[PDF] Les caractéristiques du genre policier





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Dans les romans policiers le suspense est présent. L'ambiance décrite est très inquiétante. La ville est le témoin du crime.



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de la ville moderne (à partir d'une prise de conscience qui débouche sur une réflexion). 6 Fonction poétique. Le roman policier vous permet de rêver.



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dans un espace fermé (la ville) espace considéré comme un abri rassurant. Le roman policier parcourra toute l'époque dit moderne et ne cessera d'évoluer



Représentation de lespace urbain dans le roman policier aujourdhui

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« CONNAISSEZ-VOUS CET HOMME ? » : pour une poétique du

9 août 2022 ville de Québec et plus précisément le quartier du Vieux-Québec

LYON

ECOLE D"ARCHITECTURE DE

DEPARTEMENT DE RECHERCHES

POLAR VI LLE

LES IMAGES DE LA VILLE DANS LE ROMAN POLICIER

Rapport Intermédiaire

Contrat de recherche BRA/EALyon N°89 01 234

J.N.BLANC

introduction i

OU IL EST QUESTION

DE METHODES D"INVESTIGATION,

ET OU LE SOCIOLOGUE

PRETEND MENER L"ENQUETE.

D"abord une image : celle du "privé" classique du roman noir. On a beau faire, on ne peut l"imaginer que situé dans un décor urbain. Pas de campagne, de nature, de grand ciel ni de bosquets. Mais la rue, les bas-fonds, les bas quartiers, les hôtels louches, les ruelles solitaires, la nuit : la ville. Ce décor urbain est si insistant qu"il en devient obsédant. D"autant qu"il ne s"agit pas de n"importe quelle ville. Celle qui fait le décor clas? sique du polar est une ville sourde, sombre, crépusculaire, désolée. Ville de malheur et de violence, pleine d"ombres et de fureurs, sa présence - comme on dit d"un acteur - traverse tout le roman noir et lui imprime sa marque. Le roman policier n"échappe pas à la ville. Il constitue peut-être la littérature urbaine par excellence, et il se peut que ce soit là que se rédige le grand opéra urbain du XX° siècle. Voilà qui définit le propos de cette étude sociologique. Elle se fixe pour but d"élucider ce que dit le roman policier de la ville, et se donne pour ambition de s"interroger sur ce que veut dire exactement ce qu"il dit. De tels objectifs méritent qu"on les précise de façon à mieux définir l"orientation de l"étude et la manière de procéder. Cela pose tout d"abord une question de méthode. 2

LE SOCIOLOGUE MENE L"ENQUETE

Un sociologue ressemble un peu à un détective. Tous deux se trouvent au départ devant un phénomène troublant qui, parce qu"il est inexpliqué, paraît étrange. Tous deux s"attachent donc à en chercher les causes - ou, sinon les causes réelles, du moins les causes les plus plausibles. Pour mener à bien cette investigation tous deux fouillent le passé, se documentent, vont sur le terrain, interrogent des témoins, s"interrogent : ils font une enquête. Certes il n"est pas possible de pousser la comparaison jusqu"au bout. Les deux types d"enquête n"ont en commun ni leurs buts ni leurs effets. Dans l"enquête policière le but est d"identifier puis d"arrêter le(s) coupable(s), c"est-à-dire l"origine d"un désordre. Une enquête réussie retire donc du monde ce qui en trouble l"ordre, et son effet attendu est donc de rectifier la réalité en reconstituant un monde apaisé par sup? pression des causes du désordre. Dans l"enquête sociologique le but est d"identifier puis de reconsti? tuer des processus de nature causale, et l"effet attendu ne peut être ni de supprimer les causes des phénomènes ni de restituer au monde une innocence perdue, mais bien plutôt de susciter des questions et de dégager des perspectives nouvelles d"explication, même si cela contredit l"opinion commune ou introduit le doute dans la pensée d"un monde "normal"" et stable. Cela dit les deux types d"enquête se ressemblent malgré tout. Elles partagent le goût de la recherche, la volonté obstinée de réunir des indices, la nécessité de présenter des preuves, et, par conséquent, le caractère décisif de l"attention portée à la méthode d"investigation. Tout amateur de roman policier sait bien que la différence entre bonne et mauvaise enquête se fait par rapport à la méthode. Si Sherlock Holmes brille devant le pauvre Lestrade de Scotland Yard, c"est qu"il a une meilleure méthode que lui. Cela n"empêche pas J. Dickson Carr de prétendre procéder autrement et mieux, ni H.Poirot de préférer d"autres méthodes encore, et Maigret encore une autre. Tous cependant conviendraient ensemble que la valeur de l"enquête se mesure à la qualité de la méthode qui y préside. Le sociologue se trouve dans la même posture. Il lui faut procéder méthodiquement. Il a un fait troublant sous les yeux, il l"inspecte, il en cherche les causes. Ainsi du roman policier : le fait est que les évocations urbaines y sont étonnamment fréquentes, et la question se pose d"en savoir les raisons et la signification. Pour commencer, il convient de vérifier le fait : plutôt que de suivre les impressions immédiates et les pseudo-évidences, mieux vaut commencer par l"examen précis des faits - ou, à tout le moins, de ces bribes de réalité qu"on tient pour des faits. Vérifions donc d"abord 3 sur le terrain l"importance exacte de la thématique urbaine dans le roman policier - ou plutôt dans le polar.

