[PDF] Le travail dans limagerie de la Révolution nationale





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Groupe 1 : Affiche de la « Révolution nationale ». Affiche signée R. Vachet centre de propagande d'Avignon (groupe de soutien au régime de.



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6 déc. 2007 254 Affiche de R. Vachet Centre de Propagande de la Révolution Nationale d'Avignon



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Léon Gambetta discours devant l'assemblée nationale

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UNIVERSITÉ RENNES 2 - HAUTE-BRETAGNEÉCOLE DOCTORALE HUMANITÉS ET SCIENCES DE L'HOMMEC.E.L.A.M. E.A. 3206UNE LITTÉRATURE QUI NE PASSE PASRécits de captivité des prisonniers de guerre français de la Seconde Guerre mondiale (1940-1953)par LAURENT QUINTONThèse de doctoratLittérature française du XXe siècleThèse dirigée par Mme Michèle TOURETSoutenue le 30 novembre 2007Jury :

Mme Madeleine FRÉDÉRIC, Professeur à l'Université Libre de BruxellesM. Bruno CURATOLO, Professeur à l'Université de Franche-ComtéM. Luc CAPDEVILA, Professeur à l'Université Rennes 2 - Haute-BretagneMme Michèle TOURET, Professeur émérite à l'Université Rennes 2 - Haute-Bretagne

SommaireÉPIGRAPHES7

DE QUELQUES DÉFINITIONS PRÉLIMINAIRES ET DE LEUR USAGE11

CAPTIVITÉ12

IDÉOLOGIE13

LA RÉALITÉ/LE RÉEL19

FRANÇAIS21ENVOI LA FIN D'UN MONDE/LE DÉBUT D'UN MONDE23PREMIÈRE PARTIE : HISTOIRE, LITTÉRATURE ET IDÉOLOGIE CAPTIVES51

I. - HISTOIRE ET LITTÉRATURE : PRÉSUPPOSÉS POUR L'ANALYSE52INTRODUCTION52LE POIDS DE LA RÉALITÉ56PRENDRE LA LITTÉRATURE AU SÉRIEUX65II. - IDÉOLOGIES DE LA CAPTIVITÉ66LA CAPTIVITÉ, OBJET DE SOUCIS ET DE RÉCUPÉRATIONS661. " Seule ce soir » : la si longue absence des P.G.672. Les P.G., un enjeu économique et politique753. Les P.G., un objet de controverses79CONTEXTE DE LA LANGUE : LA LANGUE SITUÉE (1940-1953)891. La langue en lutte892. La langue, outil de pratique politique923. La " vraie France »96INSCRIPTION IDÉOLOGIQUE DES P.G. 103A. - P.G. Politiques 1031. Choix massif : maréchalisme/pétainisme 105Jean Guitton, chantre exemplaire de la Révolution Nationale 1082. Voyantes exceptions : P.G. collaborateurs, P.G. collaborationnistes 121Aimez-vous l'Allemagne ?/Connaissance de l'Allemagne 121Collaboration et collaborationnisme 134Quelques propagateurs de l'idéologie de la collaboration 1373. P.G. résistants 144La Résistance, normale et naturelle 144" Gaullistes par révolte sentimentale » 147La " zone grise » 1502

Communistes ? 1564. P.G. religieux 164B. - Refus du politique et permanence de l'esprit français 1671. Le refus du politique 1672.Union/unité 170Critiques de la désunion 170Principes de l'Unité (1) : lien de l'homme à la Patrie 172Principes de l'Unité (2) : tous derrière le Chef ! 175Union en captivité 1783. Permanence de l'esprit français 182III. - CONCLUSION 187DEUXIÈME PARTIE : TYPOLOGIE DES RÉCITS DE CAPTIVITÉ MÉTHODE,

FONCTIONS, PROBLÈMES 191I. - MÉTHODOLOGIE ET RECHERCHE DU CORPUS 192QU'EST-CE QU'UN RÉCIT DE CAPTIVITÉ ? 1921. Extension du domaine de la captivité 1922. Questions génériques 193Y a-t-il une dimension littéraire des récits de captivité ? 206CHOIX DU CORPUS 2201. Période : 1940-1953 2202. Lieu : France 2263. Zone libre/zone occupée 2284. Publication ? 231DES AUTEURS CAPTIFS 2331. Qui écrit ? Quelques données sociologiques 2332. Le temps de l'écriture/le temps de la publication 236II. - TÉMOIGNAGE : PAROLE EN DÉLÉGATION 239POUR QUI (1) : À LA PLACE DE QUI ? 2431. 1940-1945 : délégation de la communauté encore captive à un P.G.libéré 2442. 1940-1945 : délégation des morts à un P.G. vivant 2583. 1940-1945: délégation de la Patrie à un P.G. Exilé 2594. 1945-1953 : être le porte-parole d'une communauté délivrée 2605. Cas exceptionnels : témoignage en son seul nom propre 2656. Cas exceptionnels : témoignage... sans avoir vécu la captivité 268POUR QUI (2) : À L'INTENTION DE QUI ? 2691. Destinataire : la communauté P.G.2692. Destinataire : la communauté française2713. Destinataire : les proches2734. Destinataire : lectorat littéraire275III. - DIFFUSION ET ACCUEIL2791940-1944 : À L'ÉCOUTE DES P.G.2791. Analyse des publications 1940-19442792. Soutien aux écrivains P.G.2841945-1953 : DE BEAUCOUP À PRESQUE RIEN2863

