[PDF] MARGUERITE YOURCENAR ET LE POÈME EN PROSE : MYTHE ET ÉCRITURE



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Clayton, The Prose Poem in French Literature of the Eighteenth Century, New York, Columbia University, 1936 Pour une récente considération générale du poème en prose de cette époque, voir H Jechova, Fr Mouret, J Voisine, éd , La Poésie en prose des Lumières au Romantisme, Paris, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 1993



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MARGUERITE YOURCENAR ET LE POÈME EN PROSE : MYTHE ET ÉCRITURE

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61 MARGUERITE YOURCENAR ET LE POÈME EN PROSE : MYTHE ET ÉCRITURE DANS FEUX par Monica ROMAGNOLO (Université de Messina, Italie)

La production littéraire de Marguerite Yourcenar s'appuie sur une stratégie communicative ample et polymorphe, dans un domaine qui comprend poésie et prose, essais et traductions, pièces et articles, dans un tourbillon de formes et d

e messages peu susceptibles de classements. En 1935, année déterminante pour la vie personnelle et littéraire de l'écrivain, Marguerite Yourcenar publie pour la Revue de France " Feux » ; suit la publication en 1936, pour l'éditeur Grasset. Inconsciemment, elle ouvre une nouvelle voie aux études sur le poème en prose, genre littéraire hybride et également charmant dont je tracerai les lignes principales. L'oeuvre de Yourcenar trouve son terrain favorable dans l'activité

littéraire qui avait précédé la publication du recueil et dans la passion amoureuse pour André Fraigneau, qui aida Yourcenar à faire sortir des oubliettes son Pindare et fit découvrir à notre écrivain la Grèce non seulement géographique mai

s aussi intérieure. Les livres et les lectures ne satisfaisaient plus Yourcenar : elle accepte de se laisser transporter dans l'univers imagé et si actuel du mythe. Cependant, l'expérience qui généra le trauma psychique et émotionnel fut l'amour tourment

é pour André Fraigneau, l'homme qui provoqua l'écriture brûlante de Feux : le recueil se présente comme un corps enflammé, métaphore du coeur de Yourcenar qui connut la passion, le désir, mais jamais l'apaisement et la gratification car il était homme qui aimait les hommes. Dans une des préfaces qui accompagnent les différentes publications l'écrivain présente son oeuvre comme " le produit d'une crise passionnelle », d'un " amour vécu », d'un

Monica Romagnolo 62 amour total pour un être particulier, avec ce qu'il comporte de risque pour soi et pour l'autre, d'inévitable duperie, d'abnégation et d'humilité authentiques, mais aussi de violence latente et d'exigence égoïste1. Il ne s'agit pas d'une déclaration ni d'une confidence ; plutôt, au fur et à mesure que l'écrivain avance dans la narration de ses récits il fait jaillir une stratégie lucide destinée à cacher soit les événements soit les sentiments qui ont bouleversé son existence pendant ces années-là. Les feux ne perdent pas leur vigueur, ils revivent plutôt à travers l'écriture expressionniste et masquée de ce recueil. L'écrivain va cacher et puis dévoiler, sous la noblesse et la tradition séculaire du mythe, ses fantasmes intérieurs, les obsessions, les bouleversements de l'âme déchirée et anéantie par la négation et l'absence. Le vécu intérieur souffre d'une stratégie d'occultation et de tensions invisibles qui vont se superposer et puis apparaître à travers l'arrière-plan mythique qui sous-tend le texte écrit : un paratexte, souvent incompréhensible, qui étend ses ramifications dans un univers sans frontières spatio-temporelles et par des codes communicatifs bariolés et évocateurs. Notre écrivain avait, en outre, subi l'influence du psychanalyste André Embiricos qui l'avait initiée à une connaissance intérieure et introspective de la Grèce ; ce qui contribua à une approche différente du mythe et de l'histoire utilisés comme substrat pour Feux. La Grèce n'était pas étrangère à notre écrivain : Le Jardin des Chimères, Pindare, Les Dieux ne sont pas morts, Les Charités d'Alcippe, La Nouvelle Eurydice révèlent une intense exposition à la culture classique, filtrée par l'imagination de Yourcenar qui n'avait pas oublié ses lectures de jeunesse, mais, qui, pourtant, avait introduit dans chacune de ses oeuvres la tension inspiratrice et les sujets que l'on retrouvera dans la production de la maturité2. 1 Marguerite YOURCENAR, " Préface » de 1967, F, Paris, Gallimard, coll. L'Imaginaire, 1974. Dans la suite de cette étude, je ferai référence à cette édition. 2 Pour aborder d'un point de vue critique les juvenilia yourcenariens, cf. Josyane SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar. L'invention d'une vie, Paris, Gallimard, coll. Biographies,1990, et Michèle SARDE, Vous, Marguerite Yourcenar. La passion et ses masques, Paris, Robert Laffont, 1995.

