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TRAITE NÉGRIÈRE ET ESCLAVAGE EN PAYS ÉWÉ (GHANA

Mots-clés : Traite négrière esclavage

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Référence de cet article :(2011).Traite négrière et esclavage en pays Éwé (Ghana-Togo) : lesterritoires des Anlo et des Bè-Togo aux XVIII

è ET XIXèsiècles.Rev. hist. archéol. afr., GODO GODO,N° 21 - 2011TRAITE NÉGRIÈRE ET ESCLAVAGE EN PAYS ÉWÉ (GHANA-TOGO) : LES TERRITOIRES DES ANLO ET DES BÈ-TOGO AUXXVIIIE ET XIXE SIÈCLESDépartement d"Histoire et d"Archéologie,Université de Lomé (Togo).email : etou_pakom@yahoo.fr INTRODUCTIONL"histoire précoloniale des sociétés africaines a été marquée par de nombreuxfaits, dont quelques-uns des plus importants demeurent incontestablement la traitenégrière et l"esclavage. Pratiques inséparables de divers facteurs extérieurs et intéri-eurs, le commerce des captifs et l"utilisation de la main-d"œuvre servile ont beaucoupbouleversé les structures sociales et économiques locales. Le pays éwé, territoiresitué entre les cours inférieurs de la Volta, à l"ouest, et du Mono, à l"est, n"en fut pas

(2011).Traite négrière et esclavage en pays Éwé (Ghana-Togo) : les territoires des Anlo etdes Bè-Togo aux XVIIIè ET XIXèsiècles.Rev. hist. archéol. afr., GODO GODO, N° 21 - 2011Rev.hist. archéol. afr., GODO GODO, N° 21 - 201155

épargné. Peuplé par plusieurs communautés1, pour la plupart issues des migrationsajatado2 à la fi n du XVIe siècle, cet espace fut impliqué, à divers degrés, dans la traitenégrière, certains groupes ayant joué le rôle d"intermédiaires entre les négriers et lespopulations de l"intérieur, d"autres ayant été victimes de cette activité qu"ils alimen-taient comme captifs.Nous nous intéresserons ici particulièrement aux Anlo et aux Bè-Togo, à chevalsur le littoral aujourd"hui ghanéen et togolais. Ils se singularisèrent des autres grou-pes issus de l"exode de Notsé par leur profond attachement àNyigblin3, une divinitéambivalente dont le culte avait une forte emprise sur leurs modes de vie et d"organi-sation. Bien que partageant les mêmes valeurs cultuelles, ces deux communautéséwé ne connurent pourtant pas la même évolution au cours de la période de la traitenégrière. La présente étude vise essentiellement à mettre en lumière, à travers lespositions contrastées des Anlo et des Bè-Togo face au commerce des captifs et àl"esclavage, les implications sociopolitiques de ces activités - qu"elles soient offi ciellesou souterraines - en pays éwé aux XVIIIe et XIXe siècles.Les sources utilisées pour réaliser ce travail sont diverses et de valeur inégale. Endehors des documents écrits (journaux de bord des navigateurs et explorateurs, récitsde voyages des négriers et missionnaires, publications des administrateurs coloniauxet chercheurs contemporains) portant essentiellement sur la traite et l"esclavage dansle golfe du Bénin, nous nous sommes également servi des sources orales, résultatsde nos propres enquêtes de terrain auprès des Éwé du littoral, malgré le tabou quientoure ce sujet, en face duquel les traditionnistes deviennent subitement " amnési-ques ». Il existe heureusement dans la région, pour compléter les insuffi sances de ladocumentation tant écrite qu"orale, de nombreuses traces matérielles et immatérielles,véritables indices révélateurs de la pratique de ces activités sur les territoires anlo etbè-togo. Il s"agit, entre autres, des lieux de mémoire (lieux de vente, de casernementou de protection des captifs), des objets-témoins (sièges de richesse, biens immeu-bles) ainsi que des cultes de certaines divinités (Nyigblin,Yewe,Tchamba), dontles cérémonies tenues périodiquement, sont des moments privilégiés d"observationautant pour l"historien que pour l"anthropologue, qui y trouvent des informations d"unerichesse insoupçonnée sur le passé esclavagiste des populations concernées, à unmoment ou à un autre de leur histoire.1- ANLO ET BÈ-TOGO FACE À LA TRAITE NÉGRIÈRE AU XVIIIESIÈCLEL"implantation des Anlo et des Bè-Togo dans leur actuel habitat fut suivie del"élaborationin situd"une forme très originale d"organisation sociopolitique fondéesur le culte deNyigblin, dont le clergé représentait l"autorité suprême. Anloga était1 Au début du XXe siècle, le pasteur Spieth ([1906] 2009 : 35) en avait dénombré plus de 122 à travers lepays éwé. Les plus importantes étaient les Anlo au sud-ouest, les Peki au nord-ouest, les Agu, Agomé,Danyi et Kpélé au centre, les Bè-Togo au sud et les Watchi au sud-est, auxquelles il convient d"ajouterle groupement allochtone des Guin, qui formaient à Glidji et à Aného une communauté pluriethniquecomposée de Ga, de Fanti, d"Éwé et d"Afro-Brésiliens.2 Terme composé de " Aja » (le peuple) et de " Tado » (sa capitale historique). Mais les Éwé se procla-ment avant tout originaires de Notsé, ville fondée par des émigrés de Tado au XVe siècle. Pour d"amplesinformations, voir N.L. Gayibor (1997).3 PrononcéNyigbla en pays anlo.

