[PDF] AU COEUR DES TENEBRES / CONRAD I - Unblogfr

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AU CŒUR DES TENEBRES - Maison de la Radio

r des ténèbres (Heart of Darkness -1902)) est un roman décrivant l' aventure d'un homme au fin qui fait la richesse du roman, Conrad, à travers le personnage de Kurtz, suggère



Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad : Naviguer avec un

es ténèbres Ce roman raconte comment Charles Marlow, le narrateur, a été missionné par une 



Revenir du cœur des ténèbres

le cœur des ténèbres : Analyse »2 (307) Manifestement, le voyage au cœur des ténèbres et la rencontre avec Kurtz ont laissé d'avoir une image plus claire du personnage



Au coeur des ténèbres - Numilog

chemin du retour, Kurtz meurt, et Marlow rentre en Europe Le résumé factuel de cet aller-retour ne 



Joseph Conrad Au cœur des ténèbres

Cité 80 fois — Au cœur des ténèbres (1902) raconte comment Kurtz, un collecteur d'ivoire par métier, doublé d'un personnage très haut placé dans l'Administration, et aussi quelqu'un qui a une





Jeunesse, suivi de Coeur des ténèbres - La Bibliothèque

f Darkness (Le Cœur des Ténèbres) est personnage très important dans l'Administration



Laventure : programme & bibliothèque complémentaire

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AU COEUR DES TENEBRES / CONRAD

I) Présentation générale

a) Biographie cf fiche jointe cf Voyage similaire b) L'oeuvre de Conrad (son 4ème roman)

Publiée pour la première fois en trois feuilletons dans une revue en 1899, même si rédigé depuis

1898 ; il reprend des thèmes déjà traités dans une nouvelle intitulée " Un avant-poste du progrès »

(cf fiche) où deux agents médiocres sont envoyés et oubliés dans la brousse par la Société de

commerce du haut Congo. L'un d'eux est saisi du désir d' " exterminer tous les nègres » comme

Kurtz, l'un tue l'autre et finit pas se pendre... Marlow est un personnage déjà présent dans

" Jeunesse » et " Lord Jim » ; il est alors obsédé par la nécessité de porter témoignage sur cet

homme rencontré par hasard, cherchant à comprendre la destinée des êtres écartelés entre les

événements qui s'imposent à eux et et leurs désirs profonds. D'ailleurs Lord Jim se suicide face à sa

propre lâcheté et insuffisance morale. Donc là encore l'interrogation sur le courage et la justice se

mêle à une réflexion sur le rapport de la civilisation occidentale à l'altérité. * Est-ce un roman d'aventure classique ? Le sous-genre du roman d'aventure, populaire et destiné

à la jeunesse, se développe vers 1860-1870 au moment où le système colonial se développe ; il a été

un acteur essentiel de la diffusion de certaines représentations (valeur viriles ou fantasmes

coloniaux) ; ils ont aussi en commun le dépaysement (comparaison entre la civilisation quittée et

son envers), l'événement aventureux, l'action violente, la recherche d'un style dynamique et

haletant. Tout cela instaure une certaine distance avec le réalisme littéraire (souci de ne mettre en

scène que le probable) : la distinction anglaise entre romance et novel permet de rendre compte de

cet écart : la novel se soumet aux règles du réalisme et de la vraisemblance, avec des personnages

médiocres, la romance obéit seulement au principe de plaisir, au rêves avec des coups de théâtres

invraisemblables. Or Conrad s'appuie sur les codes du roman d'aventure mais pour les

déplacer et les questionner. D'abord, le calibrage est difficile : longue nouvelle ? Court roman ? Il

préfère le mélange des genres ce qui donne l'impression d'un curieux assemblage entremêlant récit

de marin, poème épique (" dans l'auguste lumière des souvenirs durables »42, " les grands

chevaliers errants de la mer » 42), conte fantastique (la fiancée s'avance " flottant dans le

crépuscule vers moi » 167) etc. On remarque également que peu de personnages sont expressément

nommés à part Marlow et Kurtz, si ce n'est par leur fonction ou leur nationalité (le directeur, le

comptable, le timonier). Cet anonymat crée une différence majeure car les autres semblent au

second plan et cela rappelle l'opposition épique traditionnelle entre les grands personnages et les

personnages collectifs anonymes (mais ce sera le seul point commun). Tout cela ne donne lieu à

aucun récit épique, dont Conrad déconstruit tous les lieux communs : pas de retour triomphal du

héros après le retour à la vie (" Non ils ne m'ont pas enterré... Je me retrouvai dans la cité sépulcrale »

178/162), pas de rupture dans le texte.

Et une multitude d'acteurs apparaissent p.43 " aventuriers, colons etc » 79-80/43. Il y a des regards

qui se portent vers le lointain : " Il [le PDG] regardait vers la mer. » 77/39. L'eau est une promesse de terre

lointaine : elle " s'ouvre vers la mer comme au commencement d'un chemin d'eau sans fin » 77 /

" le tranquille chemin d'eau qui mène aux confins de la terre » revient à la fin de l'ouvrage 188.

