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Cours de M. Didier LAPEYRONNIE, Sociologie Générale, Licence 3 année universitaire 2005-2006

Université Victor Segalen Bordeaux 2

Faculté des Sciences de l'Homme

Département de Sociologie

L

ICENCE DE SOCIOLOGIE

A

NNÉE UNIVERSITAIRE : 2005-2006 S

OCIOLOGIE GÉNÉRALE

DIDIER LAPEYRONNIE

SOCIOLOGIE GÉNÉRALE

Sociologie Générale, Licence 3, 2005-2006

M. Didier Lapeyronnie

-2-

SOMMAIRE

Introduction

I - LE SOCIOLOGUE, LA SOCIOLOGIE ET LA VIE SOCIALE II - LA THÉORIE SOCIOLOGIQUE a. Qu'est-ce que la théorie ? b. Les spécificités de la théorie III.

LA CONDITION MODERNE

a. deux formes d'existence sociale b. la rupture entre l'objet et le sujet c. l'ambivalence de la vie sociale moderne IV.

LES DÉBATS SOCIOLOGIQUES CONTEMPORAINS

Première Partie : Les Institutions

1.

LA SOCIÉTÉ ENTRE LA NATION ET LES INDIVIDUS

a. La formation des sociétés nationales b. Les sociétés modernes et l'émergence de l'individu 2.

L'INTÉGRATION

a. l'anomie permanente b. l'institution de l'ordre social c. la morale, l'éducation et l'intégration 3. LA SOCIOLOGIE DE LA SOCIÉTÉ : LA SYNTHÈSE FONCTIONNALISTE a. les rôles sociaux b. culture, personnalité et société c. la socialisation d. du modèle à la complexité sociale

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Deuxième partie : Les classes sociales

1.

LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE ET CAPITALISTE

a. la " tragédie » de la modernité b. la société industrielle et la question sociale 2.

CLASSES ET LUTTES DE CLASSES

a. le travail aliéné b. les classes sociales 3. LA SOCIOLOGIE DES CLASSES ET DES CONFLITS DE CLASSES a. les inégalités de classes et leur reproduction b. existe-t-il encore des classes ? c. les luttes de classes et les mouvements sociaux d. conflits de classes et conflits sociaux

Troisième partie : Les structures du pouvoir

1.

SOCIALISATION ET INDIVIDUALISME

a. La conception classique de la socialisation b. La conception structurale 2. LE STRUCTURALISME DE LÉVI-STRAUSS À BOURDIEU a. L'analyse structurale b. Les principes du structuralisme c. Le structuralisme génétique de Pierre Bourdieu

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Bibliographie

Pour une approche générale de la sociologie contemporaine vous pouvez utiliser : Danilo Martuccelli, Sociologies de la modernité, l'itinéraire du XX

ème

siècle, Paris, Gallimard, 1999.
Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, 1967 Pour une vue de la sociologie française contemporaine : Pierre Ansart, Les sociologies contemporaines, Paris, Le Seuil, 1990.

Dans la littérature américaine récente :

Jeffrey Alexander, Twenty Lectures, Sociological Theory Since World War II,

New York, Columbia University Press, 1987.

Randall Collins, Four Sociological Traditions, New York,

Oxford University Press, 1994.

Jonathan H. Turner, The Structure of Sociological Theory, (6

ème

édition),

Belmont, CA, Wadsworth Publishing Company, 1998

Sociologie Générale, Licence 3, 2005-2006

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-5-

Introduction

I.

LE SOCIOLOGUE, LA SOCIOLOGIE ET LA VIE SOCIALE

L'objet de ce cours est de présenter un état de certains des débats théoriques contemporains

en sociologie et d'introduire à une réflexion critique sur la pensée sociale. Il trouve son origine

dans une insatisfaction de chercheur, dans une obligation professorale et dans une impatience de citoyen : le chercheur est dominé par le sentiment d'une inadéquation entre les catégories classiques des sciences sociales, notamment de la sociologie, et les observations qu'il effectue sur

divers terrains. Le professeur est confronté à la redoutable tâche d'enseigner une " théorie »

sociologique éclatée et hétérogène à ses étudiants, théorie sociologique qui lui paraît bien

