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Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2005, 4 (1)
LES RACES DE CHIENS DANS LA LITTERATURE NATURALISTEFRANCAISE DU XVIII
ème
SIECLE
____________________________________ par Hélè ne Nunes et C. Degueurce Docteur vétérinaire, 174 rue d'Aulnay 92350 Le Plessis Robinson ; helene.nunes@laposte.netProfesseur, Musée Fragonard, Ecole Nationale Vétérinaire d'Alfort, 7 avenue du Général de
Gaulle, 94704 Maisons-Alfort ; cdegueurce@vet-alfort.fr. Communication présentée le 28 mai 2005.Sommaire : La littérature naturaliste française du XVIIIème siècle a ménagé une large place aux animaux
domestiques, et notamment au chien, animal d'utilité de première importance à cette époque. Les auteurs ont
consulté l'ensemble des ouvrages naturalistes conservés dans le fonds ancien de la bibliothèque de l'Ecole
d'Alfort. Ils ont pu identifier les descriptions de vingt-deux races de chiens. Elles se répartissaient dans trois
grands groupes : les chiens de berger, de garde et d'utilité, les chiens de chasse, et les chiens de compagnie ou
d'agrément. Ces races de chiens devraient plutôt être considérées comme des types morphologiques, car les
descriptions étaient sommaires et les types n'étaient pas fixés. Cependant l'importance du chien dans la société de
l'époque était déjà incontestable.Mots clés : Dix-huitième siècle - Histoire - Chiens de berger - Chiens de chasse - Chiens de compagnie
_____________________________________ Title: Dog breeds in the eighteen century as described in French naturalistic literature.Content: The French naturalistic literature of the 18th century was particularly involved in describing th
e domestic animals. The authors studied all the relevant books available in the Alfort National Veterinary School
lbrary to describe 22 dog breeds. Three groups were defined: sheep/guard dogs, hunting dogs and pet dogs.
History, morphology
and uses of each breed were specified.These dog breeds were considered to be morphologicaltypes; descriptions were scanty and standards had not been established. Nevertheless dog importance in the 18th
century society was already indisputable.Key words: Dog breed - Eigh
teen century - History - Pet dogs - Sheep dogs - Hunting dogsLes premiers exemples de classement des
races canines en fonction de leur emploi remontent au XIV e siècle dans le Livre de la chasse de Gaston Phoebus, comte de Foix, puis au XVI e siècle dans l'ouvrage de DuFouilloux [17]. Ces classements évoluèrent
au cours des siècles et particulièrement au XIX e siècle grâce au travail de PierreMegnin, vers 1890, ainsi qu'à celui de Le
Coulteux de Canteleu et son ouvrage
intitulé Manuel de la Vénerie française, publié en1870, à une époque où les expositions canines devenaient de plus en plus courantes. La première eut lieu à 75Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2005, 4 (1)
Londres en 1861. En France, ce fut à Paris,
en 1863, au Jardin d'Acclimatation, tandis que les premières sociétés canines britannique et française élaboraient les standards d'un certain nombre de races.Mais les standards ne furent fixés qu'au
XX e siècle, même si, par la suite, ils continuèrent d'évoluer.Le XVIII
e siècle, siècle des Lumières, est la période choisie pour cette étude consacrée aux races de chiens, car ces animaux étaient déjà le sujet de nombreux ouvrages. Les auteurs tels que le Comte de Buffon,Valmont de Bomare, Daubenton, Buc'hoz
(Buchoz), Diderot et d'Alembert, publièrent des textes assez généralistes. Ils envisageaient le chien parmi d'autres animaux, alors que d'autres ouvrages (spécialement de vénerie) ne traitaient que des chiens de chasse.Cet exposé, qui résume l'essentiel d'une
thèse de Doctorat vétérinaire parue en 2005 [24], a pour objectif de réunir et de présenter les caractéristiques tant morphologiques qu'utilitaires des chiens présents en France au XVIII e siècle.METHODE
La majorité des ouvrages référencés dans cette étude proviennent du fonds ancien de l'Ecole Nationale Vétérinaire d'Alfort (ENVA). Seul l'ouvrage de Cuvier provient du fonds numérisé de la BibliothèqueNationale de France.
