[PDF] LUNIVERS ROMANESQUE DÉMILE AJAR OU LE REFUS DE LA





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elle sera le personnage souvent central de bien des œuvres de Gary et la Madame. Rosa de La Vie devant soi doit beaucoup à cette figure de mère juive



LA VIE DEVANT SOI Romain GARY

Dans ce chapitre Romain Gary



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Published in 2006 Le personnage secondaire by Carl Leblanc relates the actions Devant l'ampleur des événements



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Tel est l'état des personnages de La Vie devant soi ils sont tous des personnages d'origines Les personnages secondaires : a. Le docteur Katz



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En adaptant le roman de Romain Gary - Émile Ajar en collaboration avec Yann. Richard



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vie devant soi Christiane Baroche décrit bien cette dimension: .ln personnage secondaire sous un aspect différent et montrent son évolution.



Cahiers franco-canadiens de lOuest - Visées et pratiques de la

à leur statut narratif de personnage principal ou de personnage secondaire;. – construire un sociogramme illustrant la dynamique des personnages (voir la 

L'UNIVERS ROMANESQUE D'ÉMILE AJAR

OU LE REFUS DE LA NORME

par

Hélène LA FOND

Mémoire présenté à la

Faculté d'études supérieures et de recherche dans le cadre de l'obtention du diplôme de maîtrise Département de langue et littérature françaises

Université McGill, Montréal

Juillet 1991

@ Hélène Lafond, 1391

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ...... ft • • .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. • .. .. .. .. .. .. .... 1

CHAPITRE I: TEMPS ET STRUCTURE DU RÉCIT •••••••••••••••• 12

CHAPITRE II: LA

SOCIETE ................................................................. 43

CHAPITRE JII: LA CONTRE-SOCIÉTÉ ••..•••••••••••••.•••

•.•• 72

CONCLUSION.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .... 99

BIBLIOGRAPHIE ........................................ " ...................................... 110 1 1

RÉSUMÉ

En 1973, Émile Ajar publie son premier romùn, Gros-Çà l in, et attire immédiatement l'attention du public pùr son style bien particulier. En fait, sous ce nom se cache un écrivùin connu, Romain Gary. Il tente de sortir du carcan dans leque l l' ù enfermé la critique et de renouveler son écriture en recourùnt à un pseudonyme. Ce mémoire porte sur le monde romanesque d'Émile Ajar et sur le refus de la norme. L'étude du fonctionnement de cet univers romanesque permet d'en dévoi10r les pùrtlculùrlt6s. Le premier chapitre explique la structure des différents récjts et leurs caractéristiques, tels les liens entre le nùrratcur ct le récit, entre le narrateur et le lecteur, entre le sujet et lù démarche suivie par le héros pour raconter ses aventures. Cette analyse dévoile comment l'auteur dissimule les ficelles du recit pour mieux séduire son destinataire. Le second chapitre est consacré à la présentation de la société: les la symbolique et la réaction du héros face à ce milieu. Dans le dernier chapitre la même grille est appl iquée à la contre société. Cette dernière partie montre l'importance et la signification de la contre-société et du refus de la norme dans l'oeuvre d'Émile Ajar.

ABSTRACT

In 1973, tmile Ajar published his first novel, Gros-Câlin, and his very unusual style drew public attention. In fact, the name of tmile Ajar conceals a famous writer, Romain Gary. He endeavours to escape from the iron grip of criticism and attempts to rr"';1ew his writing by resorting to an assumed name. This thesis is based on the fictitious world of tmile Ajar and the rejection of societal norms. A close study of the composition of this fiutitious universe permits the reader to unravel its particular nature. The first chapter explains the structure of the various tales and their characteristics such as the relationship between narrator and the narrative, between the narrator and the reader, and between the subject and the means used by the hero to relate his experience. This analysis discloses how the author conceals the threads of his tale to captivate his audlence more successfully. The second chapter presents society as it is; its characteristics, syrnbols and the herols response to this environment. The last chapter explores the charact-eristics, symbQIs and the behaviour of the hero in a world characterized by antisocietal values. It reveals the importance and the meaning of this "antisociety" and Émile Ajar's rejection of the status quo. 1