souvent très loin de notre réalité sociale. Enfin, le citoyen peine à relier les préoccupations du

sociologue aux engagements politiques et moraux qui sont les siens. Après tout, il n'y a ici rien de très nouveau. A la fin des années soixante, le sociologue

américain Alvin W. Gouldner (1920-1980) notait déjà que la sociologie disponible n'était guère à

même de rendre compte de façon satisfaisante des évolutions culturelles et des questions sociales

de l'heure. Il dénonçait des théoriciens qui élaboraient leurs systèmes avec du coton dans les

oreilles, sourds aux clameurs portées par les mouvements sociaux et par les émeutes raciales et

urbaines. Il en appelait à une sociologie réflexive dans laquelle on n'oublierait pas que le

sociologue appartient à une société et qu'il y joue un rôle social. La sociologie ne saurait être

comprise et pratiquée (cela devrait aller de soi) en dehors de son contexte historique et social. Qu'il le veuille ou non, qu'il s'en défende ou qu'il le revendique, les analyses et les propos

du sociologue s'inscrivent pleinement dans la vie sociale et politique. Ils sont autant destinés aux

spécialistes qu'aux citoyens. L'enseignant chercheur ne peut pas oublier qu'il est aussi un citoyen.

Il s'adresse à des individus qui sont autant des étudiants en sociologie que des citoyens actifs d'un

pays particulier. Pourquoi pratique-t-on ou étudie-t-on la sociologie si ce n'est pour comprendre le monde qui nous entoure et plus particulièrement la vie sociale dans laquelle nous sommes

plongés ? Prétendre que la sociologie est une activité scientifique " pure » qui peut se dégager

des contingences historiques et politiques est une stupidité dans le meilleur des cas, un mensonge

le plus souvent. Le sociologue n'a pas un point de vue " transcendant » et universel sur la vie

sociale. Il n'est pas en dehors de la caverne pour reprendre une image célèbre. Il est à l'intérieur.

Il ne peut donc voir que ce que sa position lui permet de voir. Et souvent il ne peut guère voir plus que ce que ses concitoyens voient. C'est pourquoi " les sciences sociales ne font pas de

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découverte à proprement parler ». Pour le sociologue américain Anselm Strauss, " la sociologie

bien comprise vise plutôt à approfondir la compréhension de phénomènes que beaucoup

connaissent déjà ». Plus pessimiste et plus radical, le philosophe américain, Stanley Cavell,

pense que les sciences sociales et psychologiques nous " en disent moins que ce que nous savons

déjà », engendrant toujours un sentiment de déception. Il ne s'agit pas d'un manque de précision,

mais du " fait de ne pas savoir comment faire usage de ce que nous savons déjà sur les sujets »

que les sciences sociales traitent. Dès que nous parlons de la vie sociale, même de la manière la plus banale, nous mettons en

oeuvre des catégories générales et des représentations plus ou moins conscientes et spontanées de

la vie sociale dans lesquelles nous nous engageons. La sociologie " scientifique » n'est pas

fondamentalement différente : il s'agit toujours d'une représentation de la vie sociale, mais d'une

représentation qui se veut explicite et contrôlée. La particularité du travail de sociologue tient au

fait qu'il s'agit d'abord d'une démarche réflexive. La sociologie est une réflexion en situation sur

la place du sociologue dans la société, sur le métier de sociologue, sur ses méthodes et ses

engagements, bref sur les relations qu'il entretien avec sa société. Le sociologue travaille toujours

à " objectiver » autant qu'il le peut son point de vue pour permettre à ses auditeurs ou à ses

lecteurs de construire le leur et il leur fournit des critères de validité autorisant un jugement de

son travail. Même s'il est plus pauvre que la connaissance pratique et implicite que ses

concitoyens ont de la vie sociale, le savoir qu'il produit se veut ainsi ordonné et raisonné, doté

d'une valeur scientifique. Il n'existe donc pas une présentation de la sociologie contemporaine et de ses débats. Il y a

bientôt trente ans, Robert Merton faisait observer que la sociologie a été en crise tout au long de

son histoire et que chaque génération de sociologues a pensé que son époque était décisive pour

le développement de la discipline. Il ajoutait avec humour que les sociologues ont tendance à prescrire un médicament unique pour soigner la crise : " voyez les choses comme moi et faites comme moi ! » Chaque sociologue, en fonction de son " contexte » intellectuel et social, des

courants ou du courant auquel il appartient, raconte une histoire et met en scène des débats à

partir d'un point de vue. Chaque cours, chaque manuel, est ainsi une sorte " d'autobiographie »

dans laquelle est construite et reconstruite la biographie de la sociologie. Ce cours n'échappe pas