Marguerite Yourcenar et le poème en prose 63 Feux mûrit dans un climat de complicité et d'exubérance littéraire qui avait entouré le groupe Baissette-Fraigneau-Yourcenar. Eux, à la recherche de nouvelles motivations aptes à renforcer les études entreprises sur les relations entre mythe et littérature, démontrèrent d'extraordinaires capacités d'interprétation qui constituent le substrat psychologique et humain du recueil qu'on prendra en considération. Une sensation de dépaysement cueille le lecteur qui ignore les confessions et les dessous qui ponctuent le texte. Une intense nécessité de cacher ses sentiments par pudeur pousse Yourcenar vers les plages suggestives de la métaphore, coeur et âme du poème en prose. L'auteur considère Feux comme " une série de récits entremêlés de "pensées", encore que l'appellation de poèmes en prose eût également convenu » (OR, p. IX). Commencé à Constantinople et conclu à Athènes, le volume " de ton essentiellement lyrique, contient, entrecoupés d'aphorismes et d'aveux personnels, vestiges d'une récente période de crise, une série de récits mythiques ou légendaires consacrés aux divers aspects de la passion » (OR, p. XIX). Et encore " En matière de technique, oui, parce que c'est un monologue personnel - comment dirai-je ? - extériorisé, désincarné » (YO, p. 90). Dans la première édition de 1936, l'écrivain présente l'oeuvre comme si elle ne lui appartenait pas, en révélant une espèce de détachement de son moi devenu trop lourd et encombrant : " ni un recueil de poèmes, ni une collection de légendes. L'auteur a entremêlé des pensées, qui furent pour lui des théorèmes de la passion, de récits qui les illustrent, les expliquent, les démontrent, et souvent les masquent »3. Et pas même le titre ne conforte dans la définition du genre, parce qu'il se réfère à l'amour dans ses plus vastes dimensions : passion des sens ou passion du sens, passion pour l'absolu. De manière indirecte, Yourcenar exprime ses sentiments en cherchant dans le monde de l'Antiquité des supports à travers le temps. Jean-Marie Schaeffer, distinguant entre deux genres comme le poème en prose et la nouvelle, soutient que la distinction ne peut être pratiquée seulement au niveau de l'acte communicationnel et qu'elle se retrouve au niveau de la réalisation textuelle, plus précisément à partir de critères 3 "Avertissement" à F, Paris, Grasset, 1936, p. 9-10. C'est nous qui soulignons.