ROMAN POLICIER ET POLAR

Il faut commencer en effet par définir le lieu précis de l"enquête. C"est que le territoire du roman policier est vaste. De Gaboriau à Chandler, d"Edgar Poe à Agatha Christie, de Goodis à Manchette et d"A.Demouzon à Montalban, il couvre une large étendue où se côtoient en vérité des conceptions bien différentes de ce genre littéraire. Des spécialistes éminents et des exégètes pointilleux tracent des frontières parfois subtiles entre ces diverses conceptions. C"est leur af? faire de spécialistes et d"exégètes. Ici, dans cet essai, on se contentera de distinguer en fonction de la place et du rôle que telle ou telle famille accorde à la ville. De ce point de vue, une distinction fondamentale doit être établie entre le roman policier classique et le roman policier de type roman noir . Dans le premier, la ville importe peu. Il s"agit seulement d"une sorte de jeu de société où il convient de deviner qui a commis le meurtre : whodunit (qui l"a fait) ou murder party sont des noms qui caractérisent assez bien ce type de roman d"énigme où le lecteur est en quelque sorte mis au défi de composer un mot avec des lettres qu"on lui présente séparées et mélangées, comme l"explique D.Sayers1. Ce jeu peut s"exercer en chambre close (avec les mystères du même nom) ou dans un vieux manoir anglais, ou ailleurs encore. Le lieu ne compte pas. Le roman noir , lui, accorde au contraire une importance considé? rable à la ville. Selon R.Chandler, c"est D.Hammett qui a inauguré véritablement le genre quand "il a sorti le crime de son vase vénitien et l"a flanqué dans le ruisseau "2. Désormais, le roman policier parlera des crimes de "gens qui les commettent pour des raisons solides et non pour fournir un cadavre à l"auteur " et qui agissent "dans la rue du colt-qui-crache " (ibid.). Le roman policier descend dans la rue : la ville devient son domaine. Mieux encore : pour le whodunit , la ville ne peut pas exister. Il lui faut en effet un monde totalement abstrait, où la disparition d"une petite cuiller, l"absence d"un bouton ou le moindre lapsus prennent des allures de preuve irréfutable, comme si le monde était si lisse, si épuré et pour tout dire si parfaitement rangé et étiqueté que le plus infime manquement à l"ordre absolu des choses pouvait être

1 Dorothy SAYERS Lord Peter et l"inconnu , 1939, Lib. des Champs Elysées, Le

Masque (dans la mesure du possible je donnerai ici, pour les romans policiers, l"année de première parution de l"ouvrage, suivie du nom de son éditeur (ou rééditeur) français ).

