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Comparatismes en Sorbonne 4-2013 : (Dé)construire le canon Alexandra IVANOVITCH : Bible et littérature : d'un canon l'autre 1 BIBLE ET complètes, t 1, Paris, Gallimard, coll livres de l'Ancien et du Nouveau Testaments13 Ce bref 



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Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre BIBLE ET LITT‚RATURE : DÓUN CANON LÓAUTRE Lorsque Robert Alter voque les travaux de Harold Bloom, celui par qui le scandale est

arriv, ou plut˜t a t raviv, en 1984 avec la publication de The Western Canon, le critique ne

the kind of term we have to deal with now

1. Ç Dans le dbat autour du canon littraire, tout se

passe comme si le pch originel nӍtait autre que cette mtaphore premiŽre, kan˜n. Ce terme fut

employ pour la premiŽre fois pour dsigner un ensemble de textes dans un contexte chrtien,

autour de la moiti du IVe siŽcle. Par extension mtaphorique, le philosophe David Ruhnken

appliqua ce mot qui servait ‡ dsigner un corpus clos de textes religieux, considrs comme

divinement inspirs, ‡ un corpus dÓauteurs faisant autorit dans son Historia critica oratorum

Graecorum, parue en 1768

2.

Lorsque lÓon sÓest attaqu au AE canon littraire Ç, on nÓa pas seulement critiqu la chose,

mais aussi le mot. DÓaucuns ont dnonc AE the inappropriateness of the biblical parallel

3 Ç.

Comme le rappelle Pierre A. Walker, bien dÓautres termes qui se trouvaient ‡ la disposition des

4. Quelle

commune mesure entre lÓouverture et la pluralit des canons littraires dÓun c˜t, et de lÓautre, la

fermeture et lÓunicit, pire le caractŽre dogmatique des canons religieux

5 ? Lorsque, dans

Literature. The Evolving Canon, Sven P. Birkerts rassemble des extraits significatifs de ce quÓil

est dsormais convenu dÓappeler la AE littrature mondiale Ç, il prend le soin de prciser dans son

introduction que ce volume a pour but non seulement de reprsenter, mais aussi de clbrer la

question sÓoppose ‡ la notion de fixit et de prennit, et sÓinscrit dans un espace mouvant dont

les frontiŽres sont sans cesse ‡ rengocier. AE El concepto de texto definitivo no corresponde sino

a la religi-n o al cansancio

6. Ç Peut-on en dire autant du concept de canon ? Et pourtant, dans

lÓarticle oœ Pierre A. Walker dnonce la rhtorique religieuse qui imprŽgne certains discours

sont obligs dÓaccepter les termes du dbat : en combattant, ne le reconnaissent-ils pas

1 Robert Alter, Canon and Creativity, Modern Writing and the Authority of Scripture, New Haven, Yale University

Press, 2000, p. 3.

2 H. Oppel, AE Kanon: Zur Bedeutungsgeschichte des Wortes und seiner Lateinischen Entsprechungen, Regula,

Norma Ç, Philologus Supplement Bd. 30, 4, Leipzig, 1937, p. 70. Voir le commentaire de Jan Gorak sur ce point :

AE When contemporary critics present the Òcultural canonÓ as an all-powerful force, controlling our most intimate

categories and ideas, they revert to early Christian and Jewish usage, which views the canon or accepted set of holy

books as the inexhaustible, encyclopaedic narrative of a whole people, a narrative that comprehends everything

from their required readings and codes of behaviour to their shared assumptions and manifest beliefs. Ç Jan Gorak,

The Making of the Modern Canon. Genesis and Crisis of a Literary Idea, London & Atlantic Highlands, NJ,

Athlone, 1991, p. 20.

3 Wendell V. Harris, AE Canonicity Ç, PMLA, vol. 106, n 1, Jan. 1991, 110-121, et en lÓoccurrence p. 110-111.

4 Pierre A. Walker, AE Arnold's Legacy: Religious Rhetoric of Critics on the Literary Canon Ç, in Virgil Nemoianu

and Robert Royal (ed.), The Hospitable Canon. Essays on Literary Play, Scholarly Choice and Popular Pressures,

Philadelphia, John Benjamins Publishing Company, 1991, p. 181-198, et en lÓoccurrence, p. 182.

5 Sven P. Birkerts, Literature. The Evolving Canon, Harlow, Longman, 1995, p. xxv.

6 Jorge Luis Borges, AE Las versiones homricas Ç, in Obras completas, t.1, Buenos Aires, Emec, 2005, p. 252-256,

et en lÓoccurrence, p. 252. AE LÓide de texte dfinitif ne relŽve que de la religion ou de la fatigue. Ç (Ìuvres

complŽtes, t. 1, Paris, Gallimard, coll. AE BibliothŽque de la Pliade Ç, 2010, p. 291.) Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre

implicitement7 ? QuÓon le veuille ou non, le terme AE canon Ç est bien un terme avec lequel il faut

dornavant composer. Loin de nous lÓide de nous enfermer dans une fausse alternative entre rhabilitation ou

critique du terme AE canon Ç, appliqu ‡ la littrature. Puisque nous sommes dsormais

