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Décembre 2010 en jeu une autre idée du sport n°441 9 dossier

Thierry Gromik / Presse Sports

Sport et technologie

" Le sport a toujours été la propagande du progrès », note Paul Virilio, penseur de la vitesse. L'histoire du sport est ainsi jalonnée de trouvailles technologiques ayant permis d'améliorer le matériel et de battre des records. Jusqu'à parfois dénaturer l'esprit des compétitions, d'où l'in terdiction des combinaisons en natation. Plane enfin l'ombre du dopage qui, lui aussi, est le fruit de la technologie.

La Formule 1, prototype du couple homme-machine.

Décembre 2010 en jeu une autre idée du sport n°441 1110 Décembre 2010 en jeu une autre idée du sport n°441

Innover pour gagner

Athlétisme, cyclisme, tennis, nAtAtion, voile, Formule 1... La performance sportive se nourrit depuis toujours du progrès technologique. Avec pour garde-fous la tradition et l'esprit sportif. Q uasiment depuis ses origines, le sport a su intégrer les avancées techniques ou technologiques pour évoluer, se moderniser, progresser. L 'histoire du sport est une histoire "technologisée" confirme Thierry Terret, professeur à l'uni versité de Lyon I et directeur du Centre de recherche et d'innovation sur le sport (Cris). À mon sens, le facteur essentiel correspond à une loi d'abstraction. Par exemple, lors des premières courses de haies, faites de branches et de feuillages, se posait la question de la sécu rité des athlètes. Grâce à l'invention de la haie souple, les coureurs ont pu aller plus vite sans risque de se blesser. Mais, surtout, on pouvait comparer les performances de sportifs qui ne s'affrontaient pas directement. Derrière cet aménagement apparaît déjà en filigrane la notion de record, ingrédient nécessaire de la mythologie sportive.

À des

degrés divers, tous les sports en interface avec un équipement - vêtements inclus - ont eu affaire à l'innovation technologique

, poursuit Thierry Terret. En tennis, la vitesse actuelle des balles, qui peut atteindre 250 km/h au service, était impensable dans les années 1970 avec les raquettes en bois de l'époque. Elles furent ensuite fabriquées en fer et aujourd'hui sont en carbone. "

Sur un

e longue période, on constate aussi que les surfaces ont considéra blement évolué et sont devenues plus rapides, notamment la terre battue , indique François

Thomazeau, journaliste sportif et écrivain.

Pour compenser, on utilise des balles un peu

plus molles. On a aussi connu des expérimen tations sur la taille du tamis, très grand, petit, moyen, pour revenir aujourd'hui à des stan- dards . Sans oublier le fameux " hawk-eye qui permet, à la demande du joueur, de déter miner si une balle a bien touché la ligne grâce

à un système de caméras.

En ski, on est

passé du tout bois au tout alumi nium puis au tout composite. Ensuite, il y a eu le passage aux skis paraboliques, plus courts, qui a considérablement modifié la façon de skier

relève Dieter Hillairet, responsable du pôle ingénierie, innovation, management de l'Uni-versité Clermont Ferrand II. Un changement facilité par des innovations collatérales dans la façon de préparer les pistes

: généralisation de la neige de culture via les canons à neige, et création de nouveaux accessoires de prépa ration attelés aux dameuses. Aujourd'hui, des spatules équipées de puces calculent l'inclinai son d'un virage pour les champions tandis que la " plaque

», morceau de métal glissé sous la

fixation, augmente l'effet de levier, confère plus de puissance, mais crée aussi plus de contraintes sur les articulations.

DU BAMBOU À LA FIBRE DE VERRE

L'athlétisme a également connu plusieurs

révolutions. En saut à la perche, sans les inventions des fabricants, Sergei Bubka n'aurait jamais franchi la barre des 6 mètres.

