur est pratiqué : la

bipédie humaine se définit de ce point de vue comme une bipédie terrestre et permanente. Mais

n"est-ce pas également le cas de l"autruche? Il faudra donc encore préciser la manière dont le pied

s"appuie au sol dans la marche bipède, en ajoutant que l"humain est un bipède plantigrade, qui marche en appuyant la plante du pied au sol, tandis que l"autruche est digitigrade : elle marche en s"appuyant sur les doigts de ses pattes.

La bipédie humaine actuelle, telle qu"elle est pratiquée par l"espèceHomo sapiens, ne pourra

ainsi être précisément définie que comme un mode de locomotion bipède plantigrade, associé

à une posture droite, pratiquée de manière habituelle, dans un environnement terrestre et non

arboricole. Or, cette définition complexe de la bipédie humaine actuelle vaut-elle également pour

la bipédie des homininés? Le cadre interprétatif employé en paléoanthropologie le suppose : les

caractères morphologiques " ressemblant à l"humain » y sont utilisés pour inférer une bipédie

fonctionnellement semblable à la bipédie humaine actuelle, laquelle permet à son tour d"inférer

le statut taxinomique et phylogénétique du spécimen considéré en l"assignant à la lignée des

homininés. Ce raisonnement inférentiel articulant la morphologie, la fonction, la taxinomie et

la phylogénie constitue le cadre interprétatif constamment mobilisé dans l"étude des spécimens

fossiles. Pourtant, l"équivalence postulée entre la bipédie humaine et la bipédie des homininés

est problématique. Implique-t-elle un biais anthropomorphiste dans l"interprétation des vestiges

postcrâniens, en conduisant à humaniser le comportement locomoteur des homininés? Ou bien

cette équivalence entre bipédie humaine et bipédie des homininés est-elle une contrainte épisté-

mologique inhérente à la " méthode de Zadig » exposée par Thomas Huxley

8? Cette méthode

consiste à raisonner par analogie à partir des espèces actuelles pour reconstituer les caractéris-

tiques morphologiques et fonctionnelles des espèces fossiles. En effet, le comportement locomoteur

des homininés est nécessairement inobservable : les inférences morphologiques et fonctionnelles

à partir de l"actuel sont indispensables pour reconstituer les évolutions locomotrices du passé.

"Seull"homme est devenu un bipède ». En paléoanthropologie, l"hypothèse selon laquelle la

bipédie a évolué uniquement dans la lignée des homininés est le fondement logique du raison-

nement consistant à inférer de la bipédie présumée d"un spécimen fossile son statut d"homininé.

Il est ainsi postulé non seulement que tous les homininés sont bipèdes, mais aussi que seuls les

homininés sont bipèdes. Cet axiome de l"unicité de la bipédie des homininés permet d"en faire un

critère de définition de cette lignée et donc un critère d"interprétation des fossiles. Cette unicité

axiomatique9conférée à la bipédie des homininés emprisonne-t-elle la paléoanthropologie dans

8. Huxley, T.H. (1880), " On the Method of Zadig : Retrospective Prophecy as a Function of Science », in

Science and the Hebrew Tradition, Londres, Macmillan.

9. La notion d" " unicité axiomatique » a été avancée par le primatologue Matt Cartmill : voir Cartmill, M.

(1990). Human uniqueness and theoretical content in paleoanthropology.International Journal of Primatology,

11(3), 173-192. p. 179

4Introduction générale

un raisonnement circulaire conduisant de la définition des homininés par la bipédie à l"interpréta-

tion d"un spécimen bipède comme homininé? Ou bien cette apparente circularité constitue-t-elle

un outil épistémologique nécessaire pour déterminer le statut taxinomique et phylogénétique

d"un spécimen fossile? Mais il faut aussi se demander si cette unicité conférée à la bipédie des

homininés est la survivance d"un " propre de l"homme », permise par la confusion entre bipédie

humaine et bipédie des homininés. S"il s"avère que l"unicité de la bipédie des homininés fait écho

à l"unicité jadis conférée par les philosophes à la station droite humaine, le concept de bipédie

humaine, tel qu"il est actuellement utilisé en paléoanthropologie, serait alors anthropocentriste.

