Comparatismes en Sorbonne 4-2013 : (Dé)construire le canon Alexandra IVANOVITCH : Bible et littérature : d'un canon l'autre 1 BIBLE ET complètes, t 1, Paris, Gallimard, coll livres de l'Ancien et du Nouveau Testaments13 Ce bref
Previous PDF | Next PDF |
[PDF] BIBLE ET LITTÉRATURE - Centre de Recherche en Littérature
Comparatismes en Sorbonne 4-2013 : (Dé)construire le canon Alexandra IVANOVITCH : Bible et littérature : d'un canon l'autre 1 BIBLE ET complètes, t 1, Paris, Gallimard, coll livres de l'Ancien et du Nouveau Testaments13 Ce bref
[PDF] EN LITTERATURE COMPAREE - Centre de recherche en littérature
14 déc 2012 · CRLC — Bibliographie des travaux réalisés dans la période 2007-2012 Université Paris Sorbonne — Centre de Recherche en Littérature Comparée (EA Le Sens littéral des Écritures, Actes du colloque de l'École Biblique de C- ACTI_2012 CHAUVIN Danièle, « Présence du Livre, absence de Dieu ?
[PDF] ÉCOLE DOCTORALE III LITTÉRATURES FRANÇAISES ET
Le Centre de recherche en littérature comparée (CRLC), fondé en 1981 par Pierre classique : réceptions modernes et contemporaines ; Bible, esthétique littéraire être consultés en ligne sur le site http://www crlc paris-sorbonne fr, où sont dépositaire du fonds de livres et de documents de la Société J -K Huysmans
[PDF] GÉLY Véronique Professeur des universités (classe - UNIL
Recherche en Littérature Comparée de Paris-Sorbonne 2004-2008 siècle, dans d'autres livres et au cinéma », Imaginaires de la Bible Hommage à Danièle
[PDF] Feuille dinformation trimestrielle de littérature comparée - LIMAG
23 sept 2011 · COMPAREE Siège social : Université Paris-III Bibliothèque de littérature générale et comparée 17, rue de la Sorbonne – 75230 PARIS Cedex 05 Orientations européennes chez Claudel » sur le modèle du livre de Fernand œuvres d'inspiration biblique n'ont certes pas toutes abandonné le terrain
[PDF] Un Canon littéraire européen?
universités de Bonn, Paris-Sorbonne, Ce livre est disponible par https://www europaeische-kulturen uni-bonn de/ Didier Alexandre (Paris) / Michael Bernsen (Bonn) La littérature comparée en France et le canon littéraire européen la Bible ? Quelles sont les différences entre les termes de « canon », de « classique
[PDF] Le comparatisme comme approche critique ? Comparative
18 juil 2013 · l'Association Internationale de Littérature Comparée livres, Salle 115 : secrétariat, organisation Niveau 2 : Salles 201, 205 le CRLC (Paris-Sorbonne) et l'Institut Universitaire de France, Dangun Myth, The Bible, and
[PDF] auteurs Les sirènes ou le savoir périlleux - Presses Universitaires
avec un mémoire en langue et littérature hébraïques, a obtenu un doctorat en tion biblique, en particulier en ce qui concerne l'imaginaire des animaux et des monstres, les dirigé divers ouvrages collectifs, seule ou en collaboration, sur l' étude de la latinité françaises (université de Paris 3-Sorbonne Nouvelle, 2012)
[PDF] Bible et Psychanalyse - Présentation - Ateliers-bible-et
[PDF] Bible freins PMA - Anciens Et Réunions
[PDF] BIBLE GRATUITE EN CAS DE DÉFICIENCE VISUELLE OU
[PDF] Bible L`avidité, la rage
[PDF] Bible Parser 2015 : Dictionnaires - Shareware Et Freeware
[PDF] Bible Parser 2015 : Références - Anciens Et Réunions
[PDF] Bible Satanique PDF - Eveil - La Religion Et La Spiritualité
[PDF] Bible Study Coordinator
[PDF] Bible verses - Virgin Mary Coptic Orthodox Church - Anciens Et Réunions
[PDF] bible Vu du pont - Théâtre de l`Odéon - Télévision
[PDF] Bibles en français - France
[PDF] biblio - Coups de tête
[PDF] Biblio - Kobayat
[PDF] Biblio - Le Musée d`Art Moderne et d`Art Contemporain
Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre BIBLE ET LITTRATURE : DÓUN CANON LÓAUTRE Lorsque Robert Alter voque les travaux de Harold Bloom, celui par qui le scandale est
arriv, ou plutt a t raviv, en 1984 avec la publication de The Western Canon, le critique ne
the kind of term we have to deal with now1. Ç Dans le dbat autour du canon littraire, tout se
passe comme si le pch originel nÓtait autre que cette mtaphore premire, kann. Ce terme fut
employ pour la premire fois pour dsigner un ensemble de textes dans un contexte chrtien,
autour de la moiti du IVe sicle. Par extension mtaphorique, le philosophe David Ruhnkenappliqua ce mot qui servait dsigner un corpus clos de textes religieux, considrs comme
divinement inspirs, un corpus dÓauteurs faisant autorit dans son Historia critica oratorum
Graecorum, parue en 1768
2.Lorsque lÓon sÓest attaqu au AE canon littraire Ç, on nÓa pas seulement critiqu la chose,
mais aussi le mot. DÓaucuns ont dnonc AE the inappropriateness of the biblical parallel3 Ç.
