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Daniel WENDT : Le tri : Obscnit et dcanonisation dans la Querelle des Anciens et des Modernes

1

LE TRI :

OBSC‚NIT‚ ET D‚CANONISATION DANS LA QUERELLE DES ANCIENS ET DES

MODERNES.

La mise en question du canon

Dans le troisiŽme tome de son fameux ParallŽle des Anciens et des Modernes (1688-1697),

publi en 1692, Charles Perrault traite de la posie. Au dbut du dialogue, l'un des trois

personnages, Le Prsident (l'avocat des Anciens), fait rfrence au canon des poŽtes antiques en

disant AE que les ouvrages d'Homere, de Virgile, de Pindare, d'Horace, d'Anacron & de Catulle, sont

des modles si achevs, qu'on a p jusqu'icy, & qu'on ne pourra jamais rien faire qui en approche

1 Ç.

Il oppose son avis, qu'il prsente comme AE celuy de tant d'excellens Critiques Ç et comme

AE l'opinion reŒue de tout le monde Ç, au sentiment de l'abb (qui a la fonction d'un mdiateur), sans

le prciser plus clairement. Les trois genres potiques les plus importants, l'pope, l'ode et la

posie rotique, sont reprsents tour ‡ tour, par un poŽte grec (HomŽre, Pindare, Anacron) et un

poŽte latin (Virgile, Horace, Catulle). Le canon antique se prsente donc, de maniŽre parallŽle, en

modŽle ddoubl

2. Cette opinion se fonde sur l'ide selon laquelle l'Antiquit dans son ensemble

constitue un ˆge d'or et incarne une perfection intemporelle vers laquelle on aspire et qu'il convient

d'imiter, mais ‡ laquelle il est impossible de revenir. Lorsque le troisiŽme personnage, le chevalier (qui reprsente les Modernes), prend la parole

‡ son tour, il relate l'opinion AE d'un homme de grande qualit et de grand mrite, et de grande

rudition Ç qui a mis en question ce canon: AE JÓavoue, me disoit-il, qu'il me paro“t y avoir des

grandes pauvrets dans Homre; que je ne puis goter la beaut de la plpart des pigrammes de

Catulle que lÓon vante si fort, & oœ je ne voy que de lÓordure

3 Ç.

Ce dbut renvoie ‡ un genre trŽs rpandu au XVIIe siŽcle, le Jugement, par exemple le

Jugement sur SnŽque, Plutarque et Ptrone (1664) de Saint-‚vremond ou le Jugement sur les

anciens et principaux historiens grecs et latins (1646) de La Mothe le Vayer. L'homme cit par le

chevalier dit, d'un ton explicitement subjectif (AE j'avoue Ç) ce qu'il apprcie chez un auteur et ce

qu'il n'aime pas. Les auteurs du pass, qui ont t dclars AE canoniques Ç par l'usage de l'histoire,

doivent donc se prsenter de nouveau devant un juge, pour mettre ‡ lӍpreuve ce statut pour le

prsent, plus prcisment pour prouver leur qualit pour l'enseignement. Par son propre jugement de

got, cet homme se distingue de la doxa (AE que l'on vante si fort Ç), qui, elle, pr˜ne l'admiration de

Catulle. La position des Modernes consiste alors ‡ se distinguer de la doxa ou plut˜t ‡ faire du got

des Anciens une doxa en un autre sens, c'est-‡-dire un jugement trompeur sans fondement. Cela, cependant, ne veut pas dire que Perrault cherche ‡ dtruire le canon dans son ensemble ou la

une perspective cartsienne, Perrault met donc le canon littraire, tel qu'il a t transmis par la

de son propre jugement, comme il l'avait dj‡ propos dans son poŽme provocant Le siŽcle de Louis

le Grand (1687) :

1 Charles Perrault, ParallŽle des anciens et des modernes en ce qui regarde les arts et les sciences, Paris, Jean Baptiste

Coignard, 1688-1697, t. III (1692), p. 2.