INTRODUCTION

Au cours des siècles, on a assisté à plusieurs mystitications littéraires. Ces dernières années, l'une d'entre elles a particulièrement marqué les lettres franç.)ises: celle d'Émile Ajar. Plusieurs auteurs ont tenté d'écrire sous un pseudonyme tout en menant à bien leur propre carrière, mais très peu ont réussi. Romain Gary s'y est repris plusieurs fois avant d'y parvenir. Déjà le choix de "Gary", qui signifie "brûle" en russe l, plutôt que Kacew, son patronyme véritable, constitue la première étape de ce cheminement. En 1958, diplomate aux Nations Unies, Romain Gary écrit une satire de cette organisation mondiale et signe "Fosco Sinibaldi". Le roman est vendu à cinq cents exemplaires. À cette époque, Gary aurait pu simplement recourir à sa notoriété d'écrivain. En effet, deux ans auparavant, il gagnait le prix Goncourt pour Les Racines du ciel. Déjà, on voit qu 1 il préfère s'exprimer plus librement. De son vivant, il ne reconnaîtra du reste pas cette oeuvre parue sous pseudonyme.

1 R. Gary, La Nuit sera calme, p. 7.

2

Introduction

En 1974, Romain Gary choisit un nouveau pseudonyme pour publier Les Têtes de Stéphanie: Shatan Bogat. "Ce mystérieux auteur aurait été 'traduit de l'américain par Françoise Lovat', interprète aussi fictif que l'auteur". 2 Le livre a peu de succès, et dans une entrevue, l'éditeur Robert Gallimard fournit suff isamment ct' indicat pour que le publ i c lùentl1 le li dU teur.

Dans la postface du roman, Gary s'explique ainsi:

On aurait tort de croire que j'ai choisi un pseudonyme pour écrire Les Têtes de stéphanie parce qulil s'agit de ce qu'on appelle parfois du bout des lèvres "un roman d'aventures". Je l'ai fait parce que j'éprouve parfois le besoin de changer d'identité, de me séparer un peu de moi-même, l'espace d'un livre. 3 Dans ce témoignage, nous retrouvons les éléments qui expliquent les diverses tentatives de Romain Gary. Tout d'abord, il éprouve le besoin d'affirmer les multiples facettes de son talent. Il y a aussi cette nécessité d'explorer de nouvelles voies: la recherche d'un style nouveau sans toutefois rejeter l' ""ncien". Déçu par les événements entourant la publication des Têtes de Stéphanie, Romain Gary recommence cette expérience mais, cette fois, dans le plus grand secret. Il choisit le nom d'Émile Ajar, qui signifie "braise,,4 en russe. Avec l'aide de Pierre Michaut, 2

D. Bona,

3

H.. Gdry,

4

D. Bona,

Romain Gary, p. 317-318.

Les 'l'etes ùe SLcphd/1 i e, postldce.

Romain Gary, p. 317.

3

Introduction

un ami habitant le Brésil, il soumet La Solitude du python à

Paris au comité de lecture Gallimard.

"Émile Ajar/! n'est pas qU'un pseudonyme; c'est surtout l'affirmation de la naissance d'un écrivain ayant un style différent. Romain Gary explore la voie du "roman total" qu'il a défini dans son essai Pour Sganarelle. Il privilégie le roman de péripéties contre le roman du "dicktat", comme le roman existentialiste et le Nouveau roman. Il y affirme le pouvoir de l'imagination et se définit comme un illusionniste: "Il n'y a pas de théorie, il n'y a pas de respect, tout est possible, tout est permis, ouvert à l'art, au Roman."S Lors de la parution de cet essai, la position de Romain Gary va tout à fait à contre courant. Selon lui, seule compte la magie de la création, la subjectivité l'emporte. Cette théorie r il l'applique dans l'oeuvre signée "Émile Ajar". Dans son testament littéraire, vie et mort d'Émile Ajar, Gary explique les raisons qui l'ont poussé à recourir à ce subterfuge. La principale consiste à s'éloigner de l'image qU'on lui a collée: "J'étais un auteur classé, catalogué, acquis 1 ce qui dispensait les professionnels de se pencher vraiment sur mon oeuvre et de la connaître. ,,6 Il veut donc fui r cette si tuati on et 5

