1 sept 2013 · 100 2 2 2 4 La sexologie dans le champ des thérapies sexuelles et conjugales 102 créent un cours de sexologie à l'hôpital Necker à Paris
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David MichelsTo cite this version:
David Michels. Soigner sa sexualite. Experience des dicultes sexuelles et recours a la sexologie. Anthropologie sociale et ethnologie. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS),2013. Francais.
HAL Id: tel-00856538
Submitted on 1 Sep 2013
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Kaddour
Remerciements Agns Fine, ma directrice de thse, qui mÕa suivi tout au long de mon parcours chaotique dÕapprenti-chercheur. QuÕelle reoive ici toute ma gratitude. Jrme Courduris, sans lÕaide et le soutien de qui je nÕaurais jamais termin ce travail. Merci pour son optimisme toute preuve, sa gnrosit. Ma dette est immense. Sandrine Halfen, pour nos trs (trop) longues discussions tlphoniques et pour la relecture complte du manuscrit. Alain Giami qui mÕa fait profiter de ses contacts et qui a facilit mon entre sur le terrain. Merci pour lÕintrt quÕil a toujours port mon travail. Alain Corman, Isabelle Chaffa et Nancy Bourdoncle pour mÕavoir aid entrer en contact avec des patients. tous les hommes et les femmes qui ont accept de me rencontrer et de me livrer une part de leur intimit me permettant ainsi de runir la matire principale de ce travail. Jean-Pierre Albert auprs de qui je suis all, trop frquemment srement, chercher des conseils et du soutien. Dominique Blanc, pour son soutien administratif mais surtout amical. Marlne Albert-Llorca, pour nos nombreux changes sur lÕenseignement et lÕuniversit. Brigitte Cousin, pour tous les petits services rendus. Sylvie Chaperon, avec qui jÕai organis la journe Ç Genre, sexualit et sant È en 2003 lÕUniversit de Toulouse et qui mÕa invit faire un article pour Clio partir de mon travail sur de jeunes anarchistes gays. Michel Bozon et Alain Giami qui ont per mis que mon travail soit discut devant le Rs eau Thmatique Ç Recherches en sciences sociales sur la sexualit È de lÕAssociation Franaise de Sociologie en 2004, 2005 et 2011. Agns Martial et Irne Thry, pour mÕavoir intgr aux programmes de lÕEhess Ç La dimension sexue de la vie sociale È et Ç Genre et sciences sociales È entre 2005 et 2009 et mÕavoir permis dÕy prsenter mon travail en 2006. Batrice Fraenkel, qui mÕa tout appris de lÕanthropologie de lÕcriture et qui mÕa invit exposer mon travail sur le changement de la mention de sexe lÕtat civil lors de la journe sur Ç LÕinjonction autobiographique È en 2004 Carcassonne au GARAE et lors de celle sur lÕ Ç Anthropologie de lÕcriture È en 2009 Paris lÕEhess. Laurence Hrault qui mÕa invit prsenter mon travail sur les transsexuels lors de la journe Ç Les expriences transgenres et leur narration È en 2005 la Maison Mditerranenne des Sciences de lÕHomme. Marc Bessin qui, en mÕembauchant comme coordinateur du Rseau des Jeunes Chercheurs Sant et Socit, a permis que je trouve les conditions matrielles et financires ncessaires la finalisation de cette thse. Sandrine Fournier, pour tous nos changes tout au long de ces longues annes dÕamiti, pour nos intrts communs concernant la lutte contre le VIH et pour mÕavoir offert un espace de travail chez elle quand jÕen ai eu besoin. Flavio Tarnovski, pour les bires en terrasse du Quinquina Toulouse, pour nos changes sur lÕanthropologie, et pour la lecture dÕun chapitre de cette thse. Franois Masure ³, pour les bires et nos longs dbats politiques et scientifiques. Il part trop tt. Florian Voros pour les clopes fumes la MSH-PN, pour le bout de chapitre quÕil a bien voulu lire. Gabriel Girard, Pauline Delage, Fanny Chabrol, pour leurs tmoignages dÕamiti et leurs encouragements. tou-te-s mes autres ami-e-s que je ne peux tous citer mais qui savent ce que je leur dois. mes parents, Monique et Oswald et mes trois sÏurs, Paula, Sarah et Esther pour leur soutien indfectible. Enfin, Kaddour pour son soutien, sa patience, son amour et pour la vie.
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Introduction On voit que, dÕaprs les rponses des personnes interroges, la frquence maximale des dysfonctions sexuelles survenant souvent est de 11% (absence dÕorgasme chez les femmes). On peut noter que plus de 40% des femmes dclarent avoir, au moins de temps en temps, une absence ou une insuffisance de dsir. Les hommes, quant eux, sont prts rec onna"tre not amment des Ç jaculations prcoces È (souvent + parfois : 37%), ou des absences dÕrections (souvent + parfois : 19%). CÕest, dÕun certain point de vue, beaucoup (comme vivier potentiel pour les sexologues et autres orgasmothrapeutes par exemple). Mais lÕon pourrait galement dire quÕune nette majorit des personnes interroges dclarent ne pas tre affectes par des dysfonctions la fois frquentes et contraires lÕpanouissement de leur sexualit. Andr Bjin1 Les liens entre difficults de la fonction sexuelle et recours un prof essionnel de sant apparaissent par aille urs compl exes. Hommes et femmes consulte nt peu lorsquÕi ls rencontrent des difficults dans leur vie sexuelle, moins de 5% lors dÕune difficult qui survient de manire isole (É) Les rapports sexuels douloureux chez les femmes (13% dÕentre elles) et les difficults dÕrection chez les hommes (9% dÕentre eux) sont les troubles les plus associs une consultation. CÕest bien le cumul de plusieurs types de difficults qui semble motiver une consultation chez un professionnel de sant. Ainsi 18% des hommes et 21% des femmes qui cumulent souvent ou parfois les trois difficults dclarent avoir consult un professionnel cette occasion. Sharman Levinson2 Ces deux commentaires en exergue sont extraits des deux ouvrages qui, quinze ans dÕintervalle, rendaient compte des enqutes nationales sur le comportement sexuel des rsidents franais : lÕenqute ACSF de 1992 et lÕenqute CSF de 2006. Les deux auteurs relvent quÕalors quÕune part non ngligeable dÕindividus rencontre des difficults de la Ç fonction sexuelle È, seule une minorit dÕentre eux dcide au final de consulter un professionnel de sant . Cette situation pourrait tre considre comme paradoxale au regard du contexte social et du discours entourant la sexualit dans la France contemporaine. En effet, reprsentations culturelles, discours journalistiques et psycho-mdicaux nÕont jamais t aussi nombreux faire la promotion dÕune sexualit libre, varie et de ses bienfaits, dÕen proposer des reprsentations de plus en plus explicites. Avoir une activit sexuelle panouie parce quÕpanouissante, plus quÕune 1 Voir Spira, Bajos & Groupe ACSF, 1993 : 199. 2 Levinson, 2008 : 495-497.