Ici tous les ingrédients du roman d'aventure sont présents : dépaysement, danger, conflit entre

culture civilisée et barbarie, parcours en forme de quête initiatique en affrontant des épreuves. Mais

Conrad les met à distance. Il renonce par exemple à user des procédés de suspense : le rythme du

1 récit se ralentit, avec peu de rebondissements, et le lecteur ne craint pas pour la vie de Marlow

puisque c'est lui qui raconte l'histoire ; de plus il ironise sur les lieux communs habituels du roman

d'aventure (nature hostile, sauvages, écueils sur le fleuve) : il se compare aux chevaliers de la forêt

noire : " Notre approche de ce Kurtz farfouillant en quête d'ivoire dans cette misérable brousse était semée d'autant de périls que

s'il avait été une princesse enchantée dormant dans un château fabuleux » 136/113. Il s'agit plutôt de prolonger

l'attente du lecteur ou de l'auditeur sur la Nellie, attente tendue et doublée d'un malaise. Au demeurant, ce temps d'attente peut permettre un temps d'adaptation de compréhension du nouvel environnement. Il n'y a pas d'action à proprement parler dans le roman et la narration est

presque aussi statique que la Nellie " sans un flottement dans les voiles » et en attente de la marée.

L'ennui est communicatif, la quête peu alléchante et le trésor maléfique. Cela indique d'ores et déjà

que si il y a aventure elle se situe à un autre niveau que l'événementiel. La lecture sera comme

une navigation statique hors du temps dans un récit en cercles concentriques communiquant entre eux dans un mouvement de flux et de reflux, dont le lecteur, comme Marlow, ressentira encore

l'onde propagée après la fin. On s'ennuie et on passe le temps en faisant des complots dérisoires

108 ou en fumant du tabac 107 : " où est le marin qui ne fume pas ? » 152. Même l'incendie d'un

arbre ne crée pas l'événement : " il n'y avait pas de presse » 107. Le directeur impose un arrêt à

Marlow à 8000 milles de Kurtz et cela l'irrite (131) même si " une nuit n'importait guère après tant

de mois ». On s'enfonce dans le vide. L'action semble donc impossible, immobilisée dans la torpeur ambiante ; pas de rivets, pas d'action. Conrad ne se contente pas de supprimer l'action : il

la refuse et cherche à en annuler la possibilité. Dès que l'action arrive, elle est contrecarrée par un

fond d'immobilité, un retardement qui empêche le rythme de l'aventure, comme les " petits

bâtons » des flèches qui au lieu d'introduire une rupture, sont intégrés au silence, là encore éternelle

répétition du même comme le bruit des tam-tams (139). Sa plume semble ralentir le temps,

s'enfoncer dans une vase sans saveur, le style tourne sur lui-même, les mêmes images ressassées

et les scènes finissent par se confondre. Qui plus est, l'aventure doit commencer à l'aurore selon Janké alors qu'ici elle commence au crépuscule et se finit avec un ciel couvert ; ce n'est pas une ouverture au jour qui vient ni une

attente ardente et passionnée des possibles, mais une plongée dans des ténèbres qui risquent de nous

engloutir. L'aventure d'emblée semble être un leurre, à double titre : non seulement parce qu'on

ne trouve pas ce qu'on cherchait mais aussi parce que l'on croit masquer notre vraie nature, désir de

pouvoir par ex, alors qu'elle finit par réapparaître. En montrant l'envers de l'aventure, Conrad

veut ainsi dénoncer les illusions qui la gouvernent ; l'un de ses avatars est l'entreprise coloniale. A

l'époque de Conrad commence le crépuscule des récit d'aventures. Or il nous propose une

écriture métaphysique qui cherche précisément à interroger le combat entre l'ombre et la lumière.

Tadié : " Que Conrad ait été psychologue, poète, philosophe ou marin n'a rien que de naturel ; la

surprise vient de ce qu'il ait été tout cela, en n'écrivant que des romans d'aventure » ; les

personnages sont complexes, ambivalents et l'ennemi est tout autant intérieur que extérieur, un

ennemi difficile à identifier donc (la jungle ? La solitude ? Les colons ? Les " sauvages » ?Le Moi ?

L'inconscient?). D'ailleurs le phare de Chapman évoqué p 43 pourrait symboliser la solitude de

l'homme moderne qui doit continuer d'éclairer les ténèbres de l'humanité (chap signifiant " gars »

en anglais et " man » homme, on peut y voir l'homme qui est singulier et universel à la fois, deux

visions de l'homme sont condensées dans le phare qui éclaire la nuit): " Le phare de Chapman, une affaire à

trois pattes élevée sur un banc de sable, brillait d'un vif éclat » 80/43.

Le résumé qu'il en proposera en témoigne : " C'est l'histoire folle d'un journaliste qui devient

directeur d'une station dans l'intérieur et se voit adopté par une tribu de sauvages » (Lettres 1898-

1002). Conrad se revendique comme auteur " moderne » (" je suis moderne » écrit-il à un ami et

ses auteurs fétiches sont Flaubert, Maupassant, Proust mais aussi Schopenhauer) en opposition au

roman victorien (recours à un narrateur omniscient et narration fluide et limpide) et il veut écrire

non un roman de sentiments purs mais " d'action observée, ressentie, et transposée avec la plus

absolue fidélité à mes sensations, d'action qui met en scène des êtres humains de chair et de sang,

des êtres humains qui évoluent dans un monde visibles ». 2

* Construction du récit ? Il y a 3 parties sans titres (la tripartition est liée à la parution en revue) :

1- la préparation du voyage : le narrateur anonyme à la première personne présente les données du

récit-cadre sans aucune indication temporelle précise, on sait seulement qu'un groupe de " gens de

mer » attendent leur départ sur la Tamise et se livrent à une rêverie puis à une remémoration. Il

initie ainsi une vaste analepse. On est sur le seuil de l'aventure. Il y a une justification de ce qui va

advenir car cela se prépare depuis l'enfance et de la formation du goût pour l'aventure (84), des

moyens mis en oeuvres pour réaliser ce désir (85). Le début lance le récit et la situation initiale

repose sur l'envie de partir (celle de l'enfant qu'il fut /celle des marins).

