ème 5 Contrôle de lecture : « Ravage », René Barjavel
Contrôle de lecture : « Ravage », René Barjavel A chaque question répondez à l’aide de plusieurs phrases que vous développerez I) Quelles sont les différentes étapes de l’apocalypse évoquée dans ce roman ? Citez-en au moins 4 et expliquez leurs causes et leurs conséquences (4 points)
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Ariane MANON
Master 1 Littérature
Année 2012-2013
L'Enchanteur de Barjavel,
une réécriture moderne du Conte du GraalIntroduction
Chrétien de Troyes est un très connu auteur du XIIe siècle qui a écrit plusieurs romans concernant la cour du roi Arthur, prônant la chevalerie et l'amour courtois, comme Erec etEnide ou encore le Chevalier à la charrette.
C'est Chrétien de Troyes qui a également inventé le mythe du Graal. Il l'a d'ailleurs annoncé magistralement en donnant son roman le nom de Conte du Graal, plutôt que de lui donnerle nom du héros comme dans les romans précédents. Jamais l'auteur n'avait fait encore mention du
Graal et celui-ci apparaît presque brutalement à Perceval qui ne le cherchait tout d'abord pas.
Chrétien de Troyes a donc laissé inachevé un conte du graal et non une quête du Graal. En effet,
intrigué par le graal et cette histoire non terminée, de nombreux auteurs continueront le livre, le
transformant en quête du graal. Ainsi, dès les premières continuations de Chrétien de Troyes, le
Graal prend une dimension très symbolique et toute la cour du Roi Arthur part à sa recherche. Selon
les idées de certains auteurs postérieurs à Chrétien de Troyes, le roi Arthur lui-même n'aurait pu
monter sur le trône et régner uniquement parce qu'il avait cette quête à réussir. La fondation de la
Table Ronde est également liée à cette quête, idée totalement absente dans l'oeuvre de Chrétien de
Troyes.
De nombreuses reprises du mythe ont été faites, par des continuateurs succédant directementà Chrétien de Troyes, puis prenant plus de liberté en apportant leurs propres interprétations.
Ainsi, on peut se demander quelle vision du mythe du Graal peut avoir un auteur du XXème siècle, après près de dix siècles de traditions orales et de littérature. En effet, de Chrétien de Troyes aux continuateurs, de nombreux détails ont changé, ontévolué. Avec la littérature contemporaine, les auteurs se permettent à leur tour de revisiter le mythe
du graal et les histoires de la table ronde, apportant à leur tour changement, tout en gardant une
certaine identité propre aux récits arthuriens.Il est donc nécessaire de redéfinir ici ce qu'est ce Graal dont parle les textes médiévaux. Le
graal aurait pour étymologie le mot latin cratella qui signifie le vase. Mais dans ses autres formes
trouvées dans différents textes, on remarque que grial, greal, gradale, désignent plutôt un plat de
service utilisé dans les nobles maisonnées. Le graal est aussi interprétée comme une pierre
incandescente dans certains textes. Quant à son origine mythique, il est parfois rapproché d'une
corne d'abondance ou du chaudron de Dagda grâce à son rôle nourricier auprès du roi méhaigné.
Mais l'origine chrétienne est celle qui prime, transformant ce plat en vase qui a recueilli le sang du
Christ et qui a été emmené par Joseph d'Armimathie en Bretagne.Ainsi, dans ce travail, nous étudierons l'Enchanteur de Barjavel. Cet auteur est né au début
du XXe siècle et mort dans les années 1980. Il a donc parcouru le siècle, ses guerres et ses
révolutions industrielles, ce qui est extrêmement sensible dans sa littérature. Auteur de grands
romans de science-fiction comme La Nuit des Temps ou Ravage, Barjavel avait dépeint la société du
XXIème siècle avec une incroyable justesse. Passionné par la littérature médiévale, il a également
choisi d'écrire un roman sur la matière arthurienne L'Enchanteur, donnant la parole à Merlin. Nous
nous intéresserons particulièrement à la place du Graal dans cette oeuvre, la comparant avec le
Conte du Graal de Chrétien de Troyes, le Merlin de Robert de Boron, et plusieurs autres passages des continuations. Dans une première partie, nous verrons que Barjavel a gardé une vision très proche de lalittérature médiévale pour rapporter les contes d'antan. Puis, nous étudierons les interprétations qui
diffèrent de Chrétien de Troyes, en recherchant leurs sources dans les continuations plus tardives et
verrons la façon dont Barjavel les a exploitées. Enfin, nous analyserons le but qu'avait l'auteur du
XXème siècle en écrivant ce roman.