1945-1953 : RENOUVELLEMENT DES CHAMPS ÉDITORIAL ET TESTIMONIAL2941. Renouvellement du champ éditorial2941945-1948 : épuration et Résistance2951948-1953 : dévaluation de la Résistance3042. Renouvellement du champ testimonial (1945-1953)3063. Retrouver sa place dans le champ littéraire314IV. - CONCLUSION : OUBLI DES EXPÉRIENCES CAPTIVES322TROISIÈME PARTIE : SE DÉFAIRE DE LA DÉFAITE325I. - CHEMINEMENT DES RÉCITS DE DÉFAITE326INTRODUCTION326DRÔLE DE GUERRE ET DÉBÂCLE329CESSEZ-LE-FEU ET ARMISTICE342CAPTURE ET TRANSIT3481. Capture3482. Bouteillons : premiers récits de captivité3543. Marches : à l'aube de l'indignité3574. Frontstalags : les camps en France377Construire une communauté : le cas des P.G. " d'outre-mer »378Espaces incertains388Digestion de la défaite (1) : le temps des responsables391Digestion de la défaite (2) : " récit animal »/" récit humain »409TRANSFERT VERS L'ALLEMAGNE4161. Digestion de la défaite (3) : communauté des odeurs et des corps4172. Prendre ses repères424Du récit animal...424... au récit humain426Tout va bien ! : évitement de la douleur427II. - CAPTIVITÉ : VERS LES RÉCITS D'ÉVASION433QUELQUES DONNÉES SUR L'ORGANISATION DE LA CAPTIVITÉ433QU'EST-CE QU'IL Y A À RACONTER ?438A. - Il n'y a rien à raconter438B. - Souffrances441C. - S'évader de la honte : étapes d'un redressement4431. Le terreau de la honte4442. Purification4463. Laisser-aller : le mitan de l'indignité4504. Discipline(s), activité(s)4555. Écriture4576. Évasions462L'aventure, c'est l'aventure462Continuer la défaite, continuer le combat465III. - LIBÉRATION ET RETOUR470LIBÉRATION (1940-1945)4701. Rapatriements anticipés (1940-1944)4702. Libération par les Alliés (1945)4734

RETOUR478RETROUVER LE MONDE 4831. États de non-vie (1) : ne plus adhérer à la réalité4832. États de non-vie (2) : fantômes4883. États de non-vie (3) : ersatz4914. Obstacles494Inversion des valeurs494Le poids4965. Déguisements498RENDRE LE MONDE DE NOUVEAU FAMILIER5021. Le lieu commun de l'anecdote5022. Comparer507IV. - POUR UN RÉCIT INDIGNE ET ANIMAL DE LA CAPTIVITÉ 513LA VIE INDIGNE5151. La réalité et son double5152. États de non-vie (4) : animaux517L'EXPÉRIENCE EXISTENTIELLE DE LA HONTE521MÉTAMORPHOSES5281. La métaphore de l'homme-animal5282. Désirs de l'autre5373. Il n'y a pas d'illusion : il n'y a qu'une réalité qui se dédouble540CONCLUSION 545ANNEXES557BIBLIOGRAPHIE581INDEX601REMERCIEMENTS6055

6

ÉPIGRAPHES7

Tout royaume divisé contre lui-même sera détruit. Évangile selon saint Matthieu, XII, 25.Amer savoir, celui qu'on tire du voyage ! Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,Hier, demain, toujours nous fait voir notre image :

Une oasis d'horreur, dans un désert d'ennui !

Charles BAUDELAIRE, " Le voyage », 1861.La grande illusion : un aspect encore peu connu de la guerre, la vie des prisonniers de guerre en Allemagne.Bande-annonce de La grande illusion, 1937.DERNIÈRE VISION DONT IL NE FUT PAS PARLÉ

TANT ELLE FUT POIGNANTE.Devant la Chambre des députés une nuée d'aigles noirs picoraient des hommes étendus sur les marches, tout à coup

ces aigles se métamorphosèrent en hommes. Ces hommes furent à leur tour criblés par des balles et jetés dans un

brasier où semblaient se consumer toutes les lois du passé. Seule la Légion d'honneur créée par Napoléon fut

respectée... puis un immense soleil se leva sur une France rénovée... Quatre années peuvent s'écouler avant que tout

ceci soit vécu, mais pas davantage.Geneviève ZAEPFFEL, Mon combat psychique, 1939.Avons-nous trop aimé la littérature ?

André BILLY, Le Figaro, 25 mai 1940.Pour l'instant, les poètes n'oublient pas leurs camarades prisonniers.

Léon-Gabriel GROS, Les cahiers du Sud, mars 1941.Est-ce le futur visage de la poésie française qui se modèle avec la brume de l'attente ? Jean TORTEL, Les cahiers du Sud, novembre 1942.Le drame de la captivité... Mais il n'y a même pas de drame.Georges HYVERNAUD, Carnets d'oflag, 1944.La Résistance est une école de vie, qui ne trompe pas.Pol GAILLARD, La pensée, octobre-décembre 1944.8

À qui donc appartient-il de participer aux affaires publiques sinon aux meilleurs d'entre les Français, à ceux qui

ont conduit le pays vers le chemin de l'honneur ? Aux soldats qui ont délivré son sol ?

Claude MORGAN, " La démocratie et ceux qui en parlent », Les lettres françaises, 16 décembre 1944.Un monde est mort. Si les Français restent unis, un autre monde pourra naître où l'homme sera humain. Claude MORGAN, " La fin d'un monde », Les lettres françaises, 3 février 1945.Leur retour à la France c'est pour la France le retour à la vie.Affiche sur le retour des prisonniers de guerre, 29 avril 1945.Au fur et à mesure que s'affirmait en nous le sentiment d'être les victimes sans grandeur d'un drame dont les ressorts

profonds nous échappaient encore, nous avons perdu de notre substance morale comme de notre substance physique.René MÉNARD, " Contre nos fantômes », Les vivants, 1946.On ne parle pas assez de l'ennui de la guerre. Dans cet ennui, des femmes derrière des volets clos regardent l'ennemi

qui marche sur la place. Ici l'aventure se limite au patriotisme. L'autre aventure doit être étranglée.Robert ANTELME, L'espèce humaine, 1947.Nous sommes tellement éloignés que des Allemands ignorent notre résistance.Frère PATRICE, Le Dodore fait la malle, 1947.Chassés de l'histoire, ces paquets de héros ratés, ces martyrs sans palmes !

