Comment creer une tragedie moderne de construction classique
Comment créer une tragédie moderne de construction classique ? Jeux avec les règles. A bstract : The output of dramatic works of Bernard-Marie Koltès in the
Résurrection de la tragédie
Le tragique moderne ne semble plus vouloir s'exprimer en langage de théâtre il cherche d'autres formes. On ne fait plus de tragédies comme on ne fait.
Lœuvre de Marguerite Duras ou Lexpression dun tragique moderne
13?/11?/2009 Duras entre le tragique et le comique. Nous tentons
Lœuvre de Marguerite Duras ou Lexpression dun tragique moderne
29?/10?/2018 Nous tentons en outre
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ECOLE DOCTORALE
CULTURE ET SOCIETE
Thèse de Doctorat
en Littérature françaisePrésentée et soutenue publiquement par
Hamida Drissi
Le 09/12/2008 L"oeuvre deL"oeuvre deL"oeuvre deL"oeuvre de Marguerite DurasMarguerite DurasMarguerite DurasMarguerite Duras
ououououl"expression d"un tragique modernel"expression d"un tragique modernel"expression d"un tragique modernel"expression d"un tragique moderne
The work of Marguerite Duras The work of Marguerite Duras The work of Marguerite Duras The work of Marguerite Duras
orororor tttthe expression of a modern tragic he expression of a modern tragiche expression of a modern tragiche expression of a modern tragicSous la direction de
Madame Gisèle Séginger
Jury:Professeur Gisèle séginger
Professuer Bernard Alazet
Professeur Samir Marzouki
2 3Remerciements
Je tiens tout d"abord à remercier la Directrice de cette thèse, Madame Gisèle Ségingerpour l"intérêt qu"elle a accordé à ce travail et pour ses conseils avisés. Je lui suis très
reconnaissante pour sa constante disponibilité et son aide précieuse. Je voudrais témoigner toute ma gratitude à Madame Jeanne-Marie Clerc pour sa lectureattentive de la présente thèse et ses remarques judicieuses. Sa générosité et son humanité
m"ont encouragée tout au long de ce projet.Ma reconnaissance va également à Monsieur Samir Marzouki, qui m"a initiée à la
littérature française et qui m"a donné le goût et la passion de la recherche. Je le remercie
pour sa confiance et sa bienveillance. Mes remerciements vont aussi à ma famille pour son soutien et sa foi infaillible dans l"achèvement de mes travaux. Un grand merci à Madame Geneviève Kindo qui a éclairé mes nombreuses questions et ignorances dans le domaine informatique. Sa gentillesse et son appui m"ont été précieux. Je remercie également Géraldine Vogel, Stefania Tortora, Sameh Jouini, Sophie Carvalho et Nicolas Kempf qui m"ont entourée durant ces années et qui ont jalonné mon parcoursd"encouragements répétés. Leur soutien inconditionnel a contribué à raffermir ma
persévérance. 4Résumé
Le tragique semble être au coeur de la littérature contemporaine. En effet, la mort de la tragédie classique ne signifie pas la disparition du tragique. Au contraire, celui-ci survit et prend de nouvelles formes. C"est précisément cette " nouvelle forme » que nous analysons dans notre thèse intitulée " L"oeuvre de Marguerite Duras ou l"expression d"un tragique moderne ». L"oeuvre durassienne participe de ce que Jean-Marie Domenach nomme " le retour du tragique ». Notre étude porte sur la vision tragique de Duras. Elle examine aussi l"évolution du tragique durassien en le comparant souvent au tragique antique. Nous essayons, également, les rapports complexes qui existent, chez Duras, entre le tragique et le comique. Nous tentons, en outre, de voir comment Durasréussit à dépasser ce tragique moderne en développant une ethétique du détachement.