I/ Une vision fidèle mais moderne
Dans son roman, Barjavel reste très fidèle aux textes médiévaux. En effet, commenous allons le voir, la scène du graal proposée par l'auteur français contemporain est très fidèle à la
scène décrite par Chrétien de Troyes. Mais le nom même de l'oeuvre " L'Enchanteur », montre un
déplacement dans les points de vue, puisque le Conte du Graal se nomme également Perceval etGauvain a un rôle important, mais Merlin n'y fait quant à lui aucune apparition. Concernant Merlin,
Barjavel s'est donc plutôt inspiré du Merlin de Boron, racontant la vie de l'enchanteur qui apparaît
en filigrane de tous les romans arthuriens. Nous allons donc étudier dans cette partie la réécriture de
Barjavel, s'appuyant sur la phrase de Jean Frappier : " chacun finit par se faire à son usage personnel, du Graal et du Saint-Graal, un univers ou même une cosmologie, une nébuleuse à l'occasion »1A/ Une Réécriture fidèle
1/ Une Ambiance en accord avec les attentes des lecteurs
Ce qui est frappant dans le roman de Barjavel, c'est que les thèmes, les personnalitésdes personnages et leurs actions sont très semblables aux descriptions faites par Chrétien de Troyes,
alors même que l'écriture est beaucoup plus enlevée. En effet, Barjavel écrit au XXème siècle et
comme l'enchanteur, il a pu voir ce que l'avenir réservait aux personnages, plongés dans leurtemps. Ainsi, des références anachroniques sont faites, jouant sur le fait que Merlin peut connaître
l'avenir, pas forcément le sien ou celui de ses proches, mais en tout cas celui de l'humanité. La première description de Perceval dans le Conte du Graal montre un jeune homme naïf et avec un grand coeur, vers 83 : " Ensi en la forest s'en entre.Tot maintenant li cuers do ventre
Por lo dous tanz li resjoï
Et por lo chant que il oï
Des oisiaus qui joie faisoient.
Totes ces choses li plaisoient. »2
Dans l'Enchanteur de Barjavel, on a une description assez semblable, mais le personnage est observé au travers des yeux de Merlin : " Merlin souriait en pensant à lui. Il le voyait, pressé d'arriver, pressant son cheval dans la campagne couverte de neige, riant d'excitation, mordant le vent de ses dents éclatantes, naïf, ignorant de tout, tout neuf... Il arrivait juste à temps. »3La même joie, la même naïveté se dégage des deux descriptions, l'effet d'attente est néanmoins plus
accentué dans la réécriture. En effet, Chrétien de Troyes présente à ses lecteurs un nouveau
personnage. Si celui-ci n'est pas encore chevalier, son public attend qu'il le devienne, pensanttrouver un autre chevalier courtois, un peu comme Lancelot, Yvain ou Erec qui étaient les héros des
romans précédents. Mais justement, Chrétien de Troyes créé la surprise avec ce personnage qui sera
1Jean FRAPPIER, Autour du Graal, Genève (Suisse), Droz, 1977, 405p.
2Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
3L'Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
mis en contraste avec Gauvain. Au Moyen-âge, il y a un vrai effet de surprise. Mais à l'époque
contemporaine, Perceval est connu pour être un jeune homme naïf, tous les lecteurs contemporains
ont en mémoire sa rencontre avec les chevaliers qu'il prend pour des anges, la façon dont il arrache
l'anneau à la jeune fille en essayant de suivre les conseils de sa mère ou de se taire au château du
Graal. Barjavel assume donc l'effet d'attente que les lecteurs ont sur le personnage, le mettant à la
fois en valeur avec la répétition du verbe " presser ». La phrase " Il arrivait juste à temps » place la
quête du Graal dans une temporalité. La quête a commencé dès la naissance de Merlin. Celui-ci, en
tant que fils du diable, ne pouvait évidemment pas trouver le graal, mais c'était sa mission de
trouver et d'aider les chevaliers qui peuvent réussir la quête.Dans le Conte du Graal, il n'y a pas cette idée de fin qui clôt la quête du graal, l'idée de cette fin du
monde arthurien lorsque quelqu'un trouvera le graal. Cette idée a été amenée avec les continuations
de Chrétien de Troyes. Reprise par Barjavel, il sait que ses lecteurs attendent une fin. L'auteurpropose donc une origine au Graal, le début d'une quête, les recherches des chevaliers jusqu'à la fin
de la quête avec la découverte du Graal et la mort des personnages.2/ Une Translatio moderne
Au Moyen-âge, la conception d'invention était proscrite, puisque le seul créateur estDieu. Les clercs s'attachait à traduire des textes latins, parfois en rajoutant leurs commentaires,
comme dans l'Ovide moralisé, repris des Métamorphoses d'Ovide. Les contes de la table ronde sont
donc repris de la matière de Bretagne. Devenue matière arthurienne de nos jours, elle est toujours
une grande source d'inspiration, en particulier grâce à Chrétien de Troyes, qui en laissant inachevé
le Conte du Graal a donné involontairement une grande place au mystère et à l'imagination. Le texte de Barjavel s'inscrit dans cette tradition et pourrait s'apparenter lui aussi à unetranslatio. En effet, les événements sont repris de façon très fidèle, parfois presque littérale, mais
adaptés aux lecteurs modernes. Barjavel n'hésite pas à rajouter sa personnalité d'auteur, créant un
roman fidèle, mais légèrement modifié comme cela pouvait être fait au moyen-âge. En choisissant Merlin comme narrateur, un personnage qui traverse le temps sans vieillir,Barjavel ne réécrit pas simplement le Conte du Graal, mais prend en compte les autres textes qui
ont suivi ce conte et qui l'entoure temporellement. Ainsi, il y a de nombreuses références au Joseph
d'Arimathie, qui donne une légitimité au Graal, le Merlin, évidemment, mais également les autres
continuations, qui clôt la quête du Graal et la Mort du Roi Arthur qui finit le cycle arthurien. Ces
nombreux textes médiévaux sont donc à prendre en compte en lisant l'Enchanteur de Barjavel. Ainsi, la conception de Merlin reprend le Merlin de Robert de Boron qui s'ouvre sur ces phrases : " Mout fu iriezli annemis quant Nostre Sire ot esté en Enfer et il en ot gité Adan et Eve et des autres tant com il plot. » De la même manière, Barjavel commence l'un de ces premiers chapitres par ces mots : " Furieux, le Diable l'était de plus en plus, car malgré l'aide des moines et des prêtres qui allongeaient chaque jour la liste des fautes impardonnables, son enfer restait vide. Totalement vide. Jésus pardonnait !... »4On retrouve donc quasiment la même phrase, même si les prêtres ne sont évidemment accusés de
rien, ce qui serait un contre-sens anachronique pour l'époque. Une fois Merlin conçu, Dieu vient lui parler. Dans le Merlin médiévale, se serait particulièrement étrange d'avoir une vraie conversation, mais Barjavel explique l'enjeu de la discussion en y amenant de l'humour : " Dieu l'appela :Tu m'entends, petit.
4L'Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
Oui, Dieu.
Tu sais qui t'a fait ?
Oui, Dieu.