Monica Romagnolo 64 " syntaxiques »4. En faisant confiance aux définitions de Michel Aquien, " on appelle poème en prose une composition fondée sur des structures récurrentes formant une unité, avec des recherches de cadence, de sonorités, d'images », selon un langage que Baudelaire définit comme " une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience »5. Cependant, ces critères de distinction ne sont pas entièrement satisfaisants. D'une part, un morceau de prose poétique peut être inséré dans un roman et être à la fois autonome. D'autre part, la notion de composition ne permet pas de différencier une petite nouvelle écrite en prose poétique d'un poème en prose narratif : ils posséderont tous deux unité, cohérence et autonomie. D'après Michel Sandras, il existe des opérations grâce auxquelles une nouvelle se transforme en un poème en prose : cette nouvelle est un poème en prose parce qu'elle transfère à la narration les structures de l'énoncé poétique : le retour au point de départ, le redoublement du texte sont équivalents à des rimes ; les deux parties sont de véritables paradigmes déroulés en syntagmes6. Le genre du poème en prose s'avère, à partir de ses premières manifestations, polymorphe, hétérogène, soit parce qu'il est imprégné de tradition, alimenté par des formes classiques, comme le conte, l'apologue, le poème au sens plus général du mot ; soit parce qu'il est varié et 'impur' dans les formes expressives toujours changeantes dans l'alternance de poésie et de prose et dans les sources d'inspiration. Ces deux termes constituent un syntagme incompatible : Michael Riffaterre soutient que les poèmes en prose ont pour origine un enchevêtrement d'éléments amalgamés par l'utilisation de la catachrèse, soit de la métaphore, mais rigoureusement obtenus d'une matrice " qui génère la signifiance ». De cette matrice dérive une double dérivation qui n'est que 4 Jean-Marie SCHAEFFER, Qu'est-ce qu'un genre littéraire?, Paris, Seuil, 1989, p. 82-104. 5 Lettre à Arsène Houssaye qui sert de préface au recueil des Petits Poèmes en prose. 6 Michel SANDRAS, Lire le poème en prose, Paris, Dunod, 1995, p. 36.

Marguerite Yourcenar et le poème en prose 65 la manifestation d'une dualité intrinsèque au poème en prose qui sait jouer avec les ambiguïtés lexicales et la polysémie. Le genre est " exemple d'expansion à l'état pur » et " forme la plus pure de littérarité comme artefact »7. Littérarité conçue comme " ce qui fait d'une oeuvre donnée une oeuvre littéraire », selon Jakobson8. La métaphore est 'fille' de la poésie, car elle est son émanation et confère au texte ce que Riffaterre appelle une " surdétermination », c'est-à-dire sa plus grande motivation. C'est donc la surdétermination à générer l'ambiguïté et à alimenter l'osmose entre prose et poésie. En fait, Roman Jakobson affirme que " l'ambiguïté est une propriété intrinsèque, inaliénable, de tout message centré sur lui-même, bref c'est un corollaire obligé de la poésie »9 et cela en accord avec les affirmations de Riffaterre quand il parle de l'obliquité sémantique appartenant tout à fait au texte poétique. Michel Tournier dit que " le mythe est une histoire fondamentale », et encore " le mythe est une histoire que tout le monde connaît déjà » ; il se réfère au substrat psychique et métaphysique qui est à la base de la matière mythique et qui est congénital à l'humanité ; le mythe est inné à la nature humaine qui en connaît inconsciemment les dynamismes. Yourcenar avait montré sa connaissance de la matière mythique : les mythes apparaissaient à l'intérieur de son expressivité hétérogène soit en tant qu'images, qu'en tant qu'intrigues qui lui permettaient d'exprimer ses théorisations, soit au sein de ses essais. Quelques articles semblent déterminants pour définir l'utilisation du mythe au cours de sa carrière et dans tous les genres littéraires abordés. En 1943, dans la revue Les Lettres Françaises, elle publiait " Mythologie », exposition envoûtante de mythes et d'histoires mythiques dont le contenu montrait la suprématie du monde grec sur les autres réalités géographiques : " Mυθολογία : la chose est grecque, comme le mot. Les mythologies 7 Michael RIFFATERRE, Sémiotique de la poésie, Paris, Seuil, 1983, p. 157-158. 8 Roman JAKOBSON, " La nouvelle poésie russe », Poétique, 7, 1971. 9 Roman JAKOBSON, Essais de linguistique générale, Paris, Éd. de Minuit, 1963, p. 238.