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la capitale politique et religieuse des Anlo, Togoville et Bè, le cœur spirituel du paysbè-togo. Quoique ayant une origine commune et pratiquant les mêmes rites, cespopulations n"adoptèrent pas les mêmes attitudes vis-à-vis de la traite négrière etde l"esclavage au XVIIIe siècle.1.1- L"Anlo, un État esclavagiste au XVIIIe siècleDès la fi n du XVIIe siècle, un certain nombre de facteurs extérieurs poussèrent lesAnlo à prendre une nouvelle option politique, et à s"engager activement dans la traiteatlantique, au point de devenir, au XVIIIe siècle, l"un des grands États esclavagistesde la côte occidentale des Esclaves.1.1.1- Des contacts avec l"extérieur qui transformèrent le mode de vie des AnloSitué sur les marges sud-ouest du pays éwé, le territoire des Anlo faisait frontièreavec la partie orientale de la côte de l"Or, zone d"occupation de divers peuples, dontles plus entreprenants étaient les Ga d"Accra et les Adangbé de Ladoku, sur la côte ;les Akyem et les Akwamu, dans l"arrière-pays. Les populations côtières, en contactplus ou moins permanent avec l"Europe depuis le début du XVIe siècle par le biaisdes échanges commerciaux, étaient en profonde mutation. Les liens économiquesétablis avec les marchands européens leur avaient procuré un bien-être dont ilsn"eussent jamais rêvé et créé en même temps des besoins nouveaux qu"il leur fallaitsatisfaire (Gayibor 1990 : 5). La nécessité pour les uns de diversifi er les partenairescommerciaux, et pour les autres de s"assurer le monopole de la traite sur cette côtene fut pas sans incidences sur la géopolitique régionale.La localisation des Anlo dans la basse vallée de la Volta les mit très tôt en contactavec le monde extérieur, dans un contexte politique agité par des confl its hégémoni-ques, conséquence directe de la traite sur la partie orientale de la côte de l"Or. Dansle dernier quart du XVIIe siècle en effet, les luttes de pouvoir pour s"emparer ou ren-forcer les profi ts de la traite s"intensifi èrent sur cette côte (Amenumey 1997 : 18-19).Les Akwamu, peuple akan de l"intérieur, sortirent vainqueurs de la confrontation quiles opposa aux Ga du royaume d"Accra, dans une série de campagnes guerrièresentre 1677 et 1700. Les Akwamu devinrent alors les maîtres incontestés de la régionjusqu"au début du XVIIIe siècle. Quant aux vaincus, nombre d"entre eux se mirent sur laroute de l"exil en traversant la Volta, suivis de leurs alliés adangbé et akyem (Reindorf[1895] 1966 : 36-37 ; Agbanon II [1934] 1991 : 13-16). Ces fugitifs fondèrent, à la fi ndu XVIIe siècle, sur le rebord méridional du plateau watchi, le Genyi ou royaume deGlidji, avec, pour villes principales, Glidji, la capitale, et Aného (Petit-Popo), son portsur l"Atlantique (Gayibor 1990 : 24-34).Pour maintenir l"intégrité de leur territoire et garder une certaine marge de manœu-vre dans cet environnement hostile, les Anlo s"allièrent, par une chaîne de solidarités,aux Akwamu, partenaires politiques et économiques des Ashanti. Ils en furent forte-ment infl uencés, en particulier dans l"organisation militaire et dans certaines formesde matrilinéarité (Debrunner 1965 : 60-61 ; Greene 1996 : 32-34). Il se produisit alorsdans la société anlo, une séparation des pouvoirs politique et religieux. L"awoamefi a,autrefois grand prêtre du culte deNyigblin d"Anloga, se débarrassa de sa fonction

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spirituelle au profi t d"un autre personnage, lenyigblanua, devenu dès lors le principalprêtre de cette divinité, tandis que lui-même se mit dans la posture d"un chef politiqueet militaire. Il n"en conserva pas moins, théoriquement, son statut de premier dignitairereligieux anlo ; mais, désormais, ses visées hégémonistes l"emportèrent sur tout autreconsidération (Etou 2006 : 321).LeNyigblin des Anlo prit de ce fait un caractère masculin et belliqueux, et se pré-senta comme un puissant facteur d"alliance entre les différentes composantes de lasociété anlo, et un excellent rempart contre les agressions extérieures (Greene 1996 :27, 55-57). Devenu un État à structure politique fortement militarisée4, le pays anlos"engagea résolument dans la traite atlantique, Anloga et surtout Keta ayant été trèstôt fréquentés par les commerçants européens.I-1-2- L"Anlo, gros fournisseur de captifs à l"est de la VoltaDès la seconde moitié du XVIIe siècle, des voyageurs et marchands européens,qui longeaient les côtes du golfe de Guinée en quête de produits exotiques - or, ivoireet esclaves en particulier -, entrèrent en contact avec les Anlo, qui n"avaient encoreguère l"expérience de la mer agitée par la barre. Le Sieur d"Elbée, commissaire de lamarine française, lors de son passage sur la côte éwé en 1669, faisait observer :"Depuis la rivière Volta jusqu"au Cap d"Amonte5, la terre est située est-nord-estet ouest-sud-ouest : pays égal, plat, découvert avec peu de broussailles, si cen"est Amonte, qui fait paraître une séparation, comme celle d"une rivière où, d"uncôté, la terre est basse, découverte, et, de l"autre, plus élevée, couverte d"un petitbois paraissant double terre, avec quantité de cases sur le bord de mer ; maisles canots ne viennent guère à bord en ces pays » (Elbée 1671 : 379-382).Dans cet espace aquatique - la Volta à l"est, la lagune de Keta au nord et l"océanAtlantique au sud -, les Anlo passèrent rapidement du commerce régional au trafi ctransatlantique, exploitant habilement leur position d"intermédiaires entre les négrierseuropéens et les peuples de l"intérieur. Amateurs de produits manufacturés - armeset alcools en particulier -, ces derniers leur fournissaient, entre autres marchandises,de l"ivoire et surtout des esclaves dont avaient besoin les commerçants venus del"Outre-mer. Les Anlo s"adonnaient à cette activité avec plus ou moins de succès,suivant les périodes et en fonction de l"effi cacité de leur armée. Ce fait n"échappapas au négrier hollandais W. Bosman, qui visita le pays anlo à la fi n du XVIIe siècle :"Leur négoce consiste en esclaves, dont ils peuvent quelquefois fournir un assezbon nombre, quoiqu"on n"y en trouve pas assez pour charger un vaisseau » (Bosman[1705] 1967 : 330).Conscients des énormes profi ts que pouvait leur procurer le commerce desesclaves, les Anlo en diversifi èrent les sources d"approvisionnement, de sorte quedès la seconde moitié du XVIIIe siècle, ils devinrent, à l"est de la Volta, les plus grosfournisseurs de captifs, Keta faisant alors fi gure du point de traite le plus importantde la " marchandise humaine » sur la portion occidentale de la côte des Esclaves(Kea 1969 : 56). La plus grande partie des esclaves vendus par les Anlo aux négriers4 Avec une armée divisée en trois ailes (avalogo) - aile droite (dusi valogo), aile centrale (domé valogo)et aile gauche (mia valogo) - auxquelles l"appartenance de tout Anlo se transmettait en ligne patrili-néaire.5 Cap Saint-Paul, entre Woe et Afl ao.