Mots-clés : Marguerite Duras, tragique, comique, rire, détachement. 5 6Abstract
The tragic seems to be at the heart of contemporary literature. Indeed, the death of the tragedy does not mean taht the tragic has disappeared. On the contrary, the latter has survived and has taken on new forms. It is pricesely this "new form" that we analyze in our thesis entitled "The work of Marguerite Duras or the expression of a modern tragic". Duras"work is part of what Jean-Marie Domenach names "the return of the tragic". Our thesis studies Duras"s vision of the tragic. It also examines the evolution of this tragic as we compare it with the tragic of the Antiquity. We also try to study the complex link between the tragic and the comic in Duras"s work. We attempt to inderstand how Duras succeeds in surpassing the modern tragic as she develops an aesthetic of detachment. Keywords: Marguerite Duras, tragic, comic, laughter, detachment. 7 8INTRODUCTION
Marguerite Duras est un des écrivains qui aura le mieux marqué son époque. En effet, en un demi-siècle de création protéiforme, elle aura non seulement imposé son nom dans la littérature du XX e siècle, mais elle aura aussi provoqué des réactions contradictoires et passionnées qui ne se sont pas éteintes avec elle. Elle est présente sur toutes les scènes: à la télévision, dès 1964, dans un entretien avec Paul Soban1 à propos
de la publication du Ravissement de Lol V. Stein, ensuite en 1984 dans l"émissionApostrophes
2 de Bernard Pivot à l"occasion de l"obtention du prix Goncourt avec
L"Amant, pour ne citer que ces apparitions sur le petit écran parmi tant d"autres ; à la radio, par exemple, dans Le Bon plaisir3 diffusé par France Culture ; dans les journaux
ainsi qu"en témoignent ses chroniques à France-Observateur ou encore ses articles dansLibération comme " sublime, forcément sublime », article violemment controversé, écrit
au sujet du fait divers connu sous le nom de l"" affaire Grégory » ;4 sur la scène politique
aux côtés de François Mitterrand avec lequel elle eut une série d"entretiens, parus dansL"Autre journal ;
5 sur la scène sociale en participant activement aux événements de mai
1968 et en soutenant la révolte des étudiants ; au cinéma, que ce soit en tant que
réalisatrice, actrice de ses propres films comme pour Le Camion,6 ou que ce soit en
participant à des films comme celui d"Hiroshima mon amour7 réalisé par Alain Resnais.
Marguerite Duras apparaît ainsi sous bien des visages : intellectuelle de gauche, polémique ou scandaleuse.1 Entretien retransmis dans Lire et Écrire n°8 : F. comme fiction : Marguerite Duras, émission de décembre
1993, de Pierre Dumayet. Réalisation de Robert Bobert, La Sept/Arte
2 Émission Apostrophes de Bernard Pivot, réalisée par Jean-Luc Léridon et Jean Cazenave, Antenne 2,
diffusée le 28 septembre 1984.3 Le Bon plaisir, une émission de France Culture (Radio-France), diffusée le 20 octobre 1984, réalisée par
Marianne Alphant avec Denis Roche, Jean Daniel et les comédiens Gérard Desarthe, Nicole Hiss et
Catherine Sellers.
4 Marguerite Duras, " Sublime, forcément sublime », dans Libération, 17 juillet 1985.
5 L"autre journal, 26 février-4 mars 1986.
6 Le Camion, film réalisé en 1977.
7 Hiroshima mon amour, scénario et dialogues de Marguerite Duras. Film réalisé par Alain Resnais en
1959.9 Et pourtant, combien semble insaisissable l"oeuvre de cet écrivain dont le nom est si connu. Les biographies se succèdent : Alain Vircondelet,
8 Frédérique Lebelley,9 Laure
Adler,
10 pour ne citer que les plus connus, ont chacun donné leur version de la vie de
Marguerite Duras, en soulignant les zones d"ombres qui demeurent après leur analyse. Quant aux productions de Marguerite Duras, elles suscitent encore et toujours l"intérêt : les critiques se réunissent autour de colloques, comme celui qui fut organisé à Lyon 11 ou12 sans que jamais une interprétation ne réussisse à
mettre fin aux interrogations que soulève l"écriture de Marguerite Duras. Par ailleurs, lenombre d"études universitaires consacrées à cet écrivain est important et ne cesse
d"augmenter. C"est cet aspect d"une écriture porteuse de mystères, auxquels plusieurs écrivains, philosophes, critiques et étudiants se sont confrontés, qui nous a séduit. 13 En réalité, c"est une expérience un peu similaire à celle que décrit Laure Adler, 14 qui nous a poussé à nous consacrer à l"oeuvre entière de Marguerite Duras : comme elle, c"est la lecture, presque fortuite, d"un roman, Un barrage contre le Pacifique, qui nous a engagé dans une longue traversée de son oeuvre. Ce texte de jeunesse, nous semblait-il, paraissait emblématique de multiples aspects de la pensée contemporaine, tant par les idées qu"il véhiculait que par la vision tragique du monde et de la condition humaine qu"il déployait. Il soulevait des questions qui nous préoccupaient, questions aussi primordialesqu"existentielles, dans la mesure où elles traitaient des sujets tels que le malheur de
l"homme moderne, la fuite du temps, le sens de la vie et de la mort. Mais comme ce roman n"a eu d"autres effets que d"attiser notre curiosité et d"amplifier l"intensité de nos questionnements, nous nous sommes intéressé à d"autres livres de cet écrivain. Notre but était de trouver, quelque part dans ses ouvrages des solutions aux difficultés de l"existence humaine aussi justement posées. Or, contrairement à nos attentes, et aprèsavoir épuisé tout ce que Marguerite Duras a publié, nous restions aussi démuni à la
