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Albert Camus - Furet du Nord

Les Justes 5 Acte I 13 Acte II 29 Acte III 41 Acte IV 54 Acte V 70 Dossier Du tableau au texte Analyse de T te dÕotage de Jean Fautrier (1944) 83 Le texte en perspective Mouvement litt raire : LÕ crivain et la Gorgone 93 Genre et registre : ÇUne histoire de grandeur racont e par des corps È 109



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Albert CAMUS [1913-1960] LE MALENTENDU Pièce en trois actes [1944] In ouvrage d’Albert Camus, LE MALENTENDU suivi de CALIGU-LA Nouvelles versions, pp 9-95 Paris : Les Éditions Gallimard, 1958, 229 pp Collection NRF Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Comic Sans, 12 points Pour les citations : Comic Sans, 12 points



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Albert Camus, LA PESTE (1947) 10 [13] Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194 , à Oran De l'avis général, ils n'y étaient pas à



Actuelles I Écrits politiques (Chroniques 1944-1948)

en 1972, 84 pp Collection Folio Texte intégral Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Comic Sans, 12 points Pour les citations : Comic Sans, 12 points Pour les notes de bas de page : Comic Sans, 12 points Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Micro-soft Word 2008 pour Macintosh

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Albert CAMUS

philosophe et écrivain français [1913-1960] (1947)

LA PESTE

Récit

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LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

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OEUVRES D'ALBERT CAMUS

Récits

L'ÉTRANGER.

LA PESTE.

Théâtre

CALIGULA

LE MALENTENDU

L'ÉTAT DE SIÈGE.

LES JUSTES

Essais

NOCES.

LE MYTHE DE SISYPHE.

LETTRES À UN AMI ALLEMAND.

ACTUELLES, CHRONIQUES 1944-1948.

ACTUELLES, CHRONIQUES 1948-1953

L'HOMME RÉVOLTÉ. Essai.

L'ÉTÉ. Essai.

Aux Éditions Charlot

L'ENVERS ET L'ENDROIT,

essai (épuisé)

Albert Camus, LA PESTE (1947) 5

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Albert CAMUS [1913-1960]

LA PESTE. Récit.

Paris : Les Éditions Gallimard, 347

e édition, 1947, 332 pp. Impres- sion : 1955. Collection NRF.

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Albert Camus, LA PESTE (1947) 6

Albert CAMUS

philosophe et écrivain français [1913-1960]

La peste

Paris : Les Éditions Gallimard, 347

e édition, 1947, 332 pp. Impres- sion : 1955. Collection NRF.

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Table des matières

I II III IV V

Albert Camus, LA PESTE (1947) 8

[9] Il est aussi raisonnable de représenter une espèce d'emprisonnement par une autre que de représenter n'importe quelle chose qui existe réellement par quelque chose qui n'existe pas.

Daniel de Foe.

Albert Camus, LA PESTE (1947) 9

[11]

LA PESTE (1947)

I

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Albert Camus, LA PESTE (1947) 10

[13] Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran. De l'avis général, ils n'y étaient pas à leur place, sortant un peu de l'ordinaire. À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu'une préfecture française de la côte algérienne. La cité elle-même, on doit l'avouer, est laide. D'aspect tranquille, il faut quelque temps pour apercevoir ce qui la rend différente de tant &autres villes commerçantes, sous toutes les latitudes. Comment faire imaginer, par exemple, une ville sans pigeons, sans arbres et sans jar- dins, où l'on ne rencontre ni battements d'ailes ni froissements de feuilles, un lieu neutre pour tout dire ? Le changement des saisons ne s'y lit que dans le ciel. Le printemps s'annonce seulement par la qualité de l'air ou par les corbeilles de fleurs que de petits vendeurs ramè- nent des banlieues ; c'est un printemps qu'on vend sur les marchés. Pendant l'été, le soleil incendie les maisons trop sèches et couvre les murs d'une cendre grise ; on ne peut plus vivre alors que dans l'ombre des volets clos. En automne, c'est, au contraire, un déluge de boue. Les beaux jours viennent seulement en hiver. Une manière commode de faire la connaissance d'une [14] ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt. Dans notre petite ville, est-ce l'effet du climat, tout cela se fait ensemble, du même air frénétique et absent. C'est-à-dire qu'on s'y ennuie et qu'on s'y applique à prendre des habitudes. Nos conci- toyens travaillent beaucoup, mais toujours pour s'enrichir. Ils s'inté- ressent surtout au commerce et ils s'occupent d'abord, selon leur ex- pression, de faire des affaires. Naturellement, ils ont du goût aussi pour les joies simples, ils aiment les femmes, le cinéma et les bains de

