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Revue critique de fixxion française contemporaine 19

31 oct. 2015 perte du lieu de mémoire représenté par la civilisation paysanne avec son espace





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reine a résumé sa politique qui d'ailleurs est si tressaillit comme aurait tressailli un paysan fidèle ... parvenus que les souverains de l'Europe.



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18 mars 2020 Catherine Muller qui analyse le rôle des stratégies dans une activité d'in- teraction orale au niveau A1. Etant donné leurs compétences ...

Revue critique de fixxion française

contemporaine

19 | 2019

Fictions "françaises"

Alexandre

Gefen,

Oana

Panaïté

et

Cornela

Ruhe (dir.)

Édition

électronique

URL : https://journals.openedition.org/

xxion/778

DOI : 10.4000/

xxion.778

ISSN : 2295-9106

Éditeur

Ghent University

Référence

électronique

Alexandre Gefen, Oana Panaïté et Cornela Ruhe (dir.),

Revue critique de

xxion française contemporaine 19

2019, "

Fictions "françaises"

» [En ligne], mis en ligne le 15 décembre 2019, consulté le 18 mai

2022. URL

: https://journals.openedition.org/ xxion/778 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ xxion.778 Ce document a été généré automatiquement le 18 mai 2022.

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Revue critique de

xxion française contemporaine sont mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modi cation 4.0 International.

NOTE DE LA RÉDACTIONLes articles réunis dans ce numéro relèvent les impasses, les frictions, les paradoxes

mais aussi l'inepuisable richesse de l'imaginaire national dans la fiction contemporaine. Trois axes de réflexion s'en dégagent qui permettent de s'orienter sur un terrain discursif, critique et idéologique instable et générateur de contre-sens. Le premier de ces axes repose sur une approche nostalgique de l'idée nationale, en tant que concept opératoire et élément thématique, souvent déterminant, de l'écriture littéraire. Dans l'article qu'il consacre à l'évolution des rapports entre la conceptualisation et la représentation du monde rural par Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Richard Millet, Marie-Hélène Lafon ou Jean-Baptiste Del Amo, Jean-Yves Laurichesse met en relief la convergence affective et tonale des écrivains politiquement divergents autour de la perte du lieu de mémoire représenté par la civilisation paysanne, avec son espace, ses valeurs et son image structurante, emblématique de la communauté nationale. La crise sociale et politique réclame un deuil aussi bien individuel que collectif auquel la fiction prête ses moyens rhétoriques et fantasmatiques venant tantôt compenser tantôt dénoncer, aux accents idéologiques variables selon les allégeances politiques des auteurs, l'absence d'un "imaginaire partagé". Gina Stamm élargit le cadre de cette interrogation à travers une lecture croisée qui met en évidence la dimension mondiale et les enjeux éco-critiques de la littérature "néorurale" ou "emplacée". Le deuxième axe est représenté par plusieurs études de cas qui proposent des approches ciblées et attentives aux grain du texte tout en ouvrant de plus amples champs d'investigation.

Ces articles mettent en évidence les anfractuosités, les écueils, voire l'impossibilité d'un

discours identitaire fictionnel à partir des exemples offerts par : l'ambiguïté

idéologique et politique des romans de Michel Houellebecq, objet de l'analyse de Françoise Campbell qui va à l'encontre de l'opinion critique dominante encline à faire l'impasse sur les différences entre le discours romanesque et les prises de position publiques de l'écrivain ; les ressorts identitaires de la fiction chez Richard Millet dont les personnages, comme le montre Nils Schultz Ravneberg, démentent l'idéologie de la francité car, constamment tiraillés entre la double appartenance régionale et nationale, ils s'appuient sur la rhétorique du déclin et de la perte pour se construire une identité avant tout littéraire ; la mise en scène des contradictions et des déchirements identitaires dans la fiction d'Alexis Jenni accompagnée du refus, problématique selon Lena Seauve, d'avancer un projet positif qui réponde à cette construction imaginaire éminemment négative ; les mécanismes de défamiliarisation qui structurent, dans la perspective de Riccardo Barontini, l'opposition entre le cosmopolitisme parisien et l'enracinement territorial dans les récits de Marie Darrieussecq ; et la construction d'un ethos rhétorique chez Fatou Diome examiné par Valentina Tarquini à la lumière de l'écart entre le concept juridique de citoyenneté et la catégorie symbolique de