AE coincs Ç avec ce mot, pour reprendre lÓexpression de Robert Alter qui perd en lgance ce

quÓelle gagne en efficacit, tˆchons de ne pas le ravaler au statut dÓinstrument rhtorique, mais

au contraire, dÓen explorer les vertus heuristiques. J. Z. Smith, en parlant des controverses autour

du canon littraire, regrette que le dbat ait t men sans vritablement faire rfrence de faŒon

systmatique aux tudes critiques portant sur le canon dans le champ des sciences religieuses 8. intitul Homer, the Bible and Beyond. Literary and Religious Canons in the Ancient World, sÓaccordent ‡ dire : AE Odd as it may appear, there seems to have been no comparative study of canon. As far as the ancient world is concerned, canon studies focus either on literary (Graeco- Roman) or religious (Judeo-Christian) canons, without making an attempt to bring these two fields together

9. Ç

En lÓabsence de vritables examens comparatifs, nous sommes en prsence dÓun champ de recherche relativement en friche

10. Dans son article AE canon Ç, issu de The Literary Guide to

the Bible, le critique britannique voque briŽvement lӍvolution de sens quÓa connue le terme

AE apocryphe Ç, depuis son tymologie (AE obscur Ç, AE cach Ç) jusquӇ son acception moderne :

AE Books thus set aside or hidden away would be apocrypha in the original sense; the word later acquired dyslogistic overtones, and the apocryphal came to mean the false or inauthentic

11. Ç Et

si lÓhistoire de la langue ne procdait pas, sur ce point particulier, ‡ rebours de toute logique,

comme le veut F. Kermode, mais au contraire, selon des logiques sous-jacentes, invisibles ‡

premiŽre vue, mais quÓil sÓagirait de mettre au jour ? Par ailleurs, quÓen est-il du AE canon Ç,

notion qui forme un diptyque avec celle dÓapocryphe, et qui elle aussi a navigu de la sphŽre

sacre ‡ celle profane ?

É lÓore de ce numro spcial portant sur le canon il appara“t plus que ncessaire de faire

retour vers les racines bibliques de cette notion. Plus encore quÓune prsentation synthtique

autour du canon biblique, cet article entend re-parcourir ‡ grands traits lÓorigine du terme canon,

7 Pierre A. Walker, art. cit., p. 197-198.

8 J. Z. Smith, AE Canons, Catalogues and Classics Ç, in Arie van der Kooij et Karel von der Toorn (d.), Canonization

and Decanonization. Literary and Religious Canons, Leiden, Boston, K™ln, Brill, 1998, p. 295-311, p. 295.

9 Margalit Finkelberg and Guy G. Stroumsa, AE Introduction : Before the Western Canon Ç, in Margalit Finkelberg et

Guy G. Stroumsa (d.), Homer, the Bible and Beyond. Literary and Religious Canons in the Ancient World, Pays-

Bas, Leiden, 2003, p. 1-8, et en lÓoccurrence, p. 2. LÓouvrage collectif cit dans la note ci-dessus est voqu par les

deux spcialistes dans ces termes : AE important volume which is however entirely dedicated to the discussion of

religious canons Ç (ibid., p. 2, note n o4.)

10 Pionnier en la matiŽre, Frank Kermode fait assurment partie de ces AE perceurs de frontiŽres qui jettent des ponts

entre des rives qui sculiŽrement sÓignorent Ç, pour reprendre la belle formule de Gracq dans Lettrines. Dans ses

contributions aux volumes collectifs The Bible and the Narrative Tradition, ou encore The Literary Guide to the

Bible, F. Kermode nÓa de cesse dÓencourager les critiques littraires ‡ se pencher sur lÓexgŽse : nÓy a-t-il pas un

courant exgtique contemporain, la AE critique canonique Ç qui serait susceptible dӍclairer le dbat portant sur le

canon en littrature ? Voir, entre autres, Frank Kermode, AE The Argument About Canons Ç, in Frank McConnell

(d.), The Bible and the Narrative Tradition, Oxford, Oxford University Press, 1986, p. 78-96.

11 Frank Kermode, AE The Canon Ç, in Robert Alter et Frank Kermode (d.), The Literary Guide to the Bible,

Cambridge, Mass., The Belknap Press of Harvard University Press, 1999 [1987], p. 600-610. Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre

puis lÓhistoire de sa formation, afin dÓen extraire quelques pistes de rflexion ‡ creuser dans une

discussion autour du canon littraire. DÓoœ les multiples questions ouvertes et appels que cette

contribution nÓaura de cesse de proposer. Prcisons dÓemble que lorsque nous voquons le canon biblique, nous nous restreignons dans le cadre de cet article au seul canon de la Bible chrtienne. La Torah induit un rapport beaucoup plus complexe encore entre canon littraire et canon biblique, comme le montre, entre autres, Robert Alter. Dans Canon and Creativity, celui-ci rappelle que les Ketubim constituent

dj‡ un canon littraire au sein du canon biblique, ‡ tel point que le critique voque une AE double

canonicit Ç du canon hbra"que 12. Du roseau ‡ la liste. Pour une brŽve histoire du terme AE canon Ç

Le terme AE canon Ç, qui vient du terme grec kan˜n, dÓorigine smitique, dsigne tout

dÓabord un roseau, puis un instrument de mesure fabriqu avec un roseau, comme la rŽgle du

charpentier ou du maŒon. Au sens figur, dans le langage de la philosophie, il signifie la rŽgle de

conduite, la norme, le modŽle. Il est aussi employ en matiŽre dÓastrologie ou de chronologie,

pour dsigner une liste, un catalogue ou une table. Les tables astrologiques de Ptolme au IIe

siŽcle avant J.-C., appeles AE canons Ç, permettaient de dterminer des points de rfrence pour

le changement des saisons. Pour avoir un usage similaire chez les Chrtiens, il faut regarder les

dix canones quÓEusŽbe de Csare a labors pour son dition des vangiles : en aucun cas, des

normes, des rŽgles. Des listes de chiffres qui correspondaient ‡ des sections numrotes dans le

texte des ‚vangiles qui permettaient au lecteur de reprer rapidement les passages parallŽles. Au

commencement le canon nÓest pas un texte, ou un ensemble de textes, mais une sorte dÓindex : en somme, quelque chose qui permet de sÓorienter dans un corpus de textes. Lorsque le terme est repris en contexte chrtien, deux types dÓusage retiennent principalement lÓattention, deux polarits : norme, rŽgle, et liste. Aux