Introduction 12 simple possibilit offerte aux femmes et aux hommes, est dsormais une obligation. On pourrait donc sÕattendre ce que les individus soient proportionnel lement plus nombreux consulter ou bien quÕils consultent plus rapidement, sans attendre que les difficults sexuelles se cumulent. Pourtant, comme le montrent les deux enqutes, ce nÕest pas le cas et une grande majorit des personnes qui rencontrent des difficults sexuelles ne ressentent pas le besoin de recourir un professionnel. Ainsi, malgr les injonctions culturelles de plus en plus fortes la performance sexuelle, la plupart des gens Ç font avec È les problmes fonctionnels quÕils peuvent tre amens rencontrer. CÕest que lÕexercic e de la sexualit nÕest pas rductible ses composantes fonctionnelles mais quÕil est li au sens que les individus donnent lÕactivit sexuelle. Les significations de la sexualit sont multi ples et varient selon le se xe, lÕge, la situation conjugale, etc. Par consquent, sui vant le contexte dans lequel ell es sÕinscrivent, les difficult s sexuelles sont plus ou moins Ç gnantes È1 pour le s individus. Certains dÕentre eux pourront alors considrer que les difficults doivent tre prises en charge et choisir de recourir un professionnel de sant. CÕest cette dmarche thrapeutique, et plus prcisment le recours la sexologie (qui est la seule discipline se prsentant comme spcialise dans le traitement de ce type de difficults), qui est lÕobjet de ce travail. Il sÕagit de comprendre, partir du rcit des patients eux-mmes, les conditions dans lesquelles apparaisse nt la nce ssit de consulter. LÕinterrogation Ç par les marges È, trs frquente en anthropologie sociale2, sÕavre en effet trs fconde dans la mesure o ces situations obligent, peut-tre plus que dÕautres, les individus et institutions produire des discours tendant expliciter et justifier ce qui, dans dÕautres situations, relve de Ç lÕallant de soi È. SÕintresser aux difficults sexuelles qui Ç font problme È, permet ainsi dÕinterroger plus gnralement les significations et les reprsentations de la sexualit dans notre socit, sa place dans la fondation du lien conjugal et les liens quÕelle entretient avec les identits fminines et masculines. Toutefois, avant de prsenter plus prcisment notre problmatique et dÕentrer dans le Ç vif du sujet È, il nous faut dtailler le droulement de lÕenqute et du recueil des donnes partir desquelles nous avons crit ce travail. 1 Levinson, 2008. 2 Notamment dans le champ de la parent et du genre o lÕtude des situations Ç problmatiques È ou Ç marginales È (adoption, recomposition familiale, procration mdicalement assiste, homoparentalit, transsexualit, etc.) a largement contribu mieux comprendre la parent ou les questions de genre Ç en gnral È.
Introduction 13 1. Le parcours dÕenqute Dcrire lÕenqute comme si elle tait tout moment mthodologiquement arme, cÕest peindre une fiction, dont on ne sait si elle rassure ou si elle inhibe. Olivier Schwartz1 LÕenqute de terrain ne peut sÕapprendre dans un manuel. Il nÕy a pas de procdures formalisables quÕil suffirait de respecter (É) CÕest que lÕenqute de terrain est dÕabord une question de Ç tour de main È, et pr ocde coups dÕintuition, dÕimprovisation et de bricolage. Jean-Pierre Olivier de Sardan2 Nullement question, dans cette partie, de reconstruire a posteriori un rcit qui viendrait tmoigner dÕun contrle total du droulement de lÕenqute depuis ses dbuts et servirait justifier de l a qualit de ses rsulta ts et, en quelque sorte, de sa valeur scientifique. Plutt que de dcliner les diffrentes tapes dÕune mthode, comme si elles avaient t dcides en amont de lÕenqute pour rpondre des hypothses, ce chapitre vise rendre compte dÕun parcours, expose les conditions de son droulement ainsi que les diffrents moyens mis en Ïuvre. Cette partie mthodologique se voudrait plutt, pour rompre avec le pa radigme expriment al et util iser une mtaphore juridique, comme une prsentation des Ç pices È sur lesquelles on sÕest appuy, sans prjuger de ce quÕaurait pu tre le rsultat si des Ç expertises supplmentaires È ou un Ç complment dÕinvestigation È avaient t demands. Il faut donc faire preuve dÕhumilit et accepter le caractre ncessairement provisoire et circonscrit dÕune enqute ethnologique et de ses rsultats, dans la mesure o ceux-ci sont aussi lis aux circonstances extrieures, aux opportunits qui se prsentent ou non sur le terrain et aux conditions matrielles dans lesquelles la recherche se droule3. 1 Schwartz, 1993: 281. 2 Olivier de Sardan, 1995: 73. 3 Sur ce dernier point, il nous faut prciser que cette recherche a souffert de trs nombreuses interruptions lies en gran de partie a ux ncessits conomiqu es. Priodes de tr avail mi-temps et plein te mps, dmnagements successifs de Toulouse Marseille, puis vers Paris, puis en Normandie, ont eu pour consquence de rduire le temps disponible pour le travail de recherche. Temps de recherche pendant lequel, par ailleurs, nous avons accept ou dcid par nous-mme de mener, manquant sur ce point de la lucidit ncessaire quant lÕorganisation de notre travail de thse et de son calendrier, des recherches annexes nÕayant quÕun rapport lointain avec notre projet doctoral. Ces recherches, plus circonscrites, ncessitaient toutefois dÕy consacrer un part de notre temps. CÕest ainsi que nous avons publi sur lÕhomosexualit (Michels 2000, 2001, 2003a, 2003b & 2005) et le transsexualisme (Michels, 2008). Par ailleurs, en 2008, 2009 et 2 010, nous avons arrt toute activit acadmiq ue et avons enc ha"n des contrats de recherche applique sur les addictions. Les dix annes qui nous sparent du dbut de ce parcours ne sont donc pas dix annes qui ont t entirement consacres la thse.