2- le récit du voyage, interrompus parfois à deux moments clés pour observer les réactions de

l'auditoire ou commenter ses propres émotions, opérant un va et vient entre le passé de l'aventure

et le présent de la narration. Cela fonctionne sur le mode du conte entre personne assemblées pour passer le temps et raconter une expérience. A partir de bribes de conversation entendues sur

Kurtz, on se dirige vers l'aventure, plongés dans une nature (humaine) de plus en plus étrange.

Cette partie comprend des épisodes topiques du roman d'aventures comme la rencontre d'obstacles naturels, d'attaques, l'inconnu, la violence, la maladie et la mort etc.

3- la rencontre avec Kurtz. C'est l'arrivée au coeur des ténèbres et les derniers instants de la vie

de l'aventurier avant le retour en Europe. La force perturbatrice apparaît avec l'arrivée sur place

et la rencontre de nouveaux personnages puis l'apparition d'une quête, celle d'une figure exceptionnelle. La force équilibrante survient avec la mort du personnage central.

+ Conclusion au dernier § : retour au récit-cadre et examen des réactions fascinées du public ; bel

effet de bouclage avec la dernière phrase faisant écho au début (" le large était barré / la Tamise

s'ouvrait devant nous »). Cela condense le mouvement lumières/ténèbres/lumières, ce qui gomme la

dimension mémorielle du récit de Marlow car on suit pas à pas l'acteur de ces aventures qui fut

aussi le témoin des mésaventures de Kurtz et le roman d'aventure ressemble plutôt à un récit

d'initiation. La scène finale ouvre sur des considérations morales et sociales. De plus, la chronologie du récit est perturbée car tous les indicateurs temporels s'effacent

progressivement, le récit n'est pas linéaire. On s'arrête dans de longues pauses, on revient en arrière

et on reprend plus loin. Dès le départ le lecteur en est averti quand il se lance dans le vaste

panorama auquel il fait subir une gigantesque contraction temporelle : " je pensais à des temps

très anciens ... nous vivons dans la lueur vacillante » 45. Ce n'est pas le temps mathématique et

mesurable mais la durée subjective (comme chez Bergson), doublée d'une inquiétante étrangeté

(" Unheimlichkeit » de Freud). La nouvelle condense les effets et se concentre sur un moment de la vie exemplaire et significatif. Il rapporte des faits assez banals mais qu'il considère comme

particulièrement intéressants une fois passés par le prisme de la subjectivité. Il organise son

discours hors de la linéarité chronologique en contant les péripéties qui structurent l'existence de

Kurtz et esquisse celles du Russe qui continueront au-delà des frontières textuelles de la nouvelle.

Le récit narre moins " ce qui advient » que le processus de désignation d'un épisode comme " une

aventure » selon le point de vue subjectif du narrateur.

L'aventure prend alors la forme d'une initiation rythmée par des étapes : désir de départ /

préparation du départ /arrachement au monde connu temps de l'attente / temps du du voyage / mort

symbolique à soi-même / renaissance ou retrouvailles avec soi-même. Ainsi Conrad joue sur les codes du roman d'aventure et étire le temps de l'attente et du voyage

indéfiniment entre le point de départ et le point d'arrivée : plus des 2/3 du récit sont consacrés à ce

temps intermédiaire de latence et quand M arrive au poste où se trouve K plusieurs mois se sont

écoulés alors qu'ils ne passeront que quelques jours dans ce poste et que le voyage de retour sera

expédié en qqs pages. 3

* Qui est le " moi » qui raconte l'histoire ? Conrad utilise la technique du récit inséré, du récit

dans le récit, récit rétrospectif et pris en charge à la première personne par le personnage principal

qui est un témoin privilégié et qui de ce fait par sa présence authentifie le second récit, celui de

Marlow. Cette délégation narrative, cette mise en scène permet peut-être de représenter " le point

de vue ethnographique, une position subjective et un lieu historique d'où une autorité narrative

juxtapose scrupuleusement différentes vérités » (James Clifford). Marlow choisit de délivrer un

souvenir de sa vie de marin qui lui rappelle l'évocation des conquêtes romaines en Bretagne. On

peut supposer que Conrad joue le rôle du narrateur omniscient traditionnel. Le narrateur-Conrad

introduit le narrateur-Marlow donc le premier est rapidement relégué en coulisses et insère de

rares commentaires comme " M n'était pas typique/ sa remarque ne parut pas surprendre/c'était

bien M » ; c'est donc un peu le marionnettiste distancié qui tire les fils invisibles de ses personnages

alors que Marlow reste plus proche des personnages. * Style ? Il utilise aussi tout un vocabulaire hyperbolique de l'exagération et de l'inexprimable

(il abuse des qualificatifs), ce qui touche parfois à des procédés mélodramatiques. Tout est construit

autour de l'opposition systématique entre ombre et lumière : la tamise lentement gagnée par

l'obscurité " pénombre appesantie », avec une lumière qui résiste dans son " éclat immobile » 78 ;

idéal qui semble menacé par la progression de l'ombre. De même à la fin avec le visage de la

Promise qui surgit dans l'ombre 183. La lumière même quand elle triomphe semble toujours cernée

par les ténèbres, ce qui rend sa victoire précaire. On part " au centre de la terre » 91 vers le principe

de toute chose et le premier moment. La nouvelle repose donc sur la binarité : tantôt sous la forme de l'opposition, tantôt sous la forme de l'ambivalence quand il y a aller-retour entre les

opposés. La nature même du texte est ambiguë : on relate des faits réels et fondés sur une

expérience vécue mais cela fonctionne comme un conte (" conte stupéfiant » 157), avec des héros,

des opposants, des adjuvants, une triple quête (Kurtz/ivoire/soi), une fin qui mêle réussite et échec.