l'identité, lequel permet de mesurer la distance entre le discours républicain

transcendant la race, d'une part, et, de l'autre, les attitudes et pratiques racialistes voire racistes qui entravent la communauté nationale.

Et c'est précisément l'épaisseur phénoménale et les manifestations sensibles de l'idée

de communauté ainsi que celles des projets politiques dont elle serait porteuse qui Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 20191 renseignent le troisième axe de réflexion. Prenant pour objet les textes réunis autour du manifeste Pour une littérature-monde en français, Laude Ngadi Maïssa propose une analyse sémantique et pragmatique du terme "peuple" qui révèle son potentiel

protéiforme, hétérogène, centrifuge, et, en définitive, anti-identitaire. Dans la fiction,

l'identité se construit et se déconstruit à travers une esthétique de l'espace, qu'elle occupe une position marginale et spectrale, pour suivre la lecture avancée par Sophie Chopin sur la ville fantôme chez Patrick Modiano, ou qu'elle renvoie à un désir de construction territoriale à valeur symbolique et syntaxique constamment déjoué par l'émergence de "plusieurs France", ainsi que le montre Pauline Hachette à partir de l'univers romanesque d'Aurélien Bellanger. Si l'enquête urbaine participe d'un projet de reconstruction identitaire qui met en

avant sa dimension matérielle, tangible, les archives familiales, quant à elles,

nourrissent les enquêtes micro-historiques. Aline Marchand appelle "micro- généalogies" les récits littéraires dont les auteurs (Ivan Jablonka ou Patrick Deville) adoptent une méthode post-disciplinaire pour saisir l'entrelacs de la vérité historique et de la virtualité fictionnelle, de la mémoire collective et du souvenir individuel qui permettent d'imaginer des "contre-histoires de France". Déterrer le passé - historique et littéraire - afin de dépasser ses fausses certitudes, d'éclairer ses zones d'ombre et de faire parler ses témoins silencieux est l'enjeu de la réécriture par Kamel Daoud de L'étranger de Camus, sujet de l'article de Jackson B. Smith. Dans l'intervalle mémoriel, éthique et stylistique qui sépare l'original colonial de sa réplique postcoloniale, la temporalité démultiplie ses lignes de fuite et acquiert une épaisseur archéologique. Cette même épaisseur, à la fois creuset et déguisement des relations identitaires, informe l'expérience quotidienne du pouvoir, de l'oppression et de la marginalisation vectorisés, sous la plume de Leïla Slimani, par la figure obscure mais matricielle de la race. Le renversement de perspective provoqué par sa mise en scène du "petit blanc" exige, suivant l'argumentation d'Étienne Achille, une remise à jour de notre imaginaire de la "francité". La Carte blanche d'Anne-Marie Garat offre une envoûtante variation autour d'un objet - la bergère -, métonymie d'un lieu et de son génie. Dans son entretien avec Sara Buekens, Fatou Diome conteste, quant à elle, la rassurante certitude de l'appartenance et argue en faveur d'une éthique de l'engagement global. Mais la contradiction n'est qu'apparente : ces deux contributions éclairent, chacune à sa manière, le potentiel fictif et le pouvoir fictionnant de l'identité, sa rassurante domesticité et sa fabrique de l'étranger, et font entendre le bruissement de l'autre dans la rêverie du même. Alexandre Gefen, Oana Panaïté, Cornelia Ruhe Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 20192

