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L'intervention humanitaire peut-elle être conçue comme un "devoir parfait» ?

STÉPHANE COURTOIS

Université du Québec à Trois-Rivières

L'intervention humanitaire peut être définie comme une action coercitive

menée par un État ou un groupe d'États à l'intérieur de la sphère de juridiction d'une

communauté politique indépendante, sans la permission de cette dernière, en vue d'empêcher ou de mettre un terme à une violation massive de droits humains perpétrée à l'encontre d'innocents qui ne sont pas des co-nationaux à l'intérieur de cette communauté politique1 . Puisque l'intervention humanitaire représente une exception aux principes de non-intervention et d'intégrité territoriale sur lesquels s'appuient la Charte des Nations Unies et le droit international, les spécialistes en éthique internationale posent couramment la question de sa justification morale, c'est-à-dire celle de savoir si, et dans quelles conditions, l'intervention humanitaire est moralement permise. Dans des études récentes, Terry Nardin (2006 : 11-18), Kok-Chor Tan (2006) et Carla Bagnoli (2006) défendent quant à eux la thèse selon laquelle, à partir du moment où les conditions de permissivité sont satisfaites, l'intervention humanitaire devient une obligation morale, et une telle obligation doit selon eux être considérée, non simplement comme un devoir "imparfait» (un acte de bienveillance optionnel), mais comme un devoir "parfait» (une obligation inconditionnelle réclamée par la justice). Tout en me montrant favorable à une telle position, j'entends dans ce texte examiner quelques unes de ses difficultés. Dans la première partie, je rappellerai les

différentes manières dont la distinction entre devoirs parfaits et imparfaits a été faite au

sein de la tradition du droit naturel classique. Dans la seconde, j'exposerai plus précisément en quoi consiste la position défendue par Tan, Nardin et Bagnoli en matière d'intervention humanitaire et j'expliquerai pourquoi on doit la considérer comme légitime. Dans la troisième, j'examinerai néanmoins deux difficultés que me semble poser leur approche. La première touche à la question de savoir s'il fait sens de considérer comme un devoir "parfait» l'obligation de travailler à la mise en place d'institutions internationales capables d'empêcher les crimes contre l'humanité. La seconde consiste à savoir dans quelle mesure, si de telles institutions étaient mises en place, le devoir d'intervention possèderait une force exécutoire comparable à celle que l'on attend normalement des devoirs que l'on dit "parfaits». Finalement, dans la quatrième partie, j'examinerai les différentes solutions qu'il est possible d'apporter à la seconde difficulté. I La distinction entre devoirs parfaits et imparfaits appartient à la tradition du droit naturel moderne dont les plus fameux théoriciens sont Grotius, Pufendorf et 1

Ma définition s'inspire de la plupart des définitions données de l'intervention humanitaire dans la

littérature. Voir entre autres : Bull (1984: 1), Caney (2000: 118-120), Buchanan (2003: 130), Nardin

(2006: 1). 2 Kant. Il existe trois façons différentes, selon cette tradition, de faire la distinction entre devoirs parfaits et imparfaits 2 La première façon tourne autour de la question de savoir si le devoir peut être pleinement satisfait. Le devoir de rembourser un emprunt, le devoir de ne pas tuer, le devoir de ne pas voler, pour ne citer que ces exemples, sont tous des devoirs parfaits

pour autant que l'action qui doit être accomplie peut être spécifiée de manière précise,

en forme et en quantité. Je sais exactement comment et quand rembourser un emprunt, et combien je dois rembourser Je sais exactement ce qu'il faut faire pour ne pas tuer, ne pas voler : il suffit dans tous ces cas que je m'abstienne de commettre une certaine action pour accomplir mon devoir parfaiteme nt. C'est la raison pour laquelle les devoirs parfaits sont parfois qualifiés de devoirs négatifs. Il en va autrement de mon devoir d'aider les pauvres ou de prêter assistance aux personnes dans le besoin. Ce sont tous des devoirs qui demeurent indéterminés en forme et en quantité : l'action qui

doit être accomplie ne peut être spécifiée de manière précise pour autant que le devoir