On se rend compte, par ce dialogue, que le futur enfant ne disposait pas encore d'un grand vocabulaire. Mais le lendemain il savait le latin, le grec, l'araméen et le chaldéen, et le jour d'après tous les mots du chinois. Aucun chinois n'en sait autant. »5 On voit donc ici un jeu entre un dialogue minimaliste de Dieu avec Merlin, puis la somme des connaissances que l'enfant va bientôt apprendre, avec encore une touche humoristique en parlantdes chinois dont les écrivains médiévaux ne connaissaient pas l'existence et une accentuation,
montrant ici que la langue la plus difficile de toutes, mais que le foetus la connaissait parfaitement à
son troisième jour inter-utérin.Par la suite, Barjavel reprend toutes les péripéties qui arrivent à Merlin dans le texte de Robert de
Boron jusqu'à ce que l'enchanteur devienne le personnage puissant et mythique qui aide les chevaliers à trouver le graal.3 / L'arrivée au château graal et la figure du roi pêcheur
La cérémonie du graal dans Chrétien de Troyes semble survenir par hasard. En effet,au détour d'un chemin, alors qu'il ne recherche rien de précis, Perceval rencontre le roi pêcheur et
suivant ses indications découvre un château qui semble avoir jailli du sol. " C'est ainsi qu'il n'y a pas encore de " quête du graal » chez Chrétien, car le héros ignore jusqu'à l'existence de cete objet; il le rencontre par hasard. »6 Au contraire, comme dans les continuations, on voit chez Barjavel un glissement du contedu graal devenant une quête du graal. Perceval sait déjà ce qu'il doit chercher, ainsi que le souligne
Barjavel :
" Enfin ! s'écria Perceval. Je le cherche depuis des années ! C'est bien ici que se garde le... »Le Roi pêcheur a donc un rôle important dans la quête du graal. Présenté par Chrétien de Troyes
comme un vieil homme, blessé, qui ne peut plus se servir de ses jambes, il pêche sur une barque,
sans ne jamais rien attrapé. Il guide également les chevaliers perdus jusqu'au château du graal,
faisant ici référence au passeur de la mythologie gréco-romaine, Charron, qui menait les morts dans
l'autre monde. Dans le Conte du Graal, on comprend par la suite les liens de parenté qu'il y a entre Perceval et le roi pêcheur, le lien entre la forêt gaste et le château du graal vers 6339 : " Cil cui l'an en sert est mes frere,Ma suer et soe fu ta mere,
Et del Riche Pescheor croi
Que del graal servir se fet. »7
5L'Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p6 P. WALTER, Chrétien de Troyes, chap VIII-Conte du graal, II-Le Graal, p 106-107, Que sais-je ? PUF, Paris, 1997,
127p7Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
B/ La Cérémonie du Graal
1/ Le Déroulement de la cérémonie...
a/ ... dans Chrétien de Troyes Dans le Conte du Graal, deux personnages voyagent parallèlement, Perceval etGauvain. Pourtant, le conte ayant été laissé inachevé, la partie concernant Perceval est plus
importante, avec un point culminant au château du graal. La cérémonie est en effet très décrite et il
y en a plusieurs références dans toute la suite du roman. À notre époque, la partie concernant
Gauvain est plutôt oubliée, d'autant plus qu'il n'arrive pas au château du graal, contrairement aux
continuations.Le déroulement de la cérémonie est très important, les choix faits proposent une symbolique
différente selon les auteurs. Il est donc intéressant d'étudier la première scène du Graal, présente
chez Chrétien de Troyes pour en comprendre les grands thèmes et les influences qu'elle a pu donné
par la suite.Perceval est donc convié à un repas et lors de celui-ci, ils assistent à une étrange cérémonie.
Plusieurs jeunes gens passent devant lui, portant des objets merveilleux dans leurs mains, avant dedisparaître dans la pièce d'à côté. Le premier porte une lance dont coule une goutte de sang, vers
3136 :
" Anpoigniee par lo milieuLa lance blanche et lo fer blanc,
s'an ist une goute de sancDo fer de la lance an somet,
Et jusqu'à la main au vallet
Corroit cele goute vermoille. »8
Puis, plusieurs autres jeunes hommes passent devant Perceval, portant quant à lui des chandeliers,
vers 3151 : " Atant dui autre vallet vinrent,Qui chandeliers en lor mains tindrent
De fin or, ovrez a neel.