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européens, notamment danois et hollandais, était non seulement achetée, mais aussirafl ée dans l"arrière-pays, surtout chez les Éwé de l"intérieur : Peki, Adaklu et Agotimé(Amenumey 1997 : 19). Quant à la part restante, elle proviendrait du pays anlo même.D"après les traditions locales, les autorités d"Anloga complétaient la cargaison desnégriers par les gens frappés dunyiko, châtiment réservé aux criminels et délinquantsrécidivistes qui, jusqu"alors, en vertu du droit coutumier, étaient exécutés sans autreforme de procès dans lenyikové, une forêt située non loin de la capitale anlo.Avec la participation effective des Anlo à la traite atlantique, toute personne tom-bée sous le coup dunyiko était dorénavant vendue aux commerçants européens,notamment à Keta, où les Danois avaient même construit, en 1784, un fort baptiséPrindsensten (Isert [1793] 1989 : 85-90). Subissaient le même sort, les captifs quepouvaient faire les parents d"une victime d"homicide volontaire ou involontaire dansune famille dont les membres refuseraient de livrer à la vengeance un des leursreconnu coupable d"un tel crime. En effet, les parents qui protégeaient leurs enfantscriminels donnaient tacitement carte blanche à la famille de la victime de s"indemniseren capturant les proches du meurtrier qui pourront être vendus comme captifs.Les Anlo, compte tenu de leur position géographique, et vu les opportunités qu"ilsavaient à se procurer la " marchandise humaine », prirent une part active à la traitenégrière au XVIIIe siècle. Tel n"était pourtant pas le cas de leurs coreligionnaires bè-togo, qui adoptèrent une autre attitude vis-à-vis de ce commerce.1.2- Une théocratie protectrice au XVIIIe siècle : le pays des Bè-TogoÀ une vingtaine de kilomètres à l"est du pays anlo, se trouvait le territoire des Bè-Togo, populations riveraines du lac Togo et de la lagune Bè, qui vécurent en margedes activités maritimes pour un certain nombre de raisons.I-2-1- Un univers ayant tourné le dos à la plageLes Bè-Togo, pour des raisons encore mal élucidées, mais certainement liéesà leur histoire particulière et à l"environnement dans lequel ils vivaient - absence,dans leur voisinage immédiat, de groupes de pression violents, comme ce fut le casdes Anlo -,constituèrent une société foncièrement théocratique. En effet, le respectscrupuleux des instructions de leur divinité tutélaireNyigblin les contraignit à vivredans la discrétion, à l"écart des tumultes et des ambitions hégémonistes des Étatsesclavagistes de la région. À Bè - qui veut dire " cachette » -, par exemple, les Bè-Togo purent se mettre à l"abri des ennemis dans le couvert végétal6 qui séparait lelittoral du monde intérieur centré sur le lac Togo et la lagune de Bè. Tout bruit étaitinterdit dans ce refuge pour ne pas attirer l"attention des persécuteurs qui arpentaientsouvent la plage toute proche7.6 Il s"agirait d"une formation végétale apparentée à une savane arborée ou arbustive. Le Togo, toutcomme le Bénin, se situe au niveau de l"interruption du domaine de la forêt dense humide et l"arrivéejusqu"à la mer des formations de savanes guinéennes (" Dahomey Gap » ou " savane du Bénin »). Leterme forêt (avé) utilisé ici et là dans cet article ne comporte aucune connotation de superfi cie ou decomposition végétale particulière.7 Jusqu"à nos jours à Bè, les grandes cérémonies bisannuelles de février-mars sont suivies par une in-