SOMMAIREÀ la mémoire d'Ivan Arickx (1946-2019)Pierre SchoentjesIntroductionFictions "françaises"Alexandre Gefen, Oana Panaïté et Cornelia RuheÉtudesLe monde rural au passé et au présentUne histoire françaiseJean-Yves LaurichesseFor a Literature of "Déracinement"Gina StammLa France, c'est Michel Houellebecq ?French Identity and Cultural Myth in La carte et le territoire, Soumission and SérotonineFrançoise CampbellEntre région, nation et littératureL'errance identitaire dans Ma vie parmi les ombres et La confession négative de Richard Millet

La "grippe française" et le malaise du lecteur

De la (dé)construction littéraire d'une "identité nationale" dans L'art français de la guerre d'Alexis Jenni

Lena Seauve

Enraciner le cosmopolitisme?

Lieux, sujet et communauté dans Le pays de Marie Darrieussecq

Ricardo Barontini

Paris, ville fantôme

L'identité française dans les romans de Patrick Modiano

Sophie Chopin

Redonner un génie aux lieux dans Le Grand Paris d'Aurélien Bellanger

Pauline Hachette

La France, ce serait maintenant

Micro-généalogies contemporaines

Aline Marchand

Des usages du mot "peuple" dans les manifestes pour une littérature-monde

Laude Ngadi Maïssa

De La préférence nationale à Marianne

L'esprit "mauve" de l'identité française dans la prose de Fatou Diome

Valentina Tarquini

"Entre deux histoires" Unearthing Memory, Identity and Time in Kamel Daoud's Meursault, contre-enquête

Jackson B. Smith

Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 20193

Behind Closed Doors Postcolonial Domesticity, Whiteness, and the Making of petits BlancsEtienne AchilleEntretienMarianne et l'identité françaiseEntretien avec Fatou Diome, propos recueillis par Sara BuekensSara Buekens et Fatou DiomeCarte blancheLa bergère et le brocanteurAnne-Marie Garat

Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 20194 À la mémoire d'Ivan Arickx(1946-2019)Pierre Schoentjes

Ah, but man's reach should exceed his grasp. Or

what's a heaven for ? (R. Browning)

1 Notre rédacteur en chef, notre ami, Ivan Arickx est décédé le dimanche 21 juillet 2019,

de manière totalement imprévue, dans son sommeil. Avec lui je perds un ami de longue date et Fixxion voit disparaître une figure qui a été la cheville ouvrière de la revue

depuis sa création il y a dix ans. En réalité, il faut remonter à 2008 puisque quand l'idée

m'est venue de créer une revue de littérature contemporaine, c'est avec Ivan que j'en ai esquissé les premiers contours. Une idée, même bonne, n'est rien toutefois sans l'engagement réel de personnes qui travaillent à la concrétiser... Ce n'est donc qu'une fois qu'avec enthousiasme il s'est déclaré disposé à prendre en charge la mise en place

de ce qui allait devenir la première revue consacrée à la littérature française

contemporaine en open access et d'en d'assumer la fonction de rédacteur " en chef » (terme qu'il rechignait à utiliser mais qui lui revenait de plein droit dès le premier jour), que j'ai pu prendre contact avec d'autres amis et collègues. Tous ensemble, mais avec Ivan comme force motrice, nous avons fait Fixxion. La revue, pensée dès le départ comme un projet collectif et collaboratif, n'aurait pas pu naître sans lui ; elle n'aurait certainement pas pu grandir comme elle l'a fait sans les soins qu'il lui prodiguait nuit et jour.

