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7CHAPITRE I
ARTHUR, ROI DES BRETONS
LE RÉCIT FONDATEUR
La biographie d"Arthur existe déjà. Elle nous est rapportée de manière extraordinairement détaillée, vivante et plaisante à souhait, par Geoffroy de Monmouth, historien du début du XII e siècle, chanoine d"Oxford puis évêque de Saint Asaph au pays de Galles, dans les chapitres 137 à 178 de son Histoire des rois de Bretagne, ouvrage en langue latine, paru en plusieurs livraisons entre 1135 et 1138
1 D"après Geoffroy, le roi Arthur, qu"il appelle
Arturus, a été conçu
à Tintagel, un château de la Cornouailles anglaise, à la fin du V e siècle de notre ère. Il est le seul fils du roi
Uter Pendragon et d"Ingerna,
épouse du duc
Gorlois de Cornouailles. Sa famille est ancienne
puisqu"il est le neveu des rois Constans et Ambrosius Aurelianus et le petit-fils du roi Constantinus. Par son père, il descend du roi de (Petite-) Bretagne
Conanus Meriadocus, lui-même lointain parent
d"un autre Constantinus, plus connu en français sous le nom de
1. Dans la traduction de L. Mathey-Maille, les chapitres arthuriens occupent les p. 194-
258.
Arthur
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Arthur
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Constantin I
er le Grand, empereur romain. Au-delà, la dynastie remonte à un certain Brutus, fils d"Ascanius, lui-même fils du héros troyen AEneas, celui-là même que nous appelons Énée et dont Virgile a rapporté les exploits et les tribulations dans son
Énéide. Geoffroy
ne nous précise pas de quelle famille est issue sa mère, mais il nous explique comment, avec l"aide du mage
Merlinus (en qui on aura bien
sûr reconnu le Merlin de la légende), Uter a réussi à s"introduire dans le lit d"Ingerna la nuit même où le duc Gorlois était tué au combat - une mort qui permet au roi, quelques mois plus tard, d"épouser Ingerna et de faire légitimer l"enfant né de leur union. Après la naissance d"Arthur, Ingerna donne à Uter une fille,
Anna, qui épouse
successivement le roi
Budicius de Petite-Bretagne et le roi Loth des
Orcades. Le couple n"a pas d"autres enfants.
Uter meurt alors qu"Arthur n"a que quinze ans. L"adolescent lui succède naturellement comme roi des Bretons, et est sacré par l"archevêque Dubricius dans la cité de Silcestria, aujourd"hui Silchester dans le Sud de l"Angleterre. Son règne connaît des débuts difficiles : son jeune âge pousse en effet les envahisseurs saxons, naguère matés par Uter, à reprendre les armes, et plusieurs grands du royaume se révoltent. Mais Arthur parvient, armé de son épée Caliburnus et avec l"aide du duc Cador de Cornouailles, de son cousin le roi Hoel de (Petite-) Bretagne et de quelques autres fidèles, à vaincre les Saxons et à les soumettre à l"issue de la bataille de Bado, que Geoffroy identifie à la ville actuelle de Bath. Les grands révoltés sont alors contraints de reconnaître son autorité. Les campagnes du début du règne l"ont donc amené à combattre dans toute l"île, de Londres à l"Écosse et de la Cornouailles à la région de Lincoln.
Son trône affermi, Arthur épouse
Guenhuuara, une princesse
élevée à la cour de son parent et allié le duc Cador, et le nouveau couple royal établit sa cour dans la " Ville des Légions » (
Urbs Legionum),
aujourd"hui Caerleon au pays de Galles : c"est depuis cette ville qu"Arthur règne non seulement sur la Bretagne, mais aussi sur les îles et régions avoisinantes, Orcades, Irlande, Islande, Scandinavie, Gaule et Germanie, dont les souverains reconnaissent sa suzeraineté. À sa cour se pressent en effet les rois, les princes et les ducs venus de tout ArthurOK.indb Sec1:814/05/07 13:08:27ArthurOK.indb Sec1:914/05/07 13:08:27
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Arthur, roi des Bretons
le nord-ouest du monde connu. Il renouvelle son couronnement, à Caerleon cette fois-ci, lors de fêtes splendides où toutes les têtes couronnées d"Europe occidentale et septentrionale sont conviées : " il n"y eut en deçà de l"Espagne aucun prince illustre qui ne répondît à l"invitation », nous dit Geoffroy. La Bretagne connaît ainsi sous son long règne une période de paix et de prospérité qui ne fut jamais égalée : le peuple est heureux, les Saxons se tiennent tranquilles, les voisins sont soumis ou amis. La valeur d"Arthur se révèle surtout dans ses expéditions contre tous les ennemis du peuple : il tue le géant Frollo qui avait asservi la Gaule, il débarrasse le Mont-Saint- Michel d"un autre géant qui avait enlevé et tué
Helena, la nièce du
duc Hoel. Il est d"ailleurs à plusieurs reprises présenté par Geoffroy comme un tueur de monstres, et singulièrement de géants. Mais ces succès en viennent à exciter la jalousie de
Lucius Hiberius,
" procurateur de la République romaine ». Face aux exigences invraisemblables de Lucius, Arthur ne peut rester impassible, et une guerre éclate entre Romains et Bretons. Le roi breton débarque en Gaule et, après une série d"opérations visant à mieux soumettre le pays, parvient à vaincre les armées de Lucius dans une gigantesque bataille qui se déroule à
Siesia, quelque part entre Langres et Autun.