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mer. Mais, très raisonnablement, ils réservent ces plaisirs pour le sa- medi soir et le dimanche, essayant, les autres jours de la semaine, de gagner beaucoup d'argent. Le soir, lorsqu'ils quittent leurs bureaux, ils se réunissent à heure fixe dans les cafés, ils se promènent sur le mê- me boulevard ou bien ils se mettent à leurs balcons. Les désirs des plus jeunes sont violents et brefs, tandis que les vices des plus âgés ne dépassent pas les associations de boulomanes, les banquets des amica- les et les cercles où l'on joue gros jeu sur le hasard des cartes. On dira sans doute que cela n'est pas particulier à notre ville et qu'en somme tous nos contemporains sont ainsi. Sans doute, rien n'est plus naturel, aujourd'hui, que de voir des gens travailler du matin au soir et choisir ensuite de perdre aux cartes, au café, et en bavarda- ges, le temps qui leur reste pour vivre. Mais il est des villes et des pays où les gens ont, de temps en temps, le soupçon d'autre chose. En général, cela ne change pas leur vie. Seulement il y a eu le soupçon et c'est toujours cela de gagné. Oran, au contraire, est apparemment une ville sans soupçons, c'est-à-dire une ville tout à fait moderne. Il n'est pas nécessaire, en conséquence, de préciser la façon dont on s'aime chez [15] nous. Les hommes et les femmes, ou bien se dévorent rapi- dement dans ce qu'on appelle l'acte d'amour, ou bien s'engagent dans une longue habitude à deux. Entre ces extrêmes, il n'y a pas souvent de milieu. Cela non plus n'est pas original. À Oran comme ailleurs, faute de temps et de réflexion, on est bien obligé de s'aimer sans le savoir. Ce qui est plus original dans notre ville est la difficulté qu'on peut y trouver à mourir. Difficulté, d'ailleurs, n'est pas le bon mot et il serait plus juste de parler d'inconfort. Ce n'est jamais agréable d'être mala- de, mais il y a des villes et des pays qui vous soutiennent dans la mala- die, où l'on peut, en quelque sorte, se laisser aller. Un malade a besoin de douceur, il aime à s'appuyer sur quelque chose, c'est bien naturel. Mais à Oran, les excès du climat, l'importance des affaires qu'on y traite, l'insignifiance du décor, la rapidité du crépuscule et la qualité des plaisirs, tout demande la bonne santé. Un malade s'y trouve bien seul. Qu'on pense alors à celui qui va mourir, pris au piège derrière des centaines de murs crépitants de chaleur, pendant qu'à la même minute,

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toute une population, au téléphone ou dans les cafés, parle de traites, de connaissements et d'escompte. On comprendra ce qu'il peut y avoir d'inconfortable dans la mort, même moderne, lorsqu'elle survient ainsi dans un lieu sec. Ces quelques indications donnent peut-être une idée suffisante de notre cité. Au demeurant, on ne doit rien exagérer. Ce qu'il fallait sou- ligner, c'est l'aspect banal de la ville et de la vie. Mais on passe ses journées sans difficultés aussitôt qu'on a des habitudes. Du moment que notre ville favorise justement les habitudes, on peut dire que tout est pour le mieux. Sous cet angle, sans doute, la vie n'est pas très pas- sionnante. Du moins, on [16] ne connaît pas chez nous le désordre. Et notre population franche, sympathique et active, a toujours provoqué chez le voyageur une estime raisonnable. Cette cité sans pittoresque, sans végétation et sans âme finit Par sembler reposante et on s'y en- dort enfin. Mais il est juste d'ajouter qu'elle s'est greffée sur un paysage sans égal, au milieu d'un plateau nu, entouré de collines lumi- neuses, devant une baie au dessin parfait. On peut seulement regret- ter qu'elle se soit construite en tournant le dos à cette baie et que, partant, il soit impossible d'apercevoir la mer qu'il faut toujours aller chercher. Arrivé là, on admettra sans peine que rien ne pouvait faire espérer à nos concitoyens les incidents qui se produisirent au printemps de cette année-là et qui furent, nous le comprîmes ensuite, comme les premiers signes de la série des graves événements dont on s'est pro- posé de faire ici la chronique. Ces faits paraîtront bien naturels à cer- tains et, à d'autres, invraisemblables au contraire. Mais, après tout, un chroniqueur ne peut tenir compte de ces contradictions. Sa tâche est seulement de dire : " Ceci est arrivé », lorsqu'il sait que ceci est, en effet, arrivé, que ceci a intéressé la vie de tout un peuple, et qu'il y a donc des milliers de témoins qui estimeront dans leur coeur la vérité de ce qu'il dit. Du reste, le narrateur, qu'on connaîtra toujours à temps, n'aurait guère de titre à faire valoir dans une entreprise de ce genre si le ha- sard ne l'avait mis à même de recueillir un certain nombre de déposi-