2 Pendant plus de dix ans donc, Ivan a assumé avec générosité et professionnalisme la

gestion quotidienne du site et les contacts avec les directeurs invités et avec les différents contributeurs. Répondant même en pleine nuit aux mails les plus saugrenus, ainsi celui d'un internaute mécontent de l'indisponibilité très temporaire du site et qui le privait d'avoir accès à un article consacré à Time Bomb... dans lequel il pensait

découvrir la clé de l'écriture du bon rap. Ivan possédait toutes les qualités requises

pour la tâche qu'il avait choisie d'accomplir : très versé en informatique, c'était aussi

un relecteur hors pair. Il traquait non seulement la plus petite coquille, la moindre donnée factuelle inexacte mais il était capable aussi de redresser avec élégance un raisonnement bancal, une organisation de texte maladroite. Il n'y donc a donc aucune Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 20195 phrase publiée dans les numéros de Fixxion qui n'ait été relue par ses soins ; et Ivan gardait la mémoire de chacune des contributions reçues, comme d'ailleurs de ceux qui les avaient signées et avec lesquels il échangeait volontiers. Lecteur curieux, il est devenu au fil du temps un véritable spécialiste du corpus et il ne manquait que rarement d'assister aux conférences que venaient donner des écrivains à Gand. Il lui arrivait même de leur glisser, discrètement et avec bienveillance, une liste des coquilles qu'il avait trouvées à la lecture de leurs oeuvres !

3 Travailleur infatigable, passant de longues nuits devant son ordinateur, il a

bénévolement pris à coeur notre travail commun; jamais il n'a ménagé sa peine et il a aidé chacun en devançant même la plupart du temps toutes les demandes possibles. Les membres du comité ont eu l'occasion de fréquenter cet homme solitaire mais qui avait le sens du collectif lors de nos réunions à l'École Normale Supérieure, d'autres ne le connaîtront que par les mails ou les corrections qu'il renvoyait aux collègues. Mais de près ou de loin, chacun aura eu l'occasion de se faire une belle image d'Ivan. Homme de peu de mots, il parlait vrai et avec une liberté aussi rare que rafraichissante dans le monde académique. Au-delà de notre revue, la littérature française contemporaine perd avec lui quelqu'un qui a contribué à faire rayonner le champ. Il a porté son engagement sans jamais chercher à se mettre lui-même en avant, préférant mettre ses nombreuses compétences au service des autres et d'une culture qu'il n'a cessé d'aimer.

4 Fixxion a eu la chance lors de son lancement de pouvoir profiter de l'expérience de

toute une vie : après de brillantes études au collège Sainte-Barbe de Gand, et un bref

passage au séminaire, Ivan avait participé dès ses études de Romanes à l'Université de

Gand à la vie des livres et des revues. Il continuera cet engagement une fois entré dans la vie professionnelle comme enseignant du secondaire, notamment en contribuant de manière essentielle à des manuels scolaires importants ou en se chargeant de la revue des anciens romanistes de l'Université de Gand. Passionné d'informatique dès ses débuts, il a su rapidement mettre à profit les opportunités qu'offraient les nouveaux médias et ce aussi bien dans le cadre de la revue Romaniac que dans le contexte de l'enseignement de la langue. C'était un professeur exigeant mais exceptionnel, un grammairien hors pair, qui s'investissait sans compter dès lors qu'un élève ouun étudiant montrait sa volonté d'améliorer ses connaissances en français. Nombreux sont ceux pour qui son aide aura fait la différence ; aussi à l'Université car une fois à la retraite, il s'est rendu disponible pour améliorer la qualité de la rédaction des mémoires et des thèses.

5 Esprit indépendant, au caractère trempé mais qui s'exprimait toujours en respectant

les formes, Ivan aura donné un ton particulier à Fixxion. Sa marque reste aujourd'hui partout visible. Chacun se souviendra de l'étendue de ses connaissances, de sa

générosité et de sa volonté d'oeuvrer de manière tout à fait désintéressée pour le bien

commun.