n'est jamais satisfait par une seule action ou une série finie d'actions. La question de savoir quand et comment le devoir doit être accompli demeure à la discrétion de l'agent et varie selon les circonstances. La seconde façon d'établir la distinction met l'emphase sur la question de savoir qui doit accomplir le devoir. Les devoirs parfaits sont des devoirs accomplis par des agents spécifiques : le débiteur dans le cas d'une dette, tous les citoyens d'un État dans le cas du meurtre et du vol. Dans le cas des devoirs imparfaits, l'agent qui doit accomplir l'action demeure non spécifié : quelqu'un, quelque part, lorsque les circonstances se présentent, doit aider les plus démunis ou assister les personnes dans le besoin. Mais la question de savoir qui exactement doit accomplir ces actions demeure indéterminé. La dernière façon d'établir la distinction met l'emphase sur la question de savoir si le devoir possède une force exécutoire, si l'on peut contraindre un agent à l'accomplir. Contrevenir à notre devoir de rembourser nos emprunts, de ne pas tuer, de ne pas voler est passible de sanctions. Il existe dans tous ces cas une force légale qui résout le problème de la motivation morale en obligeant l'agent à agir de telle manière plutôt que d'une autre, sous peine de sanction. On ne peut par contre contraindre un agent à accomplir un devoir imparfait : on ne peut légalement forcer un agent à aider les pauvres ou à prêter assistance aux personnes dans le besoin (au delà, par exemple, des obligations parentales). Ayant une force exécutoire, il existe pour les devoirs parfaits une réciprocité entre les droits et les devoirs qui manque pour les devoirs imparfaits. Si l'on peut légalement contraindre un agent à rembourser ses emprunts, à ne pas tuer, à ne pas voler, c'est qu'on estime qu'il existe certains droits moraux et juridiques correspondants dont on veut assurer la protection: le droit des créanciers à

être remboursés, le droit des êtres humains à la vie et à la propriété. Il n'existe pas de

manière équivalente de droit à ce que l'on nous vienne en aide quand on est pauvre ou à être assisté quand on est dans le besoin. Les devoirs parfaits sont ce que Kant nomme des devoirs juridiques, ils appartiennent au domaine politique spécifiant la façon dont chacun est légalement forcé de traiter les autres afin que les droits moraux et juridiques de tous puissent être respectés, quelle que soit notre motivation morale interne. Pour leur part, les devoirs imparfaits appartienne nt à ce que Kant appelle les devoirs "de 2 Je m'inspire dans ce qui suit de l'analyse proposée par Nardin (2006 : 15-16). 3 vertu», ce sont des actions accomplies par bienfaisance ou par souci du devoir, et dont l'accomplissement nécessite la présence d'une motivation morale interne chez l'agent 3 II En éthique internationale, l'intervention humanitaire est généralement considérée comme un devoir imparfait. Comme le dit Michael Walzer on ne peut plus clairement : "Le problème général est que l'intervention humanitaire, même lorsqu'elle est justifiée, même lorsqu'elle est nécessaire pour empêcher des crimes terribles, même lorsqu'elle ne pose aucune menace à la stabilité régionale ou internationale, demeure un devoir imparfait - un devoir qui n'appartient à aucun agent spécifique. Quelqu'un doit intervenir, mais aucun État spécifique dans la société des nations n'est moralement obligé de le faire.» (Walzer 2000 : xiii). Dans cet extrait, Walzer parle de l'intervention humanitaire en prenant pour

toile de fond "la société des nations». Il se réfère ainsi implicitement à la tradition du

libéralisme social 4 , que l'on peut faire remonter à Kant, et qui a été reprise récemment par John Rawls (1999a). Selon cette tradition, bien que la souveraineté des États nationaux ne soit pas absolue, et ne peut par exemple avoir préséance sur le respect des droits humains, les États possèdent néanmoins un droit de non-interférence et un devoir moral de respecter la souveraineté des autres États. La tradition du libéralisme social conçoit ainsi l'ordre international comme un ordre "westphalien», c'est-à-dire basé, conformément au traité de Westphalie, sur la coexistence pacifique entre États souverains. Puisque l'intervention humanitaire représente une brèche faite à cet ordre,

une brèche faite à l'endroit des principes de non-intervention et d'intégrité territoriale