Introduction 14 Notre intrt pour la sexologie et les troubles sexuels est n en novembre 2001. Notre premier sujet de thse avait pour ambition dÕexplorer la faon dont les sciences sociales, et en particulier lÕa nthropologie socia le, avaient abord (et partici p construire) le concept de sexualit entre la fin du 19ime et le dbut du 20ime sicle. CÕest dans le cadre de cette rflexion sur la diffusion et la construction des savoirs sur la sexualit que nous avons Ç dcouvert È la sexologie, discipline qui se propose justement dÕlaborer un savoir sur la sexualit et dÕy appuyer une pratique thrapeutique. Il se trouve en effet quÕanthropologie et sexologie ont entretenu un dialogue important au tournant des 19ime et 20ime sicles, les auteurs se lisant, changeant et se prfaant mutuellement1. Ayant abandonn notre projet initial et ses vises historico-pistmologiques, hors de port e pour le chercheur dbutant, nous comme nmes travailler sur la sexologie. CÕest port par la curiosit et lÕintuition que cela pouvait tre intressant dÕy Ç regarder dÕun peu plus prs È, que nous avons entam notre enqute sans poser de problmatique prcise et sans avoir une ide prdfinie de ce que serait notre Ç terrain È. La perspective de dpart tait donc trs gnrale. Il sÕagissait de cerner les frontires (en termes de pratique s, mais aussi de disc ours) de ce qui se donnai t comme Ç la sexologie È, dÕen rpertorier les acteurs (non seulement les thrapeutes et thoriciens, mais aussi les Ç patients È), dÕen recenser les lieux dÕmergence, afin de saisir la place de cett e pratique thrapeutique et discursive dans les agencements sociaux de la sexualit et de la sant. Comme lÕexprime autrement Olivier Schwartz. : Ç Il y a de ux ma nires d Õaborder la ques tion du terrain : soit lÕon considre quÕil ne peut y avoir de bonne observation sans construction pralable de lÕobjet (É) ; soit lÕon considre que le premier objet de lÕenqute nÕest pas de rpondre des questions mais de d couvrir celles quÕon va poser. Et il faut , pour cette simple dcouve rte, du temps. È2 Aborder la sexologie, cÕest aborder un ensemble dÕacteurs, de pratiques et de discours disperss dans lÕespace social. Cela ne dfinit ni de lieu dÕenqute, ni de groupe enqu ter. En effe t, lÕespace thrapeutique de la consultation (cÏur de la pratique sexologique) est entirement priv, la diffrence de ce qui peut se passer dans dÕautres socits o lÕespace thrapeutique est au contraire minemment public. Y avoir 1 Signalons, titre dÕexemple, la prface rdige par Havelock Ellis La vie sexuelle des sauvagesÉ de Malinowski (Malinowski, 2000). Sur les relations entre lÕanthropologie du dbut du 20ime sicle et la sexualit voir Weeks, 2000 ; Bozon & Leridon, 1993. 2 Schwartz, 1993 : 281.
Introduction 15 accs est donc difficile. Et dÕune certaine faon, il nÕy a pas non plus de groupe sur lequel faire porter lÕanalyse. Mme sÕils forment un groupe professionnel il ne sÕagissait pas dÕtudier Ç les sexologues È mais Ç la sexologie È. Ç Les patients È, quant eux, ne forment pas de groupe en dehors de la Ç tte È du chercheur qui les agrge dans une mme catgorie de situation. Comment, ds lors, justifier dÕune dmarche ethnologique dans la mesure o celle-ci semble a priori tirer sa lgitimit du fait que lÕethnologue sÕappuie sur lÕtude dÕun lieu gographiquement localis et/ou fait porter son analyse sur une communaut dÕinterconnaissances, sur un groupe constitu1 ? LÕune et/ou lÕautre de ces conditions, qui renvoient toutes les deux lÕide dÕune insularit ncessaire du terrain lie la perspective totalisante monographique2, t ant encore poses impl icitement ou explicitement par la plupart des manuels dÕenqut e ethnographi que non seulem ent comme indispensables et ncessaires mais comme le propre de la dmarche ethnographique. Bien que, comme le relve Janet Carsten pour le champ de la parent, de nombreux travaux effectus en Europe ou aux Etats-Unis tendent ne plus sÕappuyer sur une vritable ethnographie localise3, le fait de travailler en ethnologie sans prendre appui sur un groupe constitu ou sur un lieu prcis suscite parfois encore lÕtonnement, voire la perpl exit, notamm ent parmi les tenants dÕune c ertaine tradition anthropologique. De ce point de vue, ce travail nÕest pas ethnographique si l Õon considre que lÕethnographie procde de lÕobservation directe (partici pante ou non) dÕun fait social ou de lÕlaboration dÕune monographie. En fait, cÕest moins la nature du terrain qui caractrise la dmarche ethnologique que la m anire dont el le construit ses objets 4. Pour Yves De laporte, dans lÕunive rs urbain, 1 Voir par exemple Baud & Weber, 2003 ; Kilani : 1992. 2 Sur ce point voir Dodier & Baszanger : 1997. 3 Carsten, 2006. Changement dÕapproche du terrain qui sÕaccompagne par ailleurs pour Janet Carsten dÕun changem ent de dmarche puisque selon elle ce ty pe de trav aux a pour point de d part une problmatique largement labore en amont de lÕenqute, et procde a u final dÕune dmarche de connaissance plus sociologique, hypothtico-dductive, quÕethnologique, inductive. Il est noter toutefois que ces travaux ne souffrent dÕaucune illgitimit dans la mesure o ils portent sur un des domaines (celui de la pa rent) le s plus nobles et les plus cl assiques de lÕ ethnologie pour l equel existe une tradition problmatique distincte de celle de la sociologie de la famille. 4 En fait il semble quÕil existe au moins cinq faons de se rattacher lÕethnologie : par lÕobjet (les socits Ç primitives È), par la mthode ethnographique (terrain localis et/ou groupe dÕinterconnaissance), par la tradition problmatique autour dÕun objet dj dconstruit/construit (voir les tudes sur la parent ou sur le religie ux), par le type de rappor t au temps et lÕhistoir e (lÕethnologie sÕintress erait plus spcifiquement la permanence, la tradition plutt quÕau changement), par le mode de construction de lÕobjet (dmarche inductive). Il reste que lÕethnologue faisant lÕtranger lÕethnographie dÕun groupe rural restreint reste dÕun point de vue symbolique en haut de la hirarchie en tant que seul Ç vritable È