Monica Romagnolo 66 extrême-orientales, égyptiennes et précolombiennes sont affaires de spécialistes...»10. L'écrivain montre l'antériorité culturelle de la civilisation grecque et la dette européenne à l'égard de celle-ci ; elle aborde le sujet avec un certain relativisme, soit en ce qui concerne le langage soit en ce qui concerne les codes utilisés. En fait, elle considère le mythe comme un savoir organique, " au même rang que l'algèbre, la notation musicale, le système métrique et le latin d'Église » (PE, p. 41), et dont le langage est universel. Le système où les mythes sont introduits décrète la cosmicité, l'universalité, permettant aux hommes de tout temps et de toute époque d'avoir recours au mythe pour mettre en scène leurs propres passions et leurs propres fantasmes intérieurs. Ainsi, les lieux et les topoi mythiques sont-ils reconnaissables non pas pour leur particularité géographique et historique mais pour leurs caractères éternels, atemporels, 'apolides'. L'écrivain construit un réseau d'intertextualité qui donne au mythe le statut d'archétype littéraire ; véritable pont entre le passé et le présent, le mythe est un réservoir plein de richesses ancestrales réitérées dans le temps : les versions changent mais la trame primordiale reste inaltérée. La mythologie est donc le point de départ pour de nouvelles explorations dans l'univers littéraire in fieri, non seulement représentant le trait d'union entre la culture et l'anthropologie, entre la sociologie et la psychanalyse qui a fait des mythes la matière pour ses spéculations. Les liens entre passé et présent reposent sur un réseau strict d'archétypes, dont beaucoup, communs à plusieurs cultures, constituent une 'poétique de l'espace' à l'intérieur de laquelle trouvent refuge mythèmes, symboles et constellations mythiques de portée psychanalytique : du labyrinthe au soleil, au spectre, à la tour, au cercle, à l'île, à la mer, au héros chtonien. Ce qui intéresse notre écrivain c'est le mythe lu comme histoire universelle, dans une perspective anonyme et atemporelle. En fait, elle va réveiller les archétypes, ces modèles qui content non seulement l'histoire d'un héros mais aussi l'histoire d'un destin universel ; le drame passionnel rentre ainsi dans le circuit de chaque être humain, 10 " Mythologie », Lettres Françaises, n°11, janvier 1944, p. 43.

Marguerite Yourcenar et le poème en prose 67 l'expérience affective que tout le monde peut reconnaître se concrétise dans une écriture qui par ses tensions entre ce que l'on peut dire et l'indicible, rend possible l'actualisation du désir, de la mémoire, de l'imaginaire. Le mythe, dynamique et créateur, promeut la recherche initiatique vers une dimension indéterminée dont l'essence peut être perçue par un moi dépersonnalisé et vacillant, qui a subi la lacération. Il favorise le retour aux origines, l'accès à un état créatif qui met en communication le créateur et le lecteur dans une condition de disponibilité, de ferveur, d'ouverture au mystère et à l'inconnu. On lira les poèmes en prose qui forment le recueil de Feux dans une perspective qui condense une multiplicité de thèmes et d'images qui rendent inévitable la comparaison avec les textes inspirés du mythe classique11. Le premier et le plus bref de ces récits est consacré à Phèdre. L'héritage de Racine est indiscutable : Yourcenar le cite dans sa préface de 1967, en confirmant sa dette morale à l'égard de la pièce classique : " Phèdre n'est nullement la Phèdre athénienne ; c'est l'ardente coupable que nous tenons de Racine » (Préface à F, p. 11). Phèdre était dans les modèles antiques victime d'une passion fatale et coupable qui animait le drame ; dans notre récit, elle donne corps à une narration où elle est soumise à un destin implacable. Notre écrivain fait subir au mythe quelques transformations : refoulement du thème central et déplacement vers des figurations nouvelles et insolites. Les anachronismes considérables de tonalité expressionniste aux " couleurs du XXe siècle [qui] débouchent d'ailleurs dans un monde onirique sans âge », s'infiltrent, brisant les catégories d'espace et de temps, pour permettre à l'auteur de passer à un présent éternel. On peut mettre en évidence la fonction du présent gnomique qui favorise l'affabulation. Le temps est mythique, abstrait, étranger à la temporalité humaine et historique : il s'agit d'un présent de généralité qui rend l'idée d'un temps 11 On exclut sciemment de notre étude Marie-Madeleine ou le Salut, Léna ou le Secret, Phédon ou le Vertige, poèmes en prose où les personnages n'appartiennent pas au mythe classique mais se rapportent à des réalités limitrophes qui se nourrissent d'histoire et de fantaisie, de passé mythique et d'anachronismes de ton moderne.