2 Ce paralllisme entre la GrŽce et Rome a son origine dans les Vies parallŽles de Plutarque (1er/2nd siŽcle apr. J.- Chr.).

Depuis Plutarque, le parallŽle a t le moyen pdagogique de l'historia magistra : voir Hans Robert Jau¦, Pour une

esthtique de la rception, trad. Claude Maillard, Paris, Gallimard, 1978, p. 81-82; FranŒois Hartog, Anciens, Modernes,

Sauvages, Paris, Seuil, 2005, p. 251-263.

3 Perrault, ibid.

Daniel WENDT : Le tri : Obscnit et dcanonisation dans la Querelle des Anciens et des Modernes

2 Le siŽcle de Louis au beau siŽcle dÓAuguste. (v. 5-6)

Pour sÓassurer une place hgmonique au sein du champ littraire naissant dans la deuxiŽme moiti

du

XVIIe siŽcle4, Perrault cherche ‡ crer et tablir un nouveau canon. Il revendique le statut de juge

monde. La raison pour laquelle il exclut Catulle du canon peut s'expliquer par le mot AE ordure Ç.

traditionnelle du got ‡ la beaut et, par l‡, au statut littraire et canonique qu'il oppose ‡ l'image de

l'ordure : AE goter l'ordure Ç, on le comprend trŽs facilement, nuit ‡ la sant

5. Autrement dit, il trie,

rutiliser et recycler, et ceux qui n'ont, selon lui, plus de fonction, parce qu'ils nuisent ‡ la sant, ‡

civilisation est considr comme une entreprise franŒaise6. Perrault lie explicitement AE notre siŽcle

et la France Ç. Il rend, comme le dit Joan Dejean, les deux mots synonymes de AE culture Ç 7. La

littrature a pris une place trŽs importante dans la construction de la nation, avant tout dans

lÓenseignement. Le r˜le de la littrature antique dans ce processus, pourtant, ne fut pas tout ‡ fait

clair. Perrault fonde ainsi une littrature nationale qui inclut la littrature antique, mais pas dans son

lÓAntiquit Ç (v. 16). Il prsente son got comme le got franŒais. Perrault rpond ainsi ‡ la question

de la continuit et de la discontinuit avec lÓantiquit qui sÓest pose ‡ cause des changements

historiques qui surviennent alors. On peut mentionner, dÓune part, la naissance dÓun nationalisme,

hritiŽres des (Grecs et des) Romains et dÓen prendre la succession, et, dÓautre part, la question de

lÓobscnit publique, qui nÓest plus tolre.

Mais l'obscnit n'est pas seulement, comme j'espŽre le montrer, un des critŽres de cette

sein de l'hritage antique au cours de la Querelle des Anciens et des Modernes. Le nouveau canon se constitue par la comparaison (non synchronique mais diachronique), en remplaŒant quelques

auteurs antiques par des auteurs franŒais qui sont jugs meilleurs. Cette fois-ci, le parallŽle ne se

constitue donc pas entre Grecs et Romains, mais entre Anciens et Modernes

8, voire FranŒais.

4 Voir Alain Viala, Naissance de lӍcrivain. Sociologie de la littrature ‡ lӈge classique, Paris, Minuit, 1985.

5 Les mtaphores les plus rpandues pour caractriser la littrature obscŽne sont lies ‡ la mtaphore traditionnelle de la

nourriture. Depuis l'Antiquit, on compare la lecture des textes ‡ l'acte de manger et de boire. Dans la tradition

chrtienne ce sont le lait, le vin et le pain qui dsignent le lien entre la terre et le divin. Dans la tradition carnavalesque,

comme l'a montr Michael Bakhtine, on s'en sert au contraire pour dsigner la vie humaine, sa mortalit par la

sens strictement corporel (et populaire) que Perrault l'utilise dans le jugement sur Catulle (AE goter l'ordure Ç).