Introduction 16 Ç[lÕ] inscription spatiale [des faits s ociaux] te nd se diss oudre. Or cÕest lÕunit de lÕespace dÕobservation qui caractrisait peut-tre le plus gnralement lÕenqute ethnologique (É) Cet obstacle sera contourn et la spcificit de la dmarche ethnologique maintenue si la dfinition et les limites de lÕobjet ne sont pas poses a priori, mais construites au cours de lÕenqute et soumises dÕventuels ajustements au fur et mesure de sa progression È1. LÕenqute ethnologique procde pa r itration et Ç la production des donnes modifie la problmatique qui modifie l a production des donnes qui modifie la problmatique È2. Questions et problmatique ont ainsi merg progressivement tout au long de lÕavance du terrain. Au dpart, il sÕagissait de faire Ç feu de tout bois È et de faire preuve dÕune cert aine Ç boulimie È sans trop prjuger des rs ultats. LÕenqute, itinrante, multi-situe et discontinue trouve son unit dans les liens tisss entre les diffrentes donnes recueillies. Les donnes sur lesquelles porte lÕanalyse prsente ici sont de diffrentes natures. Out re lÕexercice de lÕ Ç observation flottante È3 et lÕanalyse de documents crits, notre terrain a pris deux directions successives : enquter auprs des sexologues et interroger de s patients. Les de ux squences dÕe nqute ont comport un certain nombre de diffi cults sur lesquelles il nous semble utile de revenir pa rce que les conditions du terrain sont clairantes par rapport notre objet. Elles constituent, en effet, un matriau dÕanalyse en soi4, quand bien mme, sur le moment, nous les avons ethnologue. Le label dÕethnologue est retir tantt au nom de son objet (trop moderne, trop contemporain, trop urbain), ta ntt de sa mthode (trop interviews based comme on dit en anglais), ou de sa problmatique (trop sociologique) mais beaucoup moins souvent par la faon dont il a construit son objet (qui reste parf ois impense). De manire assez parad oxale, les discours dfendant lÕanthropol ogie Ç classique È entretiennent une confusion entre la mthode de recueil des donnes, lÕethnographie, et la construction dÕune rflexion anthropologique. Alors mme que cette dernire peut tout fait se passer dÕethnographie, au sens strict, et sÕappuyer sur des sources ou des donnes nÕtant pas issues dÕun travail ethnographique fait par le chercheur lui-mme, comme en anthropologie historique par exemple. 1 Delaporte, 1986 : 156. 2 Olivier de Sardan, 199 5 : 94 . Janet Car sten, revenant su r sa formation la Lond on School of Economics, le haut lieu de la tradition malinowskienne, crit : Ç Le projet de recherche que jÕcrivis avant de commencer mon terrain tait trs gnral (É) Les tudiants qui commenaient avec une srie de questions thoriques prcises et dj construites taient regards avec quelques mfiance. A leur retour du terrain, les tudiants de la L.S.E. devaient organiser leurs matriaux ethnographiques autour de thmes ou de sujets dtermins par des questions thoriques ou comparatives, mais ces questions mergeaient de lÕethnographie plutt que lÕinverse. È (Carsten, 2006) 3 Ptonnet, 1982. 4 Darmon, 2005 : 99. Samuel Lz dcrit ainsi comment il a transform ses Ç checs È en matriau lors de son enqute de thse auprs des psychanalystes : Ç Aucun de ces entretiens nÕa pu tre enregistr. Ils furent solds par un chec de "communication" (É) Comme ces situations difficiles se sont par la suite poursuivies, jÕai dcid dÕemble de dcrire ces situations dÕinterlocution. A dfaut dÕentretiens raliss dans les r gles de lÕart , jÕai donc recueilli les d tails souvent infimes du rappor t de force afin de lÕlucider È (Lz, 2008 : 270).
Introduction 17 surtout prouves et interprtes comme des checs, des blocages ou des erreurs personnelles. En effet, pendant lÕenqute, il est compliqu Ð surtout lorsque lÕon dbute Ð dÕen tirer parti et seul un retour rflexif permet dÕen mesurer a posteriori la richesse. Retour sur lÕenqut e diffi cile, parce que nous nÕavons pa s toujours gard une trace crite de ses errements dans la mesure o donner corps ces checs contribuait les faire exister ; alors que justement, nous cherchions plus ou moins consciemment les gommer, ce qui correspondait paradoxalement une volont de Ç bien faire È. Volont Ç scolaire È propre au dbutant qui a te ndance penser que se s a"ns , eux, ne rencontrent pas de problmes sur le terrai n1 et qui le c onduit rduire la Ç vraie enqute È s es mome nts explicites (le temps de lÕentretie n, de lÕobservation) et ngliger les ngociations pralables qui lÕont rendue possible (ou non) ; difficult qui, de notre point de vue, est dÕautant plus grande pour qui travaille sur sa propre socit dans la mesure o il nÕy a pas proprement parler de priodes de terrain Ç dlimites È par les dates dÕarrive et de dpart dÕun sjour lÕtranger. Bien quÕaucune des pistes possibl es pour apprhender la sexologie nÕait t pose comme priorit aire et que ds le dbut nous avons cherch rencontrer des patients, entrer en contact avec des sexologues est vite apparu comme beaucoup plus ais. Ce nÕest que dans un deuxime temps et notamment avec lÕaide de sexologues rencontrs que lÕenqute auprs des patients a pu Ç dmarrer È. 1.1. Un non-professionnel face des professionnels CÕest tout naturellement vers les sexologues que nous nous sommes tourns au dbut de notre enqute. Qui mieux quÕeux aurait pu nous expliquer de quoi retournait la sexologie ? En novembre 2001, Toulouse, vingt-sept professionnels taient recenss comme sexologues dans les Pages Jaunes. NÕayant pas de connaissance personnelle dans ce mil ieu ayant pu faciliter notre mise en relati on, nous avons s ollicit de s 1 Sentiment partag, concernant les entretiens, par des camarades de lÕEHESS et de lÕENS : Ç Dbutants comme professionnels rencontrent un certains nombre dÕobstacles lorsquÕils pratiquent lÕentretien. Mais lÕtudiant se trouve brutalement confront aux contraintes de la mthode : lÕentre en contact avec les agents, la prparation des entr etiens, la gestion du dcalage entre lÕinterlocu teur et lui, enfin lÕinterprtation et le contrle des discours. Ces diffrents moments paraissent plus dlicats ma"triser pour des novices qui ont une vision idalise de lÕentretien et qui ont tendance ressentir comme des entretiens rats les interactions qui ne se conforment pas cette reprsentation. NÕtant pas toujours parvenus imposer le fil conducteur et nos questions, nous avons vcu et interprt cela comme des checs lis notre situation de dbutants. Il reste que ce sont les contraintes objectives de notre position dÕapprentis-sociologues qui ont donn forme ces impressions. È (Chamboredon et alii, 1994 : 114-115).