Monica Romagnolo 68 cosmique, le temps qui règle le mouvement des astres. Très souvent, dans ce cas-là, le temps mythique augmente ses potentialités : en fait, pour justifier le but ultime des héros, le temps accélère, ralentit, s'humanise. Dans Phèdre ou le Désespoir, le passage du présent au futur (" elle finira bien par rencontrer le jeune homme défiguré par ses morsures de fauve, puisqu'elle a pour le rejoindre tous les détours de l'éternité », F, p. 36) justifie le parcours du labyrinthe entrepris par la reine qui, suivant l'imaginaire fil d'Ariane, se déplace convulsivement et désespérément à la recherche de soi. Les toponymes acquièrent une nouvelle fonction : celle de pousser le lecteur vers les rivages spatio-temporels qui jurent avec le contexte de la Crète de Minos ; ils nous catapultent dans des réalités qui nous appartiennent : Haïti, Ouest, Amérique, Tropique. Du palais de Trézène à la Crète de Minos, l'espace visuel amplifie ses horizons faisant pendant avec la réalité cénesthésique intérieure qui caractérise le personnage, accompagné par des tranches de monde moderne. Les abattoirs géants, l'odeur du ranch et les poisons d'Haïti, les corridors du métro, les rames, les rails luisants sont des images qui frappent et qui évoquent leur charge de désespoir lié au monde moderne : la Crète nous rappelle non pas ses palais, mais plutôt une réalité souterraine et occidentalisée. L'espace mythique articule deux mondes : l'un temporel, concret, l'autre spirituel, qui s'interpénètrent et interfèrent l'un avec l'autre. La toponymie est réelle mais vague et imprécise ; les lieux évoqués, connus du grand public, suggèrent, annoncent, ouvrent une nouvelle dimension. Il s'agit d'espaces absolus qui rappellent un monde originel, lointain et presque étranger à la dimension humaine. L'épouse adultère de Thésée, se retrouve paradoxalement à reconstruire un nouveau labyrinthe intérieur, où il n'y a pas de sortie ; le fil d'Ariane " elle se l'embobine au coeur » (F, p. 34). Les anachronismes aident à comprendre l'écheveau emmêlé constituant son destin troublé qui n'a pas d'issue et qui l'oblige à obtenir sa propre liberté d'elle-même. En même temps, l'emploi des anachronismes prend place dans le parcours stylistique typique du poème en prose. Il contribue à la tension naturelle entre le poétique et le prosaïque, acquérant valeur littéraire. Dans le cas spécifique, la dichotomie fait émerger le réseau de métaphores cyclothymiques qui reflètent une intériorité dévastée par la passion. Le sacré et le sordide, le divin et

Marguerite Yourcenar et le poème en prose 69 l'humain caractérisent donc le récit, cachant des motivations humaines et psychologiques plus profondes. Avoir choisi le personnage de Phèdre pour ouvrir le recueil n'a pas été fortuit. La fille de Minos et de Pasiphaé se prête à un récit où abondent les antithèses, les oxymores et les figures de style, où palpite l'émotion cachée par des images stylistiques dichotomiques. La périphrase utilisée auparavant montre la double nature de Phèdre, née d'une union marquée par l'oxymore : union entre Minos, roi des enfers, symbole de la loi infaillible et Pasiphaé, mère dénaturée, symbole du désir et de la perversion. Le contraste s'est déplacé sur d'autres plans en produisant un transfert thématique et symbolique qui est devenu la clef de compréhension d'une esthétique fondée sur la différence et l'opposition. Dans Phèdre ou le Désespoir, l'ambivalence du personnage est maintenue : l'écrivain souligne le chemin tortueux, labyrinthique grâce à une narration syncopée, des structures paratactiques brèves qui accélèrent la narration, presque en mimant l'approche progressive et tourbillonnante de Phèdre vers le labyrinthe intérieur qui l'avale. Les mouvements centripètes et centrifuges marquent un chemin qui est double : l'un s'éloigne d'un centre hypothétique et l'autre se fond dans une intériorité désespérée et tourmentée. Les deux mouvements participent à une harmonie de contraires, à une esthétique d'antithèses, de chiasmes et de paradoxes. Avec Achille ou le Mensonge et Patrocle ou le Destin on assiste à une élucidation bien plus grande des sens et des personnages : selon la tradition, Achille, sur l'île de Scyros, se déguise en femme et se mêle aux femmes. L'ambiguïté sémantique met l'accent sur le problème de l'identité des personnages qui flottent entre des mondes suspendus, la terre avec ses rochers et ses tours, et l'île, lieu de la séparation, de la retraite, où les limites et les frontières sont floues et indéfinies. L'île est le refuge forcé choisi par Thétis pour sauver son fils, une espèce de regressus ad uterum où il est possible de constater la suspension de l'espace et du temps comme dans tous les moments sacrés12. 12 Cf. Simone VIERNE, Rite, Roman, Initiation, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1973, p. 41 : " [L]'île est un lieu sacré [...] l'arrivée dans l' île correspond au rite central de l'initiation, au retour à l'état embryonnaire, au regressus ad uterum ».