Li vallet estoient molt bel
Qui les chandeliers aportoient.
En chascun chandelier ardoient
Dis chandoilles a tot lo meins. »9
C'est ensuite au tour d'une demoiselle d'apporter ce qui est devenu par la suite le plus importantobjet de la cérémonie, le graal, objet d'orfévrerie associé à la lumière, vers 3158 :
" Un graal entre ses II meinsUne damoisele tenoit,
Qui aviau les venoit,
Et bele et gente et bien senee,
Quant ele fu leianz antree
Atot lo graal qu'ele tient,
Une si grant clartez i vint
Qu'ausin perdirent les chandoilles
Lor clarté comme les estoilles
8Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
9Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
Qant li solaux luist o la lune. »10
Et enfin une dernière demoiselle clôt le cortège avec un objet qui sera souvent oublié des
continuateurs, le tailloir d'argent, vers 3168 : " Après celi en revint uneQui tint un tailleor d'argent. »11
Ces objets ont donc une grande importance. Certains seront repris dans les continuations, d'autresseront enlevés de la scène du Graal, mais seront gardés dans la quête, comme la lance qui saigne. Le
tailloir d'argent sera quant à lui généralement oublié. Durant le passage du cortège, Perceval se pose des questions, mais n'ose les formuler à voix haute, vers 3140 à 3149 et une seconde fois un peu plus tard 3181 : " Et li vallez les vit passer,Si n'osa mie demander
Do graal cui l'an en servoit,
Que toz jorz an son cuer avoit
La parole au prodome saige. »12
Pourtant, l'auteur explique qu'il aurait dû prendre la parole, vers 3186 : " Si crient qu'il n'i ait domaigePo ce qu'il l'a oï retraire,
Ansin bien se puet en trop traire
Con trop parler a la foiee.
O bien li praigne o mal li siee,
Ne lor anquiert ne ne demande. »
Et vers 3228 :
" Et li graaux andemantiersPar devantes retrespasa,
Ne li vallez ne demanda
Do graal cui l'en an servoit. »13
En effet, les habitants du château semblent faire de leur mieux pour susciter l'attention et la curiosité de Perceval, amenant devant lui des objets extraordinaires, tandis que le graal repasse devant le jeune chevalier, lui donnant une nouvelle chance de prendre la parole.Plusieurs éléments sont importants dans cette scène de cortège, puisqu'ils ont été parfois
repris par les continuateurs ou au contraire tombé dans l'oubli. On peut donc noter ce qu'il seranécessaire de rechercher dans les textes plus récents jusqu'à celui qui nous intéresse, l'Enchanteur
de Barjavel : les quatre objets qui passent dans le cortège, en s'attardant bien évidemment plus sur
la lance qui saigne et le graal ; la présence de la lumière et de l'éclat des pierres précieuses ; et le
fait que Perceval ne prenne pas la parole. b/ ... dans le Lancelot en prose La cérémonie vécue par Gauvain dans le Lancelot en prose propose quelquesdifférences. On peut tout d'abord noter l'apparition d'un autre objet qui précède le cortège : un
encensoir qui remplit la salle d'odeurs délicieuses. On voit donc bien que la cérémonie a été
christianisée. Ce même encensoir, porté par un pigeon blanc (référence à la colombe blanche,
symbole de l'Esprit Saint) se retrouvera dans chacune des cérémonies de l'Enchanteur.Puis le cortège passe, mais il n'est composé que d'une seule demoiselle qui porte le graal. Comme
dans le Conte du Graal, Gauvain est plus captivé par la jeune fille que par l'objet qu'elle porte, ce
qui l'empêchera de trouver le graal :10Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
11Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
12Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
13Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