Les personnages fonctionnent en duo : le romain colonisateur/Kurtz, Kurtz/Marlow, Kurtz/le

russe, le directeur/son oncle, colons/colonisés, vivants/mourants, mourants/morts, vivants/morts etc.

Chaque personnage peut lui-même être vu de deux manières : le Directeur comme un crétin bavard

106/ trafiquant vulgaire 104/ qui est obéi pourtant 104 ; le russe un arlequin 151/ protecteur de

Kurtz 160 mais son opposé 154, avec un visage changeant " comme un ciel d'automne » 151 ;

Marlow désire la vérité mais finit par mentir, Kurtz est un " génie universel »180 et un monstre,

" l'ombre du Kurtz originel fréquentait le chevet de la doublure creuse » 174, ange et démon ;

même le vapeur est double, lieu de refuge et moyen de prise de risques, noyé puis fonctionnant,

barque funéraire et réserve d'ivoire144-145 etc. Le narrateur devra se départir de ce double qui le

possède : " tout ce qui avait été à Kurtz m'était sorti des mains » 181. Il y a même deux sortes

d'hommes dans la condition humaine soit " trop sot pour se fourvoyer » soit " formidablement exalté » sachant que la plupart d'entre nous sont un peu des deux p. 146.

Dès le titre (" Heart of darkness »), l'opposition entre la lumière et les Ténèbres est suggérée

comme ce qui va structurer le texte, où la noirceur domine. L'ambivalence en anglais du terme dark

(très à la mode à l'époque dans les titres de livres) est commode car il évoque à la fois la couleur

noire, l'obscurité et l'obscurantisme (dark ages = haut moyen âge obscurantiste). C'est une époque

où les certitudes du monde victorien vacillent et cela se confirmera avec la 1ère guerre mondiale qui

opère une véritable rupture épistémologique avec les anciennes valeurs. Au coeur des ténèbres

ajoute une densité supplémentaire, plus concrète et revient plusieurs fois : " loin du coeur des

ténèbres, vers la mer » 173 (épaisseur de la nuit) / " le tranquille chemin d'eau semblait mener au

coeur d'immenses ténèbres » à la fin 188 / triomphe de la noirceur " le coeur des ténèbres

victorieuses » 182.

Noir Blanc

4

Obscurantisme, Ténèbres

Nuit

Ignorance, croyances

Pulsions

Enfer Mort

Désordre

Monstre obscurla nuit des temps 79, des premiers âges disparus 126 la nuit du fleuve 113 la sottise rapace et sans pitié 97 une ombre plus ténébreuse que l'ombre de la nuit 182 ses ténèbres étaient impénétrables 175 les puissances des ténèbres 145Lumière

Jour, Soleil

Civilisation des Lumières, Savoir

Raison, Technique

Paradis

Vie Ordre Héros solaireporteurs d'une étincelle de feu sacré 79-80 un soleil aveuglant 95 Mais Conrad ne confronte ce symbolisme* que pour faire bouger les lignes : les ténèbres se

déploient sur des terres écrasées de soleil où le soleil et la chaleur rendent fou (" le flot battant de

lumière ou de flux trompeur émané du coeur de ténèbres impénétrables »143) ; ou dire la vérité

aurait été " trop ténébreux » 188 ; les croyances obscures se trouvent aussi bien chez les indigènes

(timonier et la machine à vapeur) que chez les missionnaires vêtus de blanc qui vénèrent l'ivoire

(lui-même d'un blanc éclatant mais suscitant les plus noirs sentiments), les occidentaux utilisent des

méthodes barbares ; donc tous les dualismes et symboles habituels volent en éclat et deviennent

des paradoxes, tel " ce brouillard blanc, très chaud et moite et plus aveuglant que la nuit » 131 ou

cette femme peinte par Kurtz sur fond noir avec une torche allumée et les yeux bandés (" C'était M

Kurtz qui avait peint cela ... le chef du Poste de l'Intérieur... C'est un prodige.. Il a une mission de charité, de science, de progrès et

du diable sait quoi d'autre ...110/81).* Def Wikipedia : Dans Un Manifeste littéraire, publié en 1886, le poète Jean Moréas définit cette nouvelle manière d'écrire :

" Ennemie de l'enseignement, la déclamation, la fausse sensibilité, la description objective, la poésie symbolique cherche à vêtir

l'Idée d'une forme sensible4. » Les symbolistes teintent leurs oeuvres d'intentions métaphysiques, de mystère, voire de mysticisme.