Monica Romagnolo 70 La dichotomie intrinsèque au poème en prose transparaît dans l'expression de l'ambiguïté et dans le mélange des sens. La passion homosexuelle est forte et bouleversante : les personnages évoluent sans cesse au gré de leurs déguisements ; Achille cherche l'altérité, en s'opposant au monde de la guerre, à l'héroïsme, il aime se farder. Son identité entre en conflit avec son sexe, les regards qui se posent sur lui changent comme les couleurs d'un kaléidoscope. Dans Feux, les rapports d'Achille avec Déidamie ne sont pas des jeux innocents pratiqués dans un gynécée, plutôt un duel, une danse d'identités qui se brouillent et se confondent. C'est sa manière de rejoindre le monde des hommes. L'orgasme qu'il sent en enlaçant Déidamie n'est qu'une préfiguration de la Mort. Et tandis qu'il n'échappe pas à son Destin, il ne s'affranchit pas de cette ambiguïté manifestée comme brouillage des sexes et des sentiments : Achille et Déidamie se haïssaient comme ceux qui s'aiment ; Misandre et Achille s'aimaient comme ceux qui se haïssent. Cette ennemie musclée devenait pour Achille l'équivalent d'un frère ; ce rival délicieux attendrissait Misandre comme une espèce de soeur. (F, p. 45) Misandre, personnage inventé par Yourcenar, met en jeu le schéma triangulaire : soit qu'il s'agisse d'une femme face à deux hommes ou à un homme et un dieu ou d'un homme aux prises avec deux femmes. Même les objets perdent leur sens et les armes se féminisent au contact des personnages : " Mais les casques maniés par les six mains fardées rappelaient ceux dont se servent les coiffeurs ; les ceinturons amollis se changeaient en ceintures ; dans les bras de Déidamie, un bouclier rond avait l'air d'un berceau » (F, p. 47). Dans ce monde régi par l'illusion, Achille arrête son regard sur le seul être qui s'avère authentique, Patrocle. Sa fonction la plus évidente est de montrer à Achille, son double ; ce sera lui qui reconnaîtra Achille sous son déguisement. Ce sera Achille qui tuera Déidamie par jalousie, Patrocle représentant son rival. Sa virilité se déclenche encore une fois par des moyens féminins : il abandonne le glaive et il l'étrangle. Au moment de lui serrer le cou il cherche à se débarrasser de sa part féminine : " Il se sentait plus séparé que jamais de cette femme qu'il avait essayé, non seulement de posséder, mais d'être » (F, p. 50).