Ou bien cette unicité est-elle la garante de la valeur épistémologique du critère de la bipédie, au

vu des contraintes imposées par l"objet fossile? Il est en effet nécessaire de disposer de critères

taxinomiques pour la classification des spécimens fossiles. Or, seuls les caractères fossilisables

sont susceptibles d"être exploités pour établir une systématique des homininés en paléoanthro-

pologie : ni le comportement reproducteur, ni le matériel génétique (pour les espèces les plus

anciennes) ne sont exploitables. Les paléoanthropologues sont donc contraints de s"appuyer sur les caractères morphologiques des os crâniens et mandibulaires, mais aussi de la denture et du squelette postcrânien.

" Seul l"homme estdevenuun bipède ». Si l"on admet que la bipédie humaine actuelle, considérée

comme le résultat du processus d"évolution consistant à devenir bipède, puisse être tenue pour

une caractéristique de l"espèceHomo sapiens, voire de certaines espèces du genreHomo, le pro-

cessus d"évolution consistant à devenir bipède peut-il également être considéré comme un critère

de définition des homininés? On répondra que cette définition fondée sur un processus d"évolu-

tion est précisément ce qui permet de définir la lignée des homininés comme un clade, exprimant

des relations phylogénétiques entre un ancêtre et ses descendants dont attestent les caractères

morphologiques dérivés qu"ils partagent. En effet, les caractères " ressemblant à l"humain » et

associés à la bipédie humaine sont considérés comme des caractères " évolués » ou " dérivés »,

uniquement partagés par les membres de la lignée humaine, tandis que les caractères " ressem-

blant au grand singe » sont considérés comme des caractères " archaïques » ou " ancestraux ».

De nombreuses espèces d"homininés présentent une morphologie dite " mosaïque », c"est-à-dire

un mélange de caractères " ressemblant à l"humain » et " ressemblant au grand singe ». Or, dans

la description des vestiges postcrâniens, et plus encore lors de la description de nouveaux taxons

fossiles, les caractères " ressemblant à l"humain » sont systématiquement surinterprétés : ils re-

çoivent une signification fonctionnelle et phylogénétique privilégiée, puisqu"ils sont considérés

comme l"expression du processus d"évolution consistant à devenir bipède, assimilé au processus

consistant à devenir humain. Pourtant, en dépit de cette terminologie cladistique dans laquelle les

traits bipèdes sont des traits dérivés uniquement partagés par les membres de la lignée humaine,

les caractères postcrâniens ne sont pas pris en compte dans les analyses cladistiques actuelles :

ces caractères liés à la bipédie sont considérés comme trop incertains, parce qu"ils reflètent des

adaptations fonctionnelles dont la signification phylogénétique n"est pas claire

10. De plus, les

fossiles postcrâniens sont beaucoup plus rares et moins bien conservés que les fossiles crâniens,

dentaires ou mandibulaires : leur assignation est pour cette raison aussi jugée incertaine.

En paléoanthropologie, la bipédie n"est pas seulement tenue pour un processus d"évolution carac-

10. Voir Strait, D. S., Grine, F. E., & Moniz, M. A. (1997). " A reappraisal of early hominid phylogeny ».

Journal of Human Evolution,32(1), 17-82 : les caractères des spécimens postcrâniens ne sont pas pris en compte

car leur assignation à tel ou tel taxon est incertaine.

Introduction générale5

téristique de la lignée des homininés : elle est conçue comme un événement adaptatif marquant

l"origine de la lignée des homininés et, partant, comme une propriété possédée par tous les re-

présentants de cette lignée. Bien que le clade des homininés constitue une entité historique,

dont les caractéristiques varient au cours de l"évolution, il tend ainsi à être conçu comme une

classe logique définie par une propriété essentielle : la bipédie, considérée comme une condition

nécessaire et suffisante d"appartenance au clade des homininés. Cet usage du critère de la bi-

pédie signale-t-il une conception essentialiste de cette caractéristique?