Jacques PERRET, Le caporal épinglé, 1947.Jean Dutourd, ancien prisonnier, parle sévèrement des prisonniers et de cette armée qui avait, dit-il, la vocation de la

captivité. Lui-même donne de sa vie de prisonnier à Auray, puis à Vannes des images pittoresques qui évoquent une

existence paresseuse, anarchique et facile.Kléber HAEDENS, compte rendu des Taxis de la Marne de Jean Dutourd, L'intransigeant, 1956.L'araignée royale détruit son entourage, par digestion. Et quelle digestion se préoccupe de l'histoire et des relations

personnelles du digéré ? Quelle digestion prétend garder tout ça sur des tablettes ? La digestion prend du digéré des vertus que celui-là même ignorait et tellement essentielles, pourtant qu'après celui-ci

n'est plus que puanteur, des cordes de puanteur, des cordes de puanteur qu'il faut alors cacher vivement sous la terre.Bien souvent elle approche en amie. Elle n'est que douceur, tendresse, désir de communiquer, mais si inapaisable est

son ardeur, son immense bouche désire tellement ausculter les poitrines d'autrui (et sa langue aussi est toujours

inquiète et avide), il faut bien pour finir qu'elle déglutisse.Que d'étrangers déjà furent engloutis !

Henri MICHAUX, " La vie de l'araignée royale », 1967. Cet homme qui attend et s'interroge, dans cette baraque où tout lui est encore étranger, est obligé de constater qu'il

vient de changer d'état d'une façon profonde, que la captivité n'est pas seulement, au sens propre du mot, un

" avatar » militaire mais entraîne une métamorphose de la condition humaine dans ce qu'elle a d'essentiel.Pierre GASCAR, Histoire de la captivité des Français en Allemagne (1939-1945), 1967.9

Ami lecteur, je vais essayer de vous amuser un moment [...]. Et si les premières pages vous paraissent trop tristes ou

trop longues, alors n'hésitez pas à les tourner pour que, d'emblée, nous puissions rire ensemble de bon coeur.H. BELIN, Saint Pierre derrière les barbelés, 1975. D'autres revenaient des camps de prisonniers, ou des camps de la mort. Les grandes vacances (1946) de Francis

Ambrière, Le caporal épinglé (1947) de Jacques Perret racontent la guerre et les stalags avec une grande justesse

de ton. Pierre ABRAHAM, Roland DESNÉ, Histoire littéraire de la France, 1939-1970, 1980.Nous ne faisons rien, bien sûr, mais nous sommes les sujets passifs d'une métamorphose. Tout a changé : nos yeux, ce

qu'ils voient. En gros, je suppose que c'est une dégradation, une simplification, un retour à l'enfance et mes camarades

le pensent comme moi. Mais enfin nous n'en sommes pas sûrs.Jean-Paul SARTRE, " Journal de Mathieu », Les temps modernes, septembre 1982.Il était sans dignité, mais cela ne l'empêchait pas de vivre. Ce que Gohar admirait surtout chez lui, c'était son sens

véritable de la vie : la vie sans dignité. Être vivant suffisait à son bonheur. [...] " Ce qu'il y a de plus futile en

l'homme, pensa-t-il, c'est cette recherche de la dignité. » Tous ces gens qui cherchaient à être dignes ! Dignes de quoi !

L'histoire de l'humanité n'était un long cauchemar sanguinaire qu'à cause de semblables sottises. Comme si le fait

d'être vivant n'était pas une dignité en soi. Seuls les morts sont indignes.Albert COSSERY, Mendiants et orgueilleux, 1993.

L'histoire, c'est toujoursla fiction du plus fortPaol KEINEG, Terre lointaine, 2004.Dans la Rome antique, les thermes étaient équipés de toilettes de plus de trois mille places. Sur le mur, on pouvait

lire la maxime suivante : " [...] Une nation qui excrète en collectivité est une nation unie. »

G. SHIXING, Toilettes publiques, 2004.10

DE QUELQUES DÉFINITIONS

PRÉLIMINAIRES ET DE LEUR USAGE11

Si l'oeuvre signifie le monde, à quel niveau du monde arrêter la signification ?

Roland BARTHES, " Histoire ou littérature ? », Sur Racine, 1960.CAPTIVITÉ. - Je désigne par captivité une réalité bien particulière de la Seconde

Guerre mondiale : la capture, le transfert, et l'internement (dans des camps en France puis en Allemagne - stalags, oflags1 - où s'effectua une répartition des soldats dans 80 000 kommandos de travail), d'1,5 millions de soldats français, officiers et hommes de troupe, d'active ou de réserve, de juin 1940 à mai 1945. Cette

captivité fut une captivité de guerre, c'est-à-dire qu'elle était inscrite dans une tradition

militaire qui donnait au vainqueur le droit d'interner les vaincus d'une bataille qu'elle avait gagnée. Elle fut la suite logique, sinon nécessaire, de la défaite française de

1940. En tant que phénomène prévisible de guerre, la captivité bénéficia d'une

réglementation, assurée par la convention de Genève de 1929. La captivité de 1940-1945 eut, dans son principe du moins, des précédents : 1870-1871 et 1914-1918.