Pour le Comité,

ce premier texte pour Fixxion à n'avoir pas été relu par Ivan,

Pierre Schoentjes

Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 20196

AUTEURPIERRE SCHOENTJES Universiteit Gent

Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 20197

Introduction

Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 20198 Fictions "françaises"Alexandre Gefen, Oana Panaïté et Cornelia Ruhe

1 On se souvient de l'épisode : en 2009, en pleine Assemblée nationale, Eric Raoult fustige

l'écrivaine Marie NDiaye, tout juste prix Goncourt, qui avait traité la France de Sarkozy de " monstreuse »

1 et s'était réfugiée à Berlin : " le message délivré par les lauréats [du

prix Goncourt] se doit de respecter la cohésion nationale et l'image de notre pays » avance le député de droite, rappellant mutatis mutandis le lointain souvenir du procès

intenté à Lucien Descaves en 1889 pour s'en être pris à l'armée dans les Sous-Offs, si ce

n'est les années 1920, où l'Action française voulut promulguer au nom de son

" nationalisme intégral » ce qu'elle appella elle-même une " police des lettres »2. Si le

projet de ce numéro de revue a pu faire l'objet de réactions outrées, guidées par l'opportunisme et la malveillance

3, c'est bien parce que la question des rapports entre

littérature et nation est en France un terrain passablement miné, l'affaire Marie

NDiaye, écrivaine née à Pithiviers mais considérée fréquemment, du fait de sa couleur

de peau, comme " étrangère de langue française » et écrivain " francophone » malgré

toutes ses dénégations

4, l'ayant suffisament montré. " Je crois que le thème de l'identité

française s'impose à tout le monde, qu'on soit de gauche, de droite ou du centre, de l'extrême gauche ou de l'extrême droite. [...] Pour un historien, il y a une identité de la France à rechercher avec les erreurs et les succès possibles, mais en dehors de toute position politique partisane. Je ne veux pas qu'on s'amuse avec l'identité » avançait avec sagesse Fernand Braudel en 1985

5, comme pour prévenir le retour de l'extrême-

droite dans le champ des idées. Mais aujourd'hui, alors qu'un Jonathan Coe peut faire paisiblement le tableau d'une Angleterre minée par le débat sur le Brexit dans Middle

England, réfléchir à l'inscription littéraire des oeuvres françaises et francophones dans

leur langue, analyser des représentations du territoire ou s'intéresser à l'image que la culture française donne d'elle-même, expose celui qui en prend l'initiative au risque de raviver de vieilles querelles autour du nationalisme littéraire.

2 La question en est ancienne et commune à tous les pays européens, puisque laconstruction de la notion de littérature comme champ autonome est indissociable de la

construction des états-nations modernes au début du XIX e siècle, mais elle prend un relief tout particulier dans un pays, où, comme l'a encore montré récemment Anne- Marie Thiesse, " les écrivains sont investis d'une double fonction de représentation de Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 20199

leur nation », " par leur oeuvre qui donne à la nation conscience d'elle-même etl'illustre sur la scène internationale » et par " leur personne aussi puisque le transfert

du religieux sur le culturel en fait des incarnations de l'âme nationale »6. Si

l'institutionalisation étatique de la littérature sous l'Ancien Régime à l'heure des

Académies a resserré le lien entre le pays et sa littérature, c'est à l'époque romantique,

au moment où se forment les nations européennes, que l'écrivain devient l'ambassadeur de la nation et que la littérature se voit pensée comme l'incarnation

même de l'unité culturelle refondée après la Révolution, du " génie » français, et le

garant d'une unité culturelle refondée après la Révolution. Ce mouvement

s'accompagne de ce que Stéphane Zékian nomme " la littérarisation de l'identité nationale »

7, c'est-à-dire à la fois la production de récits et fictions historiques sur la

longue durée - pensons par exemple à Michelet - et la redécouverte du patrimoine

littéraire national ancien, dont l'exhumation du folklore et des textes français

médiévaux est la ligne de force. De Madame de Staël pour qui en 1800 " l'amour de la patrie est une affection purement sociale »

8 à Ernest Renan qui en 1882 défend l'idée

que la nation est " un principe spirituel, résultant des complications profondes de l'histoire » et " ne dépend pas de l'héritage d'un sol »

9, la littérature est l'élement

central d'une construction collective et d'une unité spirituelle entrant en dialogue heureux avec les autres identités nationales, sans que ni la langue ni le sol déterminent une essence immuable - lorsque Désiré Nisard, historien officiel de la littérature à l'Ecole normale supérieure fera de l'art un " fruit du sol »

10, il sera moqué par Sainte-

Beuve qui parlera d'un " chauvinisme transcendantal »11.