Après les perches en bambou des origines,

très souples, les perchistes ont sauté dans les années 1940 avec des perches en aluminium, puis en fibre de verre à la fin des années 1950. " Si to us les athlètes bénéficient de ces apports technologiques de manière identique, en temps et en lieu, cela fait partie de l'évolution du sport et cela rejoint l'idée de courir une régate sur des prototypes similaires, comme pour la course en solitaire du Figaro, indique Nour El Helour chercheur à l'Irmes. Mais lorsque des inégalités apparaissent, volontaires, à travers le dopage ou l'anticipation d'une technologie par un seul des concurrents d'une épreuve, cela entraîne un avantage certain, d'une totale inéquité Outre la récente affaire des combinaisons des nageurs, où les cartes étaient d'autant plus faussées que la technique de nage était elle aussi modifiée, on se souvient des débats suscité s

par la victoire de Greg LeMond sur Laurent Fignon dans le Tour de France 1989 : un succès arraché pour huit petites secondes

dans le contre-la-montre final, alors que l'Américain utilisait un guidon de triathlète lui assurant une meilleure pénétration dans l'air. Cette inégalité liée à l'innovation est en revanche acceptée en course automobile ou en voile. Depuis l'apparition des premiers trimarans - parfois munis d'hydrofoils -, les courses transatlantiques sont devenues des laboratoires d'essai grandeur nature, avec la fiabilité pour arbitre. Si la dimension humaine reste cependant très présente en voile, les bateaux n'en sont pas moins à la pointe de la technologie et monocoques et multicoques se livrent désormais des courses séparées. Cela n'empêche pas le débat sur l'aide technologique détermina nte des routeurs météo restés sur la terre ferme. B.B.

INNOVATION OU INJUSTICE SPORTIVE ?

Décembre 2010 en jeu une autre idée du sport n°441 11

Sport et technologie

Si le matériau - la fibre de verre - n'a pas

changé, la technique de " bandage » de cette fibre a depuis permis de gagner en souplesse et en légèreté. À l'époque de Bubka, les perches ressemblaient encore à des mâts de voilier : il fallait des mains énormes, la puissance et la vitesse du " tsar » pour les utiliser au mieux.

Aujourd'hui, celles-ci sont faites quasiment

sur-mesure avec des indices de flexion variable en fonction de la technique de saut de l'ath lète, de son gabarit et des conditions de vent...

Toujours en athlétisme, il aura également

fallu attendre les Jeux de Mexico en 1968 pour courir sur une piste synthétique en tartan.

Depuis, on a inventé les pistes en polyuré-

thane, coulées sur place sur une base d'enrobé.

Pour Pékin 2008, le fabricant Mondo a encore

innové avec sa méthode de rouleaux fabri qués en usine. Grâce à un nouveau dessin des alvéoles de la sous-couche, la piste s'est révélée encore plus rapide qu'à Athènes...

En Formule 1, l'invention technologique

fait partie du quotidien des ingénieurs de

Ferrari, Red Bull, Renault ou Williams. Quant

au cyclisme, il a sans cesse intégré de nom breuses nouveautés : le dérailleur, autorisé sur le Tour de France en 1937, et plus récemment les pneus sans chambres à air, le guidon de

triathlète, les roues lenticulaires, de nouveaux procédés de fabrication des cadres en une seule pièce, etc.

Dans les pratiques instrumentées telles que le

surf, la planche à voile, le ski, le snowboard et bien d'autres, les innovations sont très visibles.

Dans le foot, c'est moins net

», explique Dieter

Hillairet. La remarque vaut pour le rugby, le

handball et les autres sports collectifs, même si toutes les ressources de l'informatique (schémas, statistiques) et de la vidéo sont désormais utilisées dans la préparation des matches. Sans faire de bruit, une discipline comme le volley-ball a cependant évolué à la marge : " Les ballons - qui changent après chaque olympiade, pour faire marcher le com merce - sont de plus en plus légers : ils font moins mal et flottent beaucoup plus, ce qui rend leur maîtrise volontairement plus délicate , note

Guillaume Degoulet, qui couvre la discipline

pour l'Équipe. Et les équipes se dotent désormais d'une machine à servir, fabriquée en Amérique du Nord, qui envoie dix ballons à la minute pour faire travailler les réceptionneurs

ÉTHIQUE ET ÉQUITÉ

Il ne suffit pourtant pas d'inventer

: en matière d'innovation technique appliquée au sport, il faut ensuite être homologué...