Comme le rappelle Pierre A. Walker, bien dÓautres termes qui se trouvaient la disposition des
4. Quelle
commune mesure entre lÓouverture et la pluralit des canons littraires dÓun ct, et de lÓautre, la
fermeture et lÓunicit, pire le caractre dogmatique des canons religieux5 ? Lorsque, dans
Literature. The Evolving Canon, Sven P. Birkerts rassemble des extraits significatifs de ce quÓilest dsormais convenu dÓappeler la AE littrature mondiale Ç, il prend le soin de prciser dans son
introduction que ce volume a pour but non seulement de reprsenter, mais aussi de clbrer la
question sÓoppose la notion de fixit et de prennit, et sÓinscrit dans un espace mouvant dont
les frontires sont sans cesse rengocier. AE El concepto de texto definitivo no corresponde sino
a la religi-n o al cansancio6. Ç Peut-on en dire autant du concept de canon ? Et pourtant, dans
lÓarticle o Pierre A. Walker dnonce la rhtorique religieuse qui imprgne certains discours
sont obligs dÓaccepter les termes du dbat : en combattant, ne le reconnaissent-ils pas
1 Robert Alter, Canon and Creativity, Modern Writing and the Authority of Scripture, New Haven, Yale University
Press, 2000, p. 3.
2 H. Oppel, AE Kanon: Zur Bedeutungsgeschichte des Wortes und seiner Lateinischen Entsprechungen, Regula,
Norma Ç, Philologus Supplement Bd. 30, 4, Leipzig, 1937, p. 70. Voir le commentaire de Jan Gorak sur ce point :
AE When contemporary critics present the Òcultural canonÓ as an all-powerful force, controlling our most intimate
categories and ideas, they revert to early Christian and Jewish usage, which views the canon or accepted set of holy
books as the inexhaustible, encyclopaedic narrative of a whole people, a narrative that comprehends everything
from their required readings and codes of behaviour to their shared assumptions and manifest beliefs. Ç Jan Gorak,
The Making of the Modern Canon. Genesis and Crisis of a Literary Idea, London & Atlantic Highlands, NJ,
Athlone, 1991, p. 20.
3 Wendell V. Harris, AE Canonicity Ç, PMLA, vol. 106, n 1, Jan. 1991, 110-121, et en lÓoccurrence p. 110-111.
4 Pierre A. Walker, AE Arnold's Legacy: Religious Rhetoric of Critics on the Literary Canon Ç, in Virgil Nemoianu
and Robert Royal (ed.), The Hospitable Canon. Essays on Literary Play, Scholarly Choice and Popular Pressures,
Philadelphia, John Benjamins Publishing Company, 1991, p. 181-198, et en lÓoccurrence, p. 182.5 Sven P. Birkerts, Literature. The Evolving Canon, Harlow, Longman, 1995, p. xxv.
6 Jorge Luis Borges, AE Las versiones homricas Ç, in Obras completas, t.1, Buenos Aires, Emec, 2005, p. 252-256,
et en lÓoccurrence, p. 252. AE LÓide de texte dfinitif ne relve que de la religion ou de la fatigue. Ç (Ìuvres
compltes, t. 1, Paris, Gallimard, coll. AE Bibliothque de la Pliade Ç, 2010, p. 291.) Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautreimplicitement7 ? QuÓon le veuille ou non, le terme AE canon Ç est bien un terme avec lequel il faut
dornavant composer. Loin de nous lÓide de nous enfermer dans une fausse alternative entre rhabilitation oucritique du terme AE canon Ç, appliqu la littrature. Puisque nous sommes dsormais
AE coincs Ç avec ce mot, pour reprendre lÓexpression de Robert Alter qui perd en lgance ce
quÓelle gagne en efficacit, tchons de ne pas le ravaler au statut dÓinstrument rhtorique, mais
au contraire, dÓen explorer les vertus heuristiques. J. Z. Smith, en parlant des controverses autour
du canon littraire, regrette que le dbat ait t men sans vritablement faire rfrence de faon
systmatique aux tudes critiques portant sur le canon dans le champ des sciences religieuses 8. intitul Homer, the Bible and Beyond. Literary and Religious Canons in the Ancient World, sÓaccordent dire : AE Odd as it may appear, there seems to have been no comparative study of canon. As far as the ancient world is concerned, canon studies focus either on literary (Graeco- Roman) or religious (Judeo-Christian) canons, without making an attempt to bring these two fields together9. Ç
En lÓabsence de vritables examens comparatifs, nous sommes en prsence dÓun champ de recherche relativement en friche10. Dans son article AE canon Ç, issu de The Literary Guide to
the Bible, le critique britannique voque brivement lÓvolution de sens quÓa connue le terme
AE apocryphe Ç, depuis son tymologie (AE obscur Ç, AE cach Ç) jusquÓ son acception moderne :
AE Books thus set aside or hidden away would be apocrypha in the original sense; the word later acquired dyslogistic overtones, and the apocryphal came to mean the false or inauthentic11. Ç Et
si lÓhistoire de la langue ne procdait pas, sur ce point particulier, rebours de toute logique,
comme le veut F. Kermode, mais au contraire, selon des logiques sous-jacentes, invisibles premire vue, mais quÓil sÓagirait de mettre au jour ? Par ailleurs, quÓen est-il du AE canon Ç,
notion qui forme un diptyque avec celle dÓapocryphe, et qui elle aussi a navigu de la sphre
sacre celle profane ?É lÓore de ce numro spcial portant sur le canon il apparat plus que ncessaire de faire
retour vers les racines bibliques de cette notion. Plus encore quÓune prsentation synthtique
autour du canon biblique, cet article entend re-parcourir grands traits lÓorigine du terme canon,
7 Pierre A. Walker, art. cit., p. 197-198.
8 J. Z. Smith, AE Canons, Catalogues and Classics Ç, in Arie van der Kooij et Karel von der Toorn (d.), Canonization
and Decanonization. Literary and Religious Canons, Leiden, Boston, Kln, Brill, 1998, p. 295-311, p. 295.
