[PDF] Littérature &… Littérature & autres arts :





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LE RENOUVELLEMENT DU GENRE ROMANESQUE DANS LES

variées est née après le roman de l'urgence des années 90 dont la principale vagabondage d'un regard observateur et vigilant du narrateur qui.



LEÇONS + EXERCICES

41 Le vocabulaire de la narration : auteur Aucun mineur n'accorda un regard à Étienne



Laltérité. Une transcendance dibienne des paysages voisins

Elle [l'oeuvre] est dite riche ou pauvre au regard de la voir dans cette emblématique figure l'urgence chez le narrateur de mettre fin à l'errance.



Littérature &…

Littérature & autres arts : un regard une urgence



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15 août 2022 La narration en montage narratif linéaire (séquence ordinaire : Metz : 1964) est