à cette règle : il est donné à partir d'un contexte bien particulier, celui de l'Europe et plus

particulièrement de la France du début du XXI

ème

siècle. Ce n'est pas le lieu ici de porter un

diagnostic sur une " époque ». Mais nous ne pouvons faire l'économie d'une observation simple

et rapide concernant la vie intellectuelle et les évolutions récentes de la sociologie. Dans le

domaine de la réflexion sur la vie sociale, une interrogation domine : comment retrouver un

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-7- ordre social après l'effondrement du monde industriel et la fragilisation des institutions républicaines ? La plus grande partie des sociologues ont repris les préoccupations morales et politiques des pères fondateurs qui se posaient une question similaire à la fin du XIX

ème

siècle : comment retrouver de la stabilité sociale, remettre de l'ordre dans le changement ? L'affirmation

qu'il est aujourd'hui urgent de " refaire le lien social », de " refaire société », de " réanimer les

institutions » face aux effets dissolvants de l'individualisme ou des mutations économiques ou encore de se protéger contre l'anomie ont replacé Durkheim au centre des références. Les

problématiques de la sociologie se sont profondément transformées et de nombreux sociologues

sont passés d'une réflexion en termes de conflits sociaux, de domination, de luttes de classes ou

de mouvements sociaux à des questionnements sur l'intégration sociale et les institutions qu'ils

auraient jugés parfaitement réactionnaires une vingtaine d'années plus tôt. Il s'en est suivi un

effacement quasi complet de la pensée sociologique critique. Bien entendu, le marxisme et ses

avatars n'ont pas résisté à l'effondrement de l'Empire soviétique, ce que traduit la disparition

totale des intellectuels communistes et du gauchisme. Mais plus profondément, le structuralisme

et le post-structuralisme se sont aussi effacés. Ils ont laissé la place à une rhétorique de la

dénonciation dans laquelle le néolibéralisme ou l'américanisation ont remplacé le capitalisme et

l'impérialisme, rhétorique appuyée sur une forte nostalgie de la puissance de l'État et d'un

monde social qui avait accordé de grands privilèges aux intellectuels. Souvent, comme dans de

nombreuses formes de populisme, s'y ajoute une hostilité certaine vis à vis de la démocratie.

Notre réflexion sera fortement marquée par ces évolutions de la pensée sociale et par la structuration politique d'un champ sociologique dominé par l'opposition entre des sociologies trouvant leur point d'appui dans la pensée conservatrice (retrouvant en cela une grande partie de l'inspiration initiale de la sociologie comme l'a bien montré le sociologue américain Robert Nisbet (1913-1996)) et des sociologies teintées de populisme, alimentées par le ressentiment d'une intelligentsia nostalgique. La réflexion développée dans ce cours sera donc nécessairement injuste, partielle et

partiale. Elle aura pour but d' » objectiver » une pratique de terrain, d'en dégager les présupposés,

et de construire un point de vue, modeste, rassurez vous, nécessairement subjectif, permettant de " lire » le champ des sciences sociales. Ce cours est autant une réflexion sur une pratique

professionnelle qu'un travail destiné à présenter les débats d'une " discipline » à des étudiants en

sociologie. Vous l'avez compris, la sociologie est aussi un effort pour se comprendre soi-même ; Peut-être n'est-elle d'ailleurs pas autre chose. Mais le sociologue n'use pas des outils de la

philosophie ou de la psychologie. Il n'est pas tourné vers l'introspection dont il se méfie. C'est

en essayant de se regarder du dehors, socialement, qu'il essaye de se comprendre. Le sociologue

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américain Wright Mills définissait ainsi ce qu'il appelait l'imagination sociologique : le travail et

l'attitude à travers lesquels l'individu peut arriver à comprendre ses " épreuves » en se situant

dans un contexte social et historique plus large. J'espère que vous trouverez tout au long de ce semestre matière à réfléchir sur notre société et sur vous-même. II.