3 Avec l'affaire Dreyfus et la Guerre de 1870, naît cependant ce que Gisèle Sapiro nomme

un " moralisme national » : " la sacralisation de la patrie engendre une tension avec d'autres valeurs de la République, la liberté d'expression, la justice », analyse la spécialiste

12. Une assignation patriotique étroite en vient à peser sur les écrivains,

rendant problématique le lien, précédemment consensuel, de la nation et de sa littérature

13. Cette tension va s'accroître avec la naissance d'un nationalisme réducteur

qui cherche à refonder une continuité historique faisant fi de la rupture de la Révolution française et à enrégimenter les écrivains au service de cette idée. Le principe esthétique d'autonomie de la littérature avait permis aux écrivains du XIXe de participer à l'histoire culturelle nationale en acquiesçant à la construction d'une

société post-révolutionnaire par l'école de la République, pour laquelle l'enseignement

de l'histoire littéraire était une manière de comprendre l'esprit français

14. Mais au XXe

siècle la perte de l'autonomie de la littérature en contexte de conflit mondiaux conduit les écrivains à prendre position pour ou contre le nationalisme, en lui opposant l'internationalisme ou le pacifisme, puis à choisir leur camp parmi les versions possibles de ce nationalisme - identitaire ou républicain. Ainsi, comme le démontre

encore Gisèle Sapiro, " de toutes les sanctions prononcées à la Libération, celles prises à

l'encontre des écrivains apparaissent à la fois commes les plus sévères et les plus spectaculaires »

15 : face à l'histoire nationale, la responsabilité de l'écrivain est

désormais déterminante.

4 Après-guerre, les débats vont se déplacer vers la problématique de la décolonisation, de

ses conséquences et de ses limites. Dans les années 2000, avec la renaissance d'un nationalisme politique xénophobe, la position de l'écrivain par rapport à la question nationale se fonde sur des bases nouvelles : considérée comme suspecte par une partie

de la gauche, l'idée nationale va être abandonnée par les écrivains à la droite. L'idée de

la nation et son vocabulaire, contaminés par des visions essentialistes et rétrogrades de Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 201910

l'identité, à l'heure où la globalisation néo-libérale suscite des replis culturels, vont se

trouver au coeur d'un travail de déconstruction critique, mené par des écrivains qui poursuivent à la fois une réflexion sur la langue et un travail sur les représentations. Pour donner un exemple très récent, dans Une histoire de France de Joffrine Donnadieu, roman paru à la rentrée littéraire 2019, France est une femme de militaire, mère indigne abusant sexuellement d'une enfant de 9 ans, Romy, dont on lui confie la garde. Tout le récit, cru et terrible, sera celui de la descente en enfer de Romy jusqu'à ce que l'aveu des abus qu'elle a subis lui permette d'espérer se reconstruire. Dans ce roman de la France profonde, celle des casernes et des MacDo de Toul, qui rejoint les plus féroces

critiques sociales de ces dernières années, d'Édouard Louis à Nicolas Mathieu, la France,

idée historique aliénante et réalité territoriale suffocante, est allégoriquement mise en

accusation, assignant au romancier la mission de nous libérer de la France comme on se libère d'une domination subie et enkystée.