IIe et IIIe siŽcles, on le

norme ‡ laquelle doit se conformer lÓenseignement et la vie de lӂglise. CÓest seulement au

milieu du

IVe siŽcle que le terme est utilis en rapport avec la Bible et se rfŽre ‡ la liste des

12 Robert Alter, AE The Double Canonicity of the Hebrew Bible Ç, Canon and Creativity, Modern Writing and the

Authority of Scripture, New Haven, London, Yale University Press, 2000, p. 21-62. AE I donÓt mean to propose that

ultimately what the Hebrew Bible represents is the twenty-four best-selling books of ancient Hebrew literature. The

limits of the canon were, after all, defined by a system of belief [...]. Nevertheless, the stylistic and imaginative

authority of the works that became canonical must have played a role in the desire to preserve them in the national

legacy Î and, conversely, it seems plausible that there were Hebrew texts excluded from the canon not for doctrinal

reasons but because they were inferior as works of literature. Ç (ibid., p. 30.) Voir galement Bernhard Lang, AE The

ÐWritingsÑ: A Hellenistic Literary Canon in the Hebrew Bible Ç, in Canonization and Decanonization, d. cit.,

p. 41-65. Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre

livres de lÓAncien et du Nouveau Testaments13. Ce bref examen philologique suffit ‡ nous

montrer que le canon nÓest devenu AE canon Ç que tardivement 14. Comment le canon est devenu AE canon Ç : jalons pour une histoire de la canonisation Parcourons maintenant les grandes lignes de lÓhistoire de la canonisation. De ce point de vue, la position de Wendell V. Harris nÓappara“t guŽre soutenable : The processes by which specific collections of Jewish and Christian writings became closed canons in the first century BC and the fourth century AD, respectively, are not only too complicated for useful summary here but, more important, largely irrelevant to the question of the literary canon.

In fact, considerable confusion has resulted from the seductive apparent parallel between the

creation and closing of the biblical canons and the formation of lists of literary works that, since

Ruhnken, have been called AE canons Ç

15. Le parallŽle biblique est l‡ de fait ; les mots que nous employons ont une histoire, une

paisseur smantique ; il ne sÓagit pas de lÓocculter, de la discrditer ou de lÓaccepter

beno“tement, mais de la mettre en question, lÓutiliser pour penser. Hans Lietzmann, dans ses

confrences en 1907 ‡ Tžbingen, soutenait que lÓhistoire de la canonisation de la Bible

chrtienne est un des chapitres les plus compliqus de la science religieuse

16. Et cela tait sans

compter les dcouvertes archologiques majeures du

XXe siŽcle, notamment les manuscrits de la

mer morte ‡ Qumran et la bibliothŽque copte ‡ Nag Hammadi qui ont co"ncid avec le lancement

dÓun dbat renouvel autour du canon biblique qui sÓest tenu de faŒon parallŽle ‡ la polmique

autour du canon littraire. Malheureusement, dans cette gomtrie des savoirs, les dbats

parallŽles ne sÓintersectent que rarement. Il ne sÓagit bien videmment pas de rsumer maladroitement cette histoire de la canonisation, mais dÓen tirer les principaux enseignements, la substantifique moelle pour penser

le canon littraire Î puisque tel est bien lÓhorizon de notre rflexion. Paul RicÍur sÓest pench

sur lÓhistoire de la canonisation pour pouvoir reposer ‡ nouveaux frais la question de lÓautorit en

17. Au fur et ‡ mesure que

seront numrs les principaux facteurs ‡ retenir dans cette histoire de la canonisation, nous

sŽmerons des pierres dÓattente susceptibles dÓorienter une rflexion sur le canon littraire.

13 Les deux dates ‡ retenir sont celles du Concile de Laodice en 363, ainsi que de la Lettre festale dÓAthanase

dÓAlexandrie en 367.

14 Pour plus dÓinformations, voir H. Oppel, art. cit., ainsi que Bruce M. Metzger, AE History of the Word ȝŋȻ߉

The Canon of the New Testament, Its Origin, Development and Significance, Oxford, Clarendon Press, 1997 [1987],

p. 289-293.

15 Wendell V. Harris, art. cit., p. 110-111.

16 Hans Lietzmann, Wie wurden die Bžcher des Neuen Testaments heilige Schrift ?, Tžbingen, 1907, p. 2, cit dans

Christoph Markschies, AE The Canon of the New Testament in Antiquity. Some New Horizons for Future Research Ç,

in Margalit Finkelberg and Guy G. Stroumsa (d.), Homer, the Bible and Beyond. Literary and Religious Canons in

the Ancient World, d. cit., p. 175-194.