9 Margalit Finkelberg and Guy G. Stroumsa, AE Introduction : Before the Western Canon Ç, in Margalit Finkelberg et
Guy G. Stroumsa (d.), Homer, the Bible and Beyond. Literary and Religious Canons in the Ancient World, Pays-
Bas, Leiden, 2003, p. 1-8, et en lÓoccurrence, p. 2. LÓouvrage collectif cit dans la note ci-dessus est voqu par les
deux spcialistes dans ces termes : AE important volume which is however entirely dedicated to the discussion of
religious canons Ç (ibid., p. 2, note n o4.)10 Pionnier en la matire, Frank Kermode fait assurment partie de ces AE perceurs de frontires qui jettent des ponts
entre des rives qui sculirement sÓignorent Ç, pour reprendre la belle formule de Gracq dans Lettrines. Dans ses
contributions aux volumes collectifs The Bible and the Narrative Tradition, ou encore The Literary Guide to the
Bible, F. Kermode nÓa de cesse dÓencourager les critiques littraires se pencher sur lÓexgse : nÓy a-t-il pas un
courant exgtique contemporain, la AE critique canonique Ç qui serait susceptible dÓclairer le dbat portant sur le
canon en littrature ? Voir, entre autres, Frank Kermode, AE The Argument About Canons Ç, in Frank McConnell
(d.), The Bible and the Narrative Tradition, Oxford, Oxford University Press, 1986, p. 78-96.11 Frank Kermode, AE The Canon Ç, in Robert Alter et Frank Kermode (d.), The Literary Guide to the Bible,
Cambridge, Mass., The Belknap Press of Harvard University Press, 1999 [1987], p. 600-610. Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautrepuis lÓhistoire de sa formation, afin dÓen extraire quelques pistes de rflexion creuser dans une
discussion autour du canon littraire. DÓo les multiples questions ouvertes et appels que cette
contribution nÓaura de cesse de proposer. Prcisons dÓemble que lorsque nous voquons le canon biblique, nous nous restreignons dans le cadre de cet article au seul canon de la Bible chrtienne. La Torah induit un rapport beaucoup plus complexe encore entre canon littraire et canon biblique, comme le montre, entre autres, Robert Alter. Dans Canon and Creativity, celui-ci rappelle que les Ketubim constituentdj un canon littraire au sein du canon biblique, tel point que le critique voque une AE double
canonicit Ç du canon hbra"que 12. Du roseau la liste. Pour une brve histoire du terme AE canon ÇLe terme AE canon Ç, qui vient du terme grec kann, dÓorigine smitique, dsigne tout
dÓabord un roseau, puis un instrument de mesure fabriqu avec un roseau, comme la rgle ducharpentier ou du maon. Au sens figur, dans le langage de la philosophie, il signifie la rgle de
conduite, la norme, le modle. Il est aussi employ en matire dÓastrologie ou de chronologie,
pour dsigner une liste, un catalogue ou une table. Les tables astrologiques de Ptolme au IIesicle avant J.-C., appeles AE canons Ç, permettaient de dterminer des points de rfrence pour
le changement des saisons. Pour avoir un usage similaire chez les Chrtiens, il faut regarder lesdix canones quÓEusbe de Csare a labors pour son dition des vangiles : en aucun cas, des
normes, des rgles. Des listes de chiffres qui correspondaient des sections numrotes dans le
texte des vangiles qui permettaient au lecteur de reprer rapidement les passages parallles. Au
commencement le canon nÓest pas un texte, ou un ensemble de textes, mais une sorte dÓindex : en somme, quelque chose qui permet de sÓorienter dans un corpus de textes. Lorsque le terme est repris en contexte chrtien, deux types dÓusage retiennent principalement lÓattention, deux polarits : norme, rgle, et liste. AuxIIe et IIIe sicles, on le
norme laquelle doit se conformer lÓenseignement et la vie de lÓglise. CÓest seulement au
milieu duIVe sicle que le terme est utilis en rapport avec la Bible et se rfre la liste des
12 Robert Alter, AE The Double Canonicity of the Hebrew Bible Ç, Canon and Creativity, Modern Writing and the
Authority of Scripture, New Haven, London, Yale University Press, 2000, p. 21-62. AE I donÓt mean to propose that
ultimately what the Hebrew Bible represents is the twenty-four best-selling books of ancient Hebrew literature. The
limits of the canon were, after all, defined by a system of belief [...]. Nevertheless, the stylistic and imaginative
authority of the works that became canonical must have played a role in the desire to preserve them in the national
legacy Î and, conversely, it seems plausible that there were Hebrew texts excluded from the canon not for doctrinal
reasons but because they were inferior as works of literature. Ç (ibid., p. 30.) Voir galement Bernhard Lang, AE The
ÐWritingsÑ: A Hellenistic Literary Canon in the Hebrew Bible Ç, in Canonization and Decanonization, d. cit.,
p. 41-65. Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautrelivres de lÓAncien et du Nouveau Testaments13. Ce bref examen philologique suffit nous
montrer que le canon nÓest devenu AE canon Ç que tardivement 14. Comment le canon est devenu AE canon Ç : jalons pour une histoire de la canonisation Parcourons maintenant les grandes lignes de lÓhistoire de la canonisation. De ce point de vue, la position de Wendell V. Harris nÓapparat gure soutenable : The processes by which specific collections of Jewish and Christian writings became closed canons in the first century BC and the fourth century AD, respectively, are not only too complicated for useful summary here but, more important, largely irrelevant to the question of the literary canon.In fact, considerable confusion has resulted from the seductive apparent parallel between the
creation and closing of the biblical canons and the formation of lists of literary works that, sinceRuhnken, have been called AE canons Ç
15. Le parallle biblique est l de fait ; les mots que nous employons ont une histoire, unepaisseur smantique ; il ne sÓagit pas de lÓocculter, de la discrditer ou de lÓaccepter
benotement, mais de la mettre en question, lÓutiliser pour penser. Hans Lietzmann, dans sesconfrences en 1907 Tbingen, soutenait que lÓhistoire de la canonisation de la Bible
chrtienne est un des chapitres les plus compliqus de la science religieuse16. Et cela tait sans
compter les dcouvertes archologiques majeures duXXe sicle, notamment les manuscrits de la
mer morte Qumran et la bibliothque copte Nag Hammadi qui ont co"ncid avec le lancement
dÓun dbat renouvel autour du canon biblique qui sÓest tenu de faon parallle la polmique
autour du canon littraire. Malheureusement, dans cette gomtrie des savoirs, les dbats
parallles ne sÓintersectent que rarement. Il ne sÓagit bien videmment pas de rsumer maladroitement cette histoire de la canonisation, mais dÓen tirer les principaux enseignements, la substantifique moelle pour penserle canon littraire Î puisque tel est bien lÓhorizon de notre rflexion. Paul RicÍur sÓest pench
sur lÓhistoire de la canonisation pour pouvoir reposer nouveaux frais la question de lÓautorit en
17. Au fur et mesure que
seront numrs les principaux facteurs retenir dans cette histoire de la canonisation, nous
smerons des pierres dÓattente susceptibles dÓorienter une rflexion sur le canon littraire.