Introduction 18 entretiens par courrier. Si un certain nombre acceptrent de nous rencontrer aprs une relance tlphonique, dÕautres refusrent prtextant le plus souvent un manque de temps ou exprimant parfois leurs doutes quant la pertinence de notre projet de recherche. Doutes que nous avions nous-mmes du mal, dans un premier temps, dissiper dans la mesure o nous ne connaissions peu prs rien de la sexologie et que notre projet nÕtait encore quÕune bauche. LÕide qui nous animait tait justement de le modifier au fur et mesure des entreti ens avec les pratic iens. Au fi nal, nous nous som mes entretenus de manire formelle ou informelle, de manire rpte ou non, avec vingt-trois sexologues entre octobre 2001 et janvier 2007. Seuls dix de ces changes ont pu tre enregistrs. Mais au-del des maladresses commises au dbut de lÕenqute, il nous semble, dÕune part, que notre e nqute auprs de s sexologues a souffe rt de dbuter dans un contexte particulier qui a certainement accentu la mfiance de nos interlocuteurs et, dÕautre part, que la diffrence entre notre position sociale et celle des professionnels que nous rencontrions impliquait un type de rapports que nous avions du mal ma"triser. Mme si les enjeux et la nature des rapports de chaque rencontre mriteraient dÕtre analyss individuellement dans la mesure o chacune des interactions recle sa part de singularit, nous ne prsentons ici que les lments les plus gnraux. 1.1.1. LÕÇ affaire Tordjman È et un numro du Point CÕest dans un contexte particulier que nous avons commenc notre enqute. En effet, quatre mois avant que nous entamions notre t errain, en juin 2001, l Õun des initiateurs de la sexologie en France, animateur des Cahiers de sexologie clinique et auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation, le Dr Gilbert Tordjman, tait suspendu par lÕOrdre des mdecins suite la plainte de lÕune de ses patientes qui lÕaccusait de lÕavoir abuse sexue llement pendant les consultations . LÕ Ç affaire Tordjman È commenait tout juste et tait loin dÕtre termine puisque le mdecin accus, aprs avoir t mis en examen en mars 2002, a t renvoy devant les assises le 21 dcembre 2006. Cette Ç affaire È suscite, lÕpoque, et la suite de celui provoqu par la mise sur le march du Viagra¨ en 1999, lÕintr t des journalistes pour la se xologie e t s es objectifs. Le traitement de l a question par les journalistes se fait plutt de mani re accusatoire. Par exemple, le quotidien Le Monde titre en septembre 2001 : Ç Malgr son
Introduction 19 succs, la sexologie a du mal gagner en respectabilit È1 , tandis que lÕhebdomadaire Le Point sort, en aot 2002, un numro i ntitul : Ç Sexologie. Enqute sur une profession suspecte È2. Certains sexologues ayant accept de participer ce numro sÕtaient dÕailleurs sentis trahis par lÕorientation polmique du dossier. Bien quÕaucun des sexologues contacts et/ou rencontrs nÕait explicitement fait rfrence ce contexte, il est certain que celui-ci a pes sur la dcision dÕaccepter ou non de nous rencontrer et, lorsquÕun entretien avait lieu, sur son droulement et sur le discours qui nous tait tenu. On peut par exemple penser que le fai t que plusie urs sexologues aient refus que nos changes soient enregistrs, ou quÕune autre nous ait plusieurs fois demand ce que nous allions faire de notre enregistrement, en sÕinquitant de sa diffusion, illustre une crainte quant la possibilit que ces donnes puissent tre utilises Ç charge È. Plus gnralement, dans un tel contexte, renforc quelques temps plus tard par le dbat sur lÕefficacit des psychothrapies et les discussions autour de lÕamendement Accoyer visant encadrer lÕexercice des psychothrapies, ce sont des tentatives dÕvaluation dont les sexologues semblaient se mfier. Malgr nos tentatives pour faire comprendre que notre projet nÕtait en aucun cas de cet ordre et que les questions concernant lÕefficacit des thrapies et la dontologie nÕtaient ni lÕune ni lÕautre les ntres, il e st toujours res t un fond de mfiance ou de circonspection autour de notre projet ; comme sÕil nÕexistait pas dÕautre statut possible donner lÕenquteur que celle de lÕvaluat eur ou de l Õinspect eur3. Mme aprs avoir pass du temps frquenter les colloques professionnels et avoir fait connaissance avec plusieurs praticiens , nos vises nÕta ient pas bien claires pour certains. Ainsi, lors dÕune discussion collective en marge dÕun colloque, un sexologue ayant pass une dizaine de minutes raconter sa mise en couple, aprs divorce, avec lÕune de ses consÏurs et la recomposition familiale qui sÕen tait suivie, arrte son rcit en sÕapercevant que nous tions prsent et sÕexclame sur un ton humoristique : Ç Mais mieux vaut-il que je mÕen tienne l sinon les sexologues vont encore passer pour des gens aux mÏurs bizarres ! È 1 Le Monde, 2001. 2 Le Point, 2002. 3 Ce qui nÕest pas s pcifique notre enqute et est une situation frquemment ren contr e par les enquteurs sur leur terrain. La position du chercheur se rapproche de celle de lÕenquteur au moment de ngocier des entretiens puisquÕil soll icite un informateur au bnfice de sa propre recherche, la diffrence du professionnel de sant qui est sollicit par le patient et qui compte tirer un bnfice de la consultation. Sur le parallle entretien / interrogatoire, voir Blanchet & Gotman, 1992 : 19.
Introduction 20 Double clin dÕÏil renvoyant lÕimage convenue de lÕethnologue des contres lointaines mais aussi celle du sexologue dont les mÏurs sont justement frquemment mises en cause dans lÕimaginaire collectif. 1.1.2. SÕentretenir avec les professionnels : un rapport ingalitaire La sociologie et l'anthropologie sociale sont plus habitues prendre pour objet des groupes Ç domins È. LÕanthropol ogie sÕest mme dveloppe da ns un contexte dÕingalit entre lÕobservateur et lÕobserv1. Ainsi, que lÕethnologue tudie une tribu lointaine, un groupe de SDF, des ouvriers, ou travaille dans un camp de rfugis ou un village rural Ð groupes auxquels on ne demande gnralement pas d'autorisation2Ð, sÕil y a une ingalit de rapports entre lÕenqut et l'enquteur, celle-ci est en sa faveur et se fonde sur une distance sociale importante entre les deux. Enquter auprs de professionnels occupant une position de domination a en effet des consquences sur la mani re dont se droulent les entretiens et les observations. LÕcoute et lÕintrt que nous ont port les sexologues au dbut de notre enqute ont t tout relatifs. Le rapport domin/dominant tait en tous points notre dsavantage et tait redoubl par nos propres i ncertit udes Ç intrieures È qui participaient au fait que nous tions impre ssionn e t que nous intriorisions la domination3. Not re posture supportait une double illgit imit : cell e qui nous tait impose Ç de lÕextrieur È par les sexologues eux-mmes, puisquÕils ne comprenaient pas vraiment comment nous pouvions travailler sur la sexologie sans tre du srail, celle que nous nous imposions Ç de lÕint rieur È puisque nous ne nous considrions pas comme un Ç professionnel È et du coup ne trouvi ons pas l es ressources pour nous Ç imposer aux imposants È4. Ainsi, pour exemple, quel ne fut pas notre dpit lorsque, heureux dÕtre reu, Paris, par un Ç ponte È historique de la discipline, il nous fit comprendre quÕil nÕtait pas intress pour nous accorder un entretien plus approfondi parce que celui-ci ne 1 Godelier, 1993 : 1184. 2 Darmon, 2005. 3 Des camarades de lÕENS et de lÕEHESS, rendant compte de leurs enqutes auprs de Ç dirigeants È et Ç donneurs dÕordre È de diffrents milieux notent trs justement : Ç Cette domination est dÕautant plus complexe quÕelle comporte une part de subjectivit. Rencontrer une personne "imposante", cÕest saisir un ensemble dÕattributs et dÕattitudes qui fondent le prestige social. Selon les positions de lÕenquteur, celui-ci intgrera plus ou moins cette imposition et, partant, intriorisera plus ou moins la domination. È (Chamboredon et alii, 1994 : 116) 4 Ibid.