17 Paul RicÍur, AE Le canon biblique, entre le texte et la communaut Ç, in Jean-Claude Eslin et Catherine Cornu

(dir.), La Bible. 2000 ans de lectures, Paris, Hachette Littratures, 2007 [2003], p. 93-116. Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre

Tout dÓabord, lÓhistoire du canon est une histoire de lӂglise en creux. Dans son article

AE Le canon biblique entre le texte et la communaut Ç, Paul RicÍur rappelle lÓimportance de

lÓinstitution dans la cimentation du canon en tant que corpus clos de textes : AE Devenir canon et

devenir ‚glise vont de pair. Ce sont les besoins et les contraintes du devenir ‚glise qui motivent

en profondeur le processus de canonisation

18. Ç NÓoublions pas que le christianisme na“t dans un

milieu apocalytique juif. Lorsque la religion chrtienne prend son essor, il nÓy a pas dӂcritures

il y a du dj‡ crit et non-crit

19. DŽs lors que se construit une glise, un canon est form comme

prolongement textuel de cette structure institutionnelle. LÓassemble des fidŽles, lÓ AE glise Ç au

sens tymologique, nÓa-t-elle pas besoin de se recueillir autour dÓun corpus de textes

rassembls ? Toute rflexion sur le canon, ou plut˜t les canons biblique et littraire, ne peut faire

lӍconomie dÓune rflexion sur le rapport ‡ lÓinstitution, dÓautant plus que RicÍur met en

exergue ce quÓil appelle AE le cercle hermneutique entre le canon et la communaut Ç :

Mais un soupŒon plus grave sÓadresse ‡ lÓapparent cercle vicieux qui sÓattache prcisment au lien

entre le texte et la communaut et qui se dissimule sous la prposition AE entre Ç. Tout ne se passe-t-

il pas comme si une communaut dcidait du caractŽre dÓautorit de tel ou tel texte, en sÓautorisant

dlimitation de ces textes fondateurs ? En somme, la communaut dciderait de faŒon arbitraire et

souveraine de ce qui la fonde. Pour rendre plus parlant le paradoxe, je le mettrai en forme de

cercle : lӂglise en tant quÓautorit textuelle trancherait un problŽme dÓautorit textuelle en

20. Dans quelle mesure ce raisonnement se rvŽle-t-il transposable au rapport qui lie le canon

littraire ‡ lÓinstitution, ou plut˜t aux institutions qui le prennisent ? Dans le volume collectif

The Hospitable Canon, Yves Chevrel examinait avec soin les diffrents programmes de dÓun concours de recrutement des professeurs de lÓenseignement secondaire

21. É lÓissue de son

tude, le critique appelait de ses vÍux lÓavŽnement dÓun canon ouvert Î aussi oxymorique que

paraisse cette expression. Certes, il est fascinant de voir en quoi lÓenseignement secondaire, ou

encore les concours qui en rgissent lÓentre, informent le canon. Mais ne pourrait-on pas

renverser la perspective et, en prolongeant lÓintuition de Paul RicÍur, tudier galement en quoi

le canon informe lÓenseignement secondaire, et plus largement lӍcole et lÓuniversit ? Il nÓest

que de se remmorer le remous suscit par lÓintgration de la dramaturge britannique Sarah Kane

au programme de lÓagrgation il y a peu. Certains tudiants contestŽrent alors la lgitimit dÓune

telle inclusion implicite de Sarah Kane dans la catgorie des AE classiques Ç, ces textes qui

sӍtudient en AE classe Ç. De tels exemples de critiques ont le mrite de mettre au jour une

18 Ibid., p. 102.

19 George Steiner, dans Lessons of the Masters, au dtour dÓune boutade, rappelle le destin de ce grand ma“tre oral

que fut Jsus : AE ÐA fine teacher, but didnÓt publish.Ñ This is the punchline of a macabre Harvard joke on Jesus of

NazarethÓs inaptness for tenure. Ç (George Steiner, Lessons of the Masters, Cambridge, Mass., Harvard University

Press, 2003, p. 33.)

20 Paul RicÍur, art. cit., p. 93.

21 Yves Chevrel, AE Multiple Points of View: A Study of French Comparative Literature Syllabi Ç, in Virgil

Nemoianu and Robert Royal (d.), The Hospitable Canon, d. cit., p. 137-152. Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre

question de la valeur littraire qui ‡ la fois conditionne lӍtude des textes ‡ lÓuniversit, et plus

globalement ‡ lӍcole, et lgitime lӍcole comme institution. Des tudiants rebuts par lӍtude de

Sarah Kane pour la prparation ‡ lÓagrgation, qui en contestent la lgitimit : nÓest-ce pas l‡ une

brŽche qui sÓintroduit dans le fonctionnement, par ailleurs sans accroc, du AE cercle

hermneutique Ç entre canon littraire et institution ?

Passons de nouveau de lÓautre c˜t du miroir, et revenons au canon biblique, ainsi quÓaux

facteurs dterminant sa formation. Pourquoi les communauts de fidŽles ont-elles mis autant de

temps ‡ sÓorganiser et ‡ se rassembler autour dÓun corpus de textes ? La naissance du

christianisme prend place ‡ une poque oœ le sentiment millnariste est trŽs fort : la fin des temps

est proche. Finalement, on ne commence ‡ crire que lorsque lÓon se rend compte que le Christ

ne revient pas, que les tmoins oculaires de la venue du Christ et les ap˜tres disparaissent les uns

aprŽs les autres. LorsquÓEnrico Norelli tudie le passage de lÓoral ‡ lӍcrit dans les origines du

christianisme, il met en valeur ce problŽme pressant que constitue lÓabsence de descendants des