8 Alain Vircondelet, Biographie de Marguerite Duras, Ed. Seghers, coll. " Ecrivains de toujours », Paris,
1972.9 Frédérique Lebelly, Duras ou le poids d"une plume, Ed. Grasset, Paris, 1993.
10 Laure Adler, Marguerite Duras, Ed. Gallimard, Paris, 1998.
11 Le colloque " Duras et l"intertexte » a lieu à Lyon le 6 et 7 décembre 2002 et a été publié en 2005 sous le
titre Les lectures de Marguerite Duras, textes rassemblés et présentés par Alexandra Saemmer et Stéphane
Patrice, Ed. Presses Universitaires de Lyon, 2005.la pensée contemporaine. Actes du colloque international, sous la direction d"Eva Ahlstedt et Catherine
13 L"adjectif ou le participe se rapportant à " nous » lorsqu"il désigne une seule personne se met au
singulier. Cf. Grévisse, § 495, 1.14 Laure Adler, Marguerite Duras, op. cit., p. 9.
10dernière lecture qu"à la première lecture des oeuvres écrites par l"auteur. Toutefois, bien
que privé d"une philosophie consolatrice ou d"une proposition de ligne de conduite à suivre pour lutter contre le tragique inhérent à la vie de l"homme, nous sortions tout de même raffermi de notre lecture et rempli d"une force nouvelle : tout se passait comme si nous étions subitement, sans raison apparente, à la fois conscient de la nature du tragique qui nous accablait, et plus enclin à l"accepter pour mieux le dépasser et vivre sereinement. C"est précisément la coexistence de ces deux sentiments contradictoires, que tout être humain connaît, qui a retenu notre attention. En d"autres termes, il nous est apparu que ce qui domine dans notre existence, comme dans l"oeuvre entière de Marguerite Duras, c"estl"absurdité de la vie et son inanité et non pas le sentiment de certitude et de bonheur pré-
posé dont nous n"aurions plus qu"à nous saisir. Précisons toutefois que le tragique durassien est différent du tragique de latragédie classique, définie par Aristote comme étant " l"imitation d"une action de
caractère élevé et complet d"une certaine étendue, dans un langage relevé [...], imitation
qui est faite par des personnages en action et non au moyen d"un récit, et qui, suscitant la pitié et la crainte, opère la purgation propre à pareilles émotions ».15 Cette identité entre le
"tragique" et "la tragédie" persiste jusqu"à la fin de la tragédie classique élaborée au
XVIIe siècle, qui, dans une écriture spécifique, reprend, notamment chez Corneille et
Racine, les thèmes des tragédies antiques. En effet, à partir du XIX e siècle, le sens duterme "tragique" évolue dans la mesure où il se sépare de la tragédie. Celle-ci, déjà
contestée au XVIII e siècle, est alors abandonnée au profit du drame romantique. Que devient alors le tragique ? Peut-il même y avoir un tragique au XX e siècle ? Et sous quelle forme ?La "mort de la tragédie",
16 pour reprendre le titre de Georges Steiner, ne signifie
pas pour autant la mort du tragique. Au contraire, nous pensons, à la suite de Jean-Marie Domenach, que l"époque contemporaine connaît "le retour du tragique".17 Celui-ci
déborde le cadre da la pièce théâtrale et investit d"autres genres comme le roman ou lapoésie, ou encore le cinéma. En outre, l"évolution du contexte social et historique
participe à la création de nouvelles formes de la conscience tragique chez l"homme. Cesdernières s"écartent peu à peu de la définition aristotélicienne du tragique et instaurent
d"autres critères tragiques plus adaptés à l"époque moderne. En effet, les dérives