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tions et si la force des choses ne l'avait mêlé à tout ce qu'il prétend relater. C'est ce qui l'autorise à faire oeuvre d'historien. Bien enten- du, un historien, même s'il est un amateur, a toujours des documents. Le narrateur de cette histoire a donc les siens : son témoignage d'abord, celui des autres ensuite, puisque, par son rôle, il fut amené à [17] recueillir les confidences de tous les personnages de cette chro- nique, et, en dernier lieu, les textes qui finirent par tomber entre ses mains. Il se propose d'y puiser quand il le jugera bon et de les utiliser comme il lui plaira. Il se propose encore... Mais il est peut-être temps de laisser les commentaires et les précautions de langage pour en venir au récit lui-même. La relation des premières journées demande quelque minutie.

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[18] Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier. Sur le moment, il écarta la bête sans y prendre garde et descendit l'escalier. Mais, arri- vé dans la rue, la pensée lui vint que ce rat n'était pas à sa place et il retourna sur ses pas pour avertir le concierge. Devant la réaction du vieux M. Michel, il sentit mieux ce que sa découverte avait d'insolite. La présence de ce rat mort lui avait paru seulement bizarre tandis que, pour le concierge, elle constituait un scandale. La position de ce der- nier était d'ailleurs catégorique : il n'y avait pas de rats dans la mai- son. Le docteur eut beau l'assurer qu'il y en avait un sur le palier du premier étage, et probablement mort, la conviction de M. Michel res- tait entière. Il n'y avait pas de rats dans la maison, il fallait donc qu'on eût apporté celui-ci du dehors. Bref, il s'agissait d'une farce. Le soir même, Bernard Rieux, debout dans le couloir de l'immeuble, cherchait ses clefs avant de monter chez lui, lorsqu'il vit surgir, du fond obscur du corridor, un gros rat à la démarche incertaine et au pelage mouillé. La bête s'arrêta, sembla chercher un équilibre, prit sa course vers le docteur, s'arrêta encore, tourna sur elle [19] même avec un Petit cri et tomba enfin en rejetant du sang par les babines entrouvertes. Le docteur la contempla un moment et remonta chez lui. Ce n'était pas au rat qu'il pensait. Ce sang rejeté le ramenait à sa préoccupation. Sa femme, malade depuis un an, devait partir le lende- main pour une station de montagne. Il la trouva couchée dans leur chambre, comme il lui avait demandé de le faire. Ainsi se préparait-elle

à la fatigue du déplacement. Elle souriait.

- Je me sens très bien, disait-elle.