ap˜tres

22. Le spcialiste souligne le foss qui spare dÓun c˜t, la pense dÓun Papias de

Hirapolis ‡ lÓaube du

IIe siŽcle oœ se trouve privilgi le tmoignage oral des disciples de

Jsus

23, ou de ceux qui les connurent, et de lÓautre, le fragment de Muratori dont la datation fait

dbat

24, mais qui tmoigne dÓune volont de donner la priorit ‡ des tmoignages crits. CÓest

seulement lorsque lÓon dlaisse la perspective eschatologique, que la ncessit dӍcrire, dÓavoir

des critures qui deviendront plus tard un canon, se fait jour. Le canon est toujours du c˜t de

lÓarchologie, et non de lÓeschatologie ; ou pour parler comme J. Z. Smith, AE ÐcanonÑ is almost

always a retrospective category, not a prospective or primary one

25. Ç La vocation de

conservation nÓest-elle pas premiŽre dans la constitution dÓun canon littraire ? Autre facteur dterminant rappel par Paul RicÍur : on ne se dfinit jamais mieux que lorsque lÓon est attaqu

26. É lӍpoque de perscution de Diocltien, en 303 plus exactement, on

leurs livres. AE Dis-moi qui tu lis, et je te dirai qui tu es Ç, telle semble avoir t la maxime sous-

22 Enrico Norelli, AE La notion de ÐmmoireÑ nous aide-t-elle ‡ mieux comprendre la formation du canon du Nouveau

Testament ? Ç, in Philip S. Alexander et Jean-Daniel Kaestli (d.), The Canon of Scripture in Jewish and Christian

Tradition, Lausanne, ‚d. du ZŽbre, coll. AE Publications de lÓInstitut roman des sciences bibliques Ç, 2007, p. 169-

206, ou encore Enrico Norelli, AE Papias de Hirapolis a-t-il utilis un recueil AE canonique Ç des quatre vangiles ? Ç,

Gabriella Aragione, ‚ric Junod et Enrico Norelli (dir.), Le canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur

lÓhistoire de sa formation, GenŽve, Labor et fides, 2005, p. 35-85.

23 Citons ‡ cet gard le fragment clŽbre issu de ses cinq livres dÓExplications des logia (dits et faits) du Seigneur,

t dans la compagnie des presbytres, je mÓinformais des paroles des presbytres : ce quÓont dit Andr ou Pierre, ou

Philippe, ou Thomas, ou Jacques, ou Jean, ou Matthieu, ou quelque autre des disciples du Seigneur [È]. Je ne

pensais pas que les choses qui proviennent des livres ne fussent aussi utiles que ce qui vient dÓune parole vivante et

durable. Ç (Histoire Ecclsiastique, 3, 39, 4, Livres I-IV, d. Gustave Bardy, Paris, Cerf, coll. AE Sources

chrtiennes Ç, n 31, 1986, p. 134.)

24 Voir ‡ ce sujet Joseph Verheyden, AE The Canon Muratori. A Matter of Dispute Ç, in Jean-Marie Auwers et Henk

Jan De Jonge (d.), The Biblical Canons, Leuven, Leuven University Press, Peeters, coll. AE Bibliotheca

Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium Ç, n

o163, 2003, p. 487-556. AprŽs avoir fortement critiqu la thŽse dÓune origine au

IVe siŽcle en Orient, Joseph Verheyden propose une datation au tournant des IIe et IIIe siŽcles.

25 J. Z. Smith, AE Canons, Catalogues and Classics Ç, in Canonization and Decanonization, p. 295-311, et en

lÓoccurrence, p. 298.

26 Paul RicÍur, art. cit. p. 104.

Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre jacente ‡ ces perscutions. Bruce Metzger, dans The Canon of the New Testament, souligne bien

quÓil sÓagissait dÓune question de conscience de dcider si on pouvait se rclamer de lӍvangile

de Jean aussi bien que de lӍvangile de Thomas, sans commettre la faute du sacrilŽge : AE In such

an existential moment most Christians would naturally be careful to determine on solid grounds precisely which were the books for adherence to which they were prepared to suffer

27. Ç Du c˜t

de la littrature, un peu moins de 2000 ans plus tard, le canon est toujours une question de vie et

de mort, selon Harold Bloom :

[...] the CanonÓs true question is: What shall the individual who still desires to read attempt to

read, this late in history? [...] Who reads must choose, since there is literally not enough time to

read everything, even if one does nothing but read. MallarmÓs grand line Î AE the flesh is sad, alas,

and I have read all the books Ç Î has become a hyperbole 28.
Du temps de Diocltien, le canon dsigne lÓensemble des livres dont on doit se rclamer

avant de mourir pour ne pas commettre de sacrilŽge. Un peu moins de deux millnaires plus tard,

Bloom nous explique que, pour nous lecteurs qui nous savons mortels, le canon littraire

reprsente toujours la somme des livres que lÓon devrait lire avant de mourir. Le canon, quÓil soit

biblique ou littraire, nÓest-il pas toujours ce corpus de textes dlimit par la mort, et la finitude

du canon, un reflet indirect de notre finitude ? On ne saurait oublier que le christianisme co"ncida non seulement avec une rvolution spirituelle, mais aussi avec une rvolution technique

29. Guy Stroumsa explore les passerelles

entre lÓinnovation technique que fut lÓadoption du codex au

IIe aprŽs J.-C. et la rvolution

religieuse que fut le christianisme

30. Si les Chrtiens nÓont pas invent le codex, ils ont tout de

volumen. Ce nouveau support nÓa pas seulement favoris le dveloppement et lÓexpansion de la

nouvelle foi en Jsus Christ, mais a galement influ sur la maniŽre de lire les ‚critures.