15 Aristote, Poétique, texte établi et traduit par J. Hardy, Ed. Les Belles Lettres, Paris, 1961, p. 36-37.
16 Georges Steiner, La mort de la tragédie, Ed. du Seuil, Paris, 1956.
17 Jean-Marie Domenach, Le Retour du tragique, Ed. du Seuil, Paris, 1967.
11 hitlériennes, les atrocités des deux guerres mondiales laissent croire que le tragique n"est plus seulement causé par une fatalité extérieure, mais qu"il peut provenir de l"homme lui- même, que ce soit par sa condition propre, par ses passions auxquelles il ne peut que céder, ou par les situations qu"il a créées collectivement, comme la guerre. Est tragique alors, nous affirme Alain Beretta, " tout ce qui montre à l"homme qu"il ne peut pas contrôler sa vie ».18 Alain Couprie, à son tour, définit le tragique comme " l"apparition
d"une transcendance écrasante, quelque soit le nom qu"on lui donne ».19Nous constatons
ainsi que le tragique, qui a trouvé son expression la plus appropriée dans une forme
théâtrale dont les différents âges d"or sont l"Antiquité grecque, le théâtre élisabéthain et le
classicisme français, est une conception du monde qui a évolué et qui a été définie de
diverses manières. Alain Beretta souligne cette diversification en ces termes : " Rienqu"au théâtre, l"éventail s"élargit : certains dramaturges, spécialement sensibles au
langage, vont déplorer la difficulté, voire l"impossibilité de communiquer, tels Beckett et Ionesco dont La Cantatrice chauve est définie comme une "tragédie du langage" ; d"autres, plus philosophes, comme Sartre et Camus, vont mettre en scène l"absurdité de lavie humaine ; le Norvégien Ibsen remplacera la nécessité divine par l"hérédité,
l"Américain O"Neil par la libido freudienne ».20 Le XXe siècle connaît indéniablement le
retour du tragique, un tragique qui a évolué et qui s"est diversifié. C"est justement ce tragique moderne sans Dieu ainsi que son évolution qui nous intéressent par delà l"oublirelatif de la tragédie comme genre théâtral majeur à partir de l"invention du drame
romantique, même si on assiste à quelques retours du genre dans la seconde moitié du XIX e siècle et au début du XXe siècle. Cependant, cette évolution et cette diversification, loin de renier la perception initiale du tragique, permettent à l"inverse d"en confirmer, en les affinant, ses principales caractéristiques.Au départ de notre réflexion, une intuition qui demandait à être vérifiée : l"oeuvre
de Marguerite Duras participe de ce retour du tragique au XX e siècle. En effet, les écrits durassiens déploient, à notre sens, une conception tragique du monde et de la condition humaine. Duras elle-même a manifesté un vif intérêt pour le XVII e siècle en affirmantdans L"autre journal : " J"ai dû aller et venir souvent entre les siècles et les siècles pour
finalement découvrir que c"était le XVII e siècle français qui chaque fois me rendait le plusviolemment à la lecture. [...] je suis tombée sur ces dernières années qui ferment le XVII
e18 Alain Beretta, Le tragique, Ed. Ellipses, Paris, 2000, p. 5.
19 Alain Couprie, Lire la tragédie, Ed. Dunod, Paris, 1998, p. 8.
20 Alain Beretta, Le tragique, op. cit., p. 6.
12siècle français et j"en ai relu ce que j"en avais déjà lu et c"est en y revenant que j"ai
découvert là ma convenance profonde ».21 Ne dit-elle pas son admiration pour certains
auteurs tragiques tels que Pascal, dont les Pensées sont son livre de chevet, Madame deLa Fayette
22 dont La Princesse de Clèves évoquait, à ses yeux, le sublime de la passion
tragique ? N"exprime-t-elle pas sa préférence pour le théâtre de Racine, pour ses
personnages aux " grands corps [...] défaillants de désir »23 et ne mentionne-t-elle pas
" le vent du divin »24 qui souffle dans ses oeuvres ?