Mais dans ses effets, et dans les significations qu'on peut lui attacher, elle fut un phénomène nouveau, que je tenterai de déplier à travers l'étude des récits qui en furent faits.Il convient de différencier la captivité de ce qu'on appelle couramment la déportation - celle-ci désignant aujourd'hui autant la déportation raciale (Juifs, Tsiganes) que politique (communistes, opposants), ou bien encore la déportation des " asociaux » (homosexuels), des handicapés (programme T4), des " droit commun », des " raflés », des " otages ». Cependant, malgré de fondamentales différences de fonctionnement, de but et d'effets entre la captivité et ces déportations, il convient également d'inscrire celle-là dans le système

concentrationnaire nazi, dont elle fut une modalité non négligeable.1 Pour des raisons de lisibilité et de légèreté, j'écrirai dorénavant " stalag », " oflag » et " kommando » sans

majuscules ni italiques, bien que l'usage typographique le prescrive. 12

Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'oeil de ton frère, et la poutre qui est dans ton oeil, tu ne la remarques pas !

Ou comment vas-tu dire à ton frère : laisse-moi retirer la paille de ton oeil, et voici la poutre dans ton oeil ! Hypocrite !

de ton oeil retire d'abord la poutre ; et alors tu verras clair pour retirer la paille de l'oeil de ton frère.Évangile selon saint Matthieu, VII, 3-5.

IDÉOLOGIE. - " Ensemble plus ou moins cohérent des idées, des croyances et des doctrines

philosophiques, religieuses, politiques, économiques, sociales, propre à une époque, une société, une

classe et qui oriente l'action. » (Trésor de la langue française) À la suite d'une certaine pensée

marxiste, ce sens d'idéologie est généralement connoté péjorativement, parce que l'idéologie s'opposerait ainsi à " la science », la justification de vues personnelles ou communautaire à l'exposition " désintéressée » et " objective » des faits : L'idéologie est, dans la société de classe, une représentation du réel, mais

nécessairement faussée, parce qu'elle est nécessairement orientée et tendancieuse, - et elle

est tendancieuse parce que son objectif n'est pas de donner aux hommes la connaissance objective du système social dans lequel ils vivent, mais au contraire de leur donner une

représentation mystifiée de ce système social pour les maintenir à leur " place » dans le

système de l'exploitation de classe.2 Pour ma part, je partirai du principe que tout discours de savoir et/ou de pouvoir (qu'il soit politique, scientifique, historien, littéraire...), et pour peu qu'il tente d'articuler, dans son contenu aussi bien que dans ses structures, l'individu et le collectif, repose sur une idéologie. Dès lors, la connotation péjorative du terme peut

être revue à la baisse. L'idéologie est fortement liée à l' " historicité » : à l'inscription

dans l'Histoire d'un sujet parlant et pensant. De Sartre jusqu'à Jacques Derrida, dans une " ère du soupçon »3, des travaux nous ont appris qu'il n'existait plus de discours innocents, de discours " purs », surgis de nulle part. On ne peut plus aujourd'hui considérer qu'il y a des discours entièrement " objectifs », parvenant sinon à surgir d'un lieu de parole neutre, du moins à effacer toute trace de leur origine de temps et de lieu ; ni de discours qui légitimeraient leur valeur collective, universelle, par leur

2 Louis ALTHUSSER, Théorie, pratique théorique et formation théorique. Idéologie et lutte idéologique, texte ronéotypé,

p. 29 ; cité par Jacques RANCIÈRE, La leçon d'Althusser, Paris, Gallimard, coll. " Idées », 1974, p. 230. Althusser

est lié de près à ce sujet de thèse : d'abord parce qu'il a été captif au stalag X A, de 1940 à 1945 ; ensuite parce

qu'il en a donné un récit, dans sa magnifique autobiographie L'avenir dure longtemps (Stock/I.M.E.C., 1992) ;

enfin parce qu'il fut avant guerre, en classe de khâgne du Lycée du Parc à Lyon, l'élève d'un futur captif

particulièrement important : Jean Guitton. Pour des raisons de délimitation de corpus, je n'étudierai

malheureusement pas ce récit. Il existe également un Journal de captivité : Stalag X A, 1940-1945, qui est surtout

un témoignage du travail philosophique qu'Althusser effectuait en captivité (Olivier Corpet, Yann Moulier

Boutang (éd.), Stock/I.M.E.C., 1992).3 Jean-Paul SARTRE, Situations II, Paris, Gallimard, 1948. Jacques DERRIDA, Limited Inc., Paris, Galilée, 1990.

Nathalie SARRAUTE, L'ère du soupçon, Paris, Gallimard, 1956. Roland BARTHES, Sade, Fourier, Loyola, Paris, Le

Seuil, 1970. 13

prétendue " neutralité ».4 Ces travaux de déconstruction nous ont également appris que le langage hésitait rarement avant de devenir un outil de pouvoir et d'oppression. S'il semblait relativement facile de faire trébucher les plus voyantes des techniques de propagandes (celles des régimes totalitaires ou des publicitaires), il fallait également prêter attention aux langages plus usuels, plus quotidiens, plus " naturels ». Si l'on croit - comme je le crois - que la circulation du pouvoir et de l'oppression ne fait pas systématiquement le chemin du haut (l'État, le Capital, le Père, la Loi, etc.) vers le bas (l'individu, le prolétaire, la femme, l'enfant, etc.), mais emprunte également des voies de traverse - interindividuelles par exemple - , alors l'étude des langages " évidents » et " de bon sens » qu'on entend et qu'on emploie tous les jours est particulièrement urgente pour déceler les présences idéologiques. Le langage, parce qu'il est une réalité que tout humain partage, est un redoutable outil de transmission

des idéologies. Pour autant, ces tentatives de déconstruction ne doivent pas nous emmener sur une

voie paranoïaque, et nous conduire à nier certains faits. On peut songer par exemple

aux théories négationnistes, héritières en partie (pour leur provenance ultra-gauchiste) de cette critique de l'idéologie. Paranoïaques et de mauvaise foi, ces

théories le sont assurément parce qu'elles confondent volontiers la réalité décrite et

la récupération politique ou religieuse qui est parfois faite de cette réalité. Elles jettent, comme on dit, le bébé avec l'eau du bain.5 En revanche, la déconstruction du langage n'est jamais un déni de la réalité auquel le langage fait référence ; elle se donne plutôt pour mission de déplier les techniques et les enjeux d'appréhension,

d'agencement, et de transmission de cette réalité. Cependant, tous les discours ne sont pas réductibles à l'idéologie qui les sous-tend. Certains plus que d'autres assument, développent et soignent leur inscription

idéologique ; d'autres au contraire cherchent le plus possible à l'évacuer ; d'autres enfin l'ignorent simplement. Mais dans aucun de ces trois cas, l'idéologie n'est une