R. Gary, Pour Sganarelle, p. 118.

6 R. Gary, Vie et mort d'Émile Ajar, p. 17.

4 1

Introduction

être jugé à sa juste valeur. Cette attitude cache aussi un désir de déjouer la critique, en lui montrant qu'elle n'accomplit pas son travail. Le pseudonyme alors un véritable masque. Dans son essai Supercheries littéraires; La vie et l'ol?_U'!Tg des auteurs supposés, Jean-François Jeandillou explique les lnotifs qui ont poussé certains écrivains à recourir à tlt"! pseudonyme. Il considère, entre autres, la mystification littéraire comme une épreuve: "En pareil cas, le rôle de l' ini ti é reviendrait au lecteur clairvoyant, qui sait repérer la farce derrière les artifices rhétoriques les plus captieux. Et la phase de l'initiation proprement dite correspondrait au moment -si scandaleux parfois -de la révélation pUblique.,,7 Et en effet, la publication posthume de Vie et mort d'Émile Ajar va tout à [ait dans ce sens. Dans cet ouvrage, Gary dévoile le subterfuge, dénonce le double jeu de certains critiques et revalorise ceux qui ont perçu les similitudes entre ses oeuvres. Il cite des lecteurs qui lui ont souligné des faits et des thèmes communs. Les dupes sont alors les journalistes. D'ailleurs, les derniers mots de Gary s'adressent vraisemblablement à eux: "Je me su is bien amusé. Au revoir et merci. ,,8

7 J. Jeandillou, supercheries littéraires; la vie et

l'oeuvre des auteurs supposés, p. 489.

B R. Gary, Vie et mort d'Émile Ajar, p. 43.

J

Introduction

Cette révélation a suscité bien des cemous. Plusieurs, choqués d'avoir été trompés, ont par la suite ignoré ou dénigré l'oeuvre d'Ajar. Comme le note Jean-François Jeandillou, cette étape de l'initiation est fréquente: les critiques refusent la culpabilité. Par contre, d'autres ont compris le geste de l'écrivain, tel Jean Royer: Et qu'on ne vienne pas nous dire que sa création d'tmile Ajar et son suicide sont les gestes d'un homme malade. Ce sont plutôt les gestes d'un homme qui cherchait à être libre. Romain Gary a brisé les chaînes par lesquelles voulait le menotter une société franchement médiocre. Il a réussi sa pirouette. 9 Romain Gary siest s'affranchi de son rôle d'auteur célèbre pour se camoufler derrière un nom fictif et inconnu. Ainsi il a eu la possibilité de tout recommencer, de faire peau neuve. Cependant, il a poursuivi son oeuvrei entre 1974 et 1980, il a publié sept livres en plus des quatre signés Ajar. Il a donc mené deux caLrières de front. Pour cette étude, nous nous intéresserons uniquement aux oeuvres parues sous le pseudonyme d'tmile Ajar. La démarche de Romain Gary s'inscrit dans un refus de la norme: refus de se plier au j eu des cri tiques, refus de tabler sur sa notoriété. Tout cela se double d'un désir de recommencement. Sans l'entrave de sa réputation et sans avoir à se justifier, il choisit un registre d'écriture différent. Ceci a bien sûr susci l'intérêt de la critique. Comme le note

9 Jean Royer, "Romain Gary accusel!, p. 23.

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Introduction

Dominique Bona dans sa biographie de Romain Gary "Gary invente un style neuf, dans le genre parlé, familier, mais sans argot, qui éclate en formules cocasses /1 incongrues et lapidaires." 10 La nouveauté de l'écriture se situe alors à plusieurs niveaux: le langage, la structure du récit, l'univers romanesque ..• Ce styl e est ddns ld l ignée des chùnts det; Ln)lllMdours: je narrateur raconte ses aventures qui correspondent à une quête. La langue util isée diffère de la norme.. Dans un article sur rIa vie devant soi, Christiane Baroche décrit bien cette dimension: Émile Ajar est un pirate de la Langue qui ne cesse de détourner des mots, des phrases de leur signification usuelle et mineure pour un usage autre, plus efficace, plus essentiel et dont la drôlerie tient justement à ce qu'ils se sont en quelque sorte gonflés d'un nouveau sens sans pour autant se défaire de l'ancien, du moins dans l'esprit du lecteur. Le contraste et l'inattendu font le reste. Il Le langage vise alors à étonner le lecteur et à lui présenter un univers différent, bier souvent marginal, d'où le tltre de notre travail: L 'Univers romanesque d'Émile Ajar ou le refus de la norme. Ces caractéristiques touchant le style tendent à occulter la composition des oeuvres. Dans cette analyse, nous étudierons la structure des romans signés "Ajar". Nous nous intéresserons

10 D. Bona, Roma in GarYt p. 320 •

11 c. Bdrochc, Ajar: La VIc dQYnnLQgI" , p.