5 Alors que nombre d'écrivains prennent directement pour cible le renouveau dunationalisme, la France devient un enjeu central pour la mission critique que s'assigne

la littérature française et francophone, de l'enquête de terrain jusqu'à ces formes extrêmes constituées par des dystopies mettant en scène une possible guerre civile (par exemple À l'abri du déclin du monde de François Cusset de 2012 ou Jean Rolin, Les événements, 2015, parcours d'une France ravagée). Tout autant que les récits se portant sur le passé colonial de la France, qu'ils soient nés sous la plume d'un Didier Daeninckx ou d'une Assia Djebar, l'importance de la question des migrants, des sans-papiers, du racisme ordinaire, est le signe de cette interrogation inquiète sur la perte des valeurs d'hospitalité et d'accueil sur lesquelles une identité heureuse et ouverte de la France a pu être fondée : c'est ainsi que Douce France de Karine Tuil s'immerge dans la vie quotidienne en centre de rétention d'une roumaine sans papiers en 2007. Nombre de livres lui font écho, comme La Mer à l'envers de Marie Darrieussecq (2019), Le ventre de l'Atlantique de Fatou Diome (2003), Frères migrants de Patrick Chamoiseau (2017), Eldorado de Laurent Gaudé (2006), Trois femmes puissantes de Marie NDiaye (2009), Lampedusa de Maryline Desbiolles (2012), Indétectablede Jean-Noël Pancrazi (2014) ou L'art de perdre d'Alice Zeniter (2017). "Une guerre civile divise la France, comme tous les pays qui suspendent le droit de certaines personnes en criminalisant leursimple existence. Elle oppose les étrangers 'indésirables', comme vous dites, et les forces de police"

16, note avec amertume un des personnages de Yannick Haenel dans Les renard

pâles (2013), dont le leitmotiv est "La France, c'est le crime".

6 Ces gestes politiques de la littérature cherchent à établir des contre-feux aux discoursnationalistes dont la ligne est incarnée, dans une tradition ouvertement barrésienne,

par un Eric Zemmour. Elles visent à déconstruire les différentes formes d'identités françaises en tant qu'elles sont des formes de domination pour les réaménager par un

discours d'accueil, ouvert au multiculturalisme ou du moins à ces valeurs de

l'hospitalité, dont des écrivains comme Marie Cosnay ou Alice Kaplan viennent nous rappeler l'importance. L'évocation des crimes coloniaux et des tensions sociales contemporaines vise à écarter les dangers d'une identité conçue comme une essence éternelle, pour y opposer une autre identité de la France, celle de l'humanisme républicain qu'avait incarné par exemple Renan. La défense des migrants, passant à la fois par la lutte contre leur invisibilisation et par des mobilisations publiques (comme le collectif Osons la fraternité ! qui, en 2018, sous la direction de Patrick Chamoiseau et Michel Le Bris réunissait les plumes d'auteurs aussi variés que Lola Lafon et Jean-Marie- Gustave Le Clézio, Jean Rouaud et Chantal Thomas), constitue un point nodal de l'action Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 201911

littéraire contemporaine. Celle-ci fait, au contraire, l'éloge du métissage et del'hétérogénéité culturelle - la sape romanesque d'Alain Mabanckou fait éclater au

grand jour le choc des cultures, des postures et des imaginaires dans son Black Bazar (2009), autrement dit Paris, espace autant réel que fantasmé que la protagoniste de Blues pour Élise (2010) de Léonora Miano s'approprie sans pathos exilique pour explorer,

frénétiquement mais délibérément, son identité frontalière. Dans ces discours, la

nation ne peut plus être conservée que comme une modalité de notre désir et comme le lieu où se construit non l'identité, mais la relation ; selon le mot d'Edouard Glissant " la

nation est réconsidérée par la littérature comme un visible et un invisible à la fois.

Parce que toutes les grandes littératures de la nation ont ménagé le passage à la

Relation »

17.