6 Voir Joan Dejean, Ancients against Moderns. Culture Wars and the Making of a Fin de SiŽcle, Chicago et Londres,

The University of Chicago Press, 1997, p. 124-140.

7 Op. cit. p. 125.

canon) dŽs son origine li au christianisme qui s'oppose, vers l'an 500 apr. J.-Chr, au pass romain pa"en. Cette frontiŽre

entre nostra aetas (tempora Chritiana ou moderna) et antiquitas est l'an 450 apr. J.-Chr. C'est chez Cassiodore (6

e siŽcle

apr. J.-Chr.) que l'opposition antiquus/modernus dsigne pour la premiŽre fois aussi la distinction entre l'exemplaricit

du pass et la modernit qui suit son cours. Voir FranŒois Hartog, op. cit, p. 31-34.

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3 Le problŽme de l'obscnit et la littrature antique L'origine du mot obscŽne est latine et son tymologie, depuis l'Antiquit, assez incertaine 9. Il

y a aujourd'hui trois analyses possibles : la premiŽre, divise le mot en ob et scaena (du grec sken),

thˆtre, par exemple pendant les ludi Florales

10. Selon la deuxiŽme hypothŽse, l'tymon est l'adjectif

scaevus (du grec skaios), signifiant AE gauche Ç et de l‡ AE sinistre Ç, et a son origine dans la langue

augurale (cf. Varro ling. 7,97). La troisiŽme, qui tait la plus rpandue ‡ l'ˆge classique, fait driver

obscenus de caenum, qui signifie AE boue, fange Ç et de l‡ AE ordure Ç. Quelle que soit la vraie

entendait par AE obscŽne Ç, mot, qui, dŽs le dpart, a une porte polmique 11.

Pour mes propres analyses, j'entendrai ici l'obscnit plus gnralement comme phnomŽne

de frontiŽre (langagiŽre), comme ligne de dmarcation entre ce qu'on dit et ce qu'on ne dit pas, et

qui inclut le franchissement tolr ou intentionnel de cette ligne dans certains contextes. Cette

frontiŽre est, bien sr, une ligne imagine, selon un accord tacite entre celui qui parle et celui ou

normes discursives d'une socit. L'obscŽne constitue donc un ordre symbolique. Dans une

perspective dialectique, on peut dire que ce n'est pas seulement le statut de celui qui parle qui

dfinit sa parole, mais aussi, inversement, le mode de l'nonciation qui peut dfinir le statut de celui

qui parle. L'obscnit peut donc servir de distinction. Une parole obscŽne est souvent considre

comme masculine, paysanne ou barbare. L'obscŽne est donc Î en tant quӍlment exclu Î une raison

dterminante et constitutive pour l'ordre du discours. Car l'ordre, comme le dit Marcel Hnaff dans

son livre sur Sade, AE n'existe qu'‡ poser son envers. LÓobscŽne nÓest que lÓeffet de cette scission; le

dnient : le hideux, le vil, le misrable, le moins que rien, Ðla merdeÑ

12 Ç.

En gnral, on peut distinguer deux sortes d'obscnit. L'obscnit primaire, c'est-‡-dire

l'obscnit de mots : les mots vulgaires, la dsignation des organes sexuels, la scatologie.

L'obscnit secondaire est l'obscnit dans les choses : l'vocation des actes sexuels contraires ‡ la

rŽgle religieuse, morale et sociale

13 quels que soient les mots qui le dcrivent, ou tout mlange de

L'obscnit est donc un concept plus abstrait, qui inclut tous ses synonymes : AE vulgaire Ç, AE sale Ç,

AE impudique Ç, AE grossier Ç, AE licencieux Ç, etc. Le concept de l'obscnit est trŽs fortement marqu

par l'ide de la rception, par une sorte de voyeurisme, par l'effet d'une nonciation ou d'une image

sur un autre, un spectateur, un public. Ce n'est donc ni le signifiant ni le signifi, qui est obscŽne en

9 Voir Jean-Toussaint Desanti, AE L'obscŽne ou les malices du signifiant Ç, L'obscŽne, Traverses, no. 29, octobre 1983, p.