La production de Marguerite Duras semble, à maints égards, emblématique de nombreux aspects du tragique, dans la conception classique, mais surtout moderne du terme. En effet, l"hypothèse que nous formulons et que nous essayerons de démontrer est la suivante : les textes de Duras participent du retour du tragique, un tragique qui évolue petit à petit, abandonne les sphères classiques et qui, pour mieux s"exprimer " ne revient pas du côté où on l"attendait, où on [le] recherchait vainement depuis quelques temps - celui des héros et des dieux -, mais de l"extrême opposé, puisque c"est dans le comique qu" [il] prend sa nouvelle origine »25 comme l"écrit Jean-Marie Domenach. En vérité, les
récits durassiens développent un tragique moderne. Empreint d"un poignant désespoir, il cherche sa voie. C"est dans le comique qu"il finira par la trouver. Mais, l"évolution et la redéfinition du tragique, chez Marguerite Duras, entraînent aussi le changement du comique. Par ailleurs, le tragique et le comique se confrontent à l"absurde et subissent une profonde modification. Fort de notre découverte de la place essentielle du tragique, de son évolution au fil des textes et de ses rapports nouveaux et complexes avec le comique et l"absurde, nous pouvions nous consacrer à l"analyse de " l"oeuvre de Marguerite Duras ou l"expression d"un tragique moderne». Signalons toutefois que nous prenons l"expression " oeuvre » au sens large du terme. C"est ainsi que nous inclurons dans notre recherche toutes les productions del"écrivain, qu"elles soient de nature romanesque, théâtrale, poétique, radiophonique,
journalistique ou cinématographique. Notre étude du tragique ne peut se limiter au champdes pièces théâtrales. Il nous revient donc de nous faire " perceur de frontières », selon
l"expression de Julien Gracq, et d"aborder le tragique durassien en faisant fi des21 Marguerite Duras, " La lecture dans le train », dans L"autre journal, novembre 1985, p. 8.
22 Ibid., p. 8-9.
23 Ibid., p. 8-9.
24 Marguerite Duras, La Vie matérielle, Ed. P.O.L., Paris, 1987, p. 82.
25 Jean-Marie Domenach, Le Retour du tragique, op. cit., p. 260.
13 classifications génériques. Car, comme nous voudrions le démontrer dans notre analyse, Marguerite Duras elle-même abolit les limites entre les genres et tend souvent à une libre circulation entre les arts. En revanche, nous exclurons de notre corpus les adaptations que Duras a faites de Henry James, de William Gibson, d"August Strindberg, de Storey et de Tchékhov. En effet, pour relever avec pertinence la part proprement durassienne de ces adaptations, il eût fallu avoir une connaissance précise de chacun des écrivains d"origine.Or, celle-ci nous aurait trop éloigné de notre centre d"intérêt, la création durassienne.
Nous avons été surpris de constater qu"aucun des spécialistes de l"oeuvre de Marguerite Duras n"a fait du tragique l"objet exclusif de ses recherches, alors que certains d"entre eux mentionnent, au détour d"une phrase ou d"un chapitre, l"importance de cette notion dans les textes durassiens.26 Aucun critique, exception faite de Marie-Thérèse
Ligot,
27 n"a établi, non plus, le rapport entre le tragique et le comique chez Duras. Ses
diverses remarques et celles des autres commentateurs qui évoquaient le rôle essentiel du tragique chez Duras nous seront bien utiles. C"est donc avec beaucoup d"intérêt que nous appuierons notre étude sur les travaux des critiques durassiens les plus compétents, à notre sens, pour approfondir et préciser notre recherche. Nous pensons notamment à Alain Vircondelet qui eut leprivilège d"être le premier étudiant à s"intéresser à Marguerite Duras. Celui-ci a jalonné
notre analyse de ses observations et de ses conclusions. Nous avons porté une attention similaire à Danielle Bajomée et à sa perception de la douleur durassienne,28 à Madeleine
Borgomano, pour sa pertinence et la mesure de ses jugements, à Bernard Alazet plutôt versé dans l"écriture de l"indicible,29 et à d"autres encore que nous découvrirons tout au
long de notre étude. Apporterons également une large contribution à l"évolution de notre étude, la théorie de Jean-Marie Domenach sur le retour du tragique et ses considérations sur sa26 Nous ne citerons pas maintenant les différentes évocations concernant la vision tragique, chez les
critiques en question, car elles apparaîtront plus loin dans le corps de notre analyse.27 Marie Thérèse Ligot, Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras, Ed. Gallimard, coll.