7 i aux liens entre le narrateur et le récit, le narrateur et le lecteur. La démarche empruntée par le héros pour raconter ses aventures retiendra aussi notre attention. L'étude de la présentation des faits nous permettra de déterminer l'importance de la fréquence narrative. Le temps sera aussi considéré sous son aspect thématique. Puis 8 nous nous attarderons à la vision du monde qui se df"J .... qe du récit des héros. Nous déf:in:irons les caractéristiques de la société et de la contre-société dans ces romans afin d'établir leur signification symbolique. Nous étudierons également l'attitude du narrateur face à ces deux mondes, pour voir si sa perception coïncide ou non avec celle de son entourage. Pour chaeun des romans, nous observerons la manière dont sont présentés ces deux univers dans le récit; sont-ils déjà là dès le début, ou l'un devient-il une subsitution à l'autre? Tout au long de notre analyse, nous tiendrons compte de la narration pour voir comment ces éléments sont amenés. Plusieurs hypothèses ont-été formulées ici. Commençons par celles qui touchent l'ensemble des oeuvres et constituent le point de départ de cette recherche. Le langage particulier dg Émile Ajar nous révèle la société sous un aspect inédit: quelles en sont les caractéristiques essentielles et dans quelle mesure le langage est-il un procédé technique qui permet à B

Introduction

l'auteur de dissimuler les structures du texte pour déjouer le lecteur? Le langage devient-il un moyen pour capter l' attention du destinataire, pour l' amener vers de fausses pistes, pour le surprendre à la fin? Nous porterons aussi notre attention sur les structures du récit pour déterminer comment le temps de la narration influe sur le dénouement de 1 'histoire. Nous analyserons les différents chapitres du roman qui racontent les aventures du héros, composées d'événements singulatifs et itérdtifs, afin d'établir une chronologie. Nous tenterons de voir si la structure du texte et la thématique jouent un rôle dans le subterfuge. Enfin, nous étudierons les caractéristiques de la société et de la contre-société dans ces oeuvres pour saisir cc qui les rapproche et les oppose. L'étude du comportement des personnages dans chacun de ces milieux permettra également de saisir globalement l'univers romanesque d'Émile Ajar. À la fin de ce travail, nous nous interrogerons sur le sens du refus de la norme. Que cache cette critique, et que propose t-elle en échange? Notre analyse s' inspirera de plusieurs approches crltlqucu. Deux ouvrages sur le structuralisme, Figures III de Gérard 9

Introduction

Genette et Le Temps de Harald Weinrich, nous permettront de définir les liens entre les événements singulatifs et itératifs. NOIll.:l nOllu i ntéresscrono aux temps de la narrat i on pour déterrni ncr la chronologie des aventures des héros. Ensuite, nous verrons comment la superposition de temps permet au narrateur d' éliminer les points de repères du lecteur. Nous examinerons la relation narrateur-narrataire afin de définir son rôle dans le récit. La seconde approche sera de type thématique et s'inspire des travaux de Roland Bourneuf et Réal Ouellet, Lucien Goldmann, Georges Lukacs, Guy Michaud et Georges Poulet. Nous dégagerons le sens global de l'oeuvre comme 1 e fait Gt;.y Michaud dans L'Univers du roman. Nous étudierons aussi des thèmes précis; la présentation de la société, sa symbolique, et la réaction du héros face à ces milieux. Les mêmes critères seront appliqués à ] d contre-société. Dans ces deux cas, il ne s· agit nullement d'une étude soc iologique, bien que l'approche de Lucien Goldmann doi ve nous servir pour sa comparaison des différents types de quête. Nous nous intéressercns à l'aspect symbolique de la société et de la contre-société pour tenter d'éclairer l romanesque d' É1rlile Ajar. Cette étude porte sur les quatre romans de Romain Gary publiés sous le pseudonyme dl tmile Ajar: Gros-Câlin, La Vie devant soi, Pseudo et L'Angoisse du roi Salomon. L'un d'entre 10