Dans cette bataille, qui nous est longuement décrite par Geoffroy, tombent quelques-uns des plus valeureux officiers de sa cour, au premier rang desquels son échanson
Beduerus et son sénéchal
Kaius ou Cheudo, mais aussi beaucoup d"alliés gaulois, irlandais, scandinaves du roi. L"armée de Lucius, qui comptait des contingents venus de tout le monde méditerranéen, y compris des Sarrasins, est totalement annihilée. Lucius lui-même est tué. Or, pendant qu"il guerroie outre-mer, Arthur est honteusement trahi par son propre neveu,
Modredus, fils du roi Loth et de sa sur
Anna. Le traître a en effet profité de l"absence de son oncle pour usurper le trône avec l"aide des Saxons - à qui il a criminellement permis de reprendre les armes - et la complicité de la reine Guenhuuara - qui a trahi Arthur et s"est glissée dans le lit de l"usurpateur. Arthur ne peut donc pas jouir de ses victoires contre les Romains et doit revenir de toute urgence en Bretagne. Ayant débarqué à Douvres, il
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Arthur
10 lui faut immédiatement affronter les troupes de Modredus : dans ce combat périt son autre neveu,
Gualguuainus, resté fidèle à son oncle
et seigneur. Malgré sa victoire à Douvres, Arthur ne parvient pas à capturer le félon, qui se réfugie dans Winchester. Assiégé, Modredus quitte la ville en secret et s"enfuit vers la Cornouailles. C"est là, près du fleuve Camblanus, qu"oncle et neveu se rencontrent. Geoffroy nous donne même la date de cet affrontement : 542 ap. J.-C. Arthur remporte là sa dernière victoire et Modredus est tué. Cependant, mortellement blessé, le roi est transporté dans l"
Insula Avallonis pour
y être soigné. Son parent
Constantinus, fils de Cador, lui succède.
Jamais la Bretagne, nous dit Geoffroy avec nostalgie, ne connut à nouveau une telle gloire. La fine fleur de la chevalerie bretonne avait été décimée dans la guerre contre les Romains ou dans la guerre civile qui avait suivi. Pire, la boîte de Pandore avait été ouverte par la révolte de Modredus. Les Saxons, qu"Uter puis Arthur avaient réussi à mater, étaient de nouveau sur le sentier de la guerre et bien décidés à s"emparer du pays. Bientôt, l"île entière était ravagée et livrée au pillage. Le règne de Constantinus ne dura que deux ans, après quoi se succédèrent les usurpations et les assassinats. Les Bretons vaincus devaient définitivement abandonner à leurs ennemis héréditaires l"est et le centre de l"île. Ainsi se fait-il que, de nos jours, l"Angleterre est aux mains des descendants des Saxons, tandis que les Bretons sont confinés dans ses marges occidentales, pays de Galles et
Cornouailles.
Un faussaire de génie
Le récit qu"on vient de lire, et qu"on pourrait lire de manière infiniment plus détaillée - avec encore plus de personnages, de lieux, d"événements, de gestes héroïques et de trahisons - dans l"
Histoire
de Geoffroy, est en apparence simple, clair et précis. Il fournit des informations d"une grande valeur pour tout biographe. Il y a d"abord des noms en abondance : ceux de ses parents, de son épouse, de plusieurs membres de sa famille et de son entourage, de ses ennemis, ArthurOK.indb Sec1:1014/05/07 13:08:28ArthurOK.indb Sec1:1114/05/07 13:08:29
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Arthur, roi des Bretons
et même celui de son épée ! Il y a aussi des dates et des lieux, dont certains sont bien identifiables : ceux de sa naissance ( Tintagel est un site parfaitement connu, sur la côte nord de la Cornouailles) et de sa mort ( Camblanus est plus difficile à localiser : on y reviendra), mais également ceux où il a été actif, ceux en particulier de ses victoires militaires. Même son caractère transparaît : roi guerrier, Arthur a aussi été un roi de paix, soucieux du bien-être de son peuple. Le biographe actuel aurait-il ainsi à sa disposition dans l"uvre de Geoffroy un récit bien ordonné, à partir duquel il pourrait écrire la vie de son personnage ? Les nombreux ouvrages médiévaux qui racontent l"histoire d"Arthur pourraient d"ailleurs l"aider dans sa tâche, en ajoutant à ces détails de nombreuses autres informations. Il est vrai que tous ne font que broder sur le récit original, celui de Geoffroy. Le lecteur familier de la légende arthurienne aura d"ailleurs repéré dans ce récit quelques figures et détails connus, à peine déformés par l"écriture latine de Geoffroy. Certains noms sont strictement identiques à ceux que nous connaissons bien : Uter Pendragon par exemple est toujours, dans la légende, désigné comme le père d"Arthur. D"autres noms sont presque aussi transparents. Avec Merlinus/ Merlin, Caliburnus/ Excalibur, Guenhuuara/Guenièvre, Kaius/ Keu, Modredus/ Mordred, Gualguuainus/ Gauvain, le