11Une telle conception

se trouverait en désaccord avec l"esprit même de l"anthropologie darwinienne, puisqu"en tenant

l"humain pour le résultat d"un processus d"évolution par voie de sélection naturelle, celle-ci vidait

de son sens toute entreprise de définition de l"humain par des attributs essentiels

12. Ou bien cette

coïncidence entre bipédie et origine de la lignée des homininés est-elle nécessaire pour disposer

d"un concept d"humain unifié, que le critère cérébraliste, fondé sur la taille du cerveau, comme

le critère culturaliste, fondé sur l"outil, ont échoué à fournir?

L"analyse conduite jusqu"à présent a permis de dégager trois problèmes majeurs relatifs à la

manière dont est utilisé le critère de la bipédie en paléoanthropologie : le problème de l"an-

thropomorphisme, reposant sur l"équivalence entre bipédie humaine et bipédie des homininés,

le problème de l"anthropocentrisme, touchant à l"unicité conférée à cette caractéristique, et le

problème de l"essentialisme, alimenté par la conception de la bipédie comme propriété originaire.

Ces trois problèmes se trouvent concrètement illustrés dans la manière dont ont été décrites les

trois espèces d"homininés les plus anciennes actuellement connues :Orrorin tugenensis, espèce

décrite en 2001 et datée à 6 millions d"années,Sahelanthropus tchadensis, espèce décrite 2002

dont l"âge est estimé à 7 millions d"années etArdipithecus ramidus, espèce définie en 1994 et

datée à 4,4 millions d"années, dont les vestiges postcrâniens ensuite découverts ont été décrits en

2009. Voici en effet ce qu"on peut lire dans les articles que les équipes de recherche associées à

ces découvertes fossiles leur ont consacré :

" Les éléments postcrâniens suggèrent qu"Orrorinétait déjà adapté à la bipédie (de manière

différente et plus humaine que celle des Australopithèques), tout en étant encore agile dans les

arbres » 13; " On ne dispose pas encore d"informations suffisantes pour inférer avec certitude siSahelan-

thropusétait un bipède habituel. Cependant, cette inférence ne serait pas déraisonnable étant

donné les autres similarités du basicrâne et de la face qu"il partage avec des hominidés fossiles

plus récents qui étaient clairement bipèdes »

14(en effet, seuls des spécimens crâniens, dentaires

11. Hull, D. L. (1965). " The effect of essentialism on taxonomy--two thousand years of stasis (I) ».British

Journal for the Philosophy of Science, 314-326; Hull, D. L. (1965). " The effect of essentialism on taxonomy--two

thousand years of stasis (II) ».British Journal for the Philosophy of Science, 1-18. Sur la quête de propriétés

universelles en anthropologie, voir Hull D. L. (2006), " Essentialism in Taxonomy : four decades later ».Annals

of History and Philosophy of Biology, vol. 11 : pp. 47-58

12. Comme le souligne F. Wolff dansNotre humanité. D"Aristote aux neurosciences, Paris, Fayard, 2010, pp

132-134

13. Senut, B., Pickford, M., Gommery, D., Mein, P., Cheboi, K., & Coppens, Y. (2001). " First hominid from

the Miocene (Lukeino formation, Kenya) ».Comptes Rendus de l"Académie des Sciences-Series IIA-Earth and

Planetary Science,332(2), 137-144. p. 139

14. Brunet, M., Guy, F., Pilbeam, D., Mackaye, H. T., Likius, A., Ahounta, D., ... & Zollikofer, C. (2002). " A

new hominid from the Upper Miocene of Chad, Central Africa ».Nature,418(6894), 145-151 : " There is not yet

sufficient information to infer reliably whetherSahelanthropuswas a habitual biped. However, such an inference

would not be unreasonable, given the skull"s other basicranial and facial similarities to later fossil hominids that

6Introduction générale

et mandibulaires ont été décrits concernantSahelanthropus);

" Le pelvis, le fémur et les éléments thoraciques préservés d"Ar. ramidusétablissent que les

adaptations à la marche en station droite dans ces régions du corps étaient bien établies il y a 4,4

millions d"années, malgré la rétention d"une capacité locomotrice arboricole substantielle »

15.