128-133.

tymologie a t renverse par le sexologue anglais Havelock Ellis (1859-1939): en comprenant le prfixe 'ob' comme

AE pour, en change de Ç obscaenum fait maintenant rfrence ‡ ce qui est AE hors scŽne Ç, dans les coulisses, c'est-‡ dire

verbalement. (Havelock Ellis, On Life and Sex. Essays of Love and Virtue, 1937, Garden City, Garden City Publishing

Company, 1947, p. 175.)

11 LӍchange de rpliques entre ‚lise et ClimŽne autour du mot obscnit en scŽne III de La Critique de lӂcole des

Jean-Christophe Abramovici, Obscnits et classicisme, Paris, PUF, coll. AE Perspective littraires Ç, 2003, p. 1-11.

12 Marcel Hnaff, Sade. LÓinvention du corps libertin, Paris, PUF, 1978, p. 223.

13 Comme le montre bien le cas de Thophile de Viau, mentionn ci-dessous, la pntration anale (AE je fais vÍux

dsormais de ne foutre quÓen cul Ç) est considre comme de la dbauche et souvent lie ‡ lÓhistoire biblique de

Sodome & Gomorrhe : voir FranŒois Garasse, La doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps ou prtendus tels.

Contenant plusieurs maximes pernicieuses ‡ la Religion, ‡ l'Estat & aux bonnes Moeurs (1623), d. Jacques Fauconnet,

Paris, coll. AE Les belles lettres Ç, 2009, p. 698-699 [p. 782-783 dans l'dition de 1623].

Daniel WENDT : Le tri : Obscnit et dcanonisation dans la Querelle des Anciens et des Modernes

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soi, mais la transmission, le fait qu'un autre regarde ou coute, qui le rend obscŽne. L'obscŽne

voque un effet (de dgot).

Le problŽme de l'obscnit moderne na“t ‡ un tournant de l'histoire littraire, qui est le

procŽs de Thophile de Viau. Le poŽte Thophile a t condamn en 1623 pour un sonnet obscŽne

qui s'ouvre sur le vers suivant : AE Phylis, tout est ...outu Ç, et ce, alors qu'au dbut du XVII

e siŽcle avaient t publis plus de mille-cinq-cents poŽmes contenant le mot AE foutre Ç

14. Par ailleurs, il

faut noter que le poŽme de Thophile reprend tout ‡ fait clairement les motifs prsents chez Martial

et Catulle.

L'explication qu'on peut donner ‡ cet vnement est l'accroissement du march littraire, du

nombre des lecteurs potentiels, d au dveloppement technique de l'imprimerie, et donc ‡ un

lectorat plus htrogŽne, constitu de plus en plus de femmes ainsi que d'hommes sans formation

classique

15. La formation du canon national comme stratgie rend compte de ce phnomŽne. En

attaquant les auteurs antiques et les remplaŒant par des auteurs franŒais, Perrault se tourne vers ce

public et rpond au besoin dÓun canon non-antique.

Au dbut du siŽcle, l'obscnit tolre est trŽs fortement lie ‡ la littrature, ‡ l'art littraire,

plus prcisment ‡ certains genres littraires, comme le dit FranŒois Garasse, le procureur du procŽs

de Thophile:

il faut qu'une impudicit soit couverte de quelque honorable prtexte pour s'attacher aux esprits, qu'elle

soit accompagne de quelque pointe et de subtilit d'esprit Î telles que sont les impudicits de Trence,

de Martial, de Catulle, qui glissent doucement ‡ la faveur de leurs belles inventions. 16

La question de l'obscnit se pose donc surtout ‡ la comdie, ici reprsente par Trence, et ‡

l'pigramme, personnifie par Martial et Catulle. La seule maniŽre, pour Garasse, d'attnuer le choc

de l'obscŽne, afin que celui-ci ne soit pas pernicieux pour le lecteur, c'est la pointe, cÓest-‡-dire un

limite qu'on trouve, en termes juridiques d'aujourd'hui, entre l'rotisme artistique et la pornographie.