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L"univers duNyigblin bè-togo, dont les rites essentiels étaient liés au systèmelagunaire côtier, avait tourné le dos aux activités maritimes, donc à la traite négrière.Cette stratégie réussit si bien aux Bè-Togo que la cité de Bè, bien que fondée depuisle XVIIe siècle et située à quelques encablures de la mer, n"a jamais été signalée parles négriers, dont certains ont même effectué le déplacement en hamac le long de laplage, entre Ouidah et Accra et vice-versa. Aucune installation humaine sur le frontde mer n"indiquant son existence, Bè était inconnue des Européens jusque dans lesannées 1880, lorsque la contrebande née du contrôle de la région entre la Volta et lalocalité de Denu par les Britanniques eût poussé les commerçants à venir s"installerà Bey Beach, la future ville de Lomé (Etou 2009).Contrairement aux Anlo et aux Guin, les Bè-Togo n"étaient pas une communautéguerrière. Vivant dans le respect strict des règles édictées par le clergé de leur divinitéNyigblin, dont l"une des plus importantes était le pacifi sme, ils se tinrent généralementhors des confl its8. Pourtant P.-E. Isert, un médecin berlinois au service de la Compa-gnie commerciale danoise, signala la présence d"un contingent de " Bay » parmi lestroupes venues de l"est en renfort aux Ada9 qui étaient en guerre avec les Anlo10 en1784 (Isert [1793] 1989 : 73). Ce fut la première fois que ce terme apparaissait dansles documents écrits, sans toutefois nous apprendre grand-chose. Même s"il peutêtre identifi é à Bè, rien ne prouve qu"il s"agisse réellement des habitants de cette cité,qu"Isert ne visita pas lors de son voyage sur la côte des Esclaves, et sur laquelle il nenous donna pas d"autres informations. Il y a donc tout lieu de penser que les " Bay »d"Isert seraient probablement un détachement de guerriers d"un groupe non-bè-togo(peut-être les Xwla ?) cantonné près de Bè ou d"Afl ao11. Hormis cette mention de" Bay », les journaux de bord des navigateurs ainsi que les relations de voyages descommerçants européens de l"époque étaient muets au sujet des Bè-Togo jusqu"audernier quart du XIXe siècle (Etou 2009 : 97).Bien qu"établis en divers endroits sur la côte des Esclaves, où ils avaient installédes points de traite dès la fi n du XVIIe siècle (Gayibor 1990 : 162-175), les négociantseuropéens ne s"aventurèrent pas sur le territoire des Bè-Togo, non que la redoutablebarre qui battait inlassablement la plage y fut plus dangereuse qu"ailleurs, ou que larégion présentait peu d"attrait commercial. L"absence d"interlocuteurs locaux, d"in-termédiaires indispensables à l"établissement de toutes relations en était la raisonprincipale. Les détenteurs du pouvoir en pays bè-togo, véritables monarques dedroit divin, étaient les garants de l"ordre naturel et social, statut qui leur interdisait dumême coup d"entrer en contact avec les étrangers. L"aveto, grand pontife des Bè-Togo, était tenu de vivre dans une réclusion totale et défi nitive dans une forêt sacrée,à l"abri des regards du commun des mortels. Si lesnyigblinnu - prêtres et prêtressesterdiction de tout bruit (tambours, tirs de fusils, cris) pour commémorer le silence absolu que les réfugiésétaient tenus d"observer afi n de n"être pas détectés par leurs persécuteurs.8 Informateur : Afatchao Dikénou, notable de quartier (amégavi) ; entretien à Togoville (quartier Ayakapé),le 20-08-2004.9 Populations adangbé de la rive ouest de la Volta, soutenues par les Danois.10 Ils sont traditionnellement opposés aux Adangbé de la ville d"Ada et de ses environs, au sujet des droitsde pêche et de commerce sur la Volta.11 Bien que basés dans la basse vallée du Mono, avec comme principales localités, Adamé, Agbanakinet Xwlagan (Grand-Popo), les Xwla vivaient en petites communautés parmi les autres populations dela zone côtière. Les sites de Bè et d"Afl ao auraient même été d"anciennes implantations xwla (Pazzi1979 ; Iroko 2001).

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deNyigblin - par contre, pouvaient mener une vie publique, ils n"étaient cependantpas habilités à aller à la rencontre des Européens. En leur qualité de personnagessacrés, qualité conférée à eux par leur intronisation, les membres du clergé bè-togone devaient pas donc composer avec le Blanc, dont ils redoutaient l"infl uence néfastesur leur mode de vie.En ces temps où le trafi c atlantique était à son paroxysme, et où la chasse àl"homme occasionnait des troubles çà et là pour alimenter le commerce négrier, leclergé bè-togo avait su conserver intact son prestige, et faire de son territoire unezone paisible et stable.I-2-2- Un havre de paix pour les épris de libertéCompte tenu de sa situation exceptionnelle de zone tampon entre l"Anlo et leGenyi, les deux grands États esclavagistes de la côte occidentale des Esclaves, leterritoire des Bè-Togo fut investi par toutes sortes d"épris de liberté, qui accouraienttous azimuts pour bénéfi cier de la protection du grand prêtreaveto. Agomévé (" forêtdu rônier ») et Dangbuivé (" forêt du python »), hauts lieux du culte deNyigblin enmilieu bè-togo, étaient alors devenues de véritables asiles pour les captifs en fuite etles esclaves en rupture de ban. Venaient également trouver refuge dans ces forêtssacrées, d"anciens délinquants et des criminels. Gardés sous la protection de l"aveto -d"où l"expressionfi omedohlu (" protégés du roi ») pour les désigner -, tous ces réfugiésétaient revêtus de l"aye, collier rituel fait de raphia, qui les mettait à l"abri de toutespoursuites et assurait leur intégration à la société bè-togo (Dossè 1994 : 35-36).Tout fugitif qui réussissait à atteindre Togoville ou Bè était alors conduit dans lesforêts sacrées deNyigblin(nyigblinvé). Quel que soit le délit ou le crime qu"il ait pucommettre, nul ne pouvait l"en extraire. À la cour de l"aveto était en effet attachéun droit d"asile d"autant plus respecté qu"il était le premier desservant du culte deNyigblin, divinité qui, bien que considérée comme pacifi que et miséricordieuse chezles Bè-Togo, n"était pas moins redoutée dans la région (de Surgy 1994 : 107-108).Quiconque oserait s"attaquer à unnyigblinvi (" enfant deNyigblin ») s"exposerait, dit-on, à la colère de la divinité tutélaire. La crainte que celle-ci inspirait aux populationsétait telle que les Bè-Togo en général, eta fortiori les adeptes deNyigblin, n"avaientjamais été inquiétés par leurs voisins belliqueux, en l"occurrence les Anlo et les Guin(Gayibor 1990 : 126). C"est dire que lesnyigblinvé, abris primordiaux des réfugiés,se présentaient avant tout comme des lieux de protection contre la captivité.À Bè, les réfugiés ainsi que les malades venus de divers horizons pour se fairesoigner chez l"aveto furent à l"origine de la fondation du quartier Agodogan, toponymedont l"étymologie est illustrative à plus d"un titre : " Agodo nous a sauvés » ou " c"esten venant à Agodo que nous sommes sauvés », Agodo étant considéré par certainstraditionnistes comme le nom du premieraveto qui résida à Bè, et par d"autres commele toponyme du premier site occupé par les adeptes deNyigblin dans cette cité12.L"affl ux de toutes ces personnes en milieu bè-togo, parfois volontaire mais le plussouvent forcé, répondait en fait à un mode singulier de captation des hommes, quiempruntait la voie du religieux. Afi n d"assurer la pérennité du culte deNyigblin, culte12 Informateurs : Agbodji Sévlénu et Anani Adoglê, respectivement responsable et responsable adjoint dela forêt sacrée Dangbuivé ; entretien à Bè (Lomé), le 14 juin 2005.