Introduction 21 sÕintgrait pas dans un projet de publication. Il avait cru que nous prparions un livre dÕentretiens et que son nom appara"trait. Dans un premier te mps, nous avons v cu cette s ituation sociologique e t les rapports quÕimpliquait notre enqute comme une situation dÕchec et nous avions la sensation de ne pas russir mener de Ç bons entre tiens È : nous nous retrouvions, dbutant et peu assur de notre ident it profe ssionnelle, face des prof essionnels reconnus, au minim um par le fait quÕils a vaient un statut public de thrapeute, sÕappuyant sur des diplmes et sur une pratique, et pour certains dÕentre eux par le fait que cette reconnaissance tait renforce par une notorit publique et/ou mdiatique. LÕobjectivation de ces diffrentes situations dÕenqute (dont il ne faut pas, malgr leurs points communs, nier la variabilit selon la formation initiale du thrapeute, son sexe, son ge et le moment de lÕenqute o la rencontre avait lieu) tait trs difficile faire dans la mesure o nous cumulions justement un certain nombre de handicaps. Reu dans le cabinet des praticiens et pendant leurs horaires de consultation, install la place du patient, nous avions plus lÕimpression de subir lÕentretien plutt que de le diriger et il tait trs difficile, nÕtant pas mdecin ou psychologue, de lgitimer notre approche. De fait, au tout dbut de notre enqute, les renseignements que nous avons pu recueillir sur la pratique de la sexologie, sur les pratiques thrapeutiques, taient assez convenus et trs gnraux. Les sexologues interrogs rpondant souvent a minima, ou usant de stratgies pour ne pas avoir donner leur avis ou expliciter clairement leur technique. LÕune de ces stratgies consistant notamment pointer la singularit des situations (Ç il nÕy a pas de gnralits È, Ç chaque cas est diffrent È), valorisant ainsi implicitement la pratique clinique face lÕethnologue qui, lui, nÕy a pas accs. Paradoxalement en effet, interroger ce type de professionnels sur leur pratique sans rien conna"tre de leur pratique (ce qui tait notre cas en dbutant lÕenqute), ne faisait que renforcer lÕingalit de statut et ne nous permettait pas de fonder un dialogue galitaire. Or, comme le note Jean-Pierre Olivier de Sardan, dans ce genre de situation, plus on a le sentiment dÕavoir affaire un Ç tranger incomptent È, plus on peut lui raconter des histoires1. Ayant commenc trs tt les entretiens avec les sexologues, nous rendions sans le savoir nos rencontres avec eux moins productives dans la mesure o nous nÕavions pas de base pour d battre. Ce nÕes t quÕau fur et mesure de notre enqute, de nos lectures, que nous avons pu tendanciellement transformer la nature des 1 Olivier de Sardan, 1995 : 87.
Introduction 22 situations et arriver un dialogue plus fructueux avec les professionnels, ne serait-ce quÕen pouvant dbattre avec eux de leur pratique, de la situation de leur discipline, des situations de recours, du profil des pa tients, etc. Bien que le s s exologues aient t interrogs au titre de Ç consultants È1, dans lÕidal il aurait fallu Ç savoir pour pouvoir savoir È et nous lÕavons appris nos dpens2. Tirer le meilleur parti de ces interactions ncessite en effet dÕtre soi-mme assez assur pour rtablir un quilibre dans la relation. Dans ce type de contexte o les acteurs ma"trisent leur parole, leur prsentation de soi a insi que le s informations quÕils di vulguent, lÕe nqute est dÕauta nt plus productive quÕelle prend la forme dÕune collaboration dans la mesure o le s interlocuteurs ma"trisent les enjeux de ce type dÕinteraction sociale quÕest lÕentretien (puisquÕils la mettent en Ïuvre tous les jours dans leur pratique clinique). Le type de re lations que nous entret enions avec les sexologues, ai nsi que l e cadre dans lequel se faisaient le plus souvent nos rencontres, ne permettaient pas par ailleurs dÕobtenir beaucoup dÕinformations sur leurs parcours personnel et biographique. NÕayant aucune compte nce mdicale ou psychologique sanctionne par un diplme, lÕattitude des sexologues portant le plus dÕintrt notre travail consistait adopter une posture professorale et nous renvoyer notre statut dÕtudiant en nous proposant de lÕaide (Ç on va vous aide r pour votre tude È), en nous donnant des conseils de lectures, en nous proposant de relire notre t ravail une fois quÕil serait termin, etc. Cette attitude tait largement favorise par la diffrence dÕge. DÕailleurs, quand il nous a t donn de rencontrer de jeunes sexologues, les rapports avec ceux-ci prenaient une tournure diffrente. 1.1.3. LÕobservation des consultations : analyse dÕun refus LÕessentiel de la pratique de la sexologie sÕeffectue en libral dans lÕespace priv du ca binet de ville. Cet espa ce thra peutique est dÕaccs trs diffi cile pour le non-thrapeute et dÕailleurs nous nÕavons pas cherch y accder, intriorisant et anticipant en cela le discours des thrapeutes eux-mmes sur la dontologie, le respect du secret professionnel, etc. Toutefois une possibilit dÕobservation existait. En effet, bien que peu implante lÕhpital (dÕaccs plus facile pour le chercheur dans la mesure o il est un lieu de recherche en plus dÕtre un lieu de soins), il existe Toulouse quelques 1 Olivier de Sardan, 1995 : 81. 2 Comme le note Samuel Lz, propos de son enqute auprs des psychanalystes : Ç Tel est le paradoxe du cercle anthropologique : pour entrer sur le terrain et obtenir le "droit dÕentre", il faut y tre dj un peu et possder le "mot de passe". È (Lz, 2008 : 265)