13 Les deux dates retenir sont celles du Concile de Laodice en 363, ainsi que de la Lettre festale dÓAthanase
dÓAlexandrie en 367.14 Pour plus dÓinformations, voir H. Oppel, art. cit., ainsi que Bruce M. Metzger, AE History of the Word ȝŋȻ߉
The Canon of the New Testament, Its Origin, Development and Significance, Oxford, Clarendon Press, 1997 [1987],
p. 289-293.15 Wendell V. Harris, art. cit., p. 110-111.
16 Hans Lietzmann, Wie wurden die Bcher des Neuen Testaments heilige Schrift ?, Tbingen, 1907, p. 2, cit dans
Christoph Markschies, AE The Canon of the New Testament in Antiquity. Some New Horizons for Future Research Ç,
in Margalit Finkelberg and Guy G. Stroumsa (d.), Homer, the Bible and Beyond. Literary and Religious Canons in
the Ancient World, d. cit., p. 175-194.17 Paul RicÍur, AE Le canon biblique, entre le texte et la communaut Ç, in Jean-Claude Eslin et Catherine Cornu
(dir.), La Bible. 2000 ans de lectures, Paris, Hachette Littratures, 2007 [2003], p. 93-116. Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautreTout dÓabord, lÓhistoire du canon est une histoire de lÓglise en creux. Dans son article
AE Le canon biblique entre le texte et la communaut Ç, Paul RicÍur rappelle lÓimportance de
lÓinstitution dans la cimentation du canon en tant que corpus clos de textes : AE Devenir canon et
devenir glise vont de pair. Ce sont les besoins et les contraintes du devenir glise qui motivent
en profondeur le processus de canonisation18. Ç NÓoublions pas que le christianisme nat dans un
milieu apocalytique juif. Lorsque la religion chrtienne prend son essor, il nÓy a pas dÓcritures
il y a du dj crit et non-crit19. Ds lors que se construit une glise, un canon est form comme
prolongement textuel de cette structure institutionnelle. LÓassemble des fidles, lÓ AE glise Ç au
sens tymologique, nÓa-t-elle pas besoin de se recueillir autour dÓun corpus de textes
rassembls ? Toute rflexion sur le canon, ou plutt les canons biblique et littraire, ne peut faire
lÓconomie dÓune rflexion sur le rapport lÓinstitution, dÓautant plus que RicÍur met en
exergue ce quÓil appelle AE le cercle hermneutique entre le canon et la communaut Ç :Mais un soupon plus grave sÓadresse lÓapparent cercle vicieux qui sÓattache prcisment au lien
entre le texte et la communaut et qui se dissimule sous la prposition AE entre Ç. Tout ne se passe-t-
il pas comme si une communaut dcidait du caractre dÓautorit de tel ou tel texte, en sÓautorisant
dlimitation de ces textes fondateurs ? En somme, la communaut dciderait de faon arbitraire et
souveraine de ce qui la fonde. Pour rendre plus parlant le paradoxe, je le mettrai en forme decercle : lÓglise en tant quÓautorit textuelle trancherait un problme dÓautorit textuelle en
20. Dans quelle mesure ce raisonnement se rvle-t-il transposable au rapport qui lie le canonlittraire lÓinstitution, ou plutt aux institutions qui le prennisent ? Dans le volume collectif
The Hospitable Canon, Yves Chevrel examinait avec soin les diffrents programmes de dÓun concours de recrutement des professeurs de lÓenseignement secondaire21. É lÓissue de son
tude, le critique appelait de ses vÍux lÓavnement dÓun canon ouvert Î aussi oxymorique que
paraisse cette expression. Certes, il est fascinant de voir en quoi lÓenseignement secondaire, ouencore les concours qui en rgissent lÓentre, informent le canon. Mais ne pourrait-on pas
renverser la perspective et, en prolongeant lÓintuition de Paul RicÍur, tudier galement en quoi
le canon informe lÓenseignement secondaire, et plus largement lÓcole et lÓuniversit ? Il nÓest
que de se remmorer le remous suscit par lÓintgration de la dramaturge britannique Sarah Kane
au programme de lÓagrgation il y a peu. Certains tudiants contestrent alors la lgitimit dÓune
telle inclusion implicite de Sarah Kane dans la catgorie des AE classiques Ç, ces textes qui
sÓtudient en AE classe Ç. De tels exemples de critiques ont le mrite de mettre au jour une
18 Ibid., p. 102.
19 George Steiner, dans Lessons of the Masters, au dtour dÓune boutade, rappelle le destin de ce grand matre oral
que fut Jsus : AE ÐA fine teacher, but didnÓt publish.Ñ This is the punchline of a macabre Harvard joke on Jesus of
NazarethÓs inaptness for tenure. Ç (George Steiner, Lessons of the Masters, Cambridge, Mass., Harvard University
Press, 2003, p. 33.)