2 Raymond CHANDLER L"art d"assassiner ou la moindre des choses (The simple

art of murder ) 1944, annexé au recueil La rousse rafle tout, Presses Pocket 4 révélateur. Introduire un peu de réalité dans cette abstraction détruirait toute la construction du roman. L"irruption de la ville dans le roman noir ne correspond donc pas seulement à un passage du salon aristocratique à la rue plébéienne (du "vase vénitien " au "ruisseau ") comme le croient certains lecteurs de Chandler. Elle signifie plutôt que le roman policier issu de ce courant-là entend parler de la réalité, et notamment de la réalité urbaine telle qu"il la perçoit. Pour faire bref, convenons ici de baptiser polar le roman policier qui, à l"opposé du whodunit , cherche à faire entrer une certaine réalité urbaine dans le roman policier - quelque débat que ce terme de polar puisse susciter1

PREMIERS INDICES

Tous les observateurs conviennent que le polar se préoccupe intensément de la ville. Dans le polar, "ayant quitté l"univers clos et feutré des riches demeures, le héros marche dans la ville et rencontre l"homme de la rue "2. Quant à D.Fernandez-Recatala, ce n"est pas par hasard que, dans son étude sur le roman policier, il consacre ses trois premières pages aux thèmes urbains3. Il désigne par là, de fait, un caractère fondamental de ce genre littéraire. Par ailleurs, on observera que des publications ordinairement indifférentes au polar se mettent à s"y intéresser dès lors qu elles s"intéressent à la ville. Tout se passe comme si elles ne s"occupaient de littérature policière que parce qu elles s"intéressent à l"urbain. C"est ainsi que Murs Murs , pendant l"été 1985, a publié des nou? velles centrées à chaque fois sur une ville différente, et rédigées par des auteurs de polars ou dans le style policier : D.Daeninckx a écrit sur Strasbourg, M.Naudy sur Toulouse, M.Villard sur Reims, etc... Il ne semble pas qu"une grande exigence de qualité littéraire ait présidé en toute occasion au choix de ces textes. Ils étaient à vrai dire assez inégaux. Mais justement, ce qui est révélateur est que le littéraire ait assez peu compté en l"occurrence. L"important n"était donc pas là, mais dans ce qu"on attendait du genre policier : qu"il produise du texte sur la ville, comme s"il en était le spécialiste. L"indice n"est pas à négliger. Si des publications étrangères au monde du polar le retiennent dès lors qu"il s"agit de ville, c"est bien qu elles montrent ainsi du doigt sa qualité fondamentalement urbaine.

1 "Quant à l"appellation polar , je lui préfère celle de rompol (contraction de

roman policier). Polar est un ancien mot d"argot qui désignait le membre viril. C"est pourquoi j"ai été amené à dire que ce mot de polar ne pouvait convenir qu"à des cons I " Léo MALET La vache enragée , Hoëbecke éd., 1988

2 Josée DUPUY Le roman policier , Larousse Textes pour aujourd"hui, 1974

3 D.FERNANDEZ-RECATALA Le Polar , M.A. éd., coll. Le monde de... , 1986

5 Il y a mieux : un ouvrage de recherche, destiné aux spécialistes en urbanisme et en architecture, consacre une pleine page à Léo Malet, avec liste de ses romans parisiens, citation d"un passage sur la rue des Hautes Formes, et chapeau recommandant de lire cet auteur en raison de son "observation subtile des relations entre espace et pratique " L On ne peut mieux indiquer que si la littérature policière intéresse particulièrement ceux qui s"intéressent à la ville, c"est bien qu"ils la désignent comme genre éminemment urbain. Reste à savoir ce qui lui vaut une telle réputation, et donc à essayer de pénétrer pour ainsi dire à l"intérieur du polar pour préciser l"analyse des indices.