L'obscŽne est donc limit ‡ un contexte trŽs prcis (selon le deuxiŽme sens tymologique voqu

plus haut). Ces trois auteurs latins sont donc pour Garasse les paradigmes de l'obscnit littraire, le

AE canon Ç des auteurs obscŽnes.

Mais le procŽs de Thophile et le changement de public littraire ont eu des consquences

pour le statut canonique des auteurs obscŽnes de l'Antiquit, comme l'avait bien senti le jsuite

FranŒois Garasse :

Le troisiŽme ordre qui se voit en la bibliothŽque des libertins sont des livres qui concernent non

seulement la crance, mais qui touchent aussi les moines et sont des ouvrages dÓune si horrible

impudicit que jÓai honte dÓen parler clairement ; seulement dirai-je que ces vilains, et nommment

passables les Priapes, le Petronius, le Martial [È] 17.

Dans le contexte du procŽs, comme le pressent bien Garasse, surgit une rflexion sur l'utilit de la

lecture de ces Íuvres, sur leur statut canonique. AE Pour la premiŽre fois, la censure ecclsiastique

cŽde le pas ‡ la justice sculaire

14 Voir Michel Jeanneret, ‚ros rebelle. Littrature et dissidence ‡ l'ˆge classique. Paris, Seuil, 2003, p. 25.

15 Voir Joan Dejean, The Reinvention of Obscenity. Sex, lies, and tabloids in Early Modern France, Chicago, The

Chicago University Press, 2002, p. 29-55.

16 Garasse, op. cit,. p. 698 [p. 782 dans l'dition de 1623].

17 Garasse, op.cit., p. 858 [1016].

18 Jeanneret, op. cit., p.124.

Daniel WENDT : Le tri : Obscnit et dcanonisation dans la Querelle des Anciens et des Modernes

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institutionnalise que l'obscnit antique devient un problŽme, et ce, parce que le changement de

public provoque un changement de l'horizon d'attente. Pour les lecteurs AE nouveaux Ç sans

formation classique, sans connaissance du canon littraire, c'est-‡-dire avec une ide diffrente de la

place attribue ‡ l'obscnit dans l'ordre du discours, l'obscnit littraire constitue donc un effet

choquant. L'obscnit antique, qui n'tait jusque-l‡ pas une menace pour la religion, l'est dsormais

pour l'ordre public. Comment tolrer l'obscnit antique et censurer l'obscnit moderne, qui n'est

rien qu'une imitation de lÓobscnit antique ? Le canon des auteurs antiques, qui tait, avant tout, le

canon de la formation dans les coles jsuites, est donc galement mis en question. Une telle admiration de l'Antiquit dans son ensemble est considre au

XVIIe siŽcle en

France comme un phnomŽne de la Renaissance. C'est Descartes (comme Bacon en Angleterre), qui, au dbut du XVIIe siŽcle, met en question par son AE doute mthodique Ç toutes les connaissances

traditionnelles, celles qui relŽvent de l'vidence, et, parmi elles, le statut paradigmatique de

l'Antiquit. Tandis qu'on pensait ‡ la Renaissance que l'imitation des Anciens quivalait ‡ une

imitatio naturae, merge ‡ prsent l'ide que AE l'art qui n'est d'autre chose qu'une imitation de la