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exigeant en main-d"œuvre, le clergé bè-togo dut adopter cette stratégie de protectiondes gens, dans le but inavoué de renforcer numériquement l"effectif de la populationlocale, par l"intégration d"individus initialement étrangers au groupe. Parmi ceux-ci,mention spéciale doit être faite des femmes naguère stériles, venues solliciter lagrâce deNyigblin. Rendues plus tard fécondes par l"intervention supposée de ladivinité tutélaire, à la suite d"une série de prières et de bains rituels préparés par legrand prêtreaveto, ces femmes, en guise de gratitude àNyigblin, mettaient leursenfants au service de cette divinité. Si les fi lles, devenuesavesi (" épouses de laforêt sacrée »), statut marqué par des scarifi cations rituelles aux tempes (tonugba),étaient mises à la disposition des membres du clergé bè-togo, dont elles intégraientfi nalement les différents lignages par le biais des liens matrimoniaux, les garçons,quant à eux, étaient surtout attachés à la cour de l"aveto en tant qu"avenu (" gardiensde la forêt sacrée »)13. Mais quelle que soit la dépendance dans laquelle se trou-veraient ces hommes et femmes, ils n"avaient rien à envier aux captifs embarquéscontre leur gré sur les navires négriers dans des conditions inhumaines, et vers desdestinations inconnues.Entre les zones de dynamisme économique, mais aussi de confl its incessantsqu"étaient le pays anlo à l"ouest et le royaume de Glidji à l"est, le clergé bè-togo avaitsu maintenir, jusqu"au milieu du XIXe siècle, un espace de paix et de sécurité, ce quin"était pas sans valeur pour tous ces gens qui en bénéfi ciaient. Ceux-ci, grâce aucollier de raphia (aye) et aux scarifi cations aux tempes (tonugba), signes distinctifsdes protégés deNyigblin, étaient alors devenus des intouchables. Mais le mondeextérieur se chargera de venir bousculer la quiétude des Bè-Togo.2- AU CŒUR DE LA TRAITE CLANDESTINE : LES TERRITOIRESDES ANLO ET DES BÈ-TOGO AU XIXE SIÈCLEDans les premières décennies du XIXe siècle, la traite négrière commença àdécliner sous la pression des mouvements abolitionnistes et anti-esclavagistes, no-tamment au Danemark, en Grande-Bretagne et en France. Il s"ensuivit la libérationpuis le retour de nombreux esclaves affranchis - dénommés Afro-Brésiliens - sur lescôtes africaines. Toutes ces actions ne changèrent cependant pas grand-chose, carla traite persista, en devenant même clandestine, malgré les efforts déployés par lesnations abolitionnistes en vue d"enrayer complètement ce phénomène, en arraisonnantles vaisseaux négriers. Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, les nouveauxaffranchis, loin de détester cette activité, se hâtèrent d"y adhérer avec d"autant plusde conviction qu"elle procurait de gros bénéfi ces et permettait de s"enrichir rapidementà peu de frais (Gayibor 1990 : 209). Sur la côte occidentale des Esclaves, le payséwé se retrouva alors au centre de la traite clandestine, avec comme corollaire denombreux bouleversements sociaux et économiques, comme ce fut le cas chez lesAnlo et les Bè-Togo.13 Au-delà des termes rituels d"avesi et d"avenu pour désigner ces " enfants deNyigblin » en milieu bè-togo, ceux-ci portaient des noms particuliers liés à leur statut social. Dans l"ordre de leur naissance, lesgarçons étaient appelés : Klu, Klusè, Atiso, Atisogbi et Kadé. Les fi lles, quant à elles, étaient nomméessuccessivement : Xanu, Xanuvi, Djatui, Djatugbi, Adjayomé et Adjawoyomé.

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2-1- L"Anlo dans une mauvaise passe au XIXe siècleL"Anlo, l"un des grands États esclavagistes du golfe du Bénin au XVIIIe siècle, futconfronté à une série de bouleversements dès le début du siècle suivant. L"autorité duclergé du culte deNyigblin d"Anloga en fut sérieusement ébranlée, tandis qu"émergeadans la société anlo une nouvelle catégorie sociale qui ravit la vedette aux ancienstenants du pouvoir.2.1.1- Quand les lieux de culte devinrent des lieux de traite clandestineLes négriers européens et afro-brésiliens, sentant l"étau des abolitionnistes seresserrer sur eux dans la région d"Accra, grosse pourvoyeuse de captifs sur la côtede l"Or, changèrent de lieux d"activités. Bon nombre durent se replier sur le littoralanlo, en dehors d"Anloga et de Keta, surveillés de près par les autorités danoisespuis britanniques (Greene 1996 : 93). De nouveaux ports clandestins d"esclavesvirent alors le jour à Woe, Vodza, Kedzi, Blekusu et Adina (voir carte), avec l"avaldes autorités locales auxquelles ces négriers versèrent régulièrement des subsides(Akyeampong 2001 : 53-54).À l"orée du XIXe siècle, la richesse matérielle était devenue dans la société anloen pleine déliquescence - à cause des nombreux confl its d"intérêts tant internesqu"externes -, le premier élément de différenciation sociale. Le clergé du culte deNyigblin l"avait bien compris avec les excellentes affaires que brassaient les négrierseuropéens et leurs intermédiaires afro-brésiliens. Chargé de l"initiation desfi asidi,jeunes fi lles anlo " saisies » par leNyigblin d"Anloga, le prêtre de ce dieu (nyigbla-nua) y trouva une bonne occasion pour mieux gagner sa vie. Lesfi asidi séjournaientdans une forêt consacrée au culte deNyigblin pendant au moins six mois, coupéesdu reste de la société. En fait, nombre d"entre elles adhérèrent volontairement à ceculte, afi n de se libérer des contraintes coutumières, notamment le mariage prévu parles familles avec de riches mais vieux époux (Greene 1996 : 112). C"était aussi uneoccasion pour certaines fi lles d"échapper à leurs propres parents qui chercheraientà les mettre en gage pour effacer leurs dettes ; d"où les expressions jijiwo,jijishiwoouzizidzelawo pour désigner ces fi lles14.Il arrivait parfois que quelques-unes meurent avant la fi n de l"initiation à cause dela vie austère qu"elles menaient en forêt. Les parents en étaient informés dès qu"ilsvoyaient le pagne de leurs fi lles sur la clôture de leur maison ; une herbe liturgique(ama) appeléekaklê (Momordica charantia) pouvait aussi être déposée sur le toitde leur case, le décès de tout adepte d"une divinité donnée étant toujours annoncédiscrètement. Le prêtre deNyigblin profi ta de cette situation pour se livrer à la contre-bande avec les négriers (Akyeampong 2001 : 54). Avec la complicité des dignitairespolitiques, notamment l"awoamefi a et son entourage, il s"adonna à la vente des fi lles14 Informateurs : George Avevor, ex-avadada (général en chef de l"armée traditionnelle anlo) par intérim,et Togbivi Agbotadua Kumassah, enseignant du secondaire à la retraite ; entretien à Dzélukopé, le1er-08-2005. Togbi Nyigblanua Ashiapin Eha II, actuel prêtre duNyigblin d"Anloga ; entretien à Anloga,le 03-08-2005.