DES COUVERTURES SANS ALIBI

Le roman policier ne se cache pas de ses amours urbaines. Il ne masque rien. Ses titres couvertures ne constituent pas des alibis. Elles avouent de façon éloquente les inclinations qui le portent vers la ville. Sans multiplier les exemples on citera Asphalt Jungle de W.R.Burnett (en français Quand la ville dort ), ou, du même auteur, Goodbye Chicago . Et encore New York blues de W.Irish, Necropolis d"H.Lieberman, Central Park de St.Peters, La rue devient folle de M.Braiy, La valse des pavés de J.Wainwright, Bastille tango de J.F.Vilar, H.L.M. Blues de J.Vautrin, Rock béton de L.Vernon, sans ou? blier Fièvre au Marais , Les rats de Montsouris , Brouillard au pont de Tolbiac et autres titres des Nouveaux Mystères de Paris de L.Malet. Ce ne sont là que quelques exemples. La liste des ouvrages qui affichent d"entrée de titre leur goût pour la ville est beaucoup trop longue pour en infliger la liste fastidieuse. Qu"on se contente de remarquer ce que révèle une telle attitude, et l"on conviendra qu"il faut attacher une grande importance à la ville pour tenir à signaler ainsi sa présence dès la page de couverture.

DES COMPLICITES ELOQUENTES

Un autre indice révèle encore plus de choses : il s"agit de la mise en lumière de ces sortes de couples qui réunissent un auteur et une ville. Parfois celui-là a tant écrit sur celle-ci qu"ils sont devenus inséparables, au point que d"un côté le lecteur associe aussitôt le nom d"une ville à celui de "son" écrivain, et que d"un autre côté il arrive même que le touriste ou le curieux qui cherche à connaître une ville particulière soit invité à aller voir la façon dont tel auteur de polar l"évoque. Ainsi, qui dit Léo Malet dit Paris, qui dit D.Hammett dit San Fran? cisco, et R.Chandler Los Angeles, D.Goodis Philadelphie, W.R.Burnett

1 PANERAI, DEPAULE, CASTEX & al. Eléments d"analyse urbaine , AAM, 1980

6 Chicago, R.B.Parker Boston, sans oublier bien sûr D.H.Clarke, M.Collins et surtout Ed Mc Bain et J.Charyn pour New York. On pourrait continuer la liste longtemps, en suivant par exemple les indications détaillées de J.P.Deloux à ce sujet1. De tels couples sont parfois si tenaces et si marquants qu"ils font l"objet d"un travail littéraire spécifique : le Faucon Maltais a été réédité en 1984 avec de nombreuses photos du San Francisco de

1 9282, et un livre récent propose une sorte de visite guidée de Los

Angeles sur les pas de Ph.Marlowe, le héros de R.Chandler, en confrontant les photos d"époque aux vues actuelles de façon à montrer combien cette ville demeure conforme à ce qu"en écrivait Chandler3. Pour la France on signalera d"abord le travail du dessinateur Tardi qui met en images et en scène le XIII° Adt de Paris4 ou Lyon5 à partir des oeuvres de Léo Malet, on notera aussi un article de quatre colonnes du Monde à propos du Paris du même Léo Malet6, et on rappellera enfin une série de L"Humanité Dimanche en 1983, intitulée Les Villes du polar , où L.Destrem évoquait entre autres le Nice de

J.Mazarin ou le Toulon de G.J.Arnaud.

Pour clore cette série d"indices sur un ultime argument qui montre l"intensité du lien qui peut unir un auteur policier à une ville, on se référera à un long article du San Francisco Examiner qui se désolait en première page à propos de la future démolition du bureau qui abrita Dashiell Hammett7. Pour s"émouvoir ainsi, il faut bien que le fait revête une importance indéniable.