Marguerite Yourcenar et le poème en prose 71 Son rôle va s'entrecroiser avec l'autre personnage du récit, Misandre dont l'aspect est ambigu. Femme "au coeur d'homme" elle fait preuve d'une virilité inconnue à Achille et c'est elle qui fera sortir de la tour infernale, espèce de labyrinthe, notre héros. On a donc l'impression d'un jeu de miroirs : soit les images soit les personnages sont corrigés ou renversés. Le jeu d'images correspond à une polysémie qui traduit la métamorphose, le travestissement, la mascarade d'un personnage oscillant entre masculin et féminin et qui exprime la difficile quête de l'identité. Dans un texte à tonalités baroques maniant le paradoxe, l'antithèse, Achille se trouve au milieu d'un monde soumis au flux des apparences où se rencontrent des personnages mal définis mais qui expriment les préoccupations de l'écrivain. Antigone, héroïne éponyme d'Antigone ou le Choix, vit l'expérience traumatique du labyrinthe. Elle y arrive après des mouvements convulsifs, ascendants et descendants qui traduisent une quête incessante, son besoin de revenir à un centre hypothétique, un regressus ad uterum nécessaire pour l'accomplissement de sa mission. Comme pour chaque initiation, elle vit le retour à la matrice, " le retour à l'origine [qui] prépare une nouvelle naissance, mais celle-ci ne répète pas la première, la naissance physique »13. Attirée " par le poids de son coeur » (F, p. 79), la fille de Jocaste connaît l'expérience de la Mort, à travers un voyage fatal vers les ténèbres qu'elle seule arrive à déchirer. Étoile dans un monde " sans astres » (F, p. 82), Antigone lance son défi à un monde dominé par la nuit, à Thèbes aveuglée par le soleil qui frappe sans cesse ses habitants, à la Thèbes que Yourcenar présente comme un véritable labyrinthe : " sept cercles » se succèdent au passage d'Antigone qui s'élève au symbole régénérateur de l'existence humaine. Elle serre dans ses bras le monde réduit au vide sidéral : " le poids palpitant de son coeur et la pulsation d'artères », scandent les temps de l'humanité qui se remet à vivre après avoir subi une cristallisation de ses énergies. Le battement de son coeur exprime la volonté qui prend le dessus sur le destin et la douleur salvatrice qui purifie les hommes. Elle rachète Polynice, son frère dont le lien est encore une fois ambigu. Unis par le même sang, ils vivent une fraternité qui ne manque pas d'être 13 Mircea ELIADE, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, Folio, 1963, p. 105.

Monica Romagnolo 72 imbue de marques bisexuelles. L'androgynie domine le tissu textuel et les deux frères entrent dans une espèce de symbiose cosmique, une étreinte universelle qui entrelace un mort vivant et une vivante qui va être la victime choisie par le destin. Malgré la mort et son voyage " dans un monde sans astres » (F, p. 82), Antigone lance son défi aux lois humaines représentées par Créon : elle accepte et rend légales seulement les lois divines qui lui permettent de sauver le monde. Et même " aux catacombes », elle participe à la rédemption de l'univers qui apparaît transfiguré, sa mission cosmique s'accomplit en réalisant le renversement du rapport avec le Fatum : si Phèdre était assujettie au destin qui l'écrasait, Antigone se révolte et réagit à la braverie implacable de la fatalité. Ses sursauts de rébellion déclenchent un mécanisme de recherche intérieure qui est initiation vers la connaissance de soi et du monde. L'auteur, cette fois-ci, reconnaît à son personnage un statut moral et littéraire fort haut qui n'exclut pas un glissement vers l'univers homosexuel et androgyne qui est inné au recueil. Antigone se fait porte-parole de l'âme déchirée de l'écrivain, en quête de soi-même. Dans Clytemnestre ou le Crime on retrouve le récit antique imprégné de traditions et de contributions nouvelles. Yourcenar conjugue le drame grec où l'héroïne était mère déplorable et épouse sans pitié, au poème en prose où l'adultère soumise à l'homme qu'elle aime le plus au monde s'élève au symbole du sacrifice par amour. Phagocytée par Agamemnon qui est son dieu, elle accomplit son rôle de femme engloutie par la présence-absence de son homme. Elle se transforme à côté de lui en homme qui " finissai[t]par regarder du même oeil que lui le cou blanc des servantes » (F, p. 179). On assiste à une progressive transformation de la femme, provoquée par le désir et le manque d'Agamemnon. Déchirée par la passion, elle s'anéantit tandis que son homme connaît la débauche et partage sa passion avec d'autres femmes. Clytemnestre arrivera à l'assassiner en tuant, ainsi, une part d'elle-même. Tuer son époux, en fait, signifie se libérer d'une obsession lourde qui la hantait et à laquelle elle était prédestinée dès sa naissance. Mais l'ombre de ce mort revient sans cesse, c'est une sorte d'éternel retour qui envoûte et condamne l'héroïne à un mouvement éternel où le temps, coagulé en instants incalculables rend l'éternité d'une histoire qui traverse la dimension humaine et nous rend un personnage prisonnier de son destin, résigné devant le réseau