" messire Gauvain vit issir de la chambre ou li colons estoit entrés une damoisele, la plus bele qu'il onques mes eust veue jor de sa vie, et sans faille c'estoit la plus bele qui lors fust ne qui puis nasquist. » c/ Un Cortège qui sollicite les sensDans l'Enchanteur, la cérémonie que voit Perceval se déroule en plusieurs étapes, s'attardant
sur les différents sens un à un :Tout d'abord c'est la vue qui est sollicitée avec la description d'une pièce très éclairée (p 208) :
" Et Perceval se trouva tout à coup assis à une table ronde, dans une pièce brillamment éclairée, bien qu'il n'y eût d'allumé qu'une seule chandelle posée au milieu de la table »14C'est ensuite le sens de l'odorat qui est sollicité, reprenant comme dans le Lancelot l'apparition
d'un encensoir : " Il tenait dans son bec un chaînette d'argent à laquelle était suspendue une cassolette d'où se répandait un parfum qui gonflait le coeur et le soulageait de ses peines. »15Le cortège arrive, composé de nombreuses demoiselles, mais au lieu de porter des objets sacrés,
hormis la septième et dernière qui porte le graal, elles jouent de la musique, sollicitant l'ouïe de
Perceval :
" six jeunes filles vêtues de blanc jouant du luth, de la harpe et de la flûte »16 Le graal passe et la table se remplit de mets dont l'odeur est alléchante, comme dans le Conte du Graal. Néanmoins, Perceval est privé du sens du goût puisqu'il n'a pas posé de question.On voit ici qu'une christianisation du motif a été effectuée. En effet, la scène semble éthérée ( une
grande présence du blanc, une odeur pure et délicieuse, de la musique) et fait donc penser auparadis. Dans l'iconographie religieuse, les anges sont souvent vêtus de blancs et jouent de la harpe.
Dans cette scène, on a donc plus l'impression d'être dans un château mystérieux où vivent des rois
blessés, mais dans un paradis qui attend son élu. Il n'en va pas de même pour la cérémonie de Gauvain. En effet celui-ci est amené auchâteau du graal, mais s'il peut assister à la cérémonie, le roi pêcheur connaissait son identité et
savait qu'il ne pourrait réussir. Il lui laisse donc voir toute la beauté de la cérémonie, insistant sur
les odeurs suaves " une cassolette qui répandait un parfum suave » et la luminosité très pâle de la
scène " un linge blanc le recouvrait, d'une blancheur si blanche qu'il semblait tissé de lumière ».
Contrairement au Conte du Graal et au Lancelot, le graal flotte dans l'air, Gauvain ne peut donc être
distrait par une belle demoiselle, mais ses pêchés de luxure antérieur le feront tout de même
échouer : " Toi le chevalier plus couvert de péchés qu'un pestiféré de pustules ! ». A partir de cette
phrase, l'ambiance change. On a l'impression de voir l'horrible réalité qui se cachait sous cette
apparence de paradis. Le décors devient plus horrifique, déjà annoncé par " l'odeur horrible de la
blessure du mehaigné » qui avait contrasté avec la pureté de l'avancée du graal. Mais cette fois, il
n'y a nul point positif puisque Gauvain " recula avec un hoquet de dégoût » devant le plat de
" crapaud pourri » qui lui est servi. De nombreux termes sont négatifs dans la suite du texte, alors
que le château a disparu : " galeuse », " demi écroulées », " haillonneux », " l'insultait »,
" trognons de choux, de carottes pourries » etc... Contrairement à Eriu, la souveraineté d'Irlande,
on ne passe pas d'une apparence hideuse à une belle demoiselle, le chemin effectué ici est l'inverse.
Il représente également Gauvain, qui paraît être le chevalier valeureux et courtois en apparence,
mais qui aux yeux de la religion n'est que péchés et luxure, l'empêchant de pouvoir être l'élu.
