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Anne Plantagenet

Manolete

Le calife foudroyé

Ce livre a été publié une première fois aux éditions Ramsay en 2005.

ISBN : 978-2-84626-246-0© Éditions Au diable vauvert, 2010, pour la présente éditionAu diable vauvertwww.audiable.comLa Laune 30600 Vauvert

Catalogue sur demande

contact@audiable.com

Du même auteur

Un coup de corne fut mon premier baiser, Ramsay, 1998 Seule au rendez-vous, Robert Laffont, prix du récit

Biographique 2005

Marilyn Monroe, Gallimard, " Folio biographies », 2007

Pour les siècles des siècles, Stock, 2008

Onze femmes, collectif, J'ai Lu, 2008

Le prisonnier, Stock, 2009

Carmen 2012, dans Mosquito, Prix Hemingway 2012, Au diable vauvert

Nation Pigalle, Stock, 2011

"Vous, maestro, qui possédez tout, la gloire, l'argent, que souhaiteriez-vous de plus?» demanda un journaliste à Manolete quelques jours avant sa mort. "Retrouver l'homme ordinaire perdu dans

Manolete», répondit le torero.

Alors je suis partie à sa recherche.

A.P.

Paseíllo

I " Ils ne le laisseront pas arrêter vivant. »

La Buick vient de quitter Madrid en direction du

sud. Un coupé bleu argent décapotable, modèle amé- ricain introuvable en Europe qui, d'après Guillermo, roule jusqu'à cent vingt kilomètres à l'heure. Il est bien placé pour le savoir puisque le chauffeur, c'est lui. En réalité, il ne l'a jamais vérifié. En 1947, aucune route d'Espagne ne permet d'atteindre une telle vitesse.

Il est un peu plus de dix heures du soir. Dans la

voiture, les quatre hommes sont silencieux. Le plus souvent, ils voyagent de nuit car, à peine leur contrat rempli dans une ville, ils sont, dès le lendemain, atten- dus à des centaines de kilomètres. Et aussi à cause de la chaleur. C'est précisément entre avril et octobre qu'ils sillonnent la péninsule de long en large, un nombre incalcu lable de fois. Pendant les mois de suffocation.9 Le 27 août 1947 ne fait pas exception. Au coeur de l'après-midi, le thermomètre a dépassé les quarante degrés dans la capitale. " Madrid, trois mois d'hiver, neuf mois d'enfer », prévient le dicton populaire. Il n'était pas question de partir avant la nuit. Linares se trouve à trois cent vingt-cinq kilomètres. Ils ont prévu de s'arrêter souper sur la route et d'arriver avant l'aube. La Buick file dans le noir complet, passe au milieu de champs calcinés, traverse de petits villages endor- mis, Ciempozuelos, Arganda, Vaciamadrid, Esqui- vias, Borox, vrombit devant les maisons silencieuses, soulevant des nuages de poussière. Ceux qui, du pas de leur porte, affalés sur des chaises pliantes à bavar- der à la fraîche, l'aperçoivent, comme les dormeurs alertés, du fond de leur lit, par le rugissement du moteur, savent à qui elle appartient, le nom de ses occupants et où ils vont. Ce n'est pas difficile. Des automobiles, il y en a peu. Seules deux sortes d'in- dividus ont le privilège d'en posséder: les politiciens et les toreros. Alors ce bolide américain qu'il a fait venir directement des États-Unis, dont on prétend qu'il lui faut un pétrole importé de là-bas, nul n'ignore que c'est celui de Manuel Rodríguez

Sánchez Manolete. Le torero de Cordoue.

Et qu'il se rend à Linares, dans la province de Jaén, où il doit affronter le lendemain des taureaux de

Miura.

Les gens se signent. Si rares sont les voitures.

D'ailleurs, on se signe toujours au passage de

Manolete.