LA THÉORIE SOCIOLOGIQUE

a. Qu'est-ce que la théorie ?

La sociologie est l'étude de la vie sociale. Elle est d'abord une activité pratique et concrète.

La sociologie nous parle du monde réel, de notre monde et cherche à nous l'expliquer ou à nous

le faire comprendre. Nous pouvons étudier le fonctionnement d'un collège ou d'une entreprise, la

délinquance juvénile, la vie étudiante, le travail du médecin ou de l'assistante sociale, les

processus d'intégration des migrants, la façon dont notent les enseignants ou encore les accidents

de la route. Autant d'objets concrets qui sont, pour la plupart, autant de problèmes dans la société

française. Ces recherches sont des travaux empiriques. Elles reposent sur une observation

méthodique de faits sociaux, recueillis par des entretiens, des sondages ou du travail de groupes.

Elles ne sont pas à proprement parler de la théorie sans pourtant que les préoccupations générales

en soit absentes. A partir de ce travail empirique, le principe de l'activité théorique en sociologie est de

chercher à produire des propositions " décontextualisées », qui prétendent à une valeur générale

dépassant les simples circonstances de leur production et de leur objet d'application. La théorie

sociologique est donc a priori un ensemble de constructions globales et abstraites éloignées des

faits et des recherches concrètes. Sous ce terme on comprend le vocabulaire, les langages et les constructions formelles que les sociologues utilisent pour étudier la vie sociale. La théorie

sociologique est abstraite et sèche quand on l'aborde. Et c'est certainement l'impression que vous

aurez au premier contact. Cela est vrai mais nous ne devrons jamais oublier en parlant de

concepts et de conceptions générales, même lorsque nous en parlerons de manière abstraite, que

la théorie appartient pleinement à l'activité sociologique : elle n'est pas une élucubration obscure,

détachée de tout contexte et de toute situation. La théorie est fabriquée par des personnes

concrètes dans une situation concrète à partir d'une réflexion sur des objets concrets. Nous

pouvons même l'envisager en elle-même comme un fait social. Surtout, puisque nous parlerons de théories contemporaines, nous verrons qu'il s'agit

d'aborder et de parler de notre société et de notre monde actuels. La sociologie théorique est un

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effort pour penser la vie sociale, pour répondre à des questions finalement très concrètes : qui

sommes nous ici et maintenant, nous autres occidentaux, français, allemands ou canadiens, dans quelle société vivons-nous, en quoi sommes-nous différents des gens du passé ou des gens

d'autres sociétés ? Les sociologues qui fabriquent les théories cherchent à répondre à ces

questions qui ne sont guère différentes de celles du philosophe ou du psychologue : qui es-tu ?

d'où vient le monde ? Ils le font à partir de ce qu'ils savent avec leurs espoirs et leurs déceptions,

leur humeur et leur tempérament, leur culture nationale et leur situation sociale. Bref, parler de

théories est autant parler de constructions abstraites que parler de la vie sociale dans laquelle

nous sommes plongés. En un mot, la théorie sociologique, sauf à n'être qu'un pur formalisme, ne

peut être dissociée d'un diagnostic sur la vie sociale contemporaine. Plus précisément, elle est un

vocabulaire qui ne prend sens qu'à partir d'un diagnostic sur la vie sociale. Pour saisir la nature de la théorie sociologique, nous pouvons partir d'un raisonnement pratique. Prenons un exemple : un dirigeant d'entreprise est une personne particulière. Nous

pouvons parler de Monsieur Ernest-Antoire Sellière, baron de son état, ex-président du syndicat

patronal français, le MEDEF, et par ailleurs dirigeant du groupe Marine-Wendel (Holding

familial d'investissement). Si nous voulons décrire Monsieur Sellière et savoir ce qu'il fait, nous

n'avons pas besoin de sociologie. Nous pouvons même en avoir une bonne caricature aux Guignols de l'info. Mais si nous commençons à parler de Monsieur Sellière comme d'un dirigeant d'entreprise, nous introduisons une catégorie beaucoup plus abstraite : les dirigeants d'entreprises ou le patronat français qui forment un groupe social particulier. Pour savoir ce que font les dirigeants d'entreprises nous avons eu besoin d'opérer une