DES DECLARATIONS SANS EQUIVOQUE

Pour qu"une ville soit si fortement liée à un auteur, il faut bien que ce dernier lui ait consacré un bon nombre de pages. L"idée est évidente et banale. Elle ne l"est pourtant pas vraiment - et alors l"indice devient une preuve irréfutable - si l"on s"avise de ceci : l"attention et la place que les auteurs de polar accordent à la ville est disproportionnée par rapport aux normes d"écriture de ce genre litté? raire. Voilà en effet une littérature qui vise à l"efficacité, et qui, pour ce faire, n"a ni place ni temps à perdre ; qui privilégie une langue brève, sèche et nerveuse ; qui consacre tous ses efforts à épurer l"action de

1 J.P.DELOUX La cité sans voiles , in New York , Nlle Revue de Paris n° 15, Ed. du

Rocher, 1989

2 D.HAMMETT The Maltese Falcon , North Point Press, San Francisco (Ca), 1984

3 D.THORPE Chandlertovn , Mazarine, 1985

4 J.TARDI L.MALET Brouillard au Pont de Tolbiac , Casterman 1982

5 J.TARDI L.MALET 120 rue de la Gare , Casterman 1988

6 J.F.VILAR Pas perdus de Nestor Burma , in Le Monde des Livres , 1.08.86

7 Norman MELNICK It "s the end for Dash "s office , San Francisco Examiner ,

5.01.86 - transmis par Steve Arkin

7 toute surcharge ; qui va jusqu"à éviter le mêler une histoire d"amour à l"action policière, selon les conseils bien connus de R.Chandler1; et qui pourtant s"offre le luxe de consacrer des pages entières à l"évocation de lieux urbains. Faut-il donc que cette exigence soit décisive, pour autoriser ainsi à transgresser les lois de l"écriture. Lorsqu"un paragraphe, une page, plusieurs pages même, brisent l"action pour se livrer à la description de lieux urbains, ruelle, bar, gare, motel, quartier mal famé, faubourg miteux ou paysage de logements sociaux, c"est bien que cette description-là est absolument nécessaire au roman. Le polar avoue ainsi qu"il ne peut pas se passer de la ville. D"autant que ces descriptions ne se contentent pas, en général, de dessiner un arrière-plan. Elles ne plantent pas un décor qui aurait pour objet de situer la scène, elles constituent un élément déterminant du récit. Au fond, elles constituent peut-être même le récit. La ville n"est pas réduite à l"énoncé de repères spatiaux, elle devient le territoire même du polar. Plus encore que le lieu de l"action, elle en est le déploiement. Elle est là où ça se passe . A la limite, elle est l"action, dans la mesure où souvent, comme on le verra, la vérité recherchée au cours de l"enquête semble être celle de la ville. Mais sans anticiper contentons-nous pour l"instant de ce nouvel indice qui prouve le caractère profondément urbain du polar.

UNE ECRITURE QUI AVOUE TOUT

On peut essayer d"aller plus loin dans la réunion des preuves en s"intéressant, pour finir, à l"écriture du polar. La preuve, ici, ne sera pas aisément démontrable. Un bon avocat la récuserait sans peine. Tant pis. Elle est trop intéressante pour ne pas tenter de l"imposer malgré tout. La réflexion porte sur l"écriture de ce genre littéraire, et soutient que son style lui-même est tout à fait urbain. Cette affirmation ne vaut pas pour leswhodunit . Ils ont en général une affection toute spéciale pour les manoirs, les petits villages, les tasses de thé et la gentry, et il est vrai que ce monde-là se satisfait assez bien d"un style convenable et mesuré. En revanche, à partir du moment où le roman policier est devenu polar, , dès que le texte installe la ville moderne au coeur du récit, alors le style change : il devient hard boiled (dur, dur-à-cuire), et impose son rythme sec, syncopé, haché, brutal. Il est permis de voir là l"irruption de l"urbain dans l"écriture. Le lexique s"ouvre à l"argot des bas-fonds qui, jusque là, ne servait qu"à faire couleur locale. Le style se durçit : il évacue les périphrases, renie les quartiers de noblesse du bien-parler pour aller tâter du langage

1 R.CHANDLER The simple art of murder , o.c.

8 des bas quartiers. La phrase se tend : elle acquiert la vitesse, la grossièreté et la redoutable efficacité des propos de la rue. La contemplation est remplacée par l"action, et la temporalité paisible et lente des saisons et des jours par le rythme saccadé et bruyant des villes. C"est récriture urbaine par excellence. Elle rédige le récit d"un monde brutal, rapide, orgueilleux et impitoyable, où l"acier, le fer, le béton, l"asphalte, l"automobile et la vitesse régnent en maîtres. C"en est fini des gazons anglais, du bruit léger du vent dans les frondaisons et de la douce tiédeur des coins de cheminée qui convenaient si bien aux scènes classiques des romans à l"anglaise où un lord désinvolte résolvait des mystères en tirant sur sa pipe. Dans le polar, la ville est désormais partout, jusque dans l"écriture.