Manolete

10

Tant d'histoires courent sur son compte. L'argent

surtout, l'argent! Il empocherait par corrida des sommes impensables et scandaleuses - quand la majorité de ses concitoyens meurt de faim. Combat- trait des bêtes en dessous du poids réglementaire (dont il ferait assurément épointer les cornes). Refu- serait d'affronter les élevages réputés dangereux et ferait exclure certains de ses confrères - ceux qui risquent de lui faire de l'ombre - des affiches où il figure. Bien entendu, si dans les arènes le prix des places a fortement augmenté depuis quelques années, c'est forcément sa faute. Tout cela pour quelques passes, toujours les mêmes, et ses airs de possédé. Un être étrange, inquiétant. Anémique et dépressif, dro- gué, murmure-t-on, souffrant de graves affections pulmonaires. " Le Monstre », comme l'a surnommé un journaliste. Tous les mois, des centaines de femmes lui écrivent pour lui offrir leur sang, paraît- il. Un vampire. Certains sont allés jusqu'à raconter qu'il s'entraîne à la mise à mort sur des opposants républicains prisonniers des geôles de Franco. Mais le comble, ce qui choque le plus le pays tout entier, c'est sa liaison avec cette putain de Lupe Sino. Allez savoir s'il ne l'a pas épousée en cachette, et ce, malgré l'interdiction de sa mère, doña Angustias. On dit aussi qu'il torée au plus près des taureaux, comme personne ne l'a osé avant lui. Que, sous l'ha- bit de lumière qu'il porte depuis dix ans, son corps est couturé de partout. Il a encaissé dix-huit coups de corne graves, cuisses, aine, ventre, clavicules, mains, épaules, plus diverses blessures aux genoux,11 commotions cérébrales, fractures, qui l'ont immobi- lisé parfois pendant plusieurs semaines. Et cette cicatrice qui lui mange à jamais la joue gauche comme un rictus, un affreux présage que lui renvoie chaque jour son miroir. Pourtant, au coeur de l'après- midi, quand il pose le pied sur le sable des arènes, le miracle s'accomplit presque toujours: rien que le voir marcher lors du paseíllo1, dans sa lenteur majestueuse, le visage grave et impassible, immense silhouette dégingandée enveloppée dans sa cape bro- dée, tient du prodige, du sacré. Manolete domine ses adversaires et hypnotise les spectateurs pétrifiés. Cha- cun songe alors à la prophétie de Juan Belmonte 2: " Un jour, un homme parviendra à dompter tous les taureaux sans exception.» Tous les taureaux. Et ça dure depuis des années, avec son grand corps maigre et sa triste mine - chevalier de quels moulins imagi- naires -, des années qu'il est le meilleur, le numéro un, de New York à Lima en passant par La Havane,

Mexico ou Lisbonne. Au Mexique, en 1946, il a

provoqué des émeutes. Les actualités télévisées ont montré les images de son retour d'Amérique à l'aéroport de Madrid grouillant d'admirateurs et de journalistes. L'ONUa beau avoir condamné l'Espagne franquiste

Manolete

12

1. Défilé des toreros au début de la corrida.

2. Un des plus grands toreros de l'histoire, né à Séville en 1892,

dont la rivalité avec Joselito a fait au début du XXesiècle l'âge d'or inégalé de la tauromachie. Belmonte a combattu à pied jusqu'en 1936, puis à cheval à l'époque de Manolete. Il a mis fin

à ses jours en 1962.

et imposé un blocus féroce à son encontre, la célébritéde Manolete est internationale.