sur lesquels s'appuie le droit international, l'intervention humanitaire ne peut se présenter autrement, selon la tradition du libéralisme social, que comme une action qui est moralement permise à certaines conditions, non comme une action moralement obligatoire. Ou, la condition de permissivité étant satisfaite, si une obligation d'agir s'impose, cette obligation ne peut se présenter autrement que comme un devoir imparfait, c'est-à-dire comme un devoir d'assistance aux victimes d'atrocités et de crimes contre l'humanité qui se doit d'être accompli par un agent quelconque au sein de la "société des nations», mais qui ne peut incomber moralement à aucun agent spécifique au sein de cette société. Kok-Chor Tan (2006 : 94-96) voit là un grave problème. Il le nomme "the agency problem», que je traduirai provisoirement par le problème de l'imputabilité. Il met en jeu la seconde façon de distinguer devoirs parfaits et devoirs imparfaits dont j'ai parlé, où l'emphase est mise sur le sujet du devoir et sur la question de savoir qui doit accomplir une action. Selon Tan, le problème principal auquel fait face l'intervention humanitaire telle que conçue à l'intérieur de la tradition du libéralisme social est que le droit d'être protégé contre les crimes contre l'humanité demeure, selon l'expression d'Onora O'Neill (1986 : 101), un "droit de proclamation» ("manifesto right»), c'est-à-dire un droit qu'un demandeur possède effectivement et 3

Sur la distinction entre devoirs de vertu et devoirs juridiques, voir Kant (1968 : 53 ; 61-62 ; 1993 :

113).
4 L'expression est de Beitz (1999a: 272; 1999b; 2000: 677). 4 qu'il peut proclamer, mais qui ne peut être mis en application parce que, le devoir d'assistance étant un devoir imparfait, auc un agent spécifique n'est imputable, c'est-à- dire n'a l'obligation ou la responsabilité de mettre ce droit en application. C'est pour combler cette lacune que Tan (2006 : 104-5) propose de faire de l'intervention humanitaire, non plus un devoir imparfait relevant de la vertu ou de la charité de certains États à l'endroit des victimes de crimes contre l'humanité, mais un devoir parfait relevant de la justice. L'intervention humanitaire étant, dans l'état actuel du droit international, un devoir imparfait, les membres de la communauté internationale auraient l'obligation de le rendre parfait en institutionnalisant le devoir de protéger contre les crimes contre l'humanité, de telle manière que le droit de protection des victimes devienne plus qu'un simple droit de proclamation, mais un véritable droit qui possède une force exécutoire. C'est, selon Tan, en institutionnalisant le devoir de protection au plan international, en clarifiant à l'avance qui au sein de la communauté internationale doit intervenir, en mettant en place un dispositif institutionnel qui répartit les charges et les responsabilités incombant à chacun en matière de protection des droits humains, que le devoir de prot

éger contre les crimes contre l'humanité

pourra effectivement posséder une force exécutoire lorsque les situations de crises se

présentent, et que le problème de l'imputabilité dont j'ai parlé pourra être résolu.