4 Une certaine école de ce qu'on appelle la philosophie analytique, appuyée sur les recherches en sciences dures et

en ingénierie, tente de démontrer le contraire. Pour une critique de ces méthodes, je renvoie aux travaux de

l'" Institut de démobilisation » : http://golri.net/i2d/index.php?id=16,0,0,1,0,05 Pour une mise au point théorique sur le négationnisme, voir l'article de Patrice LORAUX, " Consentir », in Le

genre humain, n° 22, 1990, qui montre que la méthode " hyper-critique » du négationnisme se disqualifie en

allant jusqu'à se heurter à la simple acceptation de la réalité. 14 question résolue et maîtrisée par le discours ; en aucun cas les efforts du discours n'ont raison de l'idéologie qui le sous-tend. S'il est alors impossible pour un discours

d'échapper à son inscription idéologique, on peut toutefois tenter de connaître celle-ci, pour l'endiguer et ne pas se laisser submerger par elle. Une question - elle-même idéologique et héritée de Mai 68 - permet

d'engager simplement le travail de reconnaissance : " D'où tu parles ? ». C'est-à-dire : de quel pays ?, de quelle époque ?, de quelle place (sociale, économique, géographique, politique, littéraire, culturelle...) dans la communauté nationale ? ; mais aussi : de quel héritage ?, de quelle place de toi ?, de quel imaginaire ? Cette question a le mérite d'envisager l'inscription idéologique autant sur le plan collectif que personnel, et dans l'articulation de ces deux plans. Mais, comme l'écrit Michel Foucault, cette question est également une " question policière » qui soumet les réseaux de significations d'un discours à la seule origine de celui-ci et tente ainsi de lui fixer une identité. Elle polarise l'interprétation des discours vers ses causes plutôt que vers ses effets, et surtout elle n'envisage pas le devenir de la parole :

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de savoir exactement qui je suis. Ce qui fait l'intérêt

principal de la vie et du travail est qu'ils vous permettent de devenir quelqu'un de différent de

ce que vous étiez au départ. Si vous saviez, lorsque vous commencez à écrire un livre, ce que

vous allez dire à la fin, croyez-vous que vous auriez le courage d'écrire ? Ce qui vaut pour l'écriture et pour une relation amoureuse vaut aussi pour la vie. Le jeu ne vaut la chandelle que dans la mesure où l'on ignore comment il finira.6 Cela peut signifier pour nous, par exemple, qu'un texte littéraire n'est pas réductible aux données biographiques, psychanalytiques, sociologiques, historiques, au sein desquelles il prend vie. Mais cela signifie aussi qu'un texte - et plus largement toute prise de parole, ou de position d'un individu - présente le risque de l'inattendu, de l'incohérence, voire de l'inexplicable, par rapport à ce qu'on prévoit de ce texte. Le texte n'est plus simplement la production (aux deux sens du terme : le produit et le processus qui produit) logique d'un individu conditionné par un certain milieu ; il se donne le droit de contredire (ou non) ce qu'on attend de lui. Certains artistes se sont fait, chacun avec ses techniques propres, une spécialité dans le

6 Michel FOUCAULT, " Vérité, pouvoir et soi », entretien avec R. Martin, université du Vermont, 25 octobre

1982, repris dans Dits et écrits, t. II, 1976-1988, Daniel DEFERT, François EWALD (éd.), Paris, Gallimard,

coll. " Quarto », 2001, p. 1597. Voir aussi l'entretien de Foucault avec Roger-Pol Droit, juin 1975, repris dans

Le point, n° 1659, 1er juillet 2004, p. 82.15

domaine de l'insaisissable : je pense en particulier à Armand Robin et Maurice Sachs.7 Mais dans le domaine de l'action politique - qui m'importe, parce que la Résistance, le Pétainisme et la Collaboration agissent comme modèles pour les récits de captivité - , on retrouve parfois également ces surprises et ces incompréhensions. Pour ne parler que de soldats français captifs, je citerai parmi d'autres les noms de Claude Morgan, Joseph Darnand, Claude Roy, François Mitterrand, dont les parcours pendant la guerre contredisaient à certains moments les comportements qu'on aurait pu attendre d'eux, connaissant leur milieu d'origine et leurs engagements précédents.8 Dans un ouvrage déjà ancien (1977), Gérard Delfau et Anne Roche recensent les problèmes qu'une analyse idéologique des contenus littéraires ne manque pas de poser. Cette critique porte précisément sur la théorie marxiste " du reflet », en vogue dans les années 1930. Il me semble cependant qu'elle reste encore valable aujourd'hui, qu'on s'inscrive dans l'approche déjà un peu datée de la " vision du monde » (Goldmann), ou bien lorsque l'on reproche à Michel Houellebecq et Renaud Camus leur mise en scène de propos inadmissibles sur les Arabes ou les Juifs. Ces remarques méritent également d'être réexaminées lorsqu'on stigmatise le manque de pertinence historique du roman de Jonathan Littell, Les bienveillantes.9 Selon Delfau et Roche, la théorie du reflet (qui voyait dans les contenus explicites de l'oeuvre littéraire les structures d'affrontement de classe) montrait ses

limites dans : - [la] méconnaissance des distorsions formelles, fondée sur une conception naïve de l'art

comme reproduction du réel, et [l']ignorance de la pesanteur spécifique des choix formels ;