Chaque jour, pourtant, le public réclame davantage. Qu'il s'avance encore plus près de l'animal, danse avec lui sans regarder ses cornes, et les fixe, eux, les spectateurs, ces hommes rationnés au quotidien. Pour se payer un billet, ils se sont saignés à blanc. Parfois, ils ont parcouru des kilomètres, à pied, en charrette ou à dos de mulet, afin d'être là, de le voir. Donc ils en veulent, et pas qu'un peu, pour leur argent. Il faut les comprendre. Trois années de tue- rie fratricide - la guerre des mille jours, trente-deux mois de massacres -, et maintenant les restrictions, les tickets de rationnement. Manolete le sait, lui qui mange au restaurant tous les soirs et se paie presque autant de voitures de course que de costumes taillés sur mesure. Alors, quand le taureau passe contre son corps, il lève les yeux en direction des gradins, comme l'a fait avant lui Angel Luis Bienve nida1, se rapproche encore et encore de la bête et termine bien souvent à l'infirmerie. Il n'y a que cela qui les calme, les furieux du soleil ou de l'ombre, les aigris, les jaloux. Et seulement un temps, il ne l'ignore pas. - Je sais ce qu'ils veulent, et une après-midi, je vais le leur donner, a-t-il déclaré récemment.13

1. Angel Luis Mejías Jiménez Bienvenida, matador de taureaux né

à Séville en 1924. C'est lui qui aurait " inventé » la fameuse passe en regardant les spectateurs, popularisée ensuite par Manolete. Manolete est fatigué. Au cours des derniers mois, en privé, il a répété à plusieurs reprises son intention d'arrêter définitivement, de prendre sa retraite, en octobre, à la fin de la saison. - On exige de moi plus que ce que je peux donner. Qu'octobre me paraît loin..., avoue-t-il le

16 août, lors d'un entretien avec la Radio nationale

espagnole pendant une corrida à Saint-Sébastien. Des gradins, le journaliste lui a tendu son micro. Échevelé, les yeux exorbités, cernés par l'épuisement, les joues creusées, le matador semble à bout de nerfs. Une partie du public vient de les insulter, lui, Lupe et une de ses soeurs. Même sa mère. Il ne comprend pas ce torrent de haine qui déferle sur lui. Si encore il faisait mal son travail. Mais ce n'est pas le cas. Il ne triche jamais, tente de remplir chaque après-midi son contrat. Au péril de sa vie. Et tandis que la foule hurlante lui adresse des horreurs, Manolete compte tristement les jours et les taureaux qu'il lui reste à combattre avant de tirer sa révérence. Dans la Buick, le matador est assis à la droite de Guillermo. À l'arrière ont pris place Pepe Camará et Antonio Bellón. Au fond du coffre: capes, épées et le costume rose et or, confec tionné l'année dernière par le tailleur madrilène Juan Jiménez, que le torero a choisi de porter le lendemain à Linares. Guillermo l'a soigneusement plié et il le dépliera avec la même minutie respectueuse lorsqu'ils seront à l'hôtel, pour l'installer sur une chaise, dans la chambre de son maestro.

Manolete

14 De six ans son aîné, Guillermo González Luque connaît Manolete depuis l'enfance. Vaguement appa - rentés, ils ont joué au taureau comme tous les gosses du quartier Santa Marina de Cordoue, en mangeant des glands, la morve au nez, le ventre vide, avant de prendre la chose au sérieux et de se laisser gagner par des rêves de gloire. Ils ont tout partagé, humiliations, désastres et premiers triomphes, sans oublier la guerre, en 1936, sur le même front d'artillerie. Plus jeune, c'est vrai, Guillermo aurait bien voulu être lui- même torero, mais il n'en avait pas l'envergure. Peut- être pas le courage non plus. Il l'a admis. Aussi l'est-il devenu à travers Manolete qu'il vénère. Depuis

1939, au sein de sa cuadrilla, il occupe les fonctions

de valet d'épée, chauffeur, conseiller, confident. Il se considère surtout comme son ami intime, dévoué, possessif et fidèle comme un chien. Guillermo ne parle pas beaucoup plus que Manolete, mais il frappe juste. Coups précis et parcimonieux, à la cordouane.

Les deux hommes se comprennent toujours, s'oppo-

sent rarement. Quand cela arrive, c'est sur des ques- tions taurines, parce que Guillermo estime que son maestro prend des risques inutiles dans des arènes de province. - Ici aussi le public a payé sa place, réplique dou- cement Manolete.