SOCIOLOGIE OFFICIELLE ET ENQUETEUR PRIVE

Les faits sont donc établis sans contestation possible. Voici le point de départ de l"enquête : le genre littéraire baptisé polar est urbain de part en part, comme le révèle une première investigation. Reste à entreprendre l"enquête proprement dite. C"est alors que surgit une difficulté. Elle tient à l"attitude de la sociologie universitaire, qui ne comprend guère pourquoi un sociologue s"intéresserait au roman policier. Les règles et les rites de la recherche en sciences humaines poussent à tenir pour trivial un tel sujet. Il paraît manquer de sérieux. Qu"un chercheur s"intéresse aux techniques du chaînage de briques dans l"habitat vernaculaire de la basse Ardèche du XVII° au XIX° siècles, voilà qui est convenable et digne d"intérêt. Mais étudier le polar, cela manque assurément de dignité. En termes savants, emprunté aux analyses de Bourdieu, on dira que les instances légitimes de la légitimation culturelle ont banni le roman policier du champ culturel. N"étant pas légitimé comme littérature, il ne procure donc aucune légitimation dans le champ intellectuel à celui qui s"y intéresse. Le polar, ni légitimé ni légitimant, est ainsi placé hors de toute dignité et celui qui s"y réfère risque de se déconsidérer comme intellectuel. Etudier l"image de la ville dans le roman, oui, dans le polar, non. Il sera ainsi légitime de citer le Demouzon nouvelliste1, mais pas le Demouzon auteur de polars. Au demeurant il est vrai que la presse la plus "sérieuse" et la plus "convenable" relègue la critique littéraire des polars (quand elle s"en soucie) dans un coin de page : elle met le roman policier littéralement au coin .Quant aux lettrés eux-mêmes, il n"est pas indifférent de voir com? ment ils traitent les livres policiers : ils les jettent après usage, ou

1 Alain DEMOUZON La petite sauteuse , Seghers 1989

9 alors ils les entreposent à part, loin des rayons nobles de leur bibliothèque ; s"ils les rangent, ils ne leur accordent que rarement le droit au classement par ordre alphabétique ; parfois même ils les relèguent sur un rayonnage dans les W.C., leur affectant en somme ce jugement fameux de Molière à propos de mauvais sonnets : "franchement Monsieur ils sont bons à mettre aux cabinets ". Aussi faut-il louer la Direction de l"Architecture et de l"Urbanisme qui, en commanditant cette recherche sur la ville et le polar, a su échapper aux travers d"une large fraction de la sociologie universitaire, laquelle joue en définitive le rôle classique de la police officielle dans les romans policiers, qui veut imposer ses critères et ses procédures à toute enquête. Il se trouve toujours pourtant un "privé"" qui tente de prendre le problème autrement et qui, face aux règles du jeu du "nous"" de l"institution, essaie d"inventer sa façon à lui d"enquêter, en menant ses investigations à la première personne du singulier. S"il faut procéder ainsi je m"exprimerai comme le "privé". Et à ce titre je dirai que pour ma part j"attache moins de prix aux us et coutumes de la légitimation universitaire qu"à la réflexion sur les villes dans lesquelles nous vivons. Je pense en effet qu"il y a quelques raisons d"estimer que ce que le polar révèle de notre imaginaire urbain collectif présente beaucoup d"intérêt. Je me permettrai donc et de faire cette étude à la première personne et de trouver de l"intérêt à savoir comment, par l"intermédiaire du roman policier, on peut essayer de comprendre un peu mieux comment nous percevons et vivons nos villes.