- [la] méconnaissance des distorsions psychologiques et idéologiques (ces dernières étant

majorées, mais à notre avis, de manière inexacte [...]) ; - [la] méconnaissance de l'histoire de l'individu et du contenu psychanalytique de l'oeuvre ;

- [la] vision de l'oeuvre comme résultat définitif d'une activité passée et déterminée ;

[l']ignorance de l'oeuvre comme projet futur, ouverture, appel au lecteur qui viendra, qui ne

7 Je pense aussi à Pier Paolo Pasolini, dont les positionnements politiques déstabilisèrent autant la droite que

la gauche, les libertaires que les conservateurs, les révolutionnaires comme les réformistes. L'instabilité de son

oeuvre est d'autant plus remarquable qu'elle repose sur un socle a priori stable et identifiable : la personne

même de Pasolini. Mais le poète, cinéaste, romancier, dramaturge, théoricien parvenait admirablement à

miner jusqu'à cette question de l'identité personnelle. Voir par exemple Poésies 1953-1964, Paris, Gallimard,

coll. " Poésie », 1980. 8 Claude Roy fait la même remarque pour les maurassiens qui entrent dans la Résistance et même au P.C. :

Claude Morgan, Jean Sabier, Emmanuel d'Astier, Debû-Bridel, Maurice Blanchot. " Exceptions, bien sûr, mais

intéressantes. » (Claude ROY, Moi je. Essai d'autobiographie, Gallimard, 1969, p. 193.)9 Voir en particulier l'article de Josselin BORDAT et Antoine VITKINE, " Un nazi bien trop subtil », Libération, 9

novembre 2006.16 sera pas le même, et qui par sa lecture modifiera l'oeuvre ; [l']ignorance du dynamisme de

l'oeuvre [...]10Delfau et Roche rappelaient enfin qu' " écrire, c'est répondre à une demande, fût-elle

inexprimée ; mais c'est aussi se projeter vers l'avenir selon une forme d'échange social dont les

termes restent à préciser. »11 En accord avec ces remarques toutes simples, je plaide ici pour une technique d'analyse des textes qui soit à la fois attentive à l'origine de ceux-ci - parce que, somme toute, " D'où tu parles ? » est l'une des moins mauvaises questions qui puissent être posées - , mais qui accepte également le peu de pertinence de cette question, et préfère tabler sur un certain état de devenir des textes, plutôt que sur leur identité originelle. Cette technique d'analyse m'est apparue comme la meilleure que j'ai pu trouver, compte tenu du caractère ambigu de

nombreux textes du corpus étudié. Ces récits de captivité, en effet, sont à la fois documents historiques,

témoignages, oeuvres de mémoire personnelle mais aussi collective, tentatives d'écriture (et non simplement comptes rendus), tentatives de symbolisation, voire de

" poétisation » de l'expérience de la captivité de guerre. Dès lors, l'idéologie est au

coeur de ces textes, non pas nécessairement comme unique clé de lecture, mais comme pôle d'attraction (et de répulsion) pour toutes les fonctions assignées aux textes. Chacun des auteurs, se posant la question " Pour quoi j'écris ? », se confronte, à un

moment donné, à la question : " D'où j'écris ? ». J'ajouterai enfin qu'il y a bien une difficulté à porter une critique idéologique

tout en s'imprégnant - comme je souhaite le faire ici - de l'esprit de l'époque de la captivité. En effet, si la Seconde Guerre mondiale a manifesté clairement son fonctionnement idéologique (parce que s'y affrontaient réellement plusieurs conceptions du monde, et parce que le langage et la pensée servaient d'armes de guerre), rares furent les individus qui en saisirent entre 1939 et 1945 la portée et les implications qu'il engendrait. Ainsi les soldats de l'Armée française, dans leur ensemble, n'ont pas remis en cause le principe d'obéissance à l'État qui les caractérise traditionnellement, bien que la rébellion du général de Gaulle en 1940 ait

introduit un puissant élément idéologique sur le terrain de jeu de la légalité et de la

10 Gérard DELFAU, Anne ROCHE, Histoire/Littérature. Histoire et interprétation du fait littéraire, Paris, Le Seuil, 1977,

p. 287.11 Ibid.17 légitimité.12 Dès lors, il semble que la critique idéologique que je souhaite mener ici se porte sur une époque peu consciente de ce qui lui advint, du point de vue idéologique. Le confort intellectuel de ma position d'homme français du début du XXIe siècle ne rend-il pas alors cette critique trop facile et, somme toute, un peu injuste ? Il est aisé de reprocher aujourd'hui aux hommes de 1940 leur aveuglement et leurs errements dans des idéologies monstrueuses : la critique du phénomène idéologique ne se fera véritablement que dans les années 1960-1970. Cependant, dès les années 1930, il existe une critique des idéologies : Les chiens de garde de Paul Nizan en est un bon exemple. Durant la guerre, la critique des idéologies adverses est une technique parmi d'autres de production d'idéologies : communisme, gaullisme, nazisme, pétainisme se construisent en se démarquant les uns des autres, tout autant que sur leurs valeurs propres. Les individus engagés dans un système idéologique donné portent une critique sans doute plus pointilleuse sur les stratégies idéologiques de leurs adversaires que sur les leurs... Quoi qu'il en soit, la critique idéologique que je souhaite ici est pour moi moins un outil de jugement des hommes, que de pistage, de traçabilité des formes, des structures et des contenus

idéologiques d'une littérature qui a été très peu étudiée, et qui nous parvient, sans

avoir été jusqu'alors décontaminée. Je fais surgir ici une vieille baleine enterrée depuis plus de cinquante ans, et

peut-être que son action, si elle a été oubliée, n'est pas tout à fait morte ; peut-être

que les petits baleineaux nés depuis les années 1980 (quand proliféraient les " récits de vie ») s'écrivent dans le souvenir mythique de leur baleine-mère, et que le souvenir de la baleine (1940-1953) mérite aujourd'hui d'être déconstruit, avant que

nous puissions enfin le partager et nous le réapproprier. Il va sans dire que le travail que j'effectue ici repose lui aussi sur une idéologie,

que j'essaierai, du mieux que je pourrai, de déplier et de déconstruire. 12 Voir infra, ch. " Le P.G., objet de controverses », p. 82.18