Guillermo en est malade, sue tout ce qu'il a dans

l'estomac et passe un sale moment derrière les planches à regarder son matador jouer sa vie pour une poignée d'enragés perdus au fond d'un bled dont nul ne connaît le nom.15 Pourtant, la dernière fois qu'ils se sont accrochés, c'était au sujet de Lupe Sino. Il y avait beaucoup de monde ce soir-là dans la chambre 220 à l'hôtel Victoria de Madrid. La corrida avait été dure, la ten- sion n'était pas retombée encore. On parlait fort, fumait beaucoup. Entre hommes. Le téléphone sonna. Comme à l'accoutumée, c'est

Guillermo qui répondit. Sèchement.

- C'est " le serpent », annonça-t-il à la cantonade, sans même baisser la voix. Elle demande si elle peut monter. Un silence à la fois inquiet et jubilatoire envahit la pièce. Tous, sans exception, regardèrent le maes- tro. Le serpent, l'animal qui porte la poisse aux tore- ros. Sous l'injure, Manolete se raidit un peu, puis, avec sa lenteur coutumière, se tourna vers Guillermo. - Qu'elle vienne. Tu en profiteras pour lui dire en face ce que tu penses d'elle. Guillermo, qui a mauvais caractère et ne voulait pas perdre la face, prit ses affaires, claqua la porte et grimpa dans le premier train à destination de Cordoue. Il fallut l'inter vention de doña Angustias pour que tout rentre dans l'ordre. - Je ne sais pas ce qui s'est passé entre vous, mais mon fils a besoin de toi à ses côtés. Ne le laisse pas tout seul, je t'en prie. Guillermo embrassa sa femme et repartit aussitôt.

Personne ne résiste à doña Angustias

1.

Manolete

16

1. Anecdote racontée par Guillermo lui-même à Filiberto Mira.

Voir bibliographie en fin d'ouvrage.

Manolete l'accueillit sans faire allusion à l'incident. Cependant, quand, quelque temps plus tard, il par- tit pour l'Amérique avec toute sa cuadrilla, il ne l'emmena pas. - Tu resteras ici pour veiller sur ma mère, ordonna-t-il à Guillermo. En bon Cordouan, José Flores Camará n'est pas très disert, lui non plus. De noir vêtu, souvent retranché derrière des lunettes de soleil et sous un feutre sombre, il protège farouchement les intérêts de Manolete depuis neuf ans. C'est un ancien torero, de la généra- tion précédente, matador courageux mais sans grand talent. Il a vite compris que son intransigeance et son sens des affaires lui seraient plus utiles pour gérer la carrière de ce grand garçon au physique étrange dont il pressentait la singularité exceptionnelle que pour combattre un taureau de cinq cents kilos. Manolete, qui le vouvoie depuis le premier jour, lui a immédia- tement accordé sa confiance et confié tous pouvoirs. Entre eux, depuis 1936, rien d'écrit, mais un pacte oral, un respect immense et un lien qui dépasse largement le cadre de la tauromachie. Camará, dit Pepe ou don José, est une figure d'autorité, jalousée et redoutée dans le milieu. Le tandem qu'il forme avec le matador a créé un précédent. Avant, les tore- ros se débrouillaient seuls pour discuter de leurs contrats. Ils s'entendaient entre deux portes avec les imprésarios des arènes et c'était tout. En famille. Avec Manolete, tout a changé: la corrida est passée à l'ère du professionnalisme et du rendement.17 " Voyez cela avec don José. » " C'est don José qui décide. » " Si don José est d'accord. » Camará est un homme dur, inflexible en négocia- tions, et qui délivre ses compliments avec parcimo- nie. C'est lui qui évince les concurrents et impose les taureaux, voire le prix des places dans l'arène. Imperturbable. La seule façon de le faire à coup sûr sortir de sa réserve, c'est d'évoquer Joselito, le célèbre matador du début du siècle, tué en 1920 dans les arènes de Talavera1. - Le meilleur de tous les temps, clame Camará. Depuis des années, Manolete l'écoute religieuse- ment évoquer la splendeur de Gallito. Parfois, piqué au vif, émoustillé dans son amour-propre, il brave sa timidité, prenant parti pour le rival de l'idole: - Moi, je préfère Belmonte. Sa tauromachie immo- bile, téméraire. Don José s'offusque. Manolete persiste et signe, rouge de témérité, comme un enfant qui se rebelle. Toutefois, les seules arènes au monde où il a toujours refusé de porter l'habit de lumière sont celles de Talavera. Il ne faut pas non plus tenter le diable.