Nature, se doit varier comme elle

19. Ç Le paradigme de la nature subsiste, mais au lieu de voir dans

la nature un principe d'immuabilit, on en fait un principe de changement. Or, des mutations

importantes ont eu lieu, aussi bien des mÍurs que de l'horizon d'attente en littrature, avant tout

l'opposition entre langage potique et langage pratique

20. En effet, l'ide na“t que les rŽgles de la

Íuvres, qui, comme le montre la question de l'obscnit, peut changer. D'oœ l'interrogation sur

l'utilit du canon obscŽne pour le public du temps de Louis XIV. Plus gnralement, on s'interroge :

comment dfinir la diffrence entre les Grecs et les Romains, et les FranŒais, entre le pass et le

prsent ? Les Modernes, de plusieurs maniŽres, proposent des lignes de dmarcation en faisant de

lÓobscnit un critŽre. tablies, comme y encourage Saint-‚vremond :

Il n'y a personne qui ait plus d'admiration que j'ai pour les ouvrages des anciens [È] mais le

changement de la religion, du gouvernement, des mÍurs, des maniŽres, en a fait un si grand dans le

monde qu'il nous faut comme un nouvel art pour entrer dans le got & dans le gnie du siŽcle oœ nous

sommes 21.

Fontenelle, en revanche, certainement le plus radical des Modernes, contredit ce relativisme

culturel

22. Dans sa Digression sur les Anciens et les Modernes (1688), il reprend la fameuse

comparaison d'Augustin des sex aetates mundi et compare AE des hommes de tous les siŽcles ‡ un seul homme

23. Ç Il recourt galement au dualisme entre apparence et intriorit :

Les habits changent; mais ce n'est pas dire que la figure des corps change aussi. La politesse ou la

grossiŽret, la science ou l'ignorance, le plus ou le moins d'une certaine na"vet, le gnie srieux ou

badin, ce ne sont l‡ que les dehors de l'homme, et tout cela change : mais le cÍur ne change point, et

19 Charles de Saint-‚vremond, AE Sur l'imitation des anciens Ç, 1685, Ìuvres, d. Ren de Planhol, Paris, 1827, t. I, p.

244.

20 Voir Jau¦, op. cit., p. 54-58.

21 Saint-Evremond, AE Sur les poŽmes des Anciens Ç, d. cit., t. I, p. 273. Voir Hans Robert Jau¦, AE sthetische Normen

und geschichtliche Reflexion in der ÐQuerelle des Anciens et des ModernesÑ Ç, Charles Perrault, ParallŽle des Anciens

et des Modernes en ce qui regarde les arts et les sciences. Mit einer einleitenden Abhandlung von H.R. Jau¦ und

kunstgeschichtlichen Exkursen von M. Imdahl, Mžnchen 1964, p. 62 sq.

22 Voir Abramovici, op. cit., p. 83-98.

23 Bernard Le Bouyer de Fontenelle, AE Digression sur les Anciens et les Modernes Ç,1688, Ìuvres complŽtes, ed. Alain

Niderst, Paris, Fayard 1990-2001, t. II (1991), p.425-426

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6 tout l'homme est dans le cÍur. 24 Il existe donc bien pour lui une nature humaine immuable

25 ; on peut par consquent analyser selon

La diffrence entre eux se situe, pour lui, au niveau d'une differentia accidentalis communis position dans l'espace

27. Fontenelle dfend donc l'ide d'une continuit historique; les Anciens, pour

processus linaire et elle est ‡ prsent ‡ AE l'ˆge viril Ç.

Il y a donc, malgr ce processus culturel, AE une galit naturelle [...] entre les anciens et

la nature humaine reprsente une constante. Dryden l'exprime ainsi : For mankind being the same in all ages, agitated by the same passions, and moved by the same interests, nothing can come to pass but some precedent of the like nature has already been produced, so that having the causes before our eyes, we cannot easily be deceived in the effects, if we have judgment enough to draw the parallel 28.