" Folio », Paris, 1982. Ligot réserve quelques pages à l"étude du rire et du tragique dans Un barrage contre
le Pacifique. Voir p. 17-18.28 Danielle Bajomée, Duras ou la douleur, Ed. Universitaires, Paris, 1989.
29 Bernard Alazet, Le Navire Night de Marguerite Duras, Écrire l"effacement, Ed. Presses universitaires de
Lille, 1992. Il a aussi publié plusieurs articles tels que " Le je ne sais quoi de l"écriture », dans Duras,
femme du siècle, textes réunis par Stella Harvey et Kate Ince, Ed. Rodopi, Amsterdam-New York, 2001 et
" Aragon/Duras : une poétique de l"amour "in absentia" », dans Pour un humanisme romanesque, textes
rassemblés par Gilles Philippe et Agnès Spiquel, Ed. SDES, Paris, 1999. Dans ces deux articles, que nous
ne manquerons pas d"exploiter, Bernard Alazet a l"intuition du tragique à l"oeuvre chez Duras, surtout le
tragique de la passion. 14 nouvelle source en l"occurrence le comique, la perception de la littérature de MauriceBlanchot
30 et la conception que défend Georges Bataille dans L"Érotisme.31
Notre parcours nous a été suggéré par l"écrivain lui-même, comme nous aurons l"occasion de le monter, et ne fait que confirmer la vision tragique que Marguerite Duras s"est forgée de l"existence humaine. L"auteur nous encourage d"ailleurs à suivrel"évolution de son tragique, ne serait-ce qu"à travers le changement d"attitude de ses
personnages et la progression de son écriture. Notre tâche consistera donc à démonter en quoi l"étude du tragique est centralepour tenter de pénétrer l"écriture de Marguerite Duras dont l"une des caractéristiques est
de se dérober. Si notre réflexion prend la forme d"une démonstration nous essayerons néanmoins d"éviter de faire de l"oeuvre durassienne le seul support de notre thèse sur le tragique. Car même si cette notion est essentielle pour quiconque cherche à aborder sestextes, nous voudrions cependant laisser à ses récits une certaine liberté. En effet, nous ne
chercherons pas à résoudre les paradoxes de l"oeuvre durassienne pour donner plus de cohérence à notre développement. Car, nous le verrons, ces paradoxes sont à la base même de l"oeuvre durassienne et de son évolution vers une nouvelle forme de tragique qui s"exprime à travers le comique. Notre analyse se veut plutôt une proposition de lectureéclairante de son oeuvre, et est à interpréter comme prolongement de lecture et non
comme une explication restrictive. Dès lors, nous ferons appel à des écrivains qui nous paraissent proches de la pensée durassienne et notamment à Eugène Ionesco et à Samuel Beckett. Les idées de ces auteurs ont exercé une certaine influence sur Marguerite Duras, qui ne s"en cache d"ailleurs pas. Cette affinité avec Ionesco et Beckett nous est apparuesous l"égide de l"absurde, dont ces trois écrivains nous semblent pareillement imprégnés.
En effet, nous aurons l"occasion de parler de la notion d"absurde qui modifiera non seulement le tragique, mais aussi le comique débouchant, chez Duras, sur unenouvelle forme de tragique moderne mieux adaptée à exprimer le désarroi de l"être
humain. Nous parlerons, de même, de l"influence de la pensée orientale32 dans laquelle
Marguerite Duras a baigné jusqu"à ses dix-sept ans et par conséquent de l"esthétique dudétachement et du vide déployée par l"écrivain pour dépasser le tragique. Nous nous
30 Maurice Blanchot, L"Espace littéraire, Ed. Gallimard, coll. " Essai/Folio », Saint-Amand, 1988.
31 Georges Bataille, L"Érotisme, Ed. de Minuit, Paris, 1995.
32 En effet, un colloque international " Orients de Marguerite Duras » aura lieu à Sendai (Japon) en
septembre 2009. Ce colloque s"intéressera aux influences esthétiques, linguistiques, idéologiques et
philosophiques de l"Extrême-Orient sur l"oeuvre et la pensée de Marguerite Duras. 15 appuierons alors souvent sur les théories de Gilles Lipovetsky dans L"Ère du vide. Essai sur l"individualisme contemporain33 et sur les analyses de Catherine Bouthors-Paillart
dans Duras la métisse. Métissage fantasmatiques et linguistique dans l"oeuvre deMarguerite Duras
34 et d"Olivier Ammour-Mayeur dans Les imaginaires métisses.