14L'Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
15L'Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
16L'Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
Mais une nouvelle fois la scène s'efface puisqu'il se retrouve près de son écuyer endormi.Ici, le monde féérique s'apparent au rêve, qui comme souvent, tourne rapidement au cauchemar,
ajoutant une multitude de détails déplaisants. Ainsi que nous pouvons le voir dans le tableau récapitulatif qui suit, seul le Graal est uneconstante dans les cérémonies. La lance qui saigne est souvent dissociée de la cérémonie et se
retrouve plus tard dans les romans. Le cortège se compose lui aussi de manière différente. Si le plus
souvent des jeunes filles portent le Graal, il a parfois le pouvoir de léviter. Le nombre desparticipants au cortège varie également, même au sein d'un même roman comme dans l'Enchanteur,
puisqu'il y a sept jeunes filles pour Perceval, aucune pour Gauvain, et douze pour Lancelot etGalaad.
C/ Les Personnages et le Graal
Dans le Conte du Graal, Perceval échoue à cette épreuve du Graal. Différentspersonnages, ermite ou jeune fille, lui donne peu à peu des indices sur la cérémonie et ce qu'il fallait
faire. Perceval comprend alors son erreur et tente de la réparer. Même si on ne peut pas en être sûr,
on sent que dans le roman de Chrétien Troyes le personnage qui s'est repenti pourrait accéder à une
nouvelle chance. Au contraire, dans toutes les continuations, il n'est possible de voir le Graal qu'une
fois et celui qui ne correspond pas aux attentes sera définitivement chassé, ne pouvant obtenir une
seconde chance, puisqu'un seul élu est attendu. Comme dans les continuations, Barjavel fait passer
l'épreuve du graal à plusieurs chevaliers, jusqu'à Galaad, personnage inventé tardivement, qui est
l'Elu attendu. Ainsi, on peut reprendre le schéma de XXX qui explique les manières différentes dont les héros échouent à trouver le graal et où il se trouve par rapport à eux : Dans le texte de Barjavel, un lecteur averti comprend que Perceval va échouer et la cause deson échec dès la rencontre avec le roi pêcheur. En effet, la première question qui est posée amène
une réponse évidente de la part du roi pêcheur, faisant regretter à Perceval d'avoir parlé :
" Et il regretta d'avoir posé une question de pure curiosité, alors que sa mère lui avait bien recommandé de n'en rien faire. »17Il se permet néanmoins une autre question, pour demander son chemin. Le roi lui ayant répondu, il
veut alors poser une autre question, mais ce retient, jugeant qu'il s'agit là de " pure curiosité ».
Perceval se retrouve alors directement dans la salle du graal où le roi pêcheur l'attend depuis " une
semaine ». La temporalité est ici distendue, en tout cas, le roi infirme est allé bien plus vite que
Perceval qui a été déplacé instantanément, montrant qu'il appartient à l'autre monde. C'est ensuite
le roi Pêcheur en personne qui lui dit la raison de son échec " Il fallait demander ! Il fallait demander !... »18 Le château disparait ensuite aussi vite qu'il est apparu.17L'Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
18L'Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
Gauvain, quant à lui, demande aussi l'aide du roi pêcheur pour trouver son chemin, mais sepermet plus de questions, offrant un jeu de questions réponses avec le roi. C'est également celui-ci
qui lui révèlera la cause de son échec tandis que le château disparaîtra. Pour Lancelot, cela sera encore une fois très semblable (la rencontre avec le roi pêcheur, ledébut de la cérémonie), mais également différent. En effet, chaque personnage est présenté comme
un potentiel élu (Arthur le premier, nous y reviendrons), mais leurs différents péchés, à chaque fois
parfaitement identifié, les feront faillir. Ainsi, alors que le roi Arthur ne semble pas avoir un grand
rôle dans la quête du graal alors qu'il la commande lui-même à ses chevaliers, est envisagé par
Barjavel, révélant ce qu'il en est de lui : en ayant couché (même par erreur) avec sa demie-soeur, il
est devenu impur pour cette tâche et ne pourrait jamais trouvé le château. Dans cette partie, nous avons vu que Barjavel s'inscrivait dans la lignée des auteurs médiévaux, à qui il dédie en effet ce roman : " aux bardes, conteurs, troubadours, trouvères, poètes, écrivains, qui depuis deux mille ans ont chanté, raconté, écrit l'histoire des grands guerriers brutaux et naïfs et de leurs Dames qui étaient les plus belles du monde, et célébré les exploits, les amours et les sortilèges. »19Nous verrons dans la partie suivante la manière dont cet auteur réinterprète donc la scène du Graal.