Quelles consquences, donc, pour la rception de lÓobscnit antique ? Le bon got, dira l'abb

tous les temps

29. Ç L'effet de la lecture d'un texte obscŽne reste donc identique quels que soient le

lieu et le temps. Or, ‡ prsent, la pratique du AE jugement Ç rend possible lÓinterprtation des Íuvres

dpouille du respect traditionnel d ‡ lÓautorit. Si lÓon postule le caractŽre choquant de lÓobscnit

comme un fait de nature, cÓest donc ncessairement valable galement pour les Anciens, bien

nom dÓune conception fixiste de la nature humaine, exclure les Íuvres antiques obscŽnes du canon.

Perrault, contrairement ‡ la thorie de Fontenelle dÓune nature humaine immuable, affirme,

lui, que celle-ci est sujette ‡ des variations ontologiques. Il est donc en accord avec Saint-

‚vremond, qui affirme : AE C'est toujours l'homme, mais la nature se varie dans l'homme

30. Ç De ce

fait, il n'y a donc pas, explique Perrault, de beau universel, mais seulement une beaut relative. Au

nom de ce relativisme, il est donc possible de distinguer entre une esthtique antique qui accepte

lÓobscnit et une esthtique moderne qui la rejette.

24 Fontenelle, AE Dialogues des morts Ç , d. cit., t. I, p. 86.

25 Fontenelle n'accepte pas l'objection de la thorie traditionnelle des diffrentes natures des peuples qui taient dues au

climat: AE La facilit quÓont les esprits ‡ se former jusquӇ un certain point les uns sur les autres, fait que les peuples ne

conservent pas entiŽrement lÓesprit original quÓils tireraient de leur climat. La lecture des livres grecs produit en nous le

sang de GrŽce et celui de France sÓaltreraient, et que lÓair de visage particulier aux deux nations changerait un peu. Ç

(Digression, p. 415).

26 Selon l'interprtation thomasienne de la Mtaphysique d'Aristote, in V. met. 1,12, n. 916f.

27 Comme lÓexplique FranŒois Hartog, la dcouverte du Nouveau Monde et les ressemblances entre les AE sauvages Ç

dÓAmrique et les Romains et Grecs avaient conduit AE ‡ construire lÓide importante et nouvelle quÓil y a une analogie

entre loignement dans lÓespace et celui dans le temps Ç (op. cit., p. 46), et ‡ une mise ‡ distance immense des Anciens.

LÓantiquit grco-romaine apparait ainsi comme un temps sauvage. AE Nous autres Modernes, affirma-t-on de plus en

plus couramment, sommes les vrais Anciens, tandis que les Anciens ne sont que la jeunesse ou lÓenfance de

lÓhumanit. Ç (ibid., p. 20).

28 John Dryden, Life of Plutarque, Londres 1683, p. 4. Cela renvoie aux lois naturelles de la mcanique, dveloppes par

Newton (Philosophiae naturalis principia Mathematica, Londres 1687), qui sont bases sur une philosophie dualiste de

matiŽre inerte et de forces actives et sur les concepts de temps absolu, d'espace absolu et sur le principe des effets ‡

distance.

29 Charles Rollin, AE Trait des tudes ou De la maniŽre d'enseigner et d'tudier les belles-lettres Ç, 1765, Oeuvres

ComplŽtes, t.1I, Paris, Firmin Didot, 1821, p. 77.

30 Saint-‚vremond, AE Sur l'imitation des anciens Ç, 1685, d. cit., t. I, p. 244.

Daniel WENDT : Le tri : Obscnit et dcanonisation dans la Querelle des Anciens et des Modernes

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Dans ces deux thories esthtico-philosophiques, lÓobscnit littraire antique est mise

historiquement en perspective, soit dans son appartenance ‡ une poque rvolue et dpasse, soit

comme incarnation de lÓaltrit. Les argumentaires de la doctrine fixiste de la nature, aussi bien que

du relativisme, permettent de la rejeter du canon.