Introduction 23 consultations hospitalires de sexologie. LÕune dÕentre elles est gratuite et anonyme et fait justement lÕobjet dÕune observation par les tudiants de lÕun des deux diplmes de sexologie. Le dispositif, tel quÕon nous lÕa dcrit, est le suivant : derrire une glace sans teint, les tudiants peuvent observer et couter la consultation. Le patient est inform du fait quÕil peut tre observ, cÕest ce titre quÕil ne paie pas et que la consultation est anonyme. Un micro pos sur la table de la salle de consultation est dÕailleurs l pour rappeler le contexte dans lequel sÕinscrit la consultation. Malgr le fait que nous ayons obtenu lÕaccord du chef de service, que les prcautions dontologiques et thiques aient t prises, le responsable de cette consultation ne nous a pas donn lÕautorisation dÕy assister, jugeant notre enqute Ç non pertinente È et e stimant que quelques mois dÕobservations ne nous permettraient pas de pouvoir en comprendre quelque chose. Ce qui est intressant cÕest que, par ces paroles, notre interlocuteur ne se prononait pas en fonction dÕarguments dontol ogiques mais sur le proje t de rec herche lui-mme, affirmant non seulement ses comptences sexologiques mais aussi sociologiques. Sur le moment, nous avons vcu ce refus dÕobservation avec amertume sans en comprendre totalement les enjeux. Il nous semble maintenant que celui-ci sÕexplique, du moins en partie, par la position occupe par le sexologue lui-mme dans le champ de la sexologie. En effet, ce sexologue nÕest pas lui-mme mdecin ni psychologue mais a reu pour formation initiale une formation de sociologue1. Or, en France, la sexologie est fortement domine par les mdecins (prs de 60% des praticiens sont mdecins gnralistes ou spcialistes2) et dans une moindre mesure par dÕautres professionnels de sant dont les psychologues. Se trouvant lui-mme marginalis au sein de la discipline3, nous refuser lÕaccs aux consultations lui permettait de raffirmer son appartenance professionnelle, dÕen souligner les frontires, nous rejetant par l-mme lÕextrieur de ces limites. Accder des patients et aux rcits de troubles sexuels tait ainsi pos comme lÕune des cara ctristiques dfinissant la profession, au-del de la forma tion disciplinaire initiale. Nous exclure du dispositif dÕobservation destin aux personnes suivant la formation de sexologie permettait en mme temps de marquer lÕimportance de ces observations pour la formation. 1 Muriel Darmon, analysant un refus de terrain de la part dÕun mdecin lors de son enqute sur lÕanorexie, montre elle aussi que celui-ci est pourtant sensible dans ses publications lÕapport des sciences sociales (Darmon, 2005 : 105) 2 Pour une prsentation de lÕorganisation de la profession en France, voir infra. 3 Marginalit illustre par son absence lors des diffrents congrs professionnels la mme anne.
Introduction 24 Une autre occasion dÕobservation sÕest prsente lors dÕun sjour Paris au mois de juillet 2003. Un sexologue avait une vacation de consultation gratuite dans un centre de sant communautaire et nous avait propos dÕy assister. Malheureusement, en ce mois de juillet caniculaire, la frquentation tait au plus bas et seule une demi-dizaine de personnes vinrent consulter. Notre emploi du temps ne nous permit dÕassister quÕ une seule consultation (situation n¡27)1. 1.1.4. Colloques et congrs : au cÏur de lÕarne sexologique En plus des rencontres en face face avec les sexologues, nous avons observ et particip des colloques, congrs professionnels et des runions publiques en 2004 et 2005 (n = 5). Colloques et congrs constituent une part non ngligeable de lÕactivit professionnelle et scientifique et, c e titre, le ur observation est importante pour comprendre la Ç gographie È dÕun cham p dis ciplinaire parti culier et pour saisir les tensions qui le traversent2. La participati on ces diffrents rassemblements nous a permis de nous familiariser avec la faon de penser des sexologues, de saisir la pratique sexologique, dÕen saisir les enjeux et de distinguer les diffrentes tendances et coles, mais aussi de mieux nous intgrer la communaut sexologique. LÕaccs ces manifestations tant dÕun cot lev pour notre budget, il a fallu pour accder celles-ci que nous bnficions du Ç parrainage È dÕun psychosociologue (Alain Giami) travaillant sur le champ depuis plusieurs annes pour tre invit et tre exempt des frais dÕinscriptions. Pour les congrs annuels 2004 et 2005 de lÕAssociation Inter-Hospitalo-Universitaire de Sexologie, nous avions propos des communications. Nous nous retrouvions donc dans une situation assez inconfortable puisquÕil sÕagissait de rendre compte de notre recherche devant les principaux protagonistes du phnomne que nous nous proposions dÕtudier. 1 Les tableaux 7 et 8, en fin de chapitre, synthtise lÕensemble des situations de recours que nous avons tudies. 2 Sur les congrs dans le champ des prises en charge Ç psy È voir Lz, 2004 et 2010 ; sur les congrs dans le champ de la sexologie, voir Giami, 2009b.