(2011).Traite négrière et esclavage en pays Éwé (Ghana-Togo) : les territoires des Anlo etdes Bè-Togo aux XVIIIè ET XIXèsiècles.Rev. hist. archéol. afr., GODO GODO, N° 21 - 2011Rev.hist. archéol. afr., GODO GODO, N° 21 - 201163

qui lui étaient confi ées, sans que la population s"en doutât. Mais le nombre de plusen plus croissant defi asidi que le clergé faisait régulièrement passer pour mortescommença à inquiéter les Anlo. Le pot aux roses ne fut découvert que lorsqu"unedispute éclata un jour entre l"awoamefi a et lenyigblanua à propos du partage de laprébende. Si le prêtre deNyigblin fut banni de la cité, l"awoamefi a, quant à lui, neconnut pas un meilleur sort. Il aurait été exécuté et son nom effacé de la liste dessouverains anlo (Greene 1996 : 112-113).Le trône d"Anloga traversa alors une crise profonde, tandis que le prestige duculte deNyigblin s"effondra considérablement. Dans la seconde moitié du XIXe siè-cle, de nombreux Anlo adhérèrent à un autre culte qui prit rapidement de l"essor : leculte deYewe, dont la principale puissance tutélaire étaitXevieso, dieu du tonnerreet de la foudre. Pour ces Anlo épris de liberté, qui étaient à la quête d"un refuge, leculte deYewe était l"ultime raison d"espérer. Mais ce culte ne fi t pas long feu, car,comme le clergé deNyigblin, les promoteurs ne résistèrent pas au mal de l"époque :la traite clandestine. Les sanctuaires deYewe installés en pays anlo auraient été,en effet, autant de lieux de casernement d"esclaves qui alimentaient le commercetransatlantique (Greene 1996 : 97-98). Dans cette situation chaotique, où personnene savait plus à quel saint se vouer, quelques hommes entreprenants réussirent àinfl uencer la vie politique et sociale des Anlo, les autorités locales n"étant plus quel"ombre d"elles-mêmes.2.1.2- Desself-made-men au devant de la scèneOutre les commerçants européens et leurs congénères afro-brésiliens qui déte-naient jusque-là le monopole de la traite dans la région, certains hommes d"affaireslocaux émergèrent en pratiquant non seulement le trafi c tardif des esclaves, maisaussi le commerce des produits licites - en particulier l"huile de palme - qui commençaalors à prendre de l"ampleur en raison des énormes bénéfi ces qu"il rapportait. Leurrichesse et les nombreux liens qu"ils surent nouer avec les personnalités en vue dela région leur permirent de jouir d"un grand prestige au sein de la population, et des"imposer par la suite sur le plan politique (Akyeampong 2001 : 54-58). Tel fut le cas deGbodzo dans les années 1830 et de Adzoviahlo Atiogbé alias Geraldo de Lima dansles années 1860. Bien que n"appartenant pas aux principaux clans anlo, détenteursdes pouvoirs politique et religieux, ils réussirent à atteindre la plus haute dignité dontpouvait se satisfaire une ambition humaine.Issu d"un père adangbé et d"une mère anlo, Gbodzo parvint, grâce à son sens desaffaires, à gravir rapidement les échelons de la hiérarchie sociale anlo. Il élut domicileà Woe, localité située à une dizaine de kilomètres à l"est d"Anloga, où il menait sesactivités commerciales (Greene 1996 : 73-76). Principal fournisseur d"armes et deminutions à l"armée anlo, Gbodzo se trouva même des goûts de guerrier. Ainsi n"hé-sita-t-il pas à risquer sa vie sur le champ de bataille pour défendre les intérêts écono-miques et politiques du pays de ses oncles maternels. À la suite de son engagementmilitaire au cours de la guerre de Peki de 1831-183315, il reçut le titre très envié de15 Il s"agissait, à l"origine, d"un confl it interne entre les communautés éwé de l"intérieur, mais qui prit fi na-lement une autre tournure avec l"opposition Peki-Akwamu, chacun des protagonistes alors assisté deses alliés. C"est dans ce contexte que les Anlo entrèrent en campagne aux côtés des Akwamu. Pourune description détaillée de cette guerre, voir C.C. Reindorf ([1895] 1966 : 297-306).