Dans ces trois cas, les caractères associés à la bipédie identifiés sur ces spécimens fossiles ont

été utilisés comme un argument pour assigner ces espèces fossiles au clade des homininés. Ces

caractères ont également conduit les auteurs à établir l"existence d"une bipédie humaine dans la

lignée des homininés il y a 6 ou 7 millions d"années (tandis qu"elle était jusqu"alors avérée il y a

3,7 millions d"années par les traces de pas de Laetoli, en Tanzanie)

16et à reculer l"origine de notre

lignée à 7, 10

17, voire 1218millions d"années. Pourtant, la séparation entre la lignée des homininés

et celle des paninés était jusqu"alors située (notamment à partir d"analyses moléculaires)

19il y a

environ 6 millions d"années. Une lecture non critique de ces articles conduirait à considérer que

la bipédie, naguère considérée comme le " propre de l"homme », n"en finirait pas de reculer dans

le temps l"origine d"une humanité aux contours flous. Il y a pourtant tout lieu de penser que

cette extension du concept de bipédie humaine à des spécimens fossiles toujours plus anciens et

morphologiquement divers est abusive et permise par une définition insuffisante du concept de bipédie.

Si le cadre interprétatif mobilisé pour l"interprétations des vestiges postcrâniens pose un certain

nombre de problèmes philosophiques, il se trouve aussi en contradiction avec les enseignements

que permettent de tirer le registre fossile actuellement disponible. En effet, l"équivalence entre

bipédie des homininés et bipédie humaine n"est recevable que si l"on suppose que la bipédie a

évolué une seule fois dans la lignée des homininés, si bien que toute occurrence de caractères

morphologiques associés à la bipédie signalerait l"ébauche d"une bipédie morphologiquement et

fonctionnellement humaine. Pourtant, le registre fossile actuellement disponible met en difficulté

cette conception, en suggérant l"existence de plusieurs évolutions locomotrices impliquant la bi-

pédie dans différentes lignées du clade des homininés. L"hypothèse d"une pluralité de bipédies

susceptibles d"avoir existé, voire coexisté au cours de l"évolution des homininés a en effet été pro-

posée à partir d"approches biomécaniques suggérant que la morphologie mosaïque de spécimens

postcrâniens reflétait une bipédie fonctionnellement différente de la bipédie humaine actuelle

20. were clearly bipedal »

15. Lovejoy, C. O., Suwa, G., Spurlock, L., Asfaw, B., & White, T. D. (2009). The pelvis and femur ofAr-

dipithecus ramidus: the emergence of upright walking.Science,326(5949), 71-71e6 : " The pelvis, femur, and

preserved thoracic elements ofAr. ramidusestablish that adaptations to upright walking in these regions were

well established by 4.4 Ma, despite retention of a capacity for substantial arboreal locomotion » 71e5

16. Leakey, M. D., & Harris, J. M. (1987).Laetoli, a Pliocene site in northern Tanzania. Clarendon Press.

Oxford University Press.

17. White, T. D., Asfaw, B., Beyene, Y., Haile-Selassie, Y., Lovejoy, C. O., Suwa, G., & WoldeGabriel, G.

(2009).Ardipithecus ramidusand the paleobiology of early hominids.Science,326(5949), 64-86. p. 81

18. Pickford, M., & Senut, B. (2005). " Hominoid teeth with chimpanzee-and gorilla-like features from the Mio-

cene of Kenya : implications for the chronology of ape-human divergence and biogeography of Miocene hominoids ».

Anthropological Science,113(1), 95-102.