première généralisation à partir d'une multitude de cas particuliers afin de construire une

catégorie qui nous permet de parler de manière plus globale. Non seulement Monsieur Sellière et

d'autres dirigeants de groupes financiers, mais aussi des dirigeants d'autres secteurs économiques

privés ou publics constituent la catégorie des dirigeants d'entreprises. Nous pouvons ainsi construire une entité, le patronat français, composée d'individus dotés de certaines

caractéristiques : ils ont tel âge, ils gagnent telles sommes d'argent, ils ont fait telles études, ils

votent de telle façon etc.... Nous avons opéré là une première abstraction, un premier pas vers la

théorie sociologique. Mais nous aurons besoin d'opérer une deuxième abstraction si nous voulons qualifier les dirigeants d'entreprises. Si nous voulons parler d'eux globalement, nous avons besoin d'un vocabulaire particulier : il s'agit d'un groupe social, donc d'un ensemble possédant une certaine unité, certaines caractéristiques et occupant une certaine place dans la vie sociale. Nous qualifions spontanément ce groupe social. Nous pouvons, par exemple, associer ce groupe à un

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ensemble de positions dans la hiérarchie sociale : ses membres sont dotés d'un certain statut, de

prestige, d'une autorité qui s'exerce donc sur d'autres groupes. C'est un groupe dominant. Nous

pouvons aussi associer ce groupe à un ensemble de positions de pouvoir : il s'agit de la classe des

entrepreneurs, ceux qui investissent et créent de la richesse, bref, des technocrates ou des

capitalistes qui occupent une position bien définie dans des rapports avec d'autres classes. C'est

un groupe dirigeant. Dès lors, nous sommes en plein dans la théorie : nous concevons ce groupe

en fonction d'une certaine représentation que nous avons, spontanément ou non, de la vie sociale

et de la société. Nous utilisons ici un concept, celui de classe sociale, classe dominante ou classe

dirigeante... Et comme dans la théorie sociologique nous en avons des conceptualisations, des

constructions différentes (il s'agit d'un entrepreneur ou il s'agit d'un bourgeois), constructions qui

n'ont de sens que dans une vision particulière de la vie sociale dans son ensemble. Revenons aux Guignols de l'info : pourquoi le personnage de Monsieur Sellière est-il

ridicule ? Parce qu'il existe un décalage profond entre le statut et les attributs que nous associons

spontanément (théoriquement) à un individu qui appartient à la catégorie des dirigeants

d'entreprises, et la marionnette qui se comporte comme un petit aristocrate plus ou moins arrogant, accroché à ses privilèges, vivant au XVII

ème

siècle avec ses " serfs », ignorant

totalement la modernité et effrayé par toute innovation. Bref, tout le contraire de ce que nous

définirions comme l'esprit d'entreprise et le goût du risque et de l'innovation que nous attendons

des membres de la classe dirigeante. L'effet comique, et la critique sociale qui lui est liée, sont

produits par le décalage entre la théorie " spontanée » que nous avons et le cas particulier qui

nous est présenté.

Mais comme les représentations spontanées, la théorie n'est pas exclusivement générée par

un processus inductif d'abstraction. Elle est aussi le produit de l'imagination du sociologue, des

discussions qu'il peut avoir avec ses collègues, de ses positions à l'intérieur de la communauté

universitaire, de ses choix philosophiques etc.... Bref, ce sont autant les présupposés philosophiques et notre culture qui déterminent ce que nous observons que l'inverse. Par ce que nous sommes ou ce que nous faisons, nous avons un regard sur la vie sociale et celui-ci est déterminant dans les observations que nous pouvons faire. Prenons encore un autre exemple. Chacun d'entre vous s'est certainement trouvé dans la situation banale, après une soirée entre amis, de discuter avec son compagnon ou sa compagne, de tout ce qui s'y est passé. Il est

bien rare, en ayant pourtant vécu la même soirée, d'y avoir vu et compris la même chose : l'un

aura compris qu'il s'est passé quelque chose entre deux personnes (Bernadette et Jacques pour leur donner un nom) alors que l'autre n'aura rien vu ou pensera le contraire. Selon notre

sensibilité, notre sexe, notre humeur, notre habitude de ce genre de soirées, et tout ce qui a pu