20 Paul RicÍur, art. cit., p. 93.
21 Yves Chevrel, AE Multiple Points of View: A Study of French Comparative Literature Syllabi Ç, in Virgil
Nemoianu and Robert Royal (d.), The Hospitable Canon, d. cit., p. 137-152. Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautrequestion de la valeur littraire qui la fois conditionne lÓtude des textes lÓuniversit, et plus
globalement lÓcole, et lgitime lÓcole comme institution. Des tudiants rebuts par lÓtude de
Sarah Kane pour la prparation lÓagrgation, qui en contestent la lgitimit : nÓest-ce pas l une
brche qui sÓintroduit dans le fonctionnement, par ailleurs sans accroc, du AE cercle
hermneutique Ç entre canon littraire et institution ?Passons de nouveau de lÓautre ct du miroir, et revenons au canon biblique, ainsi quÓaux
facteurs dterminant sa formation. Pourquoi les communauts de fidles ont-elles mis autant de
temps sÓorganiser et se rassembler autour dÓun corpus de textes ? La naissance du
christianisme prend place une poque o le sentiment millnariste est trs fort : la fin des temps
est proche. Finalement, on ne commence crire que lorsque lÓon se rend compte que le Christ
ne revient pas, que les tmoins oculaires de la venue du Christ et les aptres disparaissent les uns
aprs les autres. LorsquÓEnrico Norelli tudie le passage de lÓoral lÓcrit dans les origines du
christianisme, il met en valeur ce problme pressant que constitue lÓabsence de descendants des
aptres22. Le spcialiste souligne le foss qui spare dÓun ct, la pense dÓun Papias de
Hirapolis lÓaube du
IIe sicle o se trouve privilgi le tmoignage oral des disciples deJsus
23, ou de ceux qui les connurent, et de lÓautre, le fragment de Muratori dont la datation fait
dbat24, mais qui tmoigne dÓune volont de donner la priorit des tmoignages crits. CÓest
seulement lorsque lÓon dlaisse la perspective eschatologique, que la ncessit dÓcrire, dÓavoir
des critures qui deviendront plus tard un canon, se fait jour. Le canon est toujours du ct de
lÓarchologie, et non de lÓeschatologie ; ou pour parler comme J. Z. Smith, AE ÐcanonÑ is almost
always a retrospective category, not a prospective or primary one25. Ç La vocation de
conservation nÓest-elle pas premire dans la constitution dÓun canon littraire ? Autre facteur dterminant rappel par Paul RicÍur : on ne se dfinit jamais mieux que lorsque lÓon est attaqu26. É lÓpoque de perscution de Diocltien, en 303 plus exactement, on
leurs livres. AE Dis-moi qui tu lis, et je te dirai qui tu es Ç, telle semble avoir t la maxime sous-
22 Enrico Norelli, AE La notion de ÐmmoireÑ nous aide-t-elle mieux comprendre la formation du canon du Nouveau
Testament ? Ç, in Philip S. Alexander et Jean-Daniel Kaestli (d.), The Canon of Scripture in Jewish and Christian
Tradition, Lausanne, d. du Zbre, coll. AE Publications de lÓInstitut roman des sciences bibliques Ç, 2007, p. 169-
206, ou encore Enrico Norelli, AE Papias de Hirapolis a-t-il utilis un recueil AE canonique Ç des quatre vangiles ? Ç,
Gabriella Aragione, ric Junod et Enrico Norelli (dir.), Le canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur
lÓhistoire de sa formation, Genve, Labor et fides, 2005, p. 35-85.23 Citons cet gard le fragment clbre issu de ses cinq livres dÓExplications des logia (dits et faits) du Seigneur,
t dans la compagnie des presbytres, je mÓinformais des paroles des presbytres : ce quÓont dit Andr ou Pierre, ou
Philippe, ou Thomas, ou Jacques, ou Jean, ou Matthieu, ou quelque autre des disciples du Seigneur [È]. Je ne
pensais pas que les choses qui proviennent des livres ne fussent aussi utiles que ce qui vient dÓune parole vivante et
durable. Ç (Histoire Ecclsiastique, 3, 39, 4, Livres I-IV, d. Gustave Bardy, Paris, Cerf, coll. AE Sources
chrtiennes Ç, n 31, 1986, p. 134.)24 Voir ce sujet Joseph Verheyden, AE The Canon Muratori. A Matter of Dispute Ç, in Jean-Marie Auwers et Henk
Jan De Jonge (d.), The Biblical Canons, Leuven, Leuven University Press, Peeters, coll. AE Bibliotheca
Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium Ç, n
o163, 2003, p. 487-556. Aprs avoir fortement critiqu la thse dÓune origine auIVe sicle en Orient, Joseph Verheyden propose une datation au tournant des IIe et IIIe sicles.
25 J. Z. Smith, AE Canons, Catalogues and Classics Ç, in Canonization and Decanonization, p. 295-311, et en
lÓoccurrence, p. 298.26 Paul RicÍur, art. cit. p. 104.
Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre jacente ces perscutions. Bruce Metzger, dans The Canon of the New Testament, souligne bienquÓil sÓagissait dÓune question de conscience de dcider si on pouvait se rclamer de lÓvangile
de Jean aussi bien que de lÓvangile de Thomas, sans commettre la faute du sacrilge : AE In such
an existential moment most Christians would naturally be careful to determine on solid grounds precisely which were the books for adherence to which they were prepared to suffer27. Ç Du ct
de la littrature, un peu moins de 2000 ans plus tard, le canon est toujours une question de vie et
de mort, selon Harold Bloom :[...] the CanonÓs true question is: What shall the individual who still desires to read attempt to
read, this late in history? [...] Who reads must choose, since there is literally not enough time toread everything, even if one does nothing but read. MallarmÓs grand line Î AE the flesh is sad, alas,
and I have read all the books Ç Î has become a hyperbole 28.Du temps de Diocltien, le canon dsigne lÓensemble des livres dont on doit se rclamer
avant de mourir pour ne pas commettre de sacrilge. Un peu moins de deux millnaires plus tard,
Bloom nous explique que, pour nous lecteurs qui nous savons mortels, le canon littraire
reprsente toujours la somme des livres que lÓon devrait lire avant de mourir. Le canon, quÓil soit
biblique ou littraire, nÓest-il pas toujours ce corpus de textes dlimit par la mort, et la finitude
du canon, un reflet indirect de notre finitude ? On ne saurait oublier que le christianisme co"ncida non seulement avec une rvolution spirituelle, mais aussi avec une rvolution technique29. Guy Stroumsa explore les passerelles
entre lÓinnovation technique que fut lÓadoption du codex auIIe aprs J.-C. et la rvolution
religieuse que fut le christianisme30. Si les Chrtiens nÓont pas invent le codex, ils ont tout de
volumen. Ce nouveau support nÓa pas seulement favoris le dveloppement et lÓexpansion de la
nouvelle foi en Jsus Christ, mais a galement influ sur la manire de lire les critures.
Contrairement au volumen qui implique de drouler le texte dans sa linarit, le codex favorise la
prise de conscience du livre comme un tout, et constitue la plus belle incarnation technologiquede ce que fut, sur le plan de lÓhermneutique biblique, la typologie, pierre de touche de lÓexgse
chrtienne31. Si Jsus nÓest pas venu pour abolir, mais pour accomplir les critures juives (Mt 5,
17-20), il est absolument indispensable que le texte, ce qui deviendra par la suite lÓAncien et le
en compte la question du support. On pense par exemple ces vecteurs de canonisation littraire
que sont les collections trs chres, papier Bible oblige.En guise de conclusion provisoire, lÓhistoire du canon nous rappelle que cette entit
nous le rappelle Paul RicÍur qui dplore dÓailleurs son usage galvaud AE au sens dogmatique, de
27 Bruce M. Metzger, AE Persecutions and the Scriptures Ç, The Canon, d. cit., p. 106-108, et en lÓoccurrence, p. 107.
28 Harold Bloom, The Western Canon: The Books and Schools of the Ages, Macmillan, 1995 [1987], p. 15.
29 J. Z. Smith, art. cit., p. 295-311, et en lÓoccurrence, p. 307 : AE Canonization, as a secondary process, is
inseparable from modes of production; it is as much an affair of technology as theology. Ç30 Guy G. Stroumsa, AE Early Christianity Î A Religion of the Book? Ç, in Homer, the Bible and Beyond. Literary and
Religious Canons in the Ancient World, d. cit., p. 153-173.31 LÓinterprtation typologique de lÓAncien Testament vise y dceler des signes qui prfigurent la venue du Christ.
Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautredogme impos32 Ç. Aussi parlons-nous le plus souvent du canon au singulier, alors quÓen ralit,
il faudrait toujours employer le terme au pluriel. Tout se passe finalement comme sÓil nÓy avait
pas de distinction aussi nette et tranche entre, dÓun ct, les crits canoniques et, de lÓautre, ceux
qui ne le sont pas. Au contraire, nous rencontrons des degrs de canonicit. Relisons un instant le prcieux Penser/Classer de Georges Perec qui est un outil detravail indispensable ds lors quÓil sÓagit de ranger les bibliothques, les corpus et les ides,
puisque finalement, cÓest de cela quÓil sÓagit, et non dÓautre chose : ranger. Le canon biblique,
lui, est une bibliothque bien range, dont le classement sÓest tal sur plusieurs sicles, et ne
sÓest pas fait sans accroc, mais autour duquel une communaut sÓest recueillie : en somme,
depuis longtemps, une affaire classe.Dans son ouvrage Penser/Classer, et plus prcisment dans un chapitre intitul avec
bonheur : AE De lÓordre Ç, Perec nous propose une typologie des livres en fonction de leur aptitude
33. LÓcrivain distingue les AE livres trs faciles
ranger. Les grands Jules Verne reliure rouge, [...] les revues, quand on en a au moins troisnumros Ç, des AE livres pas trop difficiles ranger. Les romans sud-amricains, lÓethnologie, la
psychanalyse, les livres de cuisine (voir plus haut), les bottins ( ct du tlphone), les
romantiques allemands [...]34 Ç, et enfin des AE livres plutt impossibles ranger Ç, savoir AE les
autres, [...] le fascicule 6 du volume 91 (novembre 1976) des Publications of the Modern
Language Association of America (PMLA) donnant le programme des 666 runions de travail du congrs annuel de ladite association35. Ç On notera au passage lÓironie de Perec lÓgard des
diableries de la critique universitaire nord-amricaine, chiffre du Malin oblige. Bertrand Westphal, dans lÓune de ses saillies, imagine que sommeille en chaque auteur qui sÓattelle rcrire lÓvangile un oulipiste qui sÓignore36. Pour reprendre et prolonger cette
intuition, dont lÓanachronisme serait hautement condamnable sÓil nÓtait pas aussi diablement
suggestif, on pourrait imaginer lÓhistoire de la constitution du canon biblique rcrite par le Perec
de Penser/Classer. Il nÓest que de lire lÓHistoire ecclsiastique dÓEusbe de Csare [
III, 25, 1-7],
qui est souvent prsente comme lÓacte de naissance du AE canon Ç comme liste, le terme