Passages d"Extrême-Orient et d"Occident chez Henry Bauchau et Marguerite,35 qui nous
éclairent sur les philosophies orientales.
De sorte que notre étude sur l"expression du tragique moderne dans l"oeuvre de Marguerite Duras comportera trois parties. La première intitulée " Une vision tragique de l"existence », correspondra à sa perception obscure de la vie humaine, décrite comme unnéant, dans lequel règne le malheur et le désespoir. La seconde, " L"évolution du
tragique : la place du rire », s"attachera à mettre en évidence la mutation du tragique durassien qui perd presque définitivement son aspect classique et évolue vers une nouvelle forme où il s"exprime essentiellement à travers le comique et l"absurde.Confronté à ces deux éléments, le tragique durassien subit une profonde métamorphose et
exprime la vaine recherche du sens de la vie dans un univers qui n"offre aucunesignification. Le troisième élément de notre triptyque, " Vers le dépassement du tragique
et l"esthétique du détachement », insistera sur la nécessité, exprimée par cette oeuvre,
selon nous, d"accepter la vie telle qu"elle se présente, de se détacher de soi et de se fondre dans le Tout du monde afin de dépasser le tragique et d"atteindre la paradoxale plénitude de la vacuité. Ce plan s"est imposé à nous, alors que nous nous interrogions sur la nature complexe du tragique qui imprègne l"oeuvre entière de Marguerite Duras. Nous nous sommes rendu compte que Duras déployait dans ses livres à veines autobiographiques laconception d"un univers tragique dans lequel l"être avait cédé la place au néant. Il nous
est apparu que cette vision plongeait ses racines dans la famille durassienne, plusprécisément dans l"histoire familiale. En effet, la mort prématurée du père oblige la mère
à subvenir aux besoins de ses enfants. Elle investit alors toutes ses économies dans l"achatd"une terre qui se révèle incultivable car elle est régulièrement inondée par les eaux salées
du Pacifique. Révoltée contre un système colonial corrompu et une nature cruelle, la mère
33 Gilles Lipovetsky, L"Ère du vide, Essais sur l"individualisme contemporain, Ed. Gallimard, coll.
" Folio », Paris, 1983, et 1993 pour la postface.34 Catherine Bouthors-Paillart, Duras la métisse. Métissage fantasmatique et linguistique dans l"oeuvre de
Marguerite Duras, Ed. Droz, Genève, 2002.
35 Olivier Ammour-Mayeur, Les imaginaires métisses. Passages d"Extrême-Orient et d"Occident chez
Henri Bauchau et Marguerite Duras, Ed. L"Harmattan, Paris, 2004. 16 mène un combat tragique. Elle fait alors preuve de ce qu"Aristote nommait " hybris » en luttant contre des forces obscures et indifférentes qui l"écrasent. Sa démesure est punie car elle connaît le " revirement de fortune »36 évoqué dans la Poétique, et sombre presque
dans la folie. L"injustice sociale se double d"une injustice familiale, puisque la mère
affiche sa préférence pour le grand frère auquel elle transmet sa folie et sa violence. Ilsemblerait donc qu"à la fatalité antique s"est substituée, chez Duras, une fatalité moderne.