19. Steiper, M. E., & Young, N. M. (2006). Primate molecular divergence dates.Molecular phylogenetics and

evolution,41(2), 384-394.

20. Une démarche " chaloupée » dans laquelle les hanches et les genoux sont fléchis a été envisagée pourA.

afarensis: Berge, C. (1994). How did the australopithecines walk? A biomechanical study of the hip and thigh

of Australopithecus afarensis.Journal of human evolution,26(4), 259-273; Berillon, G. (2004). In What Manner

Did They Walk on Two Legs?. InFrom Biped to Strider(pp. 85-100). Springer US.

Introduction générale7

D"abord hétérodoxe, l"hypothèse d"une pluralité d"adaptations bipèdes s"est trouvée étayée par

la découverte de vestiges fossiles présentant une morphologie différente de celle présentée par des

spécimens du même âge et dans la même région

21. Ces différents comportements locomoteurs

auraient perduré pendant de longues périodes, ce qui signifie que ces bipédies non-humaines ne

peuvent être considérées comme imparfaitement humaines

22. De plus, cette diversité locomotrice

n"est pas seulement envisagée parmi les premiers représentants supposés du clade des homininés,

mais aussi pour des espèces plus récentes et attribuées au genreHomo23. S"il s"avère que ces

bipédies sont fonctionnellement différentes, celles-ci sont irréductibles aux diverses étapes d"une

même évolution locomotrice, conçue comme une marche bipède terrestre et orthograde, seule-

ment occasionnelle chez les premiers homininés, qui deviendrait habituelle puis permanente chez

les homininés ultérieurs. Cette pluralité des bipédies des homininés remet en question l"équiva-

lence entre devenir bipède et devenir humain. Si le scénario d"un redressement graduel du corps,

selon une " marche du progrès »

24correspondant à une bipédie de plus en plus humaine, est

ainsi définitivement enterré, il reste à accomplir, sur le plan morphologique et fonctionnel, une

révolution comparable à celle qui s"est produite sur le plan phylogénétique : la définition d"un

modèle arborescent d"évolution des bipédies, en lieu et place d"un modèle linéaire et graduel

d"évolution de la bipédie.

Le cadre interprétatif mobilisé pour l"interprétation des vestiges postcrâniens, qui suppose une

équivalence entre caractères ressemblant à l"humain, caractères bipèdes et caractères d"homininé,

semble également périmé au regard des enjeux théoriques de la biologie de l"évolution récemment

intégrés à la paléoanthropologie, qui ont conduit à remettre en question l"existence d"un rap-

port limpide entre morphologie, fonction et phylogénie. Jusqu"à une date récente, les caractères

morphologiques de type humain étaient interprétés comme l"expression d"un signal génétique

clair, puisqu"ils étaient considérés comme des traits génétiquement déterminés, répondant à des

pressions sélectives favorisant la bipédie. Or, il apparaît désormais que certains de ces caractères

morphologiques sont des traits ontogénétiques, liés au comportement individuel au cours d"une

vie , qui ne se développent que si l"individu pratique effectivement la bipédie

25. D"autres études

ont mis en évidence la présence, parmi les traits de type humains associés à la bipédie, de traits

épigénétiques, c"est-à-dire de caractères acquis dans l"évolution des homininés qui ont ensuite été

sélectionnés26. Il conviendrait ainsi de distinguer l"aptitude à la bipédie de sa pratique effective,

21. Haile-Selassie, Y., Saylor, B. Z., Deino, A., Levin, N. E., Alene, M., & Latimer, B. M. (2012). " A new

hominin foot from Ethiopia shows multiple Pliocene bipedal adaptations ».Nature,483(7391), 565-569.

22. Comme cela était le cas lorsqu"a été proposée l"hypothèse de deux bipédies fonctionnellement différentes

pourHomoetParanthropus: voir Napier, John R. (1964), " The Evolution of Bipedal Walking »,Archives de

quotesdbs_dbs47.pdfusesText_47