Même dans

sa quête éperdue de dépassement et d'excel

-lence, le sport, vaste laboratoire, doit planter quelques barrières pour limiter accès et excès,

analyse Jean-Julien Ezvan, journaliste sportif au Figaro. Les limites de la technologie tiennent à l'origine de l'effort façonnant la performance production de l'homme, ou de la machine ? Par ailleurs, le progrès technologique ne doit pas empiéter sur l'intégrité et la sécurité des acteurs, ni sur l'équité.

» Cela se complique néanmoins

quand les enjeux économiques s'en mêlent...

En Formule 1, les instances internationales

empêchent ainsi les avancées qui n'iraient pas dans le " bon » sens, à savoir celui du spectacle. Les écuries et leurs ingénieurs sont donc toujours sur le fil du rasoir.

Dans ce

jeu du chat et de la souris, on accepte de se faire prendre de temps en temps. Instaurer des limites techniques à ne pas dépasser permet finalement de maintenir le suspense d'un Grand Prix, sinon les écuries les plus riches gagneraient à chaque fois. C'est d'ailleurs aujourd'hui le cas dans la Coupe de l'America, où le team qui a le plus d'argent fait le meilleur bateau

», regrette

Dieter Hillairet.

Les règlements évoluent donc, que ce soit au gré des rapports de force au sein des instances dirigeantes, des besoins de renouvellement ou de visibilité d'une discipline, ou des exigences de l'éthique et de l'esprit sportif. Ainsi, en

Rondeau / Presse Sports

Pas de saut tutoyant les six mètres sans perche en fibre de verre, sans tartan performant et sans tapis de réception (Renaud Lavillenie, championnats d'Europe 2010).

Décembre 2010 en jeu une autre idée du sport n°441 1312 Décembre 2010 en jeu une autre idée du sport n°441

1990, le Hongrois Miklos Nemeth met au point

un javelot dont la partie arrière est rugueuse, ce qui améliore sa sustentation : en moins d'un an, le record du monde passe de 89,58 m

à 96,96 m

! Non seulement cela fausse les com- paraisons avec les champions du passé, mais cela met aussi en péril la sécurité des athlètes sur les stades... Aussi ce modèle est-il interdit fin 1991, la Fédération internationale impo sant alors le bon vieux javelot à queue lisse.

LES ALÉAS DU RECORD DE L'HEURE

De même, en 1996, le cycliste britannique

Chris Boardman porte le record du monde

de l'heure à 56,375 km, après une rafale de performances (Francisco Moser, James Obree) où toutes les innovations techniques sont per mises. L'UCI décide alors d'effacer les records, élabore des critères restrictifs et reprend pour base les 49,431 km de Merckx en 1972. Un vieux » record qui sera successivement battu deux fois, par Boardman (49,441 km) et le

Tchèque Ondrej Sosenka (49,700 km) en 2005.

Autre cas mémorable, celui de la raquette de

tennis à double cordage créée par un artisan bavarois et apparue en juin 1977. Accélérant la balle et accentuant les effets, elle avantage clairement ceux qui l'utilisent. Quelques mois plus tard, elle est interdite. A contrario, d'autres inventions ont été homo loguées : en 1999, lors des championnats du monde, la Française Florence Masnada dispute le slalom du combiné avec des skis plus courts qu'à l'ordinaire (1,68 m contre 1,84 m) et décroche une médaille de bronze. Les petites tailles de ski - 1,55 m maximum pour les femmes, 1,65 m pour les hommes - sont aujourd'hui la norme. Le grand tamis en tennis, les roues lenticulaires et lequotesdbs_dbs19.pdfusesText_25