Contrairement au volumen qui implique de drouler le texte dans sa linarit, le codex favorise la

prise de conscience du livre comme un tout, et constitue la plus belle incarnation technologique

de ce que fut, sur le plan de lÓhermneutique biblique, la typologie, pierre de touche de lÓexgŽse

chrtienne

31. Si Jsus nÓest pas venu pour abolir, mais pour accomplir les ‚critures juives (Mt 5,

17-20), il est absolument indispensable que le texte, ce qui deviendra par la suite lÓAncien et le

en compte la question du support. On pense par exemple ‡ ces vecteurs de canonisation littraire

que sont les collections trŽs chŽres, papier Bible oblige.

En guise de conclusion provisoire, lÓhistoire du canon nous rappelle que cette entit

nous le rappelle Paul RicÍur qui dplore dÓailleurs son usage galvaud AE au sens dogmatique, de

27 Bruce M. Metzger, AE Persecutions and the Scriptures Ç, The Canon, d. cit., p. 106-108, et en lÓoccurrence, p. 107.

28 Harold Bloom, The Western Canon: The Books and Schools of the Ages, Macmillan, 1995 [1987], p. 15.

29 J. Z. Smith, art. cit., p. 295-311, et en lÓoccurrence, p. 307 : AE Canonization, as a secondary process, is

inseparable from modes of production; it is as much an affair of technology as theology. Ç

30 Guy G. Stroumsa, AE Early Christianity Î A Religion of the Book? Ç, in Homer, the Bible and Beyond. Literary and

Religious Canons in the Ancient World, d. cit., p. 153-173.

31 LÓinterprtation typologique de lÓAncien Testament vise ‡ y dceler des signes qui prfigurent la venue du Christ.

Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre

dogme impos32 Ç. Aussi parlons-nous le plus souvent du canon au singulier, alors quÓen ralit,

il faudrait toujours employer le terme au pluriel. Tout se passe finalement comme sÓil nÓy avait

pas de distinction aussi nette et tranche entre, dÓun c˜t, les crits canoniques et, de lÓautre, ceux

qui ne le sont pas. Au contraire, nous rencontrons des degrs de canonicit. Relisons un instant le prcieux Penser/Classer de Georges Perec qui est un outil de

travail indispensable dŽs lors quÓil sÓagit de ranger les bibliothŽques, les corpus et les ides,

puisque finalement, cÓest de cela quÓil sÓagit, et non dÓautre chose : ranger. Le canon biblique,

lui, est une bibliothŽque bien range, dont le classement sÓest tal sur plusieurs siŽcles, et ne

sÓest pas fait sans accroc, mais autour duquel une communaut sÓest recueillie : en somme,

depuis longtemps, une affaire classe.

Dans son ouvrage Penser/Classer, et plus prcisment dans un chapitre intitul avec

bonheur : AE De lÓordre Ç, Perec nous propose une typologie des livres en fonction de leur aptitude

33. LӍcrivain distingue les AE livres trŽs faciles ‡

ranger. Les grands Jules Verne ‡ reliure rouge, [...] les revues, quand on en a au moins trois

numros Ç, des AE livres pas trop difficiles ‡ ranger. Les romans sud-amricains, lÓethnologie, la

psychanalyse, les livres de cuisine (voir plus haut), les bottins (‡ c˜t du tlphone), les

romantiques allemands [...]

34 Ç, et enfin des AE livres plut˜t impossibles ‡ ranger Ç, ‡ savoir AE les

autres, [...] le fascicule 6 du volume 91 (novembre 1976) des Publications of the Modern

Language Association of America (PMLA) donnant le programme des 666 runions de travail du congrŽs annuel de ladite association

35. Ç On notera au passage lÓironie de Perec ‡ lӍgard des

diableries de la critique universitaire nord-amricaine, chiffre du Malin oblige. Bertrand Westphal, dans lÓune de ses saillies, imagine que sommeille en chaque auteur qui sÓattelle ‡ rcrire lӂvangile un oulipiste qui sÓignore

36. Pour reprendre et prolonger cette

intuition, dont lÓanachronisme serait hautement condamnable sÓil nӍtait pas aussi diablement

suggestif, on pourrait imaginer lÓhistoire de la constitution du canon biblique rcrite par le Perec

de Penser/Classer. Il nÓest que de lire lÓHistoire ecclsiastique dÓEusŽbe de Csare [

III, 25, 1-7],

qui est souvent prsente comme lÓacte de naissance du AE canon Ç comme liste, le terme

AE canon Ç ayant t pralablement utilis dans un contexte chrtien comme AE rŽgle Ç

37.

32 Paul RicÍur, art. cit., p. 113.

33 Georges Perec, Penser/classer, Paris, ‚d. du Seuil, coll. AE La librairie du XXIe siŽcle Ç, 2003, p. 39-41.

34 Ibid., p. 40.

35 Ibid., p. 41.

36 Bertrand Westphal, Roman et ‚vangile : transposition de lӂvangile dans le roman europen contemporain,

1945-2000, Limoges, PULIM, 2002, p. 28.