Sociologie Générale, Licence 3, 2005-2006

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-11- nous y arriver, nous n'avons pas vu la même chose. Mais ajoutons aussi, ce qui complique les

choses, que ce que nous avons vu peut dépendre très directement de l'état de la relation que nous

entretenons à ce moment là avec notre compagnon ou notre compagne : par exemple, nous avons

peut-être intérêt à avoir vu qu'il y avait quelque chose entre Bernadette et Jacques, si notre

compagnon ou notre compagne est jaloux de l'un d'eux parce que nous l'aurions courtisé

quelques années auparavant. On peut même aller jusqu'à en faire l'événement de la soirée, même

s'il ne s'est pas passé objectivement grand chose, dans le seul but de rassurer notre compagnon ou notre compagne, de faire taire sa jalousie, de la détourner, ou, au contraire de l'exciter.

Il en va de même pour la théorie et les représentations de la vie sociale. C'est le cas, par

exemple, pour une chose apparemment aussi évidente que la différence sexuelle. L'historien

américain Thomas Laqueur a montré que la différence sexuelle " naturelle » avait été conçue

récemment, sur un plan culturel, avant de l'être sur un plan biologique. Avant le XVIII

ème

siècle

régnait une autre conception, une autre théorie : hommes et femmes appartenaient au même sexe,

mais celui-ci était à un degré de développement moindre chez les femmes. Mais plus étrange

encore : les progrès de l'anatomie et de la médecine, les connaissances positives, n'ont pas remis

en cause cette conception. Les anatomistes voyaient au XVI

ème

siècle les organes génitaux féminins comme une " variante » du sexe masculin. Le changement fut d'abord culturel et social : il a fallu concevoir culturellement (théoriser) l'existence de deux sexes avant de les distinguer dans les observations. Si, le référent biologique est historiquement et socialement

construit et si les sociétés ne voient dans la nature que ce qu'elles peuvent y voir à partir de leur

culture, il est aussi évident que nos observations sociologiques dépendent directement de nos théories spontanées, de notre culture, de nos appartenances sociales. Pour résumer, nous pouvons utiliser la représentation que propose le sociologue américain

Jeffrey Alexander de l'espace de la sociologie. Nous passons de l'observation de la réalité, à la

traduction de ces observations dans une description. Puis nous organisons nos descriptions sous

formes de propositions simples. Nous pouvons ainsi établir des régularités, des lois. Puis, nous

pouvons classer ainsi les faits établis et construire des définitions ou des catégories. Des

catégories nous passons aux concepts et aux modèles dont dépend directement la théorie

générale, elle-même renvoyant à des présuppositions philosophiques, voire métaphysiques. Le

chemin inverse est sans cesse effectué : comme nous le verrons abondamment, il ne peut y avoir d'observation sans un minimum de théorie, de représentation de la vie sociale.

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-12- b. Les spécificités de la théorie Toute la sociologie n'est pas théorique, mais il n'est pas de sociologie qui n'ait de

fondements théorique. La théorie l'ensemble des outils, vocabulaire et modèles qui autorisent

l'explicitation logique d'une certaine représentation de la vie sociale permettant de poser des questions et d'y apporter des réponses sous formes d'hypothèses. Comme nous venons de le voir,

les faits observés par les sociologues n'ont pas de sens en eux-mêmes. Ils ont une signification

quand ils sont rapportés à un ensemble de conceptions plus générales, à une certaine vision de la

vie sociale. La théorie est tout simplement ce qui permet d'observer des faits et de les interpréter.

Le sociologue Norbert Elias (1897-1990) a comparé les théories sociologiques à des cartes de géographie. Comme un géographe utilise un certain nombre d'outils et de mesures pour

construire une carte qui lui permet d'offrir une représentation de l'espace, le sociologue utilise

les instruments de la sociologie pour appréhender un ensemble de faits observés et organiser ces

faits. Comme le géographe choisit une échelle et un point d'observation, le sociologue le fait à

partir du choix d'un point de vue. En fonction de l'échelle, il peut adopter un point de vue

" micro », très détaillé ou un point de vue " macro », plus global. Mais il peut aussi dessiner sa

carte d'une façon surplombante ou d'une point de vue plus horizontal, c'est à dire

" objectivement » ou " subjectivement », en perspective. Enfin, il peut la dessiner en l'orientant

d'une manière ou d'une autre : pensons par exemple, que les planisphères édités en France sont

totalement différents de ceux édités en Australie. Il s'agit pourtant de la même planète.