De toute façon, Manolete a bien des raisons de

vanter les mérites de Juan Belmonte. D'abord il n'est pas mort, lui, et torée toujours de temps à autre, ensuite sa tauromachie, âpre et tragique, soutenue

Manolete

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1. José Gómez Ortega, Gallito, El Gallo ou Joselito, matador de

taureaux né à Séville en 1895. Le plus grand sans doute, mort d'un coup de corne à l'âge de vingt-cinq ans. Rival de Juan Belmonte.

par la seule volonté, n'est pas si éloignée de la sienne.Mais s'il le fait, c'est avant tout pour agacer PepeCamará qui par moments l'horripile, à lui renvoyersans cesse le souvenir de Joselito à la figure -mêmeles après-midi glorieuses -, à lui reprocher de tropfumer, de trop boire, d'avoir à Madrid des fréquen-tations douteuses, des habitudes suspectes, et surtoutd'aimer à la folie Lupe Sino.

Rendue étouffante par ces petites rancoeurs tacites, par la fatigue accumulée lors de cette saison particu- lièrement difficile, l'ambiance dans la Buick est cris- pée. Seule la présence du critique taurin madrilène Antonio Bellón, du journal Pueblo, empêche la dis- corde d'éclater franchement. Lunettes rondes, visage joufflu, crâne dégarni, Bellón est ami de Manolete. Il a l'intention de réaliser un reportage sur l'événe- ment de Linares. C'est qu'il y aura foule demain dans les arènes de la ville andalouse, d'ailleurs c'est com- plet, les dix mille billets se sont vendus comme des petits pains et les guichets sont fermés depuis des semaines. À cause d'un désaccord entre Camará et les organisateurs de la feria de Cordoue, Manolete n'a pas toréé sur ses terres du Sud depuis trois ans. De toute façon, à une exception près, il n'a pas combattu en Espagne l'année dernière. Puisqu'il était en Amérique. Du coup, quand ils ont appris qu'il serait à l'affiche de la première corrida des fêtes de San Agustín de Linares le 28 août, bon nombre de Cordouans se sont précipités pour acheter des places. Tant pis si les villes sont distantes de cent19

vingt-cinq kilomètres, ils viendront comme ils pour-ront. Ils arriveront énervés, rancuniers parce que

" leur » matador triomphe dans toutes les plazas de torosd'Espagne et d'ailleurs mais pas dans les leurs. Ils ne manqueraient cela pour rien au monde. D'au- tant que les ragots vont bon train: Manolete est fini, dit-on, il ne fait plus rien de bien, ce ne serait pas étonnant qu'il se retire à la fin de la saison, comme ça, sans prévenir personne, et envoie tout promener. Il ne ferait plus le poids devant de jeunes loups avides de réussir et de se glisser en tête du classement des toreros. Demain, justement, à Linares, c'est Luis Miguel Dominguín qui lui dispute l'affiche. Luis Miguel, vingt ans, les dents les plus longues de la profession, une arrogance à faire trembler un arbre, un goût prononcé pour la provocation et l'exhibi- tion sans scrupule. Nouveau venu dans la tauroma- chie, Luis Miguel n'a qu'un but et il l'a exprimé clairement: détrôner " le Monstre ». Traits tirés, pupilles brillantes, Manolete est las, irri table. Sa tristesse, qui n'a cessé de s'accentuer au cours des mois précédents, semble avoir affecté son entourage. Sa foi s'est vue maintes fois ébranlée. 1947 est une année de nombreuses blessures physiques et morales. Dans certaines arènes, ses détracteurs vont jusqu'à distribuer des sifflets aux spectateurs pour qu'ils le conspuent bruyamment. On lui jette des coussins à la figure. On l'outrage au moment où il est le plus vulnérable, ventre nu sur les cornes du tau- reau, à la mise à mort. Rage et cruauté. Non contente