Introduction

eux, Pseudo, pose un problème particulier, étant une paLodie de la relation entre Romain Gary et son neveu Paul Pavlowitch. Dans ce roman, Gary se met dans la peau de Paul et explique pourquoi il a créé le personnage d'Émile Ajar. Cette oeuvre, bien que proche de 1 a réa lité par certa i ns fa i ts, est avant tout. une oeuvre de fiction, comme l' aff irme Gary: "J'ai inventé de toutes pièces un Paul Pavlowitch dans le roman. Un délirant. C ... ) Je me suis inventé entièrement moi aussi. Deux personnages de roman. ,,12 Des noms, des dates, des lieux, des événements sont réels, mais cela s'arrête là. De plus, la structure du récit et les thèmes abordés ressemblent à ceux des autres ouvrages d'Ajar. Ces quatre oeuvres seront étudiées dans les éditions originales publiées au Mercure de France. si le corpus ne pose pas de problème, il n'en n'est pas de même pour les ouvrages critiques, qui font défaut. On trouve quelques articles et comptes rendus sur l'oeuvre d'Ajar, mais peu d'études ont paru du vivant de Gary lui-même. Les critiques et les journalistes cherchaient davantage l'identité de l'écrivain qui se cachait sous le pseudonyme d'Émile Ajar. La mort de Romain Gary, et donc la fin de cette mystification littéraire, n'ont pas suscité l'engouement de la critique. J.lais depuis quelque temps, il semble y avoir un nouvel intérêt pour cette célèbre mystification littéraire.

12 R. Gary, Vie et mort d'Émile Ajar, p. 22.

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CHAPITRE 1

TEMPS ET STRUCTURE DU RÉCIT

À la parution du premier roman d'Émile Ajar, la critique française s'illtéresse davantage au style de l'oeuvt"e et délaisse d'autres éléments importants. En fait, le ton séduit. On se laisse facilement amuser par les jeux de mots et les commentaires des narrateurs. Or ce premier ni veau tend à en occulter un second: la structure du récit, dont l'originalité ne réside pas tant dans l'utilisation de procédés nouveaux que dans réunion de techniques traditionnelles. Pour bien comprendre le fonctionnement des textes, il faut s'intéresser aux liens entre structures et thèmes. Tout d'abord, nous étudierons ici le rôle du narrateur ainsi que celui de sa présentation des faits. Ensui te nous observerons la construction générale des romans d'Émile Ajar pour comprendre les fonctions de la structure narrative et du temps. Finalement, nous essaierons de comprendre la signification du temps sur le plan proprement thématique. Les romans d'Ajar sont caractérisés par un niveau narratif intradiégétique et une relation homodiégétiql' nous avons un narrateur qui fait le récit de ses aventures. Le sujet est l'objet même de la narration, ce qui entraine une déformation des faits. Il dévoile ce qu'il veut bien de son passé, et rien 13 l

Temps et structure du

ne l'empêche de mentir. Il Y a aussi un évident problème de distanciation; celui qui narre n'est déjà plus celui qui a vécu les événements. Donc le lecteur dépend du narrateur et de ses intentions. si Diderot souligne cette relation dans Jacques le fataliste et son maître, Ajar, lui, la cache dans son oeuvre. Ce dernier veut que le lecteur oublie cette distance. Les conséquences de ce lien, Romain Gary les avait comprises bien avant d'utiliser le pseudonyme d'Émile Ajèr. Dans Pour

Sqanarelle, il écrit:

Rappelons d'abord que le romancier utilise la

collaboration involontaire du lecteur antérieurement à la lecture, pendant qu'il écrit, pour mieux le tromper lorsqu'il ouvre enfin le livre, pour endormir son soupçon et sa vigilance, pour commettre son abus cie confiance avec toute l'apparence, avec toute la force convaincante de la bonne foi. Il emprunte ainsi au lecteur tout ce que celui-ci connaît du monde "authentique" qu'il habU:e et qui le tient. et de lui même, pour le saisir et le prendre avec lui, pour l'entraîner dans la fiction, le faire changer imperceptiblement de planète pour lui faire passer une des frontières de ce monde les mieux gardées par la Puissance: celle de l'imaginaire. Dès que le lecteur de la frontière, l'oeuvre échoue, perd son pouvoir de convaincre et le passage ne peut plus se faire. 1 Dans cet essai, Gary se présente comme un illusionniste 1 un troubadour. Tous les moyens lui sont bons pour séduire le destinataire. C'est dans cette perspective que l'on doit analyser le rôle des narrateurs chez Ajar; ils sont là pour nous enjôler, nous séduire.