Mcanismes de la sparation

Le mot AE obscŽne Ç est, au

XVIIe siŽcle, ressenti comme un latinisme, et l'obscnit littraire

trŽs fortement associe ‡ lÓAntiquit, notamment ‡ l'pigramme. La premiŽre occurrence en franŒais

du mot AE obscŽne Ç, se trouve chez l'historien Poldo d'Albenas (1512-1563), qui, en parlant des ludi

Florales des Romains, cite une pigramme de Martial et critique ces AE vers obscŽnes et

impudiques

commentaire sur Catulle, que l'obscnit est lӍlment constitutif essentiel de l'pigramme (AE sola

obscoenitas facit epigramma

32 Ç). Sans aller jusque-l‡, on peut affirmer que l'obscnit tait un

lment stable de l'horizon d'attente du lecteur des pigrammes jusquÓau

XVIIe siŽcle.

Dans la seconde moiti du

XVIIe siŽcle, de nombreux textes thoriques voient le jour, qui

tiennent compte des mutations esthtiques et cherchent ‡ dcrire et prescrire ce nouvel art en accord

avec le got du siŽcle. Selon le Trait de l'‚pigramme (1658) de Guillaume Colletet AE [l]e poŽte

pigrammatique ne doit pas employer les termes obscŽnes qui reprsentent les choses un peu trop

librement, et qui laissent de sales images dans l'esprit de lecteur

33. Ç É lÓinverse de Garasse, Colletet

d'esprit (1659), constate que AE tout ce qui choque et qui blesse la nature nous dpla“t; [...] les

34. Ç

L'interdiction concerne alors galement les obscnits secondaires. Il n'y a donc aucune maniŽre de

tolrer une obscnit dans un texte littraire. C'est au contraire l'obscnit qui dtruit le statut

artistique d'un texte et l'exclut du champ littraire. La ligne de dmarcation de lÓart et de l'obscŽne

jugement esthtique n'est pas un simple pluriel rhtorique, mais il dsigne, implicitement, un AE nous,

les gens de maintenant Ç, qui est oppos ‡ un autre. L'Antiquit est donc vue comme altrit avec un

autre horizon d'attente. La ngation de cet autre sert ‡ la construction de la propre identit (moderne

et franŒaise). Ce qui AE nous Ç distingue de l'Antiquit, c'est le rapport avec l'obscnit. La modernit,

c'est-‡-dire la France moderne, se rclame dÓavoir surpass ce stade de civilisation et se fonde donc

sur lÓacte de lÓexclusion. Au niveau synchronique, ce AE nous Ç renvoie ‡ un public idal, c'est-‡-dire

35. C'est pourquoi lÓauteur du Trait de la

beaut des ouvrages d'esprit continue: AE il n'y a point d'homme de bon got qui puisse souffrir ces

paroles de Catulle, avec lesquelles il commence une des ses pigrammes

36. Ç

Les Potiques usent frquemment de mtaphores sociales, comme le terme de AE vilain Ç, qui,

dans la langue du XVIIe siŽcle fait encore rfrence au paysan. Cela est comprhensible dans une

31 Jean Poldo d'Albenas, Discours historial de l'antique et illustre cit de Nime, 1560, Marseille, Laffite reprints, 1976, p.

141.

32 Caius Valerius Catullus et in eum Isaaci Vossii Observationes, Londres, Isaacus Littleburii, 1684, p. 40.

33 Guillaume Colletet, Trait de l'‚pigramme, Paris 1658, p. 74.

34 Anonyme, Trait de la beaut des ouvrages dÓesprit, Paris 1659, p. 42-43.

35 Trait de la beaut, d. cit., p. 42-43, AE il n'importe qu'ils soient capables de plaire ‡ plaire ‡ quelque esprits gˆts et

doit juger du beau des choses. Ç

36 Trait de la beaut, d. cit., p. 47. Le dmonstratif AE ces Ç renvoie certainement au carmen 16 qui sÓouvre par ces

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