37 Pour une tude plus approfondie et rudite de ce passage, voir, entre autres, Bruce M. Metzger, AE EusebiusÓ

Classification of New Testament Books Ç, The Canon of the New Testament, d. cit., p. 201-207, ou encore Alain Le

Boulluec, AE ‚crits ÐcontestsÑ, ÐinauthentiquesÑ ou ÐimpiesÑ ? (EusŽbe de Csare, Histoire ecclsiastique,

III,

25) Ç, in Simon Claude Mimouni (dir.), Apocryphit, Histoire dÓun concept transversal aux religions du Livre. En

hommage ‡ Pierre Geoltrain, Centre dӍtudes des religions du Livre, Turnhout, Brepols, 2002, p. 153-165, et en

lÓoccurrence, p. 155. Alain Le Boulluec montre bien ‡ quel point cet extrait dÓEusŽbe se situe ‡ la croise des

chemins. DÓune part, ce texte laisse transpara“tre la grande diversit des usages quÓon fait des textes, et que les

critŽres objectifs quÓEusŽbe avance peinent ‡ masquer ; dÓautre part, cÓest par ce texte que AE la critique dÓauthenticit

hrite de la philologie classique se mue en dcret dÓhrsie. Ç (ibid., p. 153.)

Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre

Pour EusŽbe, il est des livres qui sont AE trŽs faciles ‡ ranger Ç, cÓest-‡-dire des ouvrages

qui sont reconnus pour tous (੯ȺȽȹōȳȽડȺōȻŋ) : les quatre vangiles, les Actes des Ap˜tres, les

p“tres pauliniennes, la premiŽre p“tre de Pierre et la premiŽre p“tre de Jean

38. Ensuite viennent

les livres qui ne sont AE pas trop difficiles ‡ ranger Ç, ‡ savoir ceux qui sont rejets, parce que

39. Cette catgorie comprend les

actes de Paul, le Pasteur dÓHermas, lÓapocalypse de Pierre, lӍp“tre de Barnabas, etc. EusŽbe

nÓest pas dÓune cohrence infaillible dans sa typologie, puisquÓil ajoute ‡ cette section

lÓapocalypse de Jean, quÓil avait pralablement range dans la premiŽre catgorie. Enfin, on

trouve les livres qui AE sont impossibles ‡ ranger Ç, quÓEusŽbe dsigne comme des AE livres

troisiŽme p“tres de Jean 40.
Le processus de canonisation ne saurait se penser sans une certaine volont de

classement : il sÓest agi dÓordonner la matiŽre canonique, dÓassigner des rubriques et des sous-

rubriques. Dans lÓouvrage QuÓest-ce quÓun corpus ?, Christian Boudignon isole deux critŽres

principaux pour dfinir un AE corpus Ç : lÓordre et la finitude

41. Si la Bible est bien une

bibliothŽque, le canon est surtout une bibliothŽque que lÓon a mis du temps ‡ ranger. LӍtude,

ft-elle rapide, de lÓhistoire du canon nous permet de relativiser lÓimage de repoussoir que

certains critiques et spcialistes de la littrature se font de ce modŽle biblique. LÓhistoire et le

pass ne sont pas les seuls tmoins de cette pluralit derriŽre la notion de canon ; les canons des

‚glises chrtiennes gardent encore aujourdÓhui une trace de cette pluralit premiŽre, depuis le

canon thiopien, le plus large (qui inclut des pseudpigraphes et des apocryphes comme le Livre

dÓHnoch, le Livre des Jubils, lÓAscension dÓIsa"e) au canon syriaque, plus exigu

42. Point nÓest

besoin de puiser des exemples dans des traditions religieuses aussi lointaines : les canons de

lӂglise chrtienne catholique ou protestante recŽlent en leur sein bien plus de pluralit que lÓon

ne le pense ordinairement. On aurait trŽs bien pu imaginer un canon plus AE canonique Ç, au sens dogmatique du

terme. Un vangile choisi entre tous et t possible ; le christianisme aurait pu choisir comme

texte fondateur une harmonisation des diffrents vangiles retenus dignes de foi. Ni Marcion ni

Tatien ne se sont imposs

43 ; cÓest finalement la discordance qui nous est chue en hritage

autres discordances entre les diffrentes versions de la vision, et de lÓenseignement de Jsus,

interrogent le lecteur, quÓil soit croyant ou non, et invitent lÓinterprtation au cÍur du canon

38 EusŽbe de Csare, Histoire ecclsiastique. Livres I-IV, d. Gustave Bardy, Paris, Cerf, coll. AE Sources

chrtiennes Ç, n 31, 1986, p. 132.

39 Ibidem.

40 Ibidem.

41 Christian Boudignon, AE QuÓest-ce qui fait un ÐcorpusÑ ? É propos du Pseudo Denys lÓAropagite Ç, in Gilles

Dorival (d.), QuÓest-ce quÓun corpus littraire ? Recherches sur le corpus biblique et les corpus patristiques, Paris,

Louvain, Dudley, Peeters, 2005, p. 109-127, et en lÓoccurrence, p. 109.

42 Voir Bruce M. Metzger, The Canon, d. cit., p. 218-228.

43 Pour plus de dtails, voir William L. Petersen, AE Canonicit, autorit ecclsiastique et Diatessaron de Tatien Ç, in

Gabriella Aragione, ‚ric Junod et Enrico Norelli (dir.), Le canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur

lÓhistoire de sa formation, GenŽve, Labor et fides, 2005, p. 87-116. Voir galement Bruce M. Metzger, The Canon,

d. cit., p. 114-117.

Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre

biblique. La narration vanglique sÓest faite quadruple, et la comparaison, ncessaire. Il est

inutile de faire la liste des asprits, ou de dresser une quelconque table des discordances,

brŽches dans lesquelles les sceptiques de tous bords se sont presss de sÓengouffrer. Retenons

plut˜t lÓenseignement de Frank Kermode selon lequel la pluralit interne propre au canon

vanglique nous dmontre lÓexistence de la rcriture au sein de lӂcriture Î ce quÓil explique

dans The Genesis of Secrecy, ‡ partir de lÓexemple de Judas. Tout se passe comme si dans lӍvangile canonique vraisemblablement le plus ancien, celui de Marc (quoique ce fait soit discut parmi les spcialistes

44), Judas correspondait ‡ une

pure fonction, celle de tra“tre

45. De fait, il importe de rsoudre un problŽme dÓordre non

seulement thologique, mais aussi narratif : comment faire prir Jsus-Christ? LÓIncarnation de

Dieu doit mourir dans lӍconomie de la rdemption, ainsi que dans celle du rcit. Il sera trahi. Par

qui ? Judas est lÓap˜tre dsign. Au fur et ‡ mesure des versions successives, des rcritures

successives de Marc ‡ Jean, Judas prend de lӍpaisseur, et de simple fonction, devient un

personnage, au fur et ‡ mesure que lui sont trouvs motivations et vices divers. Pourquoi aurait-il

trahi son ma“tre ? É lӍvangile de Marc, elliptique sur ce point, succŽde celui de Matthieu qui

met en avant la cupidit du tra“tre (Mt 26, 14-16) ; lÓIscariote deviendra chez Luc possd par

Satan (Lc 22, 1-6). Jean propose, quant ‡ lui, une synthŽse des diffrentes motivations avances

tant par Matthieu que par Luc, en prsentant un Judas aussi bien dvor par la cupidit que

manipul par Satan (Jn 12, 3-6 ; 13, 26-30). Face ‡ ce qui tait ‡ lÓorigine un problŽme dÓordre

narratif et thologique, les vanglistes ont su apporter des solutions en alimentant un rcit pour,

en dfinitive, crer un personnage. Ainsi F. Kermode nous explique-t-il que ce nÓest pas

seulement le rcit qui engendre lÓinterprtation, mais lÓinterprtation qui engendre le rcit

46. Le

Les critŽres de canonicit

AprŽs avoir mis briŽvement en vidence les diffrents facteurs politiques, technologiques

critŽres de canonicit mis au jour a posteriori par les historiens du canon scripturaire. Voici la

liste que livre le Dictionnaire critique de thologie, des critŽres de canonicit les plus reconnus

dans les ‚glises chrtiennes :

• LÓorthodoxie, ‡ savoir lÓaccord avec le krygme central de lÓannonce de Jsus

comme Christ, • LÓapostolicit, ‡ savoir la rfrence au tmoignage des ap˜tres,

• La catholicit, ‡ savoir lÓacceptation continue et lÓusage cultuel par lӂglise au

sens large,

son argumentation. DÓun point de vue strictement littraire, il est effectivement tentant de considrer lӂvangile de

Marc, au style et ‡ la narration bruts, comme le plus ancien parmi les vangiles canoniques.

45 Frank Kermode, The Genesis of Secrecy, d. cit., p. 83-85.

46 Ibidem.

Alexandra IVANOVITCH : Bible et littrature : dÓun canon lÓautre • LÓantiquit47

Si lÓon tentait dӍtablir des critŽres de canonicit quivalents pour le domaine littraire,

une table des concordances entre les diffrents critŽres retenus pour les canons biblique et

littraire serait tonnamment concluante. Certes, il faudrait oprer des choix drastiques, et

procder ‡ des raccourcis regrettables pour obtenir lÓabstraction dÓune doctrine orthodoxe

littraire aussi homogŽne que lÓorthodoxie doctrinale du christianisme qui fut obtenue, ne

lÓoublions pas, au prix de nombreux conciles. Et pourtant se dgagent quelques invariants et

lignes de force communes aux diffrentes thories du canon littraire. Ne pourrait-on pas

reconna“tre derriŽre le critŽre dÓantiquit rpertori par le Dictionnaire critique de thologie

lÓAE anciennet Ç voque par Pascale Casanova dans La Rpublique mondiale des lettres ?

LÓanciennet est un lment dterminant du capital littraire : elle tmoigne de la AE richesse Ç Î au

sens du nombre de textes Î, mais aussi et surtout de la AE noblesse Ç dÓune littrature nationale, de

son antriorit suppose ou affirme par rapport ‡ dÓautres traditions nationales et, par voie de

consquence, du nombre de textes dclars AE classiques Ç (cÓest-‡-dire chappant ‡ la rivalit

temporelle) ou AE universels Ç (cÓest-‡-dire librs de tout particularisme) 48.

Valry appelle le AE crdit

49 Ç qui dpend de lÓ AE opinion du monde Ç, ‡ savoir le AE degr de

reconnaissance qui lui est octroy et sa lgitimit Ç, pour le dire avec les mots de Pascale

Casanova ? Ezra Pound, quant ‡ lui, file cette mtaphore bancaire dans son ABC de la lecture :

Toute ide gnrale ressemble ‡ un chŽque bancaire. Sa valeur dpend de celui qui le (ou la)

reŒoit. Si M. Rockefeller signe un chŽque dÓun million de dollars, il est bon. Si je fais un chŽque

ce qui concerne les chŽques tirs sur le savoir [È]. On nÓaccepte pas de chŽques dÓun tranger

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