Comme je l'ai annoncé dans mon introduction, je suis tout à fait sympathique avec l'objectif poursuivi par Tan et par d'autres spécialistes en éthique internationale qui endossent ses vues, comme Carla Bagnoli ou Terry Nardin. Même si leur approche de l'intervention humanitaire s'écarte sensiblement de celle promue au sein du libéralisme social et de la tradition de la société des nations et s'avère davantage cosmopolitique, il s'agit d'un cosmopolitisme qui m'apparaît respectueux des souverainetés nationales. Il s'agit certes d'un cosmopolitisme qui milite en faveur d'une réforme importante des institutions et des principes régissant actuellement l'ordre international, en particulier du Conseil de sécurité de l'ONU. Tan (2006 : 105) entrevoit par exemple la nécessité de créer une force de défense internationale permanente au plan humanitaire. Mais ce cosmopolitisme ne milite certainement pas en faveur de l'administration des affaires du monde par un État mondial, ou par le pouvoir impérial d'une superpuissance, comme celle que représentent actuellement les Etats-Unis, s'exerçant par delà l'autorité du droit international. Quelles que soient ses variantes, la conception de l'ordre international mise en avant par Tan, Nardin ou Bagnoli envisage l'assentiment de la communauté internationale, ainsi que la coopération et la coordination entre ses membres (en l'occurrence, les États-nations), comme absolument indispensables à la légitimité d'une intervention humanitaire. En d'autres termes, ce qui permet au mieux de conférer l'autorité morale indispensable à une telle entreprise, et d'assurer la stabilité des relations internationales en dépit de la brèche faite à l'ordre international, n'est pas pour eux l'action bienveillante d'un État mondial, encore moins celle d'une superpuissance agissant unilatéralement au nom de la défense des droits humains, mais uniquement la coopération et la coordination entre les États-nations. Le cosmopolitisme à l'oeuvre ici demeure donc compatible avec un ordre international pluraliste où les États-nations continuent d'assumer leur rôle. Bien que je sois en principe sympathique avec le projet qui est mis ici en avant, j'entrevois quelques difficultés dans sa mise en oeuvre. J'aimerais maintenant passer à l'examen de ces difficultés. 5 III La première difficulté que je vois à la mise en oeuvre de l'approche favorisée par Tan, Nardin et Bagnoli touche à la question de savoir s'il fait sens de considérer comme un devoir "parfait» l'obligation de travailler à la mise en place d'institutions internationales capables d'empêcher les crimes contre l'humanité. Pour bien comprendre ce qui est en jeu ici, il convient de rappeler que le cosmopolitisme promu par les auteurs précédents demeure avant tout un cosmopolitisme "moral» : l'intervention humanitaire, l'obligation qu'a la communauté internationale d'empêcher les crimes contre l'humanité et de protéger les victimes d'atrocités, demeure un devoir parfait, quelle que soit la capacité institutionnelle de la communauté internationale à s'acquitter de cette tâche 5 . En d'autres termes, ce n'est pas parce que l'imperfection des institutions internationales existantes laisse pendante la question de l'imputabilité et, cette question demeurant irrésolue, fait de l'intervention humanitaire un devoir imparfait, que l'intervention humanitaire doit moralement être considérée comme tel,

que le fossé entre l'idéal normatif et la réalité institutionnelle ne doit pas être comblé.

Toute la question cependant est de savoir comment et, surtout, qui doit combler ce fossé. Sur cette question, Tan suggère que, l'intervention humanitaire étant un devoir imparfait au sein de l'ordre international actuel, les membres de la communauté internationale auraient le devoir moral de le rendre parfait, en institutionnalisant le devoir de protection. Mais comment ce devoir moral de rendre parfait un devoir

imparfait doit-il lui-même être considéré ? Ici, Tan se fait très évasif. Je le cite :

La question de savoir si le devo

ir d'institutionnaliser un devoir imparfait pour le rendre parfait est lui-même, à strictement parler, un devoir parfait ou imparfait dépendra de notre définition précise des termes "parfait» et "imparfait». Mais heureusement, cette querelle à propos de la définition ne doit pas nous distraire de la substance de ma thèse, à savoir que le devoir d'institutionnaliser le devoir de protéger incombe à tous les membres de la communauté internationale (...)et qu'ils sont tous obligés de faire ce qui est nécessaire pour établir et supporter l'arrangement coopératif requis pour mettre en oeuvre le devoir de protéger. À la différence d'un devoir de protéger qui est imparfait au sens où le devoir n'est assigné à personne et où il n'est pas spé cifié ce que chacun doit faire (...), le devoir de créer tous les arrangements nécessaires pour rendre exécutoire le devoir de protéger ne soulève pas ce problème de l'imputabilité et de la responsabilité, et n'est pas imparfait en ce sens. (Tan 2006 : 104-5) 5

Sur la distinction entre cosmopolitisme "moral» et "institutionnel», voir Beitz (1999a : 286-87) et

Pogge (1992: 49).