Le sujet a désormais de moins en moins d'importance, il n'est qu'un prétexte. Plusieurs artistes s'amusent à transposer une image

concrète dans une réalité abstraite. Gabriel-Albert Aurier donne une définition du symbolisme dans un Mercure de France de 1891 :

" L'oeuvre d'art devra être premièrement idéiste, puisque son idéal unique sera l'expression de l'idée, deuxièmement symboliste

puisqu'elle exprimera cette idée en forme, troisièmement synthétique puisqu'elle écrira ses formes, ses signes selon un mode de

compréhension général, quatrièmement subjective puisque l'objet n'y sera jamais considéré en tant qu'objet, mais en tant que signe

perçu par le sujet, cinquièmement l'oeuvre d'art devra être décorative. » Le symbolisme est une réaction au naturalisme. Les

symboles permettent d'atteindre la réalité supérieure de la sensibilité et inspirent l'imagination poétique.

CL/TR = L'aventure est une confrontation à l'altérité sous différentes formes et derrière le

dépaysement spatial et la mise en crise de l'univers familier, c'est la culture que l'aventurier

quitte qui est remise en question. Il s'agit à la fois de l'altérité de la Nature dont les hommes se

sont séparés pour devenir hommes et qui les rattrape, mais aussi de l'altérité de la culture de l'Autre

qui m'est étrngère et que je comprends pas. On pénètre dans un espace sauvage où il n'y a pas de

lois / où les lois ne sont pas les mêmes d'où une opposition entre ordre et désordre, nature et

culture. C'est dans la distance avec l'identité et la culture originelle de l'aventurier que l'altérité se

comprend et cela peut tout aussi bien se manifester par de la fascination ou du rejet. Au premier regard, il s'agit d'une aventure physique et géographique, au contact d'une nature

menaçante donc toutes les composantes d'une aventure extrême sont réunies. L'aventure est d'abord

un cheminement dans l'espace et le temps, symbolisé par le courant du fleuve (le fleuve Congo

traversant presque l'Afrique d'ouest en est, sur 4700 kms), comparable à un " pèlerinage lassant

parmi des débuts de cauchemar » 94. Changer de lieu conduit à pénétrer dans un autre espace-

temps. I) Le rapport à la nature : jungles et brouillards

" L'univers du vivant contient suffisamment de merveilles et de mystères tel qu'il est » Conrad

5 La rupture avec le quotidien implique l'entrée dans un monde autre, merveilleux ou effrayant

mais dans tous les cas c'est un espace régi par d'autres règles et lois, voire par leur absence totale

dans le cas de la nature qui ne suit que ses propres lois, et non celles des hommes. Or cet univers autre est souvent pensé comme l'envers de la civilisation que quitte l'aventurier, donc comme un

retour à la nature sauvage. Cet espace peut être tantôt perçu comme pur, non encore souillé des

artifices de la civilisation, ou comme sauvage et irrationnel, comme la loi du plus fort. L'opposition

entre nature et culture structure donc déjà l'aventure. L'Afrique symbolise ici cet ailleurs propice à une expérience métaphysique et ontologique, un " ultime Nullepart » 146. a) Une nature sauvage

L'aventure est donc ici un retour en arrière à l'état de nature, une errance dans le temps " dans la

nuit des premiers âges » 126. On se sent " encerclé par cette sauvagerie, cette absolue sauvagerie -

toute cette vie mystérieuse des solitudes, qui s'agite dans la forêt, dans la jungle, dans le coeur de la

l'homme sauvage » 82. L'Autre qu'il faut affronter, c'est d'abord cette nature difficile à dompter.

* La remontée du fleuve s'annonce comme une succession d'épreuves : bancs de sable, des écueils

qui risquent de transpercer la coque, des rapides à franchir, les courbes dissimulant les obstacles à

venir (avec la métaphore du serpent imprévisible). On retourne à une vérité éternelle : " une vérité

dépouillée de sa draperie de temps » 126. * La jungle témoigne de la préhistoire de l'humanité. Plonger dans cet espace c'est comme

plonger dans le passé de l'humanité, qui trouve sa source dans la nature (au sens de milieu naturel,

d'ensemble des êtres vivants et inertes). D'ailleurs la remontée du fleuve est associée à un voyage

dans le temps : " Remonter ce fleuve c'était comme voyager en arrière vers les premiers commencements du monde, quand la

végétation couvrait follement la terre et que les grands arbres étaient rois. Un cours d'eau vide, un grand silence, une forêt

impénétrable »122/97 ce qui entraîne une perte des repères : " On perdait son chemin sur ce fleuve comme on ferait dans

un désert » 122/98 ; " on se croyait ensorcelé et coupé à jamais de tout ce qu'on avait connu jadis... il y avait des moments où le

passé vous revenait » 123. En renvoyant l'homme à son passé archaïque, la plongée dans la jungle le

dépouille de ses repères culturels et sociaux : " oripeaux qui s'envoleraient à la première bonne

secousse » 127. Même Kurtz semble vide : " Il avait éveillé des échos sonores en lui parce qu'il était creux à

l'intérieur » 159/140 ; idem pour le Directeur du Poste central " Peut-être était-il entièrement creux » 105/75. Sous les discours

éloquents se cache un vide existentiel immense que semble révéler la nature alentour. * L'homme qui part à l'aventure a souvent l'impression de remonter le temps et de retrouver une nature primitive non encore domestiquée par la main humaine. Il y a donc toujours un

imaginaire du primitivisme associé à l'aventure : " remonter ce fleuve, c'était comme voyager en

arrière vers les premiers commencements du monde, quand la végétation couvrait follement la terre

et que les grands arbres étaient rois » 97. Le commencement est ici plutôt une régression dans le

temps, une expérience de l'inversion temporelle : " nous voyagions dans la nuit des 1ers âges » 101.