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Le docteur regardait le visage tourné vers lui dans la lumière de la lampe de chevet. Pour Rieux, à trente ans et malgré les marques de la maladie, ce visage était toujours celui de la jeunesse, à cause peut- être de ce sourire qui emportait tout le reste. - Dors si tu peux, dit-il. La garde viendra à onze heures et je vous mènerai au train de midi. Il embrassa un front légèrement moite. Le sourire l'accompagna jusqu'à la porte. Le lendemain 17 avril, à huit heures, le concierge arrêta le docteur au passage et accusa des mauvais plaisants d'avoir déposé trois rats morts au milieu du couloir. On avait dû les prendre avec de gros pièges, car ils étaient pleins de sang. Le concierge était resté quelque temps sur le pas de la porte, tenant les rats par les pattes, et attendant que les coupables voulussent bien se trahir par quelque sarcasme. Mais rien n'était venu. - Ah ! ceux-là, disait M. Michel, je finirai par les avoir. Intrigué, Rieux décida de commencer sa tournée par les quartiers extérieurs où habitaient les plus pauvres de ses clients. La collecte des ordures s'y faisait beaucoup plus tard et l'auto qui roulait le long des voies droites et poussiéreuses de ce quartier frôlait les boîtes de détritus, [20] laissées au bord du trottoir. Dans une rue qu'il longeait ainsi, le docteur compta une douzaine de rats jetés sur les débris de légumes et les chiffons sales. Il trouva son premier malade au lit, dans une pièce donnant sur la rue et qui servait à la fois de chambre à coucher et de salle à manger. C'était un vieil Espagnol au visage dur et raviné. Il avait devant lui, sur la couverture, deux marmites remplies de pois. Au moment où le doc- teur entrait, le malade, à demi dressé dans son lit, se renversait en arrière pour tenter de retrouver son souffle caillouteux de vieil as- thmatique. Sa femme apporta une cuvette. - Hein, docteur, dit-il pendant la piqûre, ils sortent, vous avez vu ? - Oui, dit la femme, le voisin en a ramassé trois.

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Le vieux se frottait les mains.

- Ils sortent, on en voit dans toutes les poubelles, c'est la faim ! Rieux n'eut pas de peine à constater ensuite que tout le quartier parlait des rats. Ses visites terminées, il revint chez lui. - Il y a un télégramme pour vous, là-haut, dit M. Michel. Le docteur lui demanda s'il avait vu de nouveaux rats. - Ah ! non, dit le concierge, je fais le guet, vous comprenez. Et ces cochons-là n'osent pas. Le télégramme avertissait Rieux de l'arrivée de sa mère pour le lendemain. Elle venait s'occuper de la maison de son fils, en l'absence de la malade. Quand le docteur entra chez lui, la garde était déjà là. Rieux vit sa femme debout, en tailleur, et avec les couleurs du fard. Il lui sourit : - C'est bien, dit-il, très bien. [21] Un moment après, à la gare, il l'installait dans le wagon-lit. Elle regardait le compartiment. - C'est trop cher pour nous, n'est-ce pas ? - Il le faut, dit Rieux. - Qu'est-ce que c'est que cette histoire de rats ? - Je ne sais pas. C'est bizarre, mais cela passera. Puis il lui dit très vite qu'il lui demandait pardon, il aurait dû veiller sur elle et il l'avait beaucoup négligée. Elle secouait la tête, comme pour lui signifier de se taire. Mais il ajouta : - Tout ira mieux quand tu reviendras. Nous recommencerons. - Oui, dit-elle, les yeux brillants, nous recommencerons. Un moment après, elle lui tournait le dos et regardait à travers la vitre. Sur le quai, les gens se pressaient et se heurtaient. Le chuinte- ment de la locomotive arrivait jusqu'à eux. Il appela sa femme par son

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prénom et, quand elle se retourna, il vit que son visage était couvert de larmes. - Non, dit-il doucement. Sous les larmes, le sourire revint, un peu crispé. Eue respira pro- fondément : - Va-t'en, tout ira bien. Il la serra contre lui, et sur le quai maintenant, de l'autre côté de la vitre, il ne voyait plus que son sourire. - Je t'en prie, dit-il, veille sur toi.

Mais elle ne pouvait pas l'entendre.

Près de la sortie, sur le quai de la gare, Rieux heurta M. Othon, le juge d'instruction, qui tenait son petit garçon par la main. Le docteur lui demanda s'il partait en voyage. M. Othon, long et noir, et qui res- semblait moitié à ce qu'on appelait autrefois un homme du monde, moi- tié à un croque-mort, répondit d'une voix aimable, mais brève : [22] - J'attends Mme Othon qui est allée présenter ses respects à ma famille.

La locomotive siffla.