AE canon Ç ayant t pralablement utilis dans un contexte chrtien comme AE rgle Ç
37.32 Paul RicÍur, art. cit., p. 113.
33 Georges Perec, Penser/classer, Paris, d. du Seuil, coll. AE La librairie du XXIe sicle Ç, 2003, p. 39-41.
34 Ibid., p. 40.
35 Ibid., p. 41.
36 Bertrand Westphal, Roman et vangile : transposition de lÓvangile dans le roman europen contemporain,
1945-2000, Limoges, PULIM, 2002, p. 28.
37 Pour une tude plus approfondie et rudite de ce passage, voir, entre autres, Bruce M. Metzger, AE EusebiusÓ
Classification of New Testament Books Ç, The Canon of the New Testament, d. cit., p. 201-207, ou encore Alain Le
Boulluec, AE crits ÐcontestsÑ, ÐinauthentiquesÑ ou ÐimpiesÑ ? (Eusbe de Csare, Histoire ecclsiastique,
III,25) Ç, in Simon Claude Mimouni (dir.), Apocryphit, Histoire dÓun concept transversal aux religions du Livre. En
hommage Pierre Geoltrain, Centre dÓtudes des religions du Livre, Turnhout, Brepols, 2002, p. 153-165, et en
lÓoccurrence, p. 155. Alain Le Boulluec montre bien quel point cet extrait dÓEusbe se situe la croise des
chemins. DÓune part, ce texte laisse transparatre la grande diversit des usages quÓon fait des textes, et que les
critres objectifs quÓEusbe avance peinent masquer ; dÓautre part, cÓest par ce texte que AE la critique dÓauthenticit
hrite de la philologie classique se mue en dcret dÓhrsie. Ç (ibid., p. 153.)
Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautrePour Eusbe, il est des livres qui sont AE trs faciles ranger Ç, cÓest--dire des ouvrages
qui sont reconnus pour tous (੯ȺȽȹōȳȽડȺōȻŋ) : les quatre vangiles, les Actes des Aptres, les
ptres pauliniennes, la premire ptre de Pierre et la premire ptre de Jean
38. Ensuite viennent
les livres qui ne sont AE pas trop difficiles ranger Ç, savoir ceux qui sont rejets, parce que
39. Cette catgorie comprend les
actes de Paul, le Pasteur dÓHermas, lÓapocalypse de Pierre, lÓptre de Barnabas, etc. Eusbe
nÓest pas dÓune cohrence infaillible dans sa typologie, puisquÓil ajoute cette section
lÓapocalypse de Jean, quÓil avait pralablement range dans la premire catgorie. Enfin, on
trouve les livres qui AE sont impossibles ranger Ç, quÓEusbe dsigne comme des AE livres
troisime ptres de Jean 40.Le processus de canonisation ne saurait se penser sans une certaine volont de
classement : il sÓest agi dÓordonner la matire canonique, dÓassigner des rubriques et des sous-
rubriques. Dans lÓouvrage QuÓest-ce quÓun corpus ?, Christian Boudignon isole deux critres
principaux pour dfinir un AE corpus Ç : lÓordre et la finitude41. Si la Bible est bien une
bibliothque, le canon est surtout une bibliothque que lÓon a mis du temps ranger. LÓtude,
ft-elle rapide, de lÓhistoire du canon nous permet de relativiser lÓimage de repoussoir que
certains critiques et spcialistes de la littrature se font de ce modle biblique. LÓhistoire et le
pass ne sont pas les seuls tmoins de cette pluralit derrire la notion de canon ; les canons des
glises chrtiennes gardent encore aujourdÓhui une trace de cette pluralit premire, depuis le
canon thiopien, le plus large (qui inclut des pseudpigraphes et des apocryphes comme le Livre
dÓHnoch, le Livre des Jubils, lÓAscension dÓIsa"e) au canon syriaque, plus exigu42. Point nÓest
besoin de puiser des exemples dans des traditions religieuses aussi lointaines : les canons delÓglise chrtienne catholique ou protestante reclent en leur sein bien plus de pluralit que lÓon
ne le pense ordinairement. On aurait trs bien pu imaginer un canon plus AE canonique Ç, au sens dogmatique duterme. Un vangile choisi entre tous et t possible ; le christianisme aurait pu choisir comme
texte fondateur une harmonisation des diffrents vangiles retenus dignes de foi. Ni Marcion ni
Tatien ne se sont imposs
43 ; cÓest finalement la discordance qui nous est chue en hritage
autres discordances entre les diffrentes versions de la vision, et de lÓenseignement de Jsus,
interrogent le lecteur, quÓil soit croyant ou non, et invitent lÓinterprtation au cÍur du canon
38 Eusbe de Csare, Histoire ecclsiastique. Livres I-IV, d. Gustave Bardy, Paris, Cerf, coll. AE Sources
chrtiennes Ç, n 31, 1986, p. 132.39 Ibidem.
40 Ibidem.
41 Christian Boudignon, AE QuÓest-ce qui fait un ÐcorpusÑ ? É propos du Pseudo Denys lÓAropagite Ç, in Gilles
Dorival (d.), QuÓest-ce quÓun corpus littraire ? Recherches sur le corpus biblique et les corpus patristiques, Paris,
Louvain, Dudley, Peeters, 2005, p. 109-127, et en lÓoccurrence, p. 109.42 Voir Bruce M. Metzger, The Canon, d. cit., p. 218-228.