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dusifi aga, commandant en chef de l"aile droite de l"armée anlo (Greene 1996 : 76).C"était là le signe d"une nouvelle mutation dans la société anlo due à de nouveauxrapports de force, l"appartenance à l"ancienne sphère du pouvoir étant devenue moinsimportante que le niveau de richesse et le rôle politique ou économique attendu deces nouveaux acteurs.Le cas de Adzoviahlo Atiogbé ne manque pas d"intérêt. De simple agent local auservice d"un marchand d"esclaves brésilien dans les années 1850 à Vodza, localitésise à cinq kilomètres environ à l"est de Keta, Adzoviahlo Atiogbé - ou Atitsogbi selonles traditions -, devint, une décennie plus tard, le personnage le plus infl uent du paysanlo. À la mort de son patron Cosar Cerquira Geraldo de Lima en 1862, AdzoviahloAtiogbé qui, entre temps, était devenu son homme de confi ance, prit en main sesaffaires et porta son nom. Il devint dès lors l"un des plus riches commerçants de larégion, connu sous le nom de Geraldo de Lima (Amenumey 1968 : 66-67 ; Gayibor1990 : 218 ; Greene 1996 : 127-128). Grâce à ses libéralités, il sut se concilier lesbonnes grâces des dignitaires anlo. En retour, il pouvait compter sur leur soutienpour préserver ses intérêts économiques dans la région. C"est ainsi qu"en 1865, iln"eut aucun mal à les mobiliser à la suite d"un différend qui l"opposa à un commer-çant ada, et qui dégénéra en bataille rangée entre Anlo et Ada, les vieilles querellesaidant (Amenumey 1968 : 69-70 ; Gayibor 1990 : 219 ; Greene 1996 : 130). Alors queles Ada bénéfi cièrent du soutien des Anglais, qui ne ménagèrent aucun effort pourprendre pied en pays anlo, Adzoviahlo Atiogbé alias Geraldo de Lima, lui, se renditdans l"Adélé - au nord du pays éwé, à cheval sur le Ghana et le Togo - pour demanderl"assistance de la divinitéNayo Friko, alors très célèbre dans toute la région, les dieuxlocaux de la guerre - en l"occurrenceNyigblin - ne jouissant plus de leur crédibilitéd"antan aux yeux des Anlo (Greene 1996 : 134).L"intervention de ces nouveaux acteurs au devant de la scène politique ne fut passans incidences sur la vie sociale des Anlo. Grâce à leurs fréquents contacts avec lesnégriers européens et afro-brésiliens, les hommes d"affaires locaux les plus hardisadoptèrent un nouveau mode de vie qui tranchait avec les usages. Non seulementils disposaient d"un siège spécial à cinq pieds appeléhozikpi (" siège de richesse »),symbole matériel de leur nouvelle position sociale, mais surtout ils introduisirent dansleur mode vestimentaire quelques éléments de la culture occidentale, notamment leport de haut-de-forme, et habitaient des maisons d"une autre facture que les ancien-nes constructions qui épousaient une forme circulaire (Greene 1996 : 94). AdzoviahloAtiogbé, par exemple, se fi t construire un véritable palais à Vodza : un immeuble dedeux étages meublé et décoré à profusion. Le rez-de-chaussée servait de magasinet le reste d"appartement.Cesself-made-men ne jouirent cependant pas aisément de leur nouveau statut.Ils furent souvent en butte à l"hostilité des défenseurs des valeurs ancestrales, quivirent en eux des concurrents redoutables. Le clergé du culte deNyigblin, en pertede vitesse depuis les malheureuses affaires de contrebande defi asidi, ne tarda pasà réagir. Pour redorer le blason du culte deNyigblin et saper l"infl uence de cette nou-velle classe sociale, les autorités religieuses, dans un baroud d"honneur, interdirentformellement à toute personne vêtue à l"européenne ou même paré de bijoux en ord"entrer dans la cité sainte d"Anloga (Greene 1996 : 94). Sir Rowe, gouverneur de

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de-Marie, fi t observer à propos de cette localité : "Porto-Seguro, à cause de sonisolement, a été souvent choisi comme point d"embarquement d"esclaves. » (Mandirolaet Morel 1997 : 125)L"ampleur prise par cette activité dans la région, alors qu"elle avait beaucoupdécliné en d"autres endroits dans le golfe du Bénin, était par ailleurs liée à la trans-formation du marché de produits locaux de Dékpo - gros village éwé sur la rive norddu lac Togo - en une importante place commerciale, réputée pour la vente des captifs (voir carte). Connu à l"époque sous le nom de Blokotigomé19, ce marché était le pluscélèbre de la région jusqu"à la fi n du XIXe siècle (Klose [1899] 1992 : 108). Il étaitentretenu et fréquenté par les commerçants de la côte qui, au mépris des principesfondamentaux du culte deNyigblin20, déplacèrent leurs activités du Genyi en milieubè-togo, en raison de la proximité des nouveaux lieux de ponction humaine.Le pays bè-togo, qui était au cours des siècles passés un espace de paix et desécurité pour de nombreux réfugiés, devint, en cette seconde moitié du XIXe siècle,une zone peu sûre, en dehors des forêts sacrées deNyigblin, toujours à l"abri desprédateurs. En effet, malgré la fermeture du marché américain dans les années 1860,mesure qui rendit le trafi c négrier de moins en moins lucratif, la traite clandestinesévissait dans cette région située hors de la zone d"infl uence de la marine anglaise,mobilisée pour arraisonner les navires négriers. Y opéraient donc fréquemment deschasseurs d"esclaves, à l"affût des personnes - surtout des jeunes gens - sans défensequi s"aventuraient seules hors de leurs villages ou qui tardaient à rentrer le soir21.Dans un rapport datant des années 1875 que leColonial Offi ce avait transmis fi n juillet1884 auForeign Offi ce, il avait été signalé la présence de kidnappeurs sur le littoralaujourd"hui togolais (Marguerat 1993 : 328). Quant à l"hinterland bè-togo, c"était lazone par excellence de prédation sur laquelle les traitants de la côte, à défaut d"êtrerégulièrement et abondamment pourvus en captifs des régions lointaines - Atakpamé,Tchamba -, se rabattaient (Adotévi 2001 : 122-123). Les campagnes autour de Tsévié,les interfl uves du Zio et du Haho ainsi que les zones de peuplement watchi étaientsouvent écumées par des bandes organisées qui semaient la désolation dans la région(voir carte). Les Bè-Togo ne restèrent nullement indifférents à ces pratiques.2.2.2- Les Bè-Togo face à la nouvelle donneProfondément attachés aux principes cardinaux du culte deNyigblin, entre autres,le rejet de toute forme de servitude et la protection des épris de liberté, les Bè-Togoadoptèrent une attitude mitigée face à la traite clandestine. Au lieu d"abandonner lescaptifs au triste sort auquel ils étaient destinés dans l"Outre-atlantique, les personnesaisées s"en procurèrent quelques-uns, qu"elles affectèrent aux tâches domestiques età diverses activités économiques ; d"où l"expressionkluvi (" esclaves domestiques »)pour les désigner. Parmi ceux-ci, on pouvait distinguer lesawobamé, c"est-à-dire lesgens mis en gage par leurs parents à cause d"une dette qu"ils avaient contractée.Aussi longtemps que celle-ci ne sera pas remboursée, ces " gens de la dette »resteront au service du créancier. Il arrivait parfois qu"un débiteur insolvable refuse19 Étymologiquement " sous l"arbreblokoti ».20 Au fur et à mesure qu"on s"éloignait des sanctuaires duNyigblin des Bè-Togo, le culte de cette divinitése diluait.21 Informateur : Gadjétou K. Apéti, notable du chef de Dékpo ; entretien à Dékpo, le 30-07-2005.