Marguerite Yourcenar et le poème en prose 73 enchevêtré de la vie et de la mort qui s'entrecroisent. La virilisation du personnage nous introduit dans un écheveau de pulsions, de sensations, de réactions qui appartiennent au vécu de l'écrivain. La clef de voûte de l'univers mythique est représentée par le personnage qui boucle le recueil, Sappho, créature fragile qui projette une intériorité complexe et kaléidoscopique. Être à moitié suspendu entre les trapèzes aériens du cirque auquel elle appartient et l'espace 'géométrique' qui l'entoure, expression d'une réalité étroite qui oblige la poétesse-acrobate à chercher la fuite dans les danses sidérales, dévorée par un espace cosmique qui marque son ambiguïté sexuelle, Sappho est sans aucun doute l'alter ego de Yourcenar. Elle est tourmentée par une passion ambivalente qui se manifeste dans les jeux de miroirs, dans les projections amphibologiques que l'on a l'occasion d'admirer dans les images baroques qui ponctuent la narration. On assiste aux différents voyages de Sappho, évanescente presque inconsistante, qui " erre de ville en ville » en tant qu'artiste du cirque, pauvre et vagabonde. Elle ne possède pas même une identité définie : ange, femme, athlète, oiseau elle balance toujours entre ciel et terre, " trop ailée pour le sol, trop charnelle pour le ciel » (F, p. 195) ; elle est aussi acrobate et poétesse, nourrie d'une féminité imbue de virilité : " De loin, nue, pailletée d'astres, elle a l'air d'un athlète [...] ; de près, drapée de longs peignoirs qui lui restituent ses ailes, on lui trouve l'air d'être déguisée en femme » (F, p. 195). L'homosexualité et la bissexualité suivent des directions parallèles dans la vie de Sappho, désespérée pour la perte de ses amours, mais surtout pour la découverte de l'homosexualité de Phaon. La douleur l'entraîne dans un abyme de sentiments et d'attitudes qui, des altitudes du ciel, la transportent jusqu'à la mer, chute libre vers l'absolu existentiel. Encore une fois, des mouvements contraires accompagnent le personnage qui, à la fin, choisit de se suicider. Pourtant, elle manque sa mort, elle se fait dévorer par l'espace qui l'entoure, la mer et l'espace qui l'engloutissent et qui la condamnent à la vie. L'écrivain met en scène son identité déchirée, en exorcisant son vécu à travers l'expression de sa corporéité écrasée, de son âme anéantie et qui subit un procès de déconstruction. La confusion des corps, la pluralité d'identités, les changements de rôle ont permis la construction d'un système de défense qui a caché l'inénarrable, l'indicible et qui a

Monica Romagnolo 74 comme substrat un noeud de sentiments tels que la douleur originelle, l'impossibilité de l'amour, même la perte de la mère jamais connue. Les feux de l'écrivain sont ceux de la passion, mais le feu est aussi un facteur essentiel de la transmutation alchimique, c'est un fil rouge invisible et incandescent qui relie Feux à la production ultérieure. À travers le mythe, Yourcenar dépasse le simple cadre de sa vie, elle prend les distances par rapport à elle-même et inscrit son histoire privée dans l'universel. Le mythe nous rappelle que la passion, même si elle risque d'isoler l'individu figé dans l'exclusivité de la relation, devient un moyen pour exorciser une crise passionnelle. En combinant sa propre expérience d'amante malheureuse, l'écrivain mêle les images tirées du monde des spectacles aux prismes bigarrés des représentations de l'actualité, aux personnages d'Antigone, de Sappho, d'Achille qui jouent le rôle à la fois de masques et de révélateurs d'un moi indéfini et dévoré par la recherche d'une identité.

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