De même les aventures d'Ulysse le conduisent dans des ailleurs inconnus qui sont l'envers de l'île

d'Ithaque. L'île de Circé, de Lotophages et des Lestrygons ne sont pas cultivées, aucune agriculture

n'y est pratiquée, les déesses et les cyclopes vivent dans des grottes et il y a peu de règles

(notamment d'hospitalité). Donc nulle construction humaine n'y semble présente. Pour autant leur

luxuriance fait penser à un âge d'or qui aurait précédé l'apparition de la société. Ce qui fascine c'est

d'abord la vitalité de cette nature non domestiquée qui se déploie hors de toute limite humaine :.= Nous avons coutume de regarder la forme enchaînée d'un monstre vaincu, mais là - là on regardait la créature monstrueuse et libre.

126/101

C'est un instinct de croissance qui s'exprime de manière anarchique dans la brousse, la jungle ou sur les rives du fleuve Congo. Marlow souligne ainsi l'écart entre la nature dominée par

l'homme et l'espace rendu à sa puissance : " nous avons coutume de regarder la forme enchaînée

d'un monstre vaincu, mais là - là on regardait la créature monstrueuse libre ». Conrad associe la

monstruosité et la liberté de la nature ce qui souligne l'ambivalence de la sauvagerie naturelle.

6 Opposer la Tamise banale, domestiquée par les hommes, le " vieux fleuve » (elle est la forme

apaisée, domestiquée du Congo) et le fleuve Congo ; même si la Tamise a été un " lieu de

ténèbres » à une époque antique ; les ténèbres qui envahissent le paysage créent une menace latente,

une présence symbolique de la mort qui permet de comparer Londres et le Congo. Ce règne du

gigantisme ne fait aucune place à l'homme, cela lui rappelle sa petitesse et sa fragilité : La grande

muraille de végétation ... était comme une invasion folle de vie muette.. prête à .. balayer chacune de nos petites humanités hors de

sa petite existence » 117/90 (métaphores architecturale, ornementale, maritime qui rendent la nature

hybride). * Loin du mythe du bon sauvage ou du paradis perdu, les fleuves, la jungle et la brousse seront des

lieux de pouvoirs envoûtants qui peuvent faire basculer l'homme civilisé vers sa nature primitive

en lui rappelant son atavisme primitif (Un atavisme, du latin atavi (" ancêtres ; quadrisaïeuls, aïeux

éloignés »), en biologie évolutive du développement réfère à la réapparition d'un caractère ancestral

chez un individu qui normalement ne devrait pas le posséder. Ce trait peut soit avoir été perdu ou

encore avoir été transformé au cours de l'évolution). On est donc confronté à la part la plus

archaïque de soi-même face à cet espace sacré, une sorte de ventre maternel dont on sort et où l'on

retourne, en faisant corps avec lui " la brousse fourmille de membres humains en mouvement » 139" éveillant les instincts oubliés de la brute, le souvenir de passions monstrueuses à satisfaire. Cela seul, j'en était sûr, l'avait attiré

jusqu'au fond de la forêt, jusqu'à la brousse, vers l'éclat des feux, les pulsations des tam-tams, le bourdonnement d'étranges

incantations » 171/154. D'ailleurs c'est à 4 pattes que se retrouve un esclave " un de ces êtres se dressa sur les

mains et les genoux et descendit à quatre pattes boire au fleuve. Il lapa dans sa main » 98/67 ou même Kurtz : et c'est en

cela qu'il peut y avoir confusion antre nature sauvage et culture barbare car tantôt c'est le retour

à la nature brute tantôt les comportements barbares (dus au retour à la nature?) qui provoquent cette

régression : à propos des romains " c'était des conquérants et pour ça il ne faut que la force brute»83/47 ; à propos de

Marlow balançant un corps par-dessus bord " Je fus considéré comme une brute insensible » 176/160 ; à propos

d'un esclave : " Le nègre battu gémissait quelque part. " Quel vacarme fait cette brute ! Bien fait pour lui. Faute- châtiment-

vlan ! Il n'y a que ça » 110/82 ; voeu de Kurtz dans son rapport " exterminez toutes ces brutes ! » 147/125-126. La

brutalité semble être dans la nature et la culture, partout. Les hommes ne sont plus freinés par les

lois et laissent se déchaîner leur vraie nature passionnelle au contact de la nature brute " Le danger, s'il

existait, venait de ce que nous approchions du lieu où une grande passion se déchaînait. L'extrémité de la douleur même peut

finalement s'exprimer par la violence »137/113-114.

C'est même la nature qui prend possession des hommes et non les hommes de la nature :- en les absorbant " la brousse sans un son le reprit dans son sein » 107/78 + " la patiente brousse qui se referma sur elle comme fait -

la mer avec le plongeur » 122/96

- en s'insinuant en eux " l'odeur de la boue, de la boue primitive ! Était dans mes narines » 111/84

- en les observant " Je me demandais si l'impassible figure de l'immensité qui nous regardait tous les deux avait valeur d'appel ou de

menace.. Pouvions-nous prendre en main cette chose muette ou nous empoignerait-elle ? » 112/84

- en décidant de leur vie et de leur mort " Le climat résoudra peut-être le problème pour toi » 119/93

Tout est en surchauffe : le soleil échauffe les esprits, le vapeur etc.