Résumons. La théorie est l'ensemble des outils qui permet à chacun de se repérer et de construire une vue d'ensemble de la vie sociale. Elle possède deux particularités :

1. Elle suppose toujours le choix d'un point particulier d'observation. La sociologie

générale offre une vision de la vie sociale à l'intérieur et à partir d'une situation historique

donnée. Les sociologues sont autant des analystes objectifs de leur société qu'ils en sont aussi des

acteurs. Ils sont à la fois dedans et dehors. Leurs théories sont à la fois sur et de la société.

2. La théorie n'est est pas pour autant de la pure idéologie. Elle a aussi des fondements

scientifiques pour deux raisons : elle offre des critères de validation, c'est à dire des éléments qui

permettent de confirmer ou d'infirmer les propositions par l'observation empirique ; elle prend en

compte la relation entre l'observateur (le sociologue) et la réalité observée (la vie sociale). Elle

implique une méthodologie particulière permettant l'investigation, la collection des faits et leur

interprétation dans le cadre fixé. La méthodologie est une façon de contrôler la relation du

sociologue à son objet. La théorie sociologique est ainsi toujours une théorie du sociologue en

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situation. Elle n'est donc jamais une pure " représentation » de la vie sociale, elle est aussi une

sorte d'affirmation identitaire du sociologue.

C'est pourquoi, la théorie sociologique se définit à l'intérieur d'un champ de débats et de

conflits intellectuels : elle consiste non seulement à proposer une représentation positive de la vie

sociale, à en construire une carte, mais elle est toujours aussi une façon d'invalider ou d'essayer

de rendre obsolète les autres cartes. Paradoxalement, la théorie tend à diviser le champ de la

sociologie. Plus elle est " forte », c'est à dire plus elle permet d'identifier un point de vue, plus

elle se démarque des autres point de vue qu'elle rejette souvent de manière injuste. La créativité

théorique ne consiste jamais à résoudre des problèmes, mais à en inventer de nouveaux.

Autrement dit, la créativité théorique consiste à créer des lignes de clivages et des débats. Elle

est souvent alimenté par les tensions et les animosités entre les sociologues qui écrivent les uns

contre les autres. Ainsi, dans un entretien donné lors de la publication de la Misère du Monde,

Pierre Bourdieu, à qui un journaliste demandait pourquoi il faisait de la sociologie, déclarait qu'il

s'agissait pour lui " d'empêcher les autres d'en faire ». Allons plus loin. Il y a toujours une

dimension " paranoïaque » dans l'activité intellectuelle qui se manifeste plus particulièrement

dans la production théorique, dimension qui explique les tensions et les oppositions parfois très

violentes et très personnelles entre les individus (On peut penser par exemple à l'animosité entre

Pitrim Sorokin (1889-1968) et Talcott Parsons (1902-1974)), mais aussi les adhésions, parfois

les identifications, et la formation " d'écoles » en conflits les unes avec les autres. Certaines sont

dotées de véritables " chiens de meutes » qui transforment la théorie en dogme idéologique et

manient d'autant plus l'insulte que la personne ou les personnes qu'ils visent sont proches sur le

plan politique voire théorique. Inversement, plus la théorie est " faible », plus elle fonctionne sur

la recherche de consensus et de synthèse, parfois sur des formes d'éclectisme, mais évidemment,

moins son centre est identifiable, moins elle porte à discussion et à contestation. Comme le note

Randall Collins, dans la vie intellectuelle, les positions fortes subdivisent, les positions faibles

intègrent. Ces conflits incessants et ces divisions font aussi de la sociologie une " communauté

créative » : " We are part of that community right now. This is our collective memory, the brain center in which we store the basic elements of what we have learned and the strategies we have available to carry us into the future. »

Sociologie Générale, Licence 3, 2005-2006

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