1 R. Gary, Pour Sganarelle, p. 421-422.

14

Temps et structure du récit

Dans l'oeuvre d'Émile Ajar, on retrouve plusieurs techniques qui visent ce but. Tout d'abord les romans s'inscrivent entre l'écrit et l'oral. Le livre établit un pacte entre scs différentes parties; en lisant, le lecteur sait qu'il pénètre dans le dumaine de la fictiono Cependant "l'oralité" du texte rompt partiellement ce pacte. Les récits sont à la prE:mière personne du singulier; un ton de confidence est créé dès les premières lignes. Le narrateur éprouve le besoin de s'expliquer, de se confier. Le "vous" apparaît et devi-ent complice; un faux dialogue s'instaure. À plusieurs reprises, le narrateur interpelle le lecteur pour s'assurer de son attention et aussi pour rendre certains fajto pIlla cré-dibleu. textcu sont truffés d'assertions qui rempl.issent ces deux fonctions: .. ( ... ) comme vous allez voir quand on se connaîtra mieux, si vous trouvez que ça vaut la peine ..• ,,2; "Le propriétaire du café que vous connaissez sOrement ... ,,3; "et je suis parti. Vous aurez remarqué que c'est mon expression favorite, partir. ,,4 Ces interpellations relèvent d'une forme d' "oralité" qui contrebalance l'aspect scriptural du texte ou du moins, elles tentent de nous le faire oublier. 2

É. Ajar, La Vie devant soi, p .. 11-12.

3

Ibid. , p. 155.

4

É. Ajar, L'Angoisse du roi Salomon, p. 166.

15

Temps et structure du récit

D'autres éléments contribuent à renforcer ce ton. L ... structure simple des phrases et plusieurs fautes dissimulées par des jeux de mots créent une écriture proche de l'oral. Les héros expliquent leurs choix; tous refusent d'utiliser le français normatif pour ne pas être immobilisés dans un carcan. Chacun suit une démarche semblable, mais avec des objectifs différents. Au début de Gros-Câlin, Michel Cousin exprime ainsi son besoin de transformer le langage: "Il me serait très pénible si on me demandait avec sommation d'employer des mots et des formes qui ont déjà beaucoup couru, dans le sens courant, sans trouver de sortie. ,,5 Il rejette en partie les structures traditionnelles pour en créer d'autres qui expriment mieux son sujet: à nouveau thème, nouvelle façon de le présenter. Dans cette perspective, le français se transforme: les contresens, les calembours et les jeux de mots surgissent. Dans L'Angoisse du roi SalolJlon, tout comme dans La Vie devant soi, le langage utilisé n'est pas celui de la norme. Dans le premier cas, il s'agit de jeux de mots; dans le second, d'une déformation de la langue. Mohammed a appris le français au contact de gens de diverses origines, alors que Jean poursuit un but personnel: retrouver puis jouer avec le sens des mots. Cette quête correspond aussi à son but qui est de se définir, de trouver son identité.

5 É. Ajar, Gros-Câlin, p. 9.

16 1

Temps et structure du récit

Dans Pseudo et L'Angoisse du roi SalomoD, nous retrouvons aussi une recherche langagière liée, comme dans les cas précédents, au sujet du roman. Tel Jean qui recourt souvent aux dictionnaires pour y trouver la signi f ication des mots; il Y recherche en même temps le mot qui pourrait le définir. Il s'agit d'une mise en abyme; les thèmes sont repris sous une autre forme et renforcent la cohésion de l'univers romanesque. Ce processus suit deux modes: tantôt il est revendiqué par le narrateur, tantôt il relève de l'inconscient et devient alors une explication du milieu ou d'une expérience de vie particulière. La démarche choisie par les narrateurs suit un même schéma: chacun décrit sa méthode particulière et ses motivations au cours de son récit. Michel COUS-,-!l explique la sienne comme suit: Je précise immédiatement par souci de clarté que je ne fais pas de digressions, ( ... ) mais que je suis, dans ce traité, la démarche naturelle des pythons, pour mieux coller à mon sujet. Cette démarche ne s'effectue pas en ligne droite mais par contorsions, sinuosités, spirales, enroulements et déroulements successifs, formant parfois des anneaux et de véritables noeuds qU'il est donc de procéder ici de la même façon, avec sympathie et compréhension. Il faut qu'il se sente chez lui, dans ces pages. 6 Cette affirmation déroute quelque peu, puisqu' antér ieurement Cousin affirmait son besoin d' "entrer dans le vif d'] sujet". 7

6 É. Ajar, Gros-Câlin, p. 18.

1

Ibid., p. 9.

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