7 Le champ littéraire n'est pas homologue du champ politique. On ne saurait opposer à

ces écritures critiques des formes modernes de nationalisme littéraire, à la Maurras,

telles qu'on les a connues dans le passé et qu'elles ont contribué depuis le XIXe siècle à

la construction de ce que dans un ouvrage célèbre, Benedict Anderson a nommé la " communauté imaginée »

18. Même les oeuvres littéraires des théoriciens et

contempteurs du supposé " grand remplacement », se sont gardées de tels écueils essentialistes : on ne le retrouve ni dans le cycle de la Gloire des Pythre de Richard Millet, ni même, malgré ses dérives antisémites, dans le Journal de France de Renaud Camus. Seuls les personnages de Michel Houellebecq font entendre le discours de l'extrême- droite populaire française, désormais centré sur la peur de l'Islam, en le mâtinant d'un vieil anti-libéralisme et en en assumant la dimension dérangeante - reste d'ailleurs à savoir la part dans le succès de l'auteur de Plateforme de la mise en scène de tels discours. À l'heure où des historiens comme Patrick Boucheron interrogent de manière critique la notion de nation, et proposent de "mobiliser une conception pluraliste de l'histoire contre le rétrécissement identitaire qui domine aujourd'hui le débat public"19, comme l'écrit la préface d'Histoire mondiale de la France, la littérature participe d'un travail d'analyse critique, dont le projet principal semble, à l'heure du pluralisme ontologique, à interroger l'unité même de l'idée de France pour en proposer des visions variables et diffractées. Non seulement les discours barrésiens sur la terre et les morts, discrédités en littérature par les dérives d'un Richard Millet ou d'un Renaud Camus après que les historiens, de Braudel à Détienne, les eurent déconstruits, ont disparu, mais les visions unitaires de la France sont entrées en crise, emportant la notion dans une pluralisation identitaire qui caractérise, comme l'ont montré les sociologues,

l'appréhension de l'identité individuelle, dès lors qu'elle s'écarte de tout essentialisme

unidimensionnel.

8 En revanche, de Pierre Bergougnioux à Marie Hélène Lafon en passant par Maryline

Desbiolles, le territoire fait l'objet d'une attention littéraire inquiète, sensible aux

dégâts de la désindustrialisation autant qu'à ceux de la désertification des campagnes20.

Parallèlement, le thème du déclin des gloires nationales du passé et l'obsolescence des

rêves français d'hégémonie font une entrée forte en littérature. En 2008, dans ce texte

clé qu'est Les années, chronique des Trente Glorieuses, entre émancipation individualiste et désillusion politique, Annie Ernaux met à distance l'heure où la diffusion du Tour de France assurait la cohésion territoriale et où " au programme du BEPC, l'Algérie avec ses trois départements était la France, comme une grande partie de l'Afrique où nos possessions couvraient sur l'atlas la moitié du continent »

21. Encore

idéalisée comme patrie littéraire dans Le testament français d'André Makine (prix Goncourt 1995), la France est au coeur des désillusions de Michel Houellebecq quinze Revue critique de fixxion française contemporaine, 19 | 201912 ans plus tard (dans La carte et le territoire, prix Goncourt 2010, se formule une "vraie nostalgie, une sensation de perte dans le passage de la France traditionnelle au monde moderne"

22), et de l'amertume d'un Nicolas Mathieu, qui nous dépeint les désillusions

des zones pavillonnaires et des grandes banlieues où les exploits sportifs du pays ne parviennent plus à entretenir le rêve ("Avec Zidane, de toute façon, la France pouvait tout, il suffisait d'y croire"

23 rêvent quelques instants les personnages de Leurs enfants

après eux, prix Goncourt 2018, avant de retomber dans l'alcool et la misère). À ces trois prix Goncourt récents interrogeant ce qui reste de la grandeur française, il faudrait en ajouter d'autres emportés par le même mouvement critique : L'ordre du jour d'Éric Vuillard, Goncourt 2017, cinglant récit de la capitulation française à Munich qui ouvre la voie à l'Anschluss, Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari, Goncourt 2012, qui raconte l'histoire de la France du XX e siècle comme une suite de défaites historiques et collectives, Au revoir là-haut de Pierre Lemaître, Goncourt 2013, qui démystifiequotesdbs_dbs46.pdfusesText_46
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