LA RÉALITÉ/LE RÉEL. - Ces deux termes ne seront pas ici synonymes. Le Trésor de la Langue française nous donne plusieurs définitions de réalité. Je n'en retiendrai que deux, à mon avis complémentaires : " Manifestation concrète, contenu (d'un processus, d'un

événement) » et " Ce qui existe indépendamment du sujet, ce qui n'est pas le produit de la pensée ».

La réalité est alors synonyme de fait, mais également de phénomène - c'est-à-dire de

ce qui, du monde, advient à la conscience humaine. Exemples de réalité(s) : les barbelés qui ceignent le stalag (un objet, un espace) ; une évasion (un événement) ; la faim (un ressenti) ; un récit de captivité (une parole, un texte). J'entends également par réalité des agencements plus complexes : le système concentrationnaire nazi, par

exemple, est une réalité de la Seconde Guerre mondiale. La notion de réel est complémentaire de celle de réalité. Elle touche plus

précisément à l'ordre du sens et du symbolique. On peut ainsi chercher un réel par-delà la réalité, ou les réalités. Par-delà, c'est-à-dire ou bien sous la réalité (un ordre du

monde souterrain) ; ou bien au-dessus de la réalité (un ordre du monde transcendant, souvent divin) ; ou bien encore en surface, dans un agencement horizontal de la réalité (comme le conceptualisent par exemple Gilles Deleuze et Félix Guattari). De nombreux récits de captivité tentent de donner un sens à l'expérience de la captivité ; ils tentent parfois aussi d'en faire le symbole d'un ordre du monde. C'est le cas, par exemple, de Jean Guitton, qui fait de la captivité un champ d'expérimentation tout entier tendu vers la Révolution Nationale. Mais c'est également le cas de Raymond Guérin qui voit dans la captivité une manifestation du " Temps de la Sottise » et du " Minotaure » (c'est-à-dire de l'oppression de l'individu

par la société des hommes). J'appelle ces tentatives de sens et de symbolisation : entreprises de dévoilement du

réel. Réel, ici, sera aussi souvent précédé d'un article défini qu'indéfini : je parlerai

autant du réel que d'un réel. J'essaie ainsi de faire au mieux sentir la dimension totalisante (et terrifiante aussi, par certains aspects13) que prennent parfois ces

13 De ce point de vue, cette notion de réel se nourrit de la philosophie de Clément Rosset et des fictions de

l'écrivain américain Howard Phillips Lovecraft. Dans ces dernières, le réel abominable de l'univers (la

présence de monstruosités extraterrestres malveillantes) se dévoile, sous l'apparent bleu du ciel, à des esprits

d'exception, poètes, scientifiques, érudits, qui finissent inévitablement broyés par ce qu'ils ont découvert.

Clément ROSSET, Le réel et son double, Paris, Gallimard, coll. " Folio Essais », 1993 ; Le monde et ses remèdes, Paris,

P.U.F., 2000 ; etc. Howard Phillips LOVECRAFT, OEuvres complètes, Paris, Robert Laffont, coll. " Bouquins », 3

vol., 1991-1992. Voir également Laurent QUINTON, " L'événement monstrueux dans les récits de

H.P. Lovecraft », Que m'arrive-t-il ? Littérature et événement, Actes du colloque " Littérature et événement »,

Emmanuel BOISSET, Philippe CORNO (dir.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. " Interférences »,

19 constructions symboliques. Je fais également le pari de prendre au sérieux ces constructions d'un réel, c'est-à-dire d'en apprécier la puissance d'analyse et de compréhension du monde. Ce que nous disent ces interprétations - parfois ces fictions14 - de la réalité de la captivité est peut-être aussi important, pour nous aujourd'hui, que les études historiques les plus précises des conditions de la

captivité. Cependant, il est bien plus facile, pour un littéraire, de ne considérer ce réel que

comme une pure construction symbolique, dont on s'efforcerait de repérer les techniques. Il est beaucoup moins évident en revanche de tenter d'en apprécier la puissance de construction de réalité. Pour le dire autrement, j'ai l'intime conviction que le plan symbolique où l'on a souvent l'habitude de cantonner l'art, la pensée, la littérature, n'est pas le seul où ces oeuvres de l'esprit agissent efficacement. La littérature, la philosophie, le cinéma prennent autant part à la construction de notre

réalité que le font le droit, l'économie, ou les découvertes de l'histoire, de la biologie

ou de l'astrophysique. Si la littérature, parmi d'autres activités humaines, s'est fait

une spécialité d'interroger le réel, de trouver un sens à la vie (à la réalité), elle n'est pas

pour autant une simple oeuvre d'observation et de commentaire de la vie. Elle est aussi la vie même, la réalité même, alors même qu'elle n'officie pas dans " ce qu'on appelle couramment la réalité »15. Afin d'interroger au mieux cette puissance de la littérature dans la vie, et tout en prenant bien soin de ne pas confondre réalité et

réel, fait et interprétation de ce fait, je ferai l'effort d'écouter ce que nous dit ce réel,

et de l'utiliser comme outil de compréhension et de construction des réalités de la

captivité. La question de l'idéologie se pose pour cette distinction entre réel et réalité. Si la

dimension idéologique du réel est indéniable (parce que le dévoilement du réel est une tentative de construction de sens), elle existe également pour la réalité. Car le