C"est le principe de l"Hérédité qui joue, pour le personnage du grand frère, le rôle de
fatalité. Nous tenterons de voir comment Duras exploite ces substrats autobiographiques et les transforme en motifs tragiques. Cette perception tragique initiale, dans les récitsautobiographiques, ou présentés en tant que tels, loin de s"estomper, va au contraire
s"accentuer au fil des publications. Elle apparaîtra alors sous différents aspects comme ledélitement général du monde, la fascination des êtres durassiens pour la mort, la vanité de
l"existence sur terre et la fatalité du destin. En proie à la peur du néant, les personnages de
Marguerite Duras se réfugient dans l"amour. Mais la passion amoureuse s"avère illusoire puisqu"elle débouche sur la séparation et l"absence, voire même la mort. Pourtant, les créatures durassiennes ne se laissent pas vaincre et essayent de trouver des réponses à leurs interrogations sur le sens de la vie et de la mort en se livrant à une profonde quête métaphysique. Mais là encore, leur recherche ne fera que renforcer le caractère existentiel du tragique. Ils se confrontent, d"une part, à l"absence de Dieu qui, contrairement,semble-t-il, à ce qu"affirmaient Georges Steiner et ses disciples, apparaît comme à
l"origine du tragique typiquement moderne de Duras. Les personnages se heurtent, d"autre part, à la faillite de la Raison humaine, de l"Histoire et du Progrès, nouvelles divinités dérisoires d"une civilisation contemporaine en mal de croyances. Après l"absence deDieu, ils constatent l"absence de l"homme qui a révélé son incapacité à assumer son
propre destin et qui ne peut plus se décharger de ses responsabilités sur un Dieu tout-puissant, puisque celui-ci a déserté le ciel de l"épistémè moderne. Accablés et
désenchantés, ils décident de rejeter les théories, les systèmes sclérosés et de baigner dans
une incertitude totale. Cependant, outre cette vision tragique de la vie étroitement liée à l"existenceontologique du néant et généralement privilégiée par les critiques, nous sentions qu"il y
avait aussi dans les créations de Marguerite Duras un autre aspect très souvent méconnupar les spécialistes durassiens et par les lecteurs à savoir l"aspect comique. En effet,
36 Aristote, Poétique, texte établi et traduit par J. Hardy, op. cit., p. 46.
17 Marguerite Duras ne se complaît pas dans le tragique et ne cultive pas le dolorisme. Aucontraire, elle insiste souvent sur l"importance du rire et sur la nécessité, pour l"être
humain, de considérer la vie d"un point de vue comique. C"est alors que son oeuvre évolue tout naturellement vers une nouvelle forme de tragique qui s"exprimera désormais à travers le comique et l"absurde. Cette évolution exigera le passage d"un style" harmonieux » c"est-à-dire de facture plutôt classique vers un style de plus en plus
" incohérent »,37 autrement dit plus moderne, fondé sur des structures novatrices plus
aptes à traduire la mutation du tragique. C"est ainsi que Marguerite Duras procède à une épuration de son écriture romanesque et accorde une importance accrue au dialogue qui sera le pivot de ce nouveau tragique. Les conversations seront le lieu même du sentiment tragique et l"action ne sera plus dans les péripéties mais se situera dans la parole. Une telle importance des dialogues conduira Marguerite Duras à inscrire le théâtre au coeurmême du roman. Grâce aux procédés théâtraux tels que les accélérations ou les
ralentissements de rythme dans les échanges et la prédominance de l"oralité, une nouvelle forme de tragique se fait jour, celle d"un tragique du quotidien qui met en scène despersonnages ordinaires et non des figures de rois et de reines caractérisées par leur
grandeur et leur exemplarité. En outre, il nous semble que l"éclatement des genres et l"émergence de " textes hybrides », comme elle les appelle, où l"on circule librement entre les catégories et les arts, facilitent la progression de l"oeuvre durassienne vers un nouveau tragique qui se traduit à la fois à travers l"absurde et le comique. Si celui-ci garde, initialement, son caractère jubilatoire, il finit tout de même par perdre son aspect gratuit et par avoir une nouvelle fonction : exprimer le tragique. Ce dernier se manifeste à travers différentes modalités. Il repose tantôt sur des mouvements d"attraction, tantôt sur des mouvements de répulsion entre tragique et comique, créant une architecture dynamique au sein de l"oeuvre durassienne. Ainsi, confronté au tragique, le comique se défait complètement de son sens habituel, se présente comme une intuition de l"absurde et renforce, de façon paradoxale, le tragique de l"existence humaine. C"est alors le règne du non-sens. Le personnage durassien décide, semble-t-il, de ne plus lutter et s"accommoder de la vie. Enfin, grâce à l"acceptation de l"absurdité de l"existence et de sa vanité se profileune nouvelle réalité : le dépassement du tragique. Avec elle, nous assistons à l"émergence
37 Marguerite Duras et Xavière Gauthier, Les Parleuses, Ed. de Minuit, Paris, 1974, p. 139. Le terme
" incohérence » n"a aucune connotation péjorative chez Duras. Au contraire, il traduit la tendance de son
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