43 Pour plus de dtails, voir William L. Petersen, AE Canonicit, autorit ecclsiastique et Diatessaron de Tatien Ç, in
Gabriella Aragione, ric Junod et Enrico Norelli (dir.), Le canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur
lÓhistoire de sa formation, Genve, Labor et fides, 2005, p. 87-116. Voir galement Bruce M. Metzger, The Canon,
d. cit., p. 114-117.
Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautrebiblique. La narration vanglique sÓest faite quadruple, et la comparaison, ncessaire. Il est
inutile de faire la liste des asprits, ou de dresser une quelconque table des discordances,
brches dans lesquelles les sceptiques de tous bords se sont presss de sÓengouffrer. Retenons
plutt lÓenseignement de Frank Kermode selon lequel la pluralit interne propre au canon
vanglique nous dmontre lÓexistence de la rcriture au sein de lÓcriture Î ce quÓil explique
dans The Genesis of Secrecy, partir de lÓexemple de Judas. Tout se passe comme si dans lÓvangile canonique vraisemblablement le plus ancien, celui de Marc (quoique ce fait soit discut parmi les spcialistes44), Judas correspondait une
pure fonction, celle de tratre45. De fait, il importe de rsoudre un problme dÓordre non
seulement thologique, mais aussi narratif : comment faire prir Jsus-Christ? LÓIncarnation de
Dieu doit mourir dans lÓconomie de la rdemption, ainsi que dans celle du rcit. Il sera trahi. Par
qui ? Judas est lÓaptre dsign. Au fur et mesure des versions successives, des rcritures
successives de Marc Jean, Judas prend de lÓpaisseur, et de simple fonction, devient un
personnage, au fur et mesure que lui sont trouvs motivations et vices divers. Pourquoi aurait-il
trahi son matre ? É lÓvangile de Marc, elliptique sur ce point, succde celui de Matthieu qui
met en avant la cupidit du tratre (Mt 26, 14-16) ; lÓIscariote deviendra chez Luc possd par
Satan (Lc 22, 1-6). Jean propose, quant lui, une synthse des diffrentes motivations avances
tant par Matthieu que par Luc, en prsentant un Judas aussi bien dvor par la cupidit que
manipul par Satan (Jn 12, 3-6 ; 13, 26-30). Face ce qui tait lÓorigine un problme dÓordre
narratif et thologique, les vanglistes ont su apporter des solutions en alimentant un rcit pour,
en dfinitive, crer un personnage. Ainsi F. Kermode nous explique-t-il que ce nÓest pas
seulement le rcit qui engendre lÓinterprtation, mais lÓinterprtation qui engendre le rcit
46. Le
Les critres de canonicit
Aprs avoir mis brivement en vidence les diffrents facteurs politiques, technologiques
critres de canonicit mis au jour a posteriori par les historiens du canon scripturaire. Voici la
liste que livre le Dictionnaire critique de thologie, des critres de canonicit les plus reconnus
dans les glises chrtiennes :• LÓorthodoxie, savoir lÓaccord avec le krygme central de lÓannonce de Jsus
comme Christ, • LÓapostolicit, savoir la rfrence au tmoignage des aptres,• La catholicit, savoir lÓacceptation continue et lÓusage cultuel par lÓglise au
sens large,son argumentation. DÓun point de vue strictement littraire, il est effectivement tentant de considrer lÓvangile de
Marc, au style et la narration bruts, comme le plus ancien parmi les vangiles canoniques.45 Frank Kermode, The Genesis of Secrecy, d. cit., p. 83-85.
46 Ibidem.
Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre • LÓantiquit47Si lÓon tentait dÓtablir des critres de canonicit quivalents pour le domaine littraire,
une table des concordances entre les diffrents critres retenus pour les canons biblique et
littraire serait tonnamment concluante. Certes, il faudrait oprer des choix drastiques, et
procder des raccourcis regrettables pour obtenir lÓabstraction dÓune doctrine orthodoxe
littraire aussi homogne que lÓorthodoxie doctrinale du christianisme qui fut obtenue, ne
lÓoublions pas, au prix de nombreux conciles. Et pourtant se dgagent quelques invariants etlignes de force communes aux diffrentes thories du canon littraire. Ne pourrait-on pas
reconnatre derrire le critre dÓantiquit rpertori par le Dictionnaire critique de thologie
lÓAE anciennet Ç voque par Pascale Casanova dans La Rpublique mondiale des lettres ?
LÓanciennet est un lment dterminant du capital littraire : elle tmoigne de la AE richesse Ç Î au
sens du nombre de textes Î, mais aussi et surtout de la AE noblesse Ç dÓune littrature nationale, de
son antriorit suppose ou affirme par rapport dÓautres traditions nationales et, par voie de
consquence, du nombre de textes dclars AE classiques Ç (cÓest--dire chappant la rivalit
temporelle) ou AE universels Ç (cÓest--dire librs de tout particularisme) 48.Valry appelle le AE crdit
49 Ç qui dpend de lÓ AE opinion du monde Ç, savoir le AE degr de
reconnaissance qui lui est octroy et sa lgitimit Ç, pour le dire avec les mots de Pascale
Casanova ? Ezra Pound, quant lui, file cette mtaphore bancaire dans son ABC de la lecture :Toute ide gnrale ressemble un chque bancaire. Sa valeur dpend de celui qui le (ou la)
reoit. Si M. Rockefeller signe un chque dÓun million de dollars, il est bon. Si je fais un chque
ce qui concerne les chques tirs sur le savoir [È]. On nÓaccepte pas de chques dÓun tranger
quotesdbs_dbs27.pdfusesText_33