- Les rats..., dit le juge. Rieux eut un mouvement dans la direction du train, mais se retour- na vers la sortie. - Oui, dit-il, ce n'est rien. Tout ce qu'il retint de ce moment fut le passage d'un homme d'équipe qui portait sous le bras une caisse pleine de rats morts. L'après-midi du même jour, au début de sa consultation, Rieux re- çut un jeune homme dont on lui dit qu'il était journaliste et qu'il était déjà venu le matin. Il s'appelait Raymond Rambert. Court de taille, les épaules épaisses, le visage décidé, les yeux clairs et intelligents, Ram- bert portait des habits de coupe sportive et semblait à l'aise dans la vie. Il alla droit au but. Il enquêtait pour un grand journal de Paris sur

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les conditions de vie des Arabes et voulait des renseignements sur leur état sanitaire. Rieux lui dit que cet état n'était pas bon. Mais il voulait savoir, avant d'aller plus loin, si le journaliste pouvait dire la vérité. - Certes, dit l'autre. - Je veux dire, pouvez-vous porter condamnation totale ? - Totale, non, il faut bien le dire. Mais je suppose que cette condamnation serait sans fondement. Doucement, Rieux dit qu'en effet une pareille condamnation serait sans fondement, mais qu'en posant cette question, il cherchait seule- ment à savoir si le témoignage de Rambert pouvait ou non être sans réserves. - Je n'admets que les témoignages sans réserves. je ne soutiendrai donc pas le vôtre de mes renseignements. [23] - C'est le langage de Saint-Just, dit le journaliste en souriant. Rieux dit sans élever le ton qu'il n'en savait rien, mais que c'était le langage d'un homme lassé du monde où il vivait, ayant pourtant le goût de ses semblables et décidé à refuser, pour sa part, l'injustice et les concessions. Rambert, le cou dans les épaules, regardait le docteur. - Je crois que je vous comprends, dit-il enfin en se levant.

Le docteur l'accompagnait vers la porte :

- Je vous remercie de prendre les choses ainsi.

Rambert parut impatienté :

- Oui, dit-il, je comprends, pardonnez-moi ce dérangement. Le docteur lui serra la main et lui dit qu'il y aurait un curieux re- portage à faire sur la quantité de rats morts qu'on trouvait dans la ville en ce moment. - Ah ! s'exclama Rambert, cela m'intéresse. À dix-sept heures, comme il sortait pour de nouvelles visites, le docteur croisa dans l'escalier un homme encore jeune, à la silhouette

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lourde, au visage massif et creusé, barré d'épais sourcils. Il l'avait rencontré, quelquefois, chez les danseurs espagnols qui habitaient le dernier étage de son immeuble. Jean Tarrou fumait une cigarette avec application en contemplant les dernières convulsions d'un rat qui cre- vait sur une marche, à ses pieds. Il leva sur le docteur le regard calme et un peu appuyé de ses yeux gris, lui dit bonjour et ajouta que cette apparition des rats était une curieuse chose. - Oui, dit Rieux, mais qui finit par être agaçante. - Dans un sens, docteur, dans un sens seulement. Nous n'avons ja- mais rien vu de semblable, voilà tout. Mais je trouve cela intéressant, oui, positivement intéressant. [24] Tarrou passa la main sur ses cheveux pour les rejeter en ar- rière, regarda de nouveau le rat, maintenant immobile, puis sourit à

Rieux :

- Mais, en somme, docteur, c"est surtout l'affaire du concierge. Justement, le docteur trouva le concierge devant la maison, adossé au mur près de l'entrée, une expression de lassitude sur son visage d'ordinaire congestionné. - Oui, je sais, dit le vieux Michel à Rieux qui lui signalait la nouvelle découverte. C'est par deux ou trois qu'on les trouve maintenant. Mais c'est la même chose dans les autres maisons. Il paraissait abattu et soucieux. Il se frottait le cou d'un geste machinal. Rieux lui demanda comment il se portait. Le concierge ne pouvait pas dire, bien entendu, que ça n'allait pas. Seulement, il ne se sentait pas dans son assiette. À son avis, c'était le moral qui travail- lait. Ces rats lui avaient donné un coup et tout irait beaucoup mieux quand ils auraient disparu. Mais le lendemain matin, 18 avril, le docteur qui ramenait sa mère de la gare trouva M. Michel avec une mine encore plus creusée : de la cave au grenier, une dizaine de rats jonchaient les escaliers. Les pou- belles des maisons voisines en étaient pleines. La mère du docteur ap- prit la nouvelle sans s'étonner.

Albert Camus, LA PESTE (1947) 20

- Ce sont des choses qui arrivent. C'était une petite femme aux cheveux argentés, aux yeux noirs etquotesdbs_dbs46.pdfusesText_46