19L'Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
II/ Le Graal et ses interprétations
Même si Barjavel reprend fidèlement le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, iln'oublie pas qu'il est un auteur du XXème siècle réécrivant un texte vieux de plusieurs siècles. Il ne
fait donc pas une simple réécriture, ce qui n'est plus à la mode de nos jours contrairement au
moyen-âge et ses lecteurs attendant de la nouveauté, il donne donc une interprétation personnelle de
ces légendes.A/ L'origine du Graal
L'une des questions qu'aurait dû poser Perceval concernait la nature du Graal.Malgré les réponses données par les ermites et se cousine, on ne peut se faire qu'une idée très vague
de ce qu'est réellement le graal et d'où il vient. Les continuateurs proposent donc différentes explications et les auteurs contemporains feront de même, chercheurs ou romanciers.Néanmoins, à partir de la première continuation, il semble acquis que le Graal soit la coupe
qui ait recueilli le sang de Jésus. Le nom de Joseph d'Arimathie apparaissant dans les textes religieux prend alors une place importante dans la littérature. Dans la première continuation, on trouve donc l'explication de ce qu'est le graal, vers 7497 : " Bien en doit avoir le pooir, car c'est icil Graaus por voirQue nostre Sire tant ama
Que il de son sanc l'onora
Au jor que il fu en crois mis »
Et vers 7510 :
" Josep qui tant fist a loër,Otot le Graal c'ot fait faire
Vint errant el mont [d]e Cauvaire
La u Dex ert crucefiiés. »
Dans le Joseph d'Arimathie attribué à Robert de Boron, on retrouve cette explication, ainsi que
toutes les pérégrinations du graal, qui devra être trouvé en Bretagne, par " le troisième homme »
après Joseph d'Arimathie. Dans les réécritures modernes et les recherches contemporaines, le graal reste donc la coupequi a recueilli le sang du graal. Pour certains, le graal est également un objet mythologique celtique,
représentant la corne ou le chaudron d'abondance, car le graal a le pouvoir de nourrir une multitude
de personnes sans jamais se vider. Mais d'autres voient également dans ce cortège une cérémonie
liée à la fécondité (le graal nourricier allant lui aussi dans ce sens) avec une opposition des genres
masculins et féminins. La lance devient alors un objet phallique (d'autant plus qu'elle a blessé le roi
méhaigné entre les hanches) et le graal un objet féminin. Cette théorie est par exemple exploitée
dans le célèbre Da Vinci Code.Barjavel consacre lui aussi deux pages entières à la création du graal, non lorsque les héros ont
trouvé le château du graal, mais bien avant, alors qu'Arthur se bat encore pour le trône. Il retrace donc l'histoire de l'objet, lui donnant directement des origines divines puisque c'est Eve, se réveillant au paradis qui la crée avec de la terre glaise afin de soigner Adam : " Eve confectionna une coupe avec une poignée de glaise, et y recueillit le sang d'Adam. La glaise but le sang du blessé, et la blessure se ferma. »20Par la suite, la coupe sera utilisée pour cueillir des fruits. Elle a donc le même rôle qu'elle tiendra
par la suite dans le monde des humains : recueillir le sang du Christ : " C'est dans la même coupe que Joseph d'Arimathie recueillit le sang de Jésus blessé d'un coup de lance pendant son agonie en croix ».21 Le voyage de la coupe est lié au merveilleux. Lorsqu'elle arrive dans le monde humain, une foisAdam et Eve chassés du paradis, elle est brisée, avant d'être ressoudée (comme devra l'être l'épée
brisée) et est liée au sang et aux blessures. Le voyage de Joseph d'Arimathie, ainsi qu'il est décrit
par Barjavel est également intéressant puisqu' " il étendit sur l'eau sa chemise qui flotta. Il invita son père à yquotesdbs_dbs7.pdfusesText_13