2005, pp. 231-243.14 " [...] les personnes qui me lisent, en particulier celles qui apprécient ce que je fais, me disent souvent en riant : "Au fond, tu

sais bien que ce que tu dis n'est que fiction." Je réponds toujours : "Bien sûr, il n'est pas question que ce soit autre chose que des

fictions." » (Michel FOUCAULT (à propos de son Histoire de la folie à l'âge classique), " Entretien avec Michel

Foucault », 1978 ; repris dans Dits et écrits, op. cit., t. II, p. 863.)15 Jacques DERRIDA, Limited Inc., op. cit., p. 122. L'expression - légèrement ironique - de Derrida est à lire

dans le contexte d'une polémique avec John Searle, celui-ci prétendant qu'il était possible de distinguer

nettement des discours " sérieux », " normaux » et des discours " non-sérieux », " anormaux », " parasitaires ».

Le statut de la littérature et de la fiction sont donc, par cette distinction de Searle, relégués au rang de discours

" non-sérieux ». 20 simple découpage, le simple agencement de phénomènes suppose déjà un certain projet de sens, aussi minimal soit-il. Choisir de décrire telle réalité de la captivité

plutôt que telle autre, évoquer les évasions plutôt que l'ennui sous le simple prétexte

que le récit des évasions serait moins ennuyeux que celui de l'ennui, ou parce qu'on estime que les évasions sont les seules réalités de la captivité qui puissent être narrées - voilà bien déjà l'expression d'une idéologie, aussi éloignée de préoccupations politiques soit-elle. C'est déjà produire un texte en lui assignant un but : la transmission d'une expérience ou de valeurs expérimentées en captivité ; la volonté d'être entendu par le plus grand nombre ; la justification de sa propre conduite pendant les années de guerre ; mais aussi : le plaisir de l'anecdote, du récit,

de l'aventure ; etc.Dans les récits de mon corpus, réalité et réel s'agencent à chaque fois

différemment, dosés l'un et l'autre différemment suivant le projet d'écriture, mais aussi en fonction du contexte de production et de réception de ces textes. Il s'agira donc d'être attentif à la fois aux grandes tendances de ces récits (pour en établir une

typologie) tout autant qu'aux cas particuliers. FRANÇAIS. - Je suis français. Cette affirmation, aussi étrange et naïve (et peut-être un

peu rancie) qu'elle puisse paraître ici, essaie surtout de mettre en lumière l'inscription de ce travail dans une histoire, une mémoire et une langue de la captivité qui sont fondamentalement françaises. L'ampleur de la défaite et de la captivité, leur récupération par plusieurs idéologies concurrentes, leur relative absence dans le champ de la pensée de notre modernité, me laissent croire que la captivité fait encore aujourd'hui pour les Français partie de ce " passé qui ne passe pas »16. Du moins : pour moi. Soit, je parle de ce lieu-là, qui me permet de sentir dans le contexte actuel les traces et les failles laissées par l'événement, dans nos langues, nos pensées et nos mémoires. C'est donc aussi l'espoir que ce travail puisse peut-être

servir à interroger notre modernité. 16 Éric CONAN, Henry ROUSSO, Vichy : un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard, 1994.21

22

ENVOILA FIN D'UN MONDELE DÉBUT D'UN MONDE23

Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts.Paul REYNAUD, Ministre des Finances, 10 septembre 1939.C'est une question de savoir si les " catastrophes nationales » se reconnaissent à des marques décisives et univoques.Vladimir JANKÉLÉVITCH, " Dans l'honneur et la dignité », 1948. Arrêtons-nous ici : car nous franchissons un seuil solennel. Entre 1940 et 1945, l'homo sapiens est entré dans une

sphère nouvelle : et cela sans le savoir. Pas plus que les origines, les mutations radicales ne sont au moment même

discernables. Que s'était-il donc passé ?Jean GUITTON, discours de réception à l'Académie française, 22 mai 1962.Le 17 juin 1940, après une suite d'affrontements sans équivoque au cours desquels

123 000 soldats français furent tués, advint ce que Marc Bloch appela " l'étrange

défaite ». Qu'a-t-elle d'étrange, cette défaite ? Ce n'est pourtant pas la première fois

dans son histoire que l'armée française perd une guerre ; et ce n'est pas la première fois non plus que le territoire national est occupé par l'ennemi. La défaite de 1940 résonne à cet égard fortement avec celle de 1870, sautant à regret dans les mémoires par-dessus la victoire chèrement payée de 1918. Immédiatement, face au surgissement de l'événement, un réflexe de comparaison se fait dans les consciences, pointant le retour du même, les causes qu'on a parfois dit anciennes et profondes, le

mal être d'une société française " décadente » et " amollie » qui n'a pas su affronter la

nouveauté d'un monde apporté par les armées allemandes. Le besoin de comprendre et de saisir cet événement de la défaite est d'autant plus urgent que la société française est tout entière sous le choc. En juin 1940, les militaires sont hagards et les civils, croisant dans un exode pitoyable régiments de vainqueurs et colonnes de vaincus, s'humilient sur les routes du pays. La défaite, proprement, c'est

ce qui défait un peuple et une nation.Si la défaite est étrange, c'est sans doute qu'elle succède à une " drôle de

24
guerre ». Une guerre lente, de position, d'ennui et d'attente molle, qui s'achève dans des affrontements brefs et parfois sanglants. François Cochet relève dans un dossier des Archives départementales des Ardennes qu'on parle à ce propos de " guerrequotesdbs_dbs18.pdfusesText_24
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