UN DERNIER ALIBI

On objectera cependant que, toute stratégie de légitimation cultu? relle mise à part, le roman policier ne mérite tout de même pas qu"on y accorde une trop grande importance, tout simplement parce qu"il s"agit d"une écriture littéraire plutôt médiocre en général. Ce n"est pas faux. Ce n"est pas vrai non plus. C"est simplement un jugement trop schématique. Il faut y regarder de plus près. Globalement tout d"abord il faut se méfier du préjugé qui classe le polar dans une sous-littérature caractérisée par la maladresse et la paresse d"écriture : ce jugement n"est en fait, souvent, que la formulation élégante du parti-pris d"indignité culturelle qui s"attache au roman policier. Il ne feint de parler d"écriture et de style que pour ne pas avouer ses enjeux de distinction sociale. Si en revanche on parle réellement du texte des polars, on rencontre alors les déclarations connues de J.Giono, de J.Cocteau, d"A.Malraux ou d"A.Gide, que citent abondamment à peu près tous les défenseurs du roman policier parce que ces auteurs prestigieux louent fermement ce genre littéraire. 10 Un doute subsiste cependant. Dans l"article si souvent cité de Giono, la lecture du polar est décrite comme un plaisir qui ne peut advenir qu"après un labeur fastidieux, comme si la jouissance de s"abîmer dans un polar constituait une récompense vaguement coupable : une douceur, une sucrerie, rien de sérieux. Rappelions alors le jugement d"A.Mauriac sur Simenon, en qui il voyait un des plus grands romanciers du siècle, ou ce discours moins connu d"Aragon qui, au moment de la mort de D.Hammett, voulait célébrer un très grand auteur1 - chez lequel par ailleurs W.Faulkner admirait l"art du dialogue. Et puis cessons de chercher un abri derrière les opinions d"illustres écrivains. Il suffit d"aller voir directement chez certains auteurs de polars. Il faut lire J.P. Manchette (Le petit bleu de la côte ouest notamment), ou R.Chandler : qu"on lise donc ses lettres, qui sont d"un styliste exigeant, qu"on observe la construction de ses dialogues - qui constituent parfois à eux seuls l"ensemble du texte2 -, ou, mieux encore, qu"on essaie simplement de faire ce que Shaw, directeur de la revue Black Mask , proposait comme épreuve aux auteurs débutants : réécrire un texte de Chandler en en supprimant tout ce qui est superflu - ce à quoi bien sûr aucun ne parvenait. Il est vrai que tous les auteurs de polar n"ont pas cette qualité d"écriture. Si l"on excepte une minorité d"écrivains véritables, il faut bien reconnaître que la masse de la production policière se contente d"une écriture pauvre et facile, et qu"on peut tout à fait reprendre à ce propos la diatribe de R.Hoggart3 qui vitupère le style plat et convenu du polar et l"accuse de transmettre des stéréotypes de bas niveau. Sans entrer dans les jugements de valeur de R.Hoggart, force est d"admettre qu"il a raison de reprocher à la majorité de cette littérature ses conventions et ses stéréotypes. Oui, c"est une littérature de confec? tion. Mais précisément : c"est bien parce qu elle produit du prét-à- porter et qu elle véhicule du prêt-à-penser qu elle devient très révélatrice d"une vision des choses de la ville.

FAIRE PARLER LE ROMAN POLICIER

Le polar obéit en effet à des contraintes très fortes qui lui imposent des codes stylistiques et thématiques. "C"est un peu comme dans un jeu de société ", explique J.P.Manchette4 : "Il y a* 5 un certain nombre de règles : ne pas rester trop longtemps sans tuer quelqu"un,

1 L.ARAGON in Oeuvre Poétique t /, Livre Club Diderot

2 R.CHANDLER Play Back , scénario inédit, 1947, Ramsay 1986

3 R.HOGGART La culture du pauvre , 1957, rééd. Ed. de Minuit 1970

4 J.P.MANCHETTE, interview in J.L.DE RAMBURES Comment travaillent les

écrivains, Flammarion 1978

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