Les ouvrages du fonds ancien de l'ENVA
sont rangés par siècle et sont à dominante naturaliste et vétérinaire. La recherche présentée ici s'est limitée à une trentaine d'ouvrages, considérés comme les plus significatifs du XVIII e siècle. Comme ces ouvrages sont fragiles, la photocopie était impossible et ils ont donc été photographiés, ces photos servant ensuite à leur étude.Nous n'avons pas rencontré d'ouvrage
spécifiquement consacré au chien. Les oeuvres écrites par le comte de Buffon [8],Valmont de Bomare [29], Buchoz [7],
Diderot et d'Alembert [16] étaient
généralistes et constituaient des formes d'encyclopédies. Au contraire, d'autres auteurs comme D'Yauville [11] ou Gaffet de la Briffardière [18] ne traitaient que de la chasse, et donc des chiens de chasse. Dans un autre ouvrage, Daubenton ne traitait que des chiens de berger [14].Notre travail a laissé une large place aux
citations des auteurs, citations que nous avons collationnées et agrémentées des illustrations provenant en partie des photographies faites à partir des ouvrages du fonds ancien de l'ENVA, et l'autre partie du fonds numérisé de la bibliothèque de l'Ecole Nationale Vétérinaire de Lyon.LES NOTIONS D'ESPECE ET DE
RACE - EVOLUTION DU CHIEN ET
DISTINCTION DES RACES
Avant d'énumérer les races de chiens, il est nécessaire de présenter brièvement les notions de classification utilisées par les naturalistes du XVIII e siècle, et tout particulièrement le classement de Buffon relatif aux influences du climat qui fut constamment repris par ses contemporains.Il conditionne la présentation des races
canines.Nomenclature
La classification de Linné était évoquée dans le Système naturel du règne animal [5]. Le chien appartenait à la classe desQuadrupèdes et plus précisément des
Quadrupèdes digités. Les naturalistes
regroupaient dans le genre Caninum, les chiens domestiques, le loup, le renard.Buffon [8] avait essayé en vain d'accoupler
le renard et le chien, ainsi que le loup et le chien. Il en conclut que le chien n'était pas le descendant du loup ou du renard et que ces animaux n'avaient aucun lien. Il 76Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2005, 4 (1)
s'agissait selon lui d'espèces distinctes, et il s'opposait ainsi à la classification de Linné.Chaque espèce animale recevait une
dénomination particulière et il évitait les noms composés. Les animaux étaient présentés dans un ordre déterminé par la nature de leurs rapports avec l'homme, et quelquefois de leurs rapports entre eux.Pour la grande majorité des auteurs, la
notion d'espèce était déjà bien acquise. Ilétait admis que les animaux d'une même
espèce avaient une anatomie constante, pouvaient se reproduire entre eux et donner des sujets féconds. Les chiens faisaient donc partie du même groupe car ils répondaient à ces règles, même si des différences morphologiques importantes existaient, impliquant notamment la taille et la conformation. La notion de race était également acceptée.Deux individus de même race produisaient
des descendants identiques à leurs géniteurs, alors que le croisement de deux individus de races différentes restait aléatoire [4]. Ce descendant était appelé " métis ».Buffon dénombrait dix-sept races
principales de chiens et treize variétés de métis. Les dix-sept races étaient le chien de berger, le chien-loup, le chien de Sibérie, le chien d'Islande, le chien de Laponie, le mâtin, les lévriers, le grand Danois, le chien d'Irlande, le chien courant, les braques, les bassets, les épagneuls, le barbet, le petitDanois, le chien-turc et le dogue.
Les treize autres races métisses étaient le
chien-turc métis, le lévrier à poil de loup, le chien-bouffe, le chien de Malte ou bichon, le roquet, le dogue de forte race, le doguin, le chien de Calabre, le burgos, le chien d'Alicante, le chien-lion, le petit barbet et l'artois. Selon Buffon [8], à l'origine, les différents croisements étaient dus au hasard. Mais, pour les chiens de compagnie, les croisements étaient recherchés afin de créer de nouvelles races. Au contraire les chiens de chasse qui avaient des qualités avérées étaient constamment perpétués. Ils n'étaient pas mélangés afin de ne pas les dégénérer.Origine des chiens selon Buffon
Buffon tenta de décrire et d'expliquer
l'évolution des races canines. Sa théorie fut reprise dans le Cours d'Histoire Naturelle [2], par Buchoz [7], Delisle de Sales [15] etValmont de Bomare [29, 30, 31].
Buffon estimait que les trois causes de
variation de l'animal étaient le climat, la nourriture et la domestication et que chaque espèce domestique avait une origine sauvage.Il appliqua ces principes pour décrire
l'évolution du chien. Il rechercha le chien qui ressemblait le plus au chien primitif, et devait donc être proche des chiens sauvages, ou qui étaient retournés à l'état sauvage. Ceci correspondait, selon lui, au chien de berger. Ce chien avait de plus l'avantage d'être utile à l'Homme par son instinct naturel le conduisant à garder le troupeau.Pour Buffon, le chien de berger ou chien de
Brie était le vrai chien créé par la Nature, la souche et le modèle de l'espèce entière. Ce chien de Berger aurait ensuite dégénéré par influence du climat des lieux de vie de l'animal, et cette dégénérescence aurait étéà l'origine des races appelées principales
(énumérées précédemment).Pour donner une idée plus précise de cette
évolution, Buffon avait construit une table,
une sorte d'arbre généalogique, orientée comme une carte géographique (figure 1).Sa lecture était simple : le chien de Berger
était la souche de l'arbre ; les races inscrites au-dessus du chien de Berger avaient été transportées au Nord et celles inscrites au- dessous avaient été transportées dans le Midi. 77Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2005, 4 (1)
Figure 1 : Table de l'ordre des chiens [ in 8].
Buffon prenait quelques exemples pour illustrer la structure de cette table de l'ordre : " Le Chien de Berger est la
souche de l'arbre : ce chien transporté dans les climats rigoureux du nord, s'est enlaidi et rapetissé chez les
Lapons, et paraît s'être maintenu, et même perfectionné en Islande, en Russie, en Sibérie, dont le climat est un peu
moins rigoureux, où les peuples sont un peu plus civilisés. Ces changements sont arrivés par la seule influence de
ces climats, qui n'a pas produit une grande altération dans la forme ». Les chiens de Laponie, d'Islande et de
Sibérie sont ainsi placés au-dessus du chien de berger sur la figure 1. " Le même Chien de Berger, transporté dans
des climats tempérés, et chez des peuples policés, comme en Angleterre, en France, en Allemagne, aura perdu son
78Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2005, 4 (1)
air sauvage, ses oreilles droites, son poil rude, épais et long, et sera devenu dogue, chien courant et mâtin, par la
seule influence de ces climats » etc.