Ainsi c'est plutôt ici la nature qui détient un pouvoir sur l'homme et c'est ce que Marlow essaye

de freine chez Kurtz : " J'essayai de rompre l'enchantement pesant et muet du monde sauvage - qui

semblait l'attirer vers son sein sans merci en éveillant des instincts brutaux endormis, en ravivant le

souvenir des passions monstrueuses et assouvies. c'est cela, j'en étais convaincu, qui l'avait attiré ».

Il ne fait pas la part entre les besoins instinctifs et les désirs passionnels : nature et culture semblent

se confondre. Et à travers lui c'est toute l'Europe qui se perd dans la nature sauvage. Cela implique

de pouvoir survivre : seuls ceux qui survivent peuvent avoir une aventure et une destinée ; le

directeur et le russe semblent les plus chanceux à ce niveau, ils échappent à la maladie " tu

supportes le climat - tu leur survis à tous » 121, " santé triomphale dans la débâcle des

organismes » 105 ; la résistance du russe reste " improbable, inexplicable, tout à fait

déconcertante » 154. Kurtz est un damné " que l'on n'a pas pu sauver de son destin »144-145.

Mais cela ne veut pas dire que ce comportement brutal chez les hommes exposés est essentiellement

naturel. Et face à la barbarie de l'homme la nature sauvage peut paraître apaisante : " Il me semblait d'un

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bond avoir été transporté dans une région sans lumière de subtiles horreurs, par rapport à quoi la ure sauvagerie, sans complications,

était un véritable soulagement » 159/141.

* L'aventure réitère donc le conflit originel entre l'homme et les forces de la nature : il faut

apprendre à se débrouiller seul et donc par là renouer avec une réalité brutale, que la civilisation

nous avait fait oublier en nous ramollissant. L'aventure est l'espace dans lequel l'homme peut

retrouver son statut de prédateur et de conquérant de la nature. A cet imaginaire est associé

celui de la pureté : ce sont des terres pratiquement vierges. Il y avait des expéditions au XIXème

pour rechercher et cartographier la source du Nil ou de l'Amazone. Ainsi Marlow doit sans cesse apprendre à lire le monde illisible pour éviter les dangers naturels : " il faut que je devine continuellement le chenal ; que je distingue, affaire principalement d'inspiration, les signes des

bancs cachés ... il fallait que je guette les indices de bois mort à couper la nuit pour la navigation

du lendemain » 98. L'aventure considère l'espace comme un horizon de possibles au risque d'y

perdre son chemin ; il y a un rejet du quadrillage de l'espace par lequel s'exerce le contrôle social

(Foucault) ; on refuse toute fixation au sein d'un espace donné et on espère franchir les frontières.

C'est précisément ce qui distingue les récits de voyage, riches en détails sur la faune et la flore des

milieux traversés, reposant avant tout sur des descriptions factuelles, des récits d'aventure

géographique. On ne sait presque rien de l'île au trésor de Stevenson et les détails donnés par

Conrad sont plus symboliques que réalistes car ils servent à souligner l'étrangeté des lieux.

b) Une nature sublime et mystérieuse

ACT se rattache au roman d'aventure par l'évocation du mystère, d'une réalité énigmatique, une

nature qui suscite fascination et rejet. Conrad utilise la technique de l'identification

retardée pour accentuer le mystère : il fait défiler des scènes qu'on ne parvient pas à caractériser

dans un premier temps, et après plusieurs pages on comprend de quoi ou de qui il s'agit (" et vous

êtes le briquetier central. Tout le monde le sait » 110).

* Il y a plusieurs énigmes à résoudre dont celle du pays exploré : la côte de l'Afrique est présentée

comme un corps féminin énigmatique et imprévisible, une terre inconnue, un ailleurs indéterminé

" le plus grand », " le plus blanc » 84 : " Regarder d'un navire la côte filer c'est comme réfléchir à une énigme. La voilà

devant vous - souriante, renfrognée, aguichante, majestueuse, mesquine, insipide ou sauvage, et toujours muette avec l'air de

murmurer » 92/59, on devine un monstre caché sous une belle apparence. A la deuxième occurrence du

terme " énigme » cela devient un mystère insondable, un secret de l'univers : " le fait était là devant

moi, comme une ride sur une énigme insondable, un mystère plus grand » " un mystère plus grand que la

note curieuse, inexplicable, de douleur désespérée de cette clameur sauvage » 135/112. Puis l'énigme réapparaîtra sous

une note existentielle : Si telle est la forme de l'ultime sagesse, alors la vie est une plus grande énigme que ne pensent

certains d'entre nous »177/161. 3 occurrences qui semblent correspondre à 3 moment crépusculaires :

l'agonie, le décès et les funérailles. Une nature mystérieuse : le fleuve incarne à travers l'image du

serpent le mythe du péché originel lié à la tentation : " le serpent l'avait ensorcelé » 85. Il y a un va

et vient entre le réalisme et le mystère par la superposition permanente de la lecture littérale et

symbolique : le contremaître du poste central est à la fois un artisan et un personnage de conte

" veuf et avec 6 enfants », avec " une barbe qui lui descendait jusqu'à la taille » 116.