dépayse- ment n"est que de surface. La naissance magique à Tintagel, le long règne pacifique s"achevant en catastrophe, l"ultime combat mortel entre oncle et neveu - transformé dans les versions ultérieures en un combat entre père et fils : beaucoup d"épisodes sont déjà là, dans un texte pourtant antérieur aux récits bien mieux connus, en France comme chez nos voisins britanniques, de Chrétien de Troyes ou de Thomas Malory. On pourrait de prime abord s"étonner de ne pas rencontrer dans ce récit les Lancelot, les Perceval, les Bohort, les Galaad, que la légende nous a habitués à voir à ses côtés. Mais on peut se dire que, précisément, ces personnages ont été ajoutés par la légende - au contraire, l"histoire rapportée par Geoffroy serait plus proche de l"original. On pourrait aussi s"étonner de la place accordée à des épisodes ensuite passés, sinon sous silence, du moins au second plan : les combats contre les Saxons et la guerre
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Arthur
12 contre les Romains, par exemple. On répondrait à nouveau qu"avec l"émergence d"épisodes proprement légendaires - l"épée tirée de la pierre ou la quête du Graal, pour n"en citer que deux, absents du récit de Geoffroy - les auteurs postérieurs ont abandonné les épisodes guerriers, moins intéressants à leurs yeux. L"historien n"aurait donc qu"à suivre, globalement, le récit de Geoffroy, en le replaçant dans le contexte, reconstitué à partir des documents d"époque, de ce début du VI e siècle où, selon Geoffroy, aurait vécu le roi Arthur. Le seul problème est que tout cela est faux. Archi-faux. Geoffroy de Monmouth, qui a écrit son
Histoire dans les années 1130, a vécu
plus de six siècles après le souverain dont il prétend raconter le règne. On constatera d"abord que son récit est peuplé de merveilleux : conçu grâce à la magie de Merlin, tueur de monstres et de géants, Arthur a dans l"histoire de Geoffroy une stature surnaturelle. Mais on pourrait croire que, derrière le vernis mythique, se cache un récit historique : il n"en est rien. Pour reprendre l"expression de Jean Frappier, on peut presque constamment surprendre l"auteur " en flagrant délit de supercherie » : " Capable de tirer un roman d"une phrase de Bède le
Vénérable ou de l"
Historia Brittonum, Geoffroy exploite au profit de son histoire imaginaire sa culture de clerc familiarisé avec la Bible et nourri des poètes latins 1 . » Ainsi, sa présentation de la conception d"Arthur s"inspire directement de celle d"Hercule (Jupiter prenant, pour séduire Alcmène, l"apparence d"Amphitryon). Pour ce qui est de sa fiabilité historique, on pourrait à plaisir faire la liste des " erreurs » de Geoffroy, de ses anachronismes et de ses incohérences : on n"en citera que quelques-uns, les plus évidents. Arthur pour lui se bat contre un " procurateur de la République » nommé Lucius - vers
530, la République romaine avait disparu depuis près de six siècles
et Rome était sous la domination d"un roi ostrogoth. Il fait figurer des Sarrasins dans l"armée de Lucius - or l"islam n"était même pas encore né au VI e siècle, et il ne s"est implanté en Afrique du Nord qu"à partir des années 680. Les princes francs qui ont régné sur la Gaule à cette époque sont bien connus : il s"agit de Clovis et de ses fils - or ils sont totalement absents de l"ouvrage de Geoffroy, alors qu"Arthur
1. J. FRAPPIER, Chrétien de Troyes, p. 25.
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Arthur, roi des Bretons
est censé avoir guerroyé dans tout le nord du pays. L"uvre de Geoffroy de Monmouth n"est donc pas à proprement parler de l"histoire. C"est, en toutes choses, un récit romancé, légendaire, enjolivé. Il est destiné à plaire, à exalter la mémoire de héros passés par des moyens qui ne sont absolument pas historiques. Certes, il serait facile de dire que c"était là la manière d"écrire l"histoire au XII e siècle, et qu"on peut trouver dans l"uvre de Geoffroy des " traces » d"une vérité historique : certains l"ont fait, avec une confiance et, osons le dire, une naïveté désarmantes. Bien sûr, la plupart des contemporains de Geoffroy l"ont considéré comme un historien " sérieux » et ont pris pour argent comptant ses affirmations, et cette confiance a duré pendant de nombreux siècles.
Mais ne nous y trompons pas : le
XII e siècle connaissait l"histoire au sens où nous l"entendons aujourd"hui, c"est-à-dire comme une discipline cherchant à restituer avec la plus grande exactitude et de la manière la plus proche de la vérité les événements et les phénomènes du passé. Le XII e siècle, dans les îles Britanniques, a produit des historiens, des " vrais » : des hommes qui écrivaient à partir dequotesdbs_dbs12.pdfusesText_18
ARTHUR ROI DES B