6 Bref, ce que Tan nous dit ici, c'est que l'effort coopératif, le devoir de travailler à la création d'institutions internationales susceptibles de donner une force exécutoire au devoir de protection qu'a la communauté internationale, ne rencontre pas le problème de l'imputabilité et de la responsabilité auquel se confronte habituellement l'intervention humanitaire hors de tout cadre institutionnel. Cependant, il ne nous dit pas clairement si, oui ou non, l'effort coopératif devient à partir de ce moment un devoir parfait, d'où l'ambiguïté de sa position. Mais si nous acceptons les définitions usuelles des devoirs parfaits et imparfaits, il ne nous est pas permis d'établir entre eux des degrés et de considérer un devoir comme plus ou moins parfait ou imparfait. Tous

les devoirs peuvent en effet sans ambiguïté être rangés de l'un ou l'autre côté (quelle

que soit, comme nous le verrons plus loin, la force ou la portée pratique de ces devoirs selon leurs contextes d'application). De telle sorte que, à partir du moment où il considère l'effort coopératif comme n'étant pas un devoir imparfait au sens où l'est l'intervention humanitaire, Tan n'a d'autre choix, s'il veut être cohérent, que de voir dans cet effort un devoir parfait. Mais on voit tout de suite les difficultés de cette position. Pour savoir si, oui ou non, le devoir de coopérer et de travailler à la mise en place d'institutions internationales responsables de la protection des droits humains est "parfait», on n'a qu'à se demander si ce devoir passe le test des trois façons qu'a la tradition du droit naturel classique de concevoir un devoir parfait. Tout d'abord, on doit se demander si le devoir de travailler à la création d'institutions internationales responsables de la protection des droits humains peut être

spécifié de manière précise, en forme et en quantité. Une simple réflexion révèle que

ce ne peut être le cas. Comment s'acquitter de ce devoir ? Quels sont les dispositifs institutionnels à mettre en place les plus susceptibles de remplir la mission qui incombe à la communauté internationale en matière de protection des droits humains ? Quelles sont les réformes à apporter aux institutions internationales déjà en place, a u premier chef celles de l'ONU ? Tan, Nardin, Bagnoli ont leurs idées sur ces questions.

Mais d'autres spécialistes éminents en éthique internationale ont aussi leurs idées à ce

sujet, qui parfois diffèrent considérablement de celles de Tan et des autres. Pour reprendre l'expression célèbre de G. E. Moore, on pourrait dire que la question de savoir de quelle manière il convient au mieux aux membres de la communauté internationale de s'acquitter de leur devoir de créer les institutions internationales appropriées à la protection des droits humains demeure "une question ouverte». Et c'est pourquoi un tel devoir ne peut être qu'imparfait. En second lieu, on doit se demander si le devoir de travailler à la création d'institutions internationales responsables de la protection des droits humains peut être alloué à un agent spécifique, si le problème de l'imputabilité se pose ou non. Encore une fois, et contrairement à ce qu'en pense Tan, il est clair qu'un tel problème se pose. À qui, exactement, incombe la responsabilité de rendre le devoir de protection des droits humains parfait en créant les institutions internationales appropriées, ou en réformant les institutions existantes ? Tan nous dit que ce devoir incombe à tous les membres de la communauté internationale. Mais lorsque des crimes graves mettant en jeu les droits humains sont perpétrés au Darfour, en Somalie, au Libéria ou au Rwanda, le devoir de protection incombe également à tous les membres de la communauté internationale. Le devoir d'intervention humanitaire n'en demeure pas moins imparfait en ce sens que personne ne sait exactement qui, au sein de la communauté internationale, doit faire les premiers pas et doit être tenu imputable. 7 Même chose pour la création ou la réforme des institutions internationales. Quelqu'un quelque part au sein de la communauté internationale doit faire quelque chose, doit prendre l'initiative, stimuler l'effort de coopération des autres membres de manière à éventuellement créer les institutions internationales appropriées. Mais aucun État en particulier ne peut être tenu responsable de ne pas avoir eu cette initiative. Et c'est pourquoi, une fois encore, le devoir de création ou de réforme des institutions internationales en vue de la protection des droits humains ne peut être qu'imparfait. Finalement, il convient de se demander si le devoir de création ou de réforme des institutions internationales responsables de la protection des droits humains

possède une force exécutoire, si l'on peut légalement contraindre un État à participer à

la création de telles institutions. Mais on voit tout de suite qu'une telle possibilité ne fait pas sens. Aucun membre de la communauté internationale ne peut être contraint

contre son gré, ni à prendre l'initiative, ni à coopérer en vue de la création ou de la

réforme d'institutions internationales destinées à la protection des droits humains. Les États qui coopéreront en vue de la création de telles institutions le feront, outre que pour leur seul intérêt particulier, par vertu, par souci du devoir, par bienveillance. Les dirigeants devront être mus par une motivation morale interne indispensable à l'effort coopératif. Et les États qui refuseront de coopérer s'exposeront sans doute au blâme moral de la part des autres membres de la communauté internationale. Mais un blâme n'est pas une sanction légale punitive, ce à quoi s'exposent les agents qui contreviennent à un devoir parfait. En un mot : nous avons à faire ici, encore une fois,

à un devoir imparfait.