* Beauté et sublime de la nature : c'est au XVIIIème qu'on commence à penser la spécificité de la

beauté sauvage des grands espaces, des montagnes, de la mer, mais aussi l'ambivalence du

sublime, qui mélange le plaisir à l'effroi. Contrairement à la beauté qui correspond à l'harmonie,

la proportion mesurée, et apaise le spectateur, le sublime l'arrache à lui-même car il nous donne

l'impression de rompre les frontières de la finitude et nous fait ressentir ce dépassement comme une

forme d'exaltation. Est sublime ce qui dépasse l'entendement et l'imagination. c'est pourquoi les

aventuriers cherchent souvent des espaces hors normes (désert, pôles, jungle) qui exigent pour être

décrits le vocabulaire de l'amplification (hyperboles, superlatifs, métaphores et comparaisons comme la brume qui semble crier 131). L'homme se trouve en effet tout petit face à une nature incommensurable, ce qui lui fait prendre de sa petitesse mais aussi de sa destinée morale (Kant a 8

fait graver sur sa tombe : " la loi morale en moi et le ciel étoilé au-dessus de moi » pour témoigner

de ce qui suscite le plus grand respect). Les épreuves que traverse Marlow sont des énigmes plus

que des épreuves physiques il évoque le silence grandiose de la nature qui l'entoure et se demande

si " l'impassible figure de l'immensité qui le regardait avait valeur d'appel ou de menace » 112.

* La brume semble entourer chaque évocation du roman de même que les compagnons d'Ulysse

(" un brouillard dense entourait les bateaux » IX, 142) et l'allégorie reste obscure même si tout fait

signe vers un sens caché. Elle emprisonne le vapeur et ses occupants, le fleuve évoquant alors le

Styx (Marlow reste souvent sur le bateau, Kurtz mourra dans une étroite cabine, comme le timonier,

et la fiancée semble emmurée dans son deuil). La grisaille est la première étape qui mène de la

lumière à l'obscurité : image de la lutte avec la mort au moment de l'agonie (177). La blancheur

épaisse et opaque de la brume ne doit pas tromper : elle noie tout dans l'indistinction " le reste du

monde n'était nulle part » 132. De même, le brouillard, qui égare et isole, est omniprésent dans le

texte : chez Conrad c'est le brouillard blanc, double inversé des ténèbres, mais tout aussi maléfique

que lui, qui entoure le vapeur peu de temps avant l'attaque : " le reste du monde n'était nulle part,

pour autant que nos yeux et nos oreilles fussent concernés » 108. L'aventurier est ainsi frappé de

cécité : : " nos yeux ne nous étaient pas pus utiles que si nous avions été ensevelis sous des kms de

ouate ». 114 La brume est ce qui caractérise le paysage toujours indistinct et entouré de vapeur, car

la vérité ne réside pas dans la chose mais dans le halo qui l'entoure (81) mais aussi cela vient du

style de Conrad qui la ménage par son impressionnisme permanent. Ce serait lui faire perdre de sa

valeur que de décrire l'objet exactement, car on supprimerait l'atmosphère et le mystère qui

l'entourent. Le paysage est moins décrit pas sa forme que pas ses impressions colorées : " le

soleil se coucha » 80, les jeux d'ombre et de lumière. Cf Turner/ impression soleil couchant. Cela

permet aussi de plonger dans la vision confuse du personnage lui-même : " il se fit un changement

sur les eaux ...» 78-79. Le déploiement de la métaphore sert non à élucider le sens mais à

approfondir l'énigme, car tout finit par se fondre ensemble par l'effet de répétition (" sérénité,

épanoui, tranquille » etc), répéter revient à ajouter des caractères donc à obscurcir. On entoure

l'objet par accumulation de caractéristiques, plus on décrit l'objet, moins on le voit. D'ailleurs, tout

dans la description de l'espace est " au-dessus », figure de la hauteur symbolise la majesté menaçante.

L'aventurier est celui qui ne peut pas voir, qui avance à tâtons, d'où le motif important chez Homère

de la clairvoyance de l'aveugle, qui connaît le dessein de dieux (comme Tirénias) ou qui sait

l'histoire qu'il faut raconter (comme Démodocos). L'aventure est une cécité temporaire et c'est

pourquoi les aveugles peuvent guider l'aventurier ou chanter ses exploits. l'espace de l'aventure

peut être aussi l'absence d'espace comme Kurtz qui semble être " ce spectre initié de l'ultime Nulle

part » qui se confie à lui " avant de disparaître absolument » 124. Comme les morts au chant XI de

l'Od, Kurtz accomplit la superposition des lieux qui n'est rendue possible que par l'indétermination

de chacun d'eux. Le paradoxe de l'aventure est ainsi de présupposer l'existence d'un espace et en même temps sa possible disparition. # A cet égard le temps du rite permet de se donner

l'illusion de maîtriser les événements : : les scènes de banquet, de funérailles (Elpénor) pour ne pas

le laisser aux cannibales, tout cela réintroduit une répétition connue, identifiable, et qui rassure ,

" comme une cérémonie qui développe sa liturgie selon un horaire fixé d'avance » 217.

* L'eau représente aussi une promesse et un danger : un chemin de séparation ou de retrouvailles,

une barrière infranchissable ou un moyen d'accès. Les eaux, métaphore traditionnelle de la vie,

symbolisent ici fortement la dualité humaine, entre préhistoire et histoire, sauvagerie et civilisation.

C'est une plongée dans l'inconnu : la mer figure les promesses du monde lointain car à l'horizon

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