Manolete

20

de le juger sur le sable, l'Espagne entière estime avoiraussi un droit de regard sur sa vie privée. Au cours de ces après-midi de désastre, il ne compte plus lesoffenses faites à Lupe qui l'atteignent en plein coeuret font rire l'assistance. Les spectateurs se divertissenttandis qu'il se cambre face à la mort, s'expose chaquejour, se donnant sans retenue et devant tous lespublics. Avec la même honnêteté, le même sens del'honneur. Que leur faut-il de plus? Il ne peut pasaller plus loin. Puisqu'on ne peut s'en prendre à son

courage, on blâme sa gravité, son austérité. Comme si la tauromachie n'était pas une affaire sérieuse! Que veulent-ils, bon sang? Que veulent-ils?

- Heureusement que je pars bientôt. " À feu et à sang jusqu'à la fin», soupire-t-il dans l'infir merie des arènes de Madrid le 16 juillet, où on lui soigne une blessure de huit centimètres à la cuisse gauche. Lupe a pourtant déclaré à un magazine qu'on ne le laisserait pas arrêter vivant. " Ils ne seront pas satis- faits tant qu'ils ne l'auront pas vu mort. » Et pour cela aussi on l'a critiquée. Elle. Et lui à travers elle. " De quoi se mêle-t-elle? » " Elle n'y connaît rien. » " Les taureaux, c'est pas des histoires de bonne femme. » " Quelle mauvaise influence elle a sur toi, Manuel. » " Si encore elle t'aimait vraiment. » " On sait bien ce que cherche ce genre de fille. » Une demi-heure après avoir quitté Madrid, ils font halte à l'hôtel Nacional de Manzanares, pour dîner.21

Soulagés de sortir de la voiture, même s'ils n'ont pasroulé beaucoup encore, une trentaine de kilomètrespeut-être, à travers le plat pays castillan, aride etpauvre comme le désert. Ce chemin, ils pourraientle suivre les yeux fermés tant ils le connaissent, tantil est aisément identifiable. La sécheresse planed'abord, route droite et monotone jusqu'à la SierraMorena qui forme une barrière naturelle avec ses

virages et ses escarpements, ses défilés effrayants, etderrière, enfin, le jardin d'Andalousie. Là, il y aurades arbres, des oliviers partout et de petites routestordues qui grimpent et redescendent, sans parler des ornières.

Pour l'heure ils ne sont encore qu'à Manzanares, province de Madrid, où, le 11 août 1934, Ignacio Sánchez Mejías, beau-frère de Joselito, fut mortelle- ment blessé par un taureau. " Il était exactement cinq heures de l'après-midi. Les arènes se couvrirent de chaux et d'iode

1. » Refusant de se faire soigner à l'in-

firmerie locale, le matador sévillan, grand ami des intellectuels de l'époque et lui-même auteur de pièces de théâtre, exigea d'être transporté à Madrid. La gan- grène arriva avant l'ambulance. " Flaque d'agonie près du Guadalquivir aux étoiles. » Il succomba deux jours plus tard 2. Évidemment, aucun des quatre hommes présents ne fait la moindre allusion à ce drame. Le milieu

Manolete

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