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vie des Bè-Togo, même en cette fi n du XIXe siècle, où le pouvoir colonial allemandétait en train de s"imposer aux populations.

CONCLUSIONIl s"est agi, dans cette étude, de placer sous un même regard l"histoire des Anloet des Bè-Togo au cours de la période de la traite négrière, notamment aux XVIIIe etXIXe siècles. Bien que caractérisés par le culte de la divinitéNyigblin, qui infl uençaprofondément leurs modes de vie et d"organisation, ces deux communautés éwé réa-girent différemment face au commerce des esclaves. Leurs attitudes diamétralementopposées s"expliqueraient par le fait que non seulement elles n"étaient pas entouréespar les mêmes voisins, mais aussi leurs territoires respectifs ne se trouvaient pas àla même distance des points d"impact du commerce européen atlantique. Habitantsde la basse vallée de la Volta et des bords de la lagune de Keta, les Anlo, pour ré-pondre à certains besoins vitaux, durent édifi er un État esclavagiste au XVIIIe siècle,tandis que les Bè-Togo, populations riveraines du lac Togo et de la lagune de Bè,se contentèrent d"une théocratie conservatrice et sereine, longtemps restée à l"écartdes activités maritimes.Partout en pays éwé où elle sévit, la traite atlantique engendra des conséquencesmultiformes, particulièrement un renversement des valeurs, avec la naissance et lamontée, dans la hiérarchie sociale, d"une classe de riches marchands intrépides -

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souvent desself-made-men - qui profi tèrent des gains amassés dans le trafi c négrierpour s"imposer sur la scène politique. Mais le processus ne fut pas partout uniforme.En pays anlo, qui connut une intense activité d"échanges, notamment au XVIIIe siècle,les liens étroits qui existaient jadis entre religion et pouvoir se distendirent considé-rablement en faveur du tandem richesse-pouvoir. Affaiblies par les bouleversementssociopolitiques induits par le commerce des esclaves, les autorités politiques et reli-gieuses d"Anloga n"étaient plus en mesure de contrecarrer effi cacement les ambitionsde ces nouveaux riches. En milieu bè-togo, par contre, le clergé local sut tant bienque mal se faire respecter jusqu"au protectorat allemand sur son territoire.Cette étude a révélé tout l"intérêt qu"il y a à exploiter différents types de sourcesafi n de mieux appréhender l"histoire de la traite négrière et de l"esclavage en payséwé, pratiques jadis légales - voire banales -, mais aujourd"hui sujets à polémique,que ce soit en milieu traditionnel, dans le cercle des chercheurs tout comme dans lesinstances internationales, tant les responsabilités sont loin d"être facilement acceptéespar les différents protagonistes de la question. Il ne s"agit nullement pour nous, enentreprenant ce travail, d"adopter une position qui débouche sur la victimisation desuns et la culpabilisation des autres ; il est plutôt question, en suivant la déontologiedu métier, de situer les faits aussi bien dans leur cadre géographique que dans leurcontexte historique, pour en comprendre les tenants et les aboutissants, car le com-merce des captifs, tout comme l"esclavage, faut-il le rappeler, n"a pas été l"apanaged"une région particulière de la planète. Ce fut assurément un phénomène mondial,que tous les peuples ont vécu d"une manière ou d"une autre, à un moment donnéde leur histoire.SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE1- Sources orales : liste sélective des informateursAdogbê Anani, né en 1949, responsable adjoint de la forêt sacrée Dangbuivé ; entretien à Bè (quartierDangbuipé), le 14-06-2005.Agbodji Sévlénu, né en 1934, responsable de la forêt sacrée Dangbuivé ; entretien à Bè (quartier Dang-buipé), le 14-06-2005.Agbotadua Kumassah (Togbivi), né en 1943, enseignant du secondaire à la retraite ; entretien à Dzélukopé,le 1er-08-2005.Avevor George, né en 1936, ex-général en chef de l"armée traditionnelle anlo(avadada) par intérim ;entretien à Dzélukopé, le 1er-08-2005.Dikénou Afatchao, né en 1918, notable de quartier (amégavi) ; entretien à Togoville (quartier Ayakapé),le 20-08-2004.Gadjétou K. Apéti, né en 1940, notable du chef du village de Dékpo ; entretien à Dékpo, le 30-07-2005.Nyigbanua Ashapin Eha II (Togbi), né en 1942, actuel prêtre duNyigblin d"Anloga ; entretien à Anloga,le 03-08-2005.2- Sources écrites anciennesBosman, William,A new and accurate description of the coast of Guinea, London, Frank Cassand Co. Ltd, 4e édition anglaise avec introduction de John Raph Willis et notes de J. D.Fage et R.E. Bradbury, [1705] 1967, 577 p.

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