Introduction 25 Tableau 1: Congrs, colloques et manifestions de sexologie ayant fait lÕobjet dÕune observation 1.2. Recueillir des cas de recours 1.2.1. Mettre en place un dispositif de recrutement Ds le dbut de notre terrain, nous avons cherch rencontrer des patients pour nous entret enir avec eux. Si enquter auprs des sexologues com portait que lques difficults, recueillir le tmoignage de patients sÕest avr trs laborieux. Le sujet de notre recherche nÕtant pas, il faut bie n le dire, trs valori sant pour les ventuels participants1. La mthode du recrutement par interconnaissances, frquemment utilise par les recherches socio-anthropologiques de ce type, sÕest avre peu fructue use puisquÕelle nous avait permis, deux ans aprs le dbut de notre enqute, de ne rencontrer que deux personnes acceptant de faire un entretien (situations n¡ 1 et 2). Les annonces passes dans la presse (deux fois dans le journal Libration) nÕont, quant elles, rien donn. Celles dposes sur les forums dÕune cinquantaine de sites Internet ddis la sant nÕont suscit que quelques rponses parfois farfelues qui nÕont jamais conduit un entretien. Toutefois, nous avons pu changer avec quelques personnes lors de trs brves correspondances de mails (situations n¡24, 29, 30, 31 et 32). Nous avons galement eu des discussions inf ormelles avec des personnes rencontres lors de soires, de moments de convivialit, etc. qui nous ont permis de recueillir des donnes trs partielles sur des situations de rec ours (sit uations n¡23, 25, 26 et 28). CÕest finalement par le biais des professionnels que nous avons pu recruter la majorit de nos informateurs. Il a fallu du temps puisque cela ne pouvait se faire quÕ partir du moment o notre intgration auprs dÕeux tait suffisante. Mais lÕlment dclencheur a t, l encore, lÕaide dÕAlain Giami qui, un colloque en 2004, a explicitement demand un 1 Comme le note Grard Mauger, les personnes ont dÕautant plus de chance de participer lÕenqute que celle-ci permet de les Ç grandir È (Mauger, 1991). Intitul de la manifestation Entit organisatrice Dates Sant sexuelle, du corps au dsirÉ 34ime sminaire de l'AIHUS Association Inter Hospitalo-Universitaire de Sexologie 18-20 mars 2004 La sexualit aprs 40 ans, ides vraies, ides fausses Laboratoire GSK 18 mai 2004 De la sexologie la sant sexuelle, 30 ans de combat. XXIXime congrs annuel de la SFSC Socit Franaise de Sexologie Clinique 18-19 juin 2004 Sexe et psychiatrie Ecole franaise de sexologie 10-11 dcembre 2004 La condition masculine. 35ime sminaire de l'AIHUS Association Inter Hospitalo-Universitaire de Sexologie 10-13 mars 2005
Introduction 26 sexologue de me mettre en contact avec ses patients. Celui-ci accepta de mettre en place dans son cabinet un dispositif de recrutement pendant six mois. Il nous a par ailleurs recommand auprs de deux consÏurs qui ont galement accept de nous aider sur une priode plus courte. CÕe st par ce dispositif que nous avons re cueilli le plus de cas (situations n¡3-22). Au final , au-del des dix situations trs partielles qui nous ont donn des lments gnraux, nous avons recueilli des informations sur vingt-deux situations de recours (deux en 2003 par interconnaissance, vingt par le biais du dispositif dpos chez les sexologues entre mai 2004 et juillet 2005). !"#"!"!"$%&'()*+,+-.*$/0$/-(1.(-+-2$$Le dispositif que nous avons mis en place chez les sexologues visait pouvoir recruter, sur la base du volontariat, des personnes ayant eu recours un sexologue. Pour ce faire, de brefs questionnaires dont lÕobjectif tait de proposer un entretien ont t mis la disposition des patients de trois sexologues : deux mdecins gnralistes (MG1, MG2), exe rant Toulouse et une psychothrapeute (PT), exe rant dans une ville moyenne de la rgion. Les trois sexologues (un homme et deux femmes) avaient le choix de dcider de la manire dont ils mettraient les questionnaires disposition de leurs patients. A prs quelques lignes prsent ant la vise gnrale de l a recherche, quelques brves questions anonymes portant sur lÕanne de naissance, la profession et le motif de consultation, la possibilit de participation lÕenqute tait prsente sous la forme dÕune proposition dÕentretien. Les personnes volontaires pouvaient laisser leurs coordonnes tlphoniques. Une fois le questionnaire rempli, des enveloppes adresses notre nom permettaient de rendre le questionnaire sous pli au sexologue, sans que celui-ci ne puisse prendre connaissance des rponses de son patient. Les questionnaires relevs chez les diff rents sexologues, nous contactions le s personnes acceptant de participer lÕenqute par tl phone pour le ur proposer un rendez-vous. En ca s dÕabsence, nous laissions si possible un message sur le rpondeur. La rgle tait de ne pas rappeler les personnes plus de trois fois, considrant que si elles ne rpondaient pas cela signifiait quÕelles ne voulaient plus participer. !"#"!"#"$322-4,4-+'$/0$/-(1.(-+-2$Le tableau 2 reprend, se xologue par sexologue, le nombre de ques tionnaires recueillis et le nombre final dÕentretiens obtenus. On y distingue par ailleurs les refus
Introduction 27 directs dÕentretiens explicitement formuls dans le questionnaire et les refus et abandons survenus au moment d e la prise de conta ct. Il est int ressant de noter quÕavant les abandons en cours de parcours, plus de la moiti des rpondants dclarent dans un premier temps accepter de nous rencontrer. Tableau 2 : Rpartition des questionnaires recueillis par sexologues Comment interprter ce dcalage entre le nombre de rponses positives et le nombre effectif dÕentretiens raliss ? On peut supposer que ces cas sont pour la plupart des rtractations dguises. Le dlai entre la rponse au questionnaire et la prise de contact a pu galement suffire faire changer dÕavis certaines personnes puisque nous ne passions pas quotidiennement chez les sexologues relever les questionnaires. Au final, le dispositif de recrutement des patients a t relativement efficace puisque vingt entretiens ont t raliss sur un nombre total de questionnaires recueillis de quatre-vingt : huit avec des hommes, huit avec des femmes, quatre avec des couples. Le tableau 3 montre la rpartition des ent retiens par sexol ogue. Le nombre gal dÕentretiens mens avec des femmes et avec des hommes pourrait laisser penser que les questionnaires se distribuaient quitablement entre hommes et femmes. En fait il nÕen est rien, puisque les hommes sont deux fois plus nombreux avoir rpondu a u questionnaire. Notons donc le Ç taux dÕabandon È plus important pour les hommes que pour les femmes. MG1 MG2 PT TOTAL Nombre de questionnaires recueillis 30 31 19 80 Nombre de refus directs formuls dans le questionnaire 9 12 2 23 Nombre dÕabandons survenus lors de la prise de contact 16 10 11 37 Entretiens mens 5 9 6 20
Introduction 28 Tableau 3 : Rpartition des entretiens raliss par sexologue Entretiens hommes femmes couples MG1 3 2 ! MG2 4 2 3 PT1 1 4 1 TOTAL 8 8 4 !"#"!"5"$6,$70)(+-.*$/)$8,$&)1&'()*+,+-9-+'$Du point de vue du recrutement, la mthode et les diffrentes manires de faire passer le questionnaire impliquaient des biais concernant les donnes recueillies. Dans les trois situa tions, le recrute ment sur la base du volonta riat amne bie n sr questionner les motivations des personnes acceptant de tmoigner et se demander si les personnes interroges refltent bien la clientle standard des sexologues. Ce biais est consubstantiel aux enqutes de ce type, mme quand elles recrutent par interconnaissance. Et de ce point de vue la manire utilise pour faire passer le questionnaire (en libre accs pendant six mois chez un des sexologues, distribu presque systmatiquement par la secrtaire pendant un mois chez le second, donn en main propre ce rtains pa tients sur un trimestre chez le troisi me) influe finalement peu puisquÕen dernier ressort cÕest le patient lui-mme qui dcidait de nous rencontrer ou non. Par ailleurs, nous ne visions pas atteindre une reprsentativit de type statistique puisque nous cherchions interroger des situations et questionner des reprsentations. LÕobjectif tait de recueillir des cas1 de recours quotesdbs_dbs2.pdfusesText_4