Pour conclure mes remarques, je dirais que la première difficulté à laquelle s'expose l'approche favorisée par Tan et les autres penseurs cosmopolites favorables à ses positions est la suivante : si l'intervention humanitaire est dans l'état actuel du droit international un devoir imparfait, le devoir moral qu'ont les membres de la communauté internationale de le rendre parfait en institutionnalisant la responsabilité d'intervenir au plan humanitaire ne pourra jamais lui-même être considéré autrement que comme un devoir imparfait. Je passe maintenant à la seconde difficulté. Supposons que les membres de la communauté internationale réussissent à coordonner leurs efforts pour améliorer ou réformer les institutions internationales existantes de manière à institutionnaliser la responsabilité d'intervenir au plan humanitaire, par exemple en réformant le Conseil de Sécurité de l'ONU et en créant une force de défense in ternationale permanente. La question se pose alors de savoir si le devoir d'intervention possèderait une force exécutoire comparable à celle que l'on attend normalement des devoirs que l'on dit "parfaits», ou encore des normes et des lois à l'intérieur d'une communauté nationale. Pour exposer plus clairement le problème, prenons l'exemple suivant. F a refusé de participer aux forces de maintien de la paix pour prévenir un génocide dans G, forces qui sont sous l'égide d'une force de défense internationale permanente où il

est stipulé que F doit transférer l'autorité qu'il possède sur ses soldats pour la confier à

la force de défense internationale. Deux questions se posent ici : (1) F a-t-il contrevenu à un devoir parfait ? (2) F s'expose-t-il à des sanctions analogues à un agent qui contreviendrait à un devoir parfait? À la première question, je répondrais oui. Oui, parce que les devoirs parfa its étant des devoirs juridiques, et l'institutionnalisation du devoir d'intervention humanitaire ayant pour mandat de spécifier par écrit, par exemple dans une convention 8 internationale, les charges et les responsabilités incombant à chacun, l'inaction de F reviendrait à manquer à un devoir juridique. L'institutionnalisation du devoir d'intervention humanitaire rendrait en effet ce devoir "parfait» en répondant, tout au moins en principe, aux trois manières de définir un devoir parfait que nous avons analysées, c'est-à-dire en spécifiant : (1) comment et dans quelles circonstances le devoir doit être accompli, (2) qui doit l'accomplir et (3) quelles sont les sanctions qu'encoure l'agent qui se soustrait à son devoir.

À la seconde question maintenant, je

répondrais non. Non, parce qu'il m'est difficile de voir à quelles sanctions pourrait s'exposer F à partir du moment où il a des raisons morales à faire valoir. Une mise en garde s'impose ici. Je ne dis pas que la condition (3) permettant à des devoirs d'être parfaits ne pourrait pas être satisfaite. En effet, s'il s'avère que les raisons qu'a F de refuser de participer à l'effort de paix sont irrecevables (par exemple si c'est parce que l'intervention ne favorise pas ses intérêts nationaux, quels qu'ils soient), F s'expose au blâme de la communauté internationale et à d'éventuelles sanctions. Ce que je dis, c'est qu'il existe des circonstances où F pourrait vouloir demeurer neutre et où cette neutralité pourrait difficilement être considérée comme une faute morale. Je donne ici trois exemples : (1) F est un ancien État colonial dans G. Le passé colonial de G explique en grande partie la crise humanitaire. La participation de F à l'intervention pourrait être interprétée comme une forme partisane de néo-colonialisme de sa part. (2) F a fait au cours des dernières années plus que sa contribution en ressources humaines et matérielles pour des opérations de maintien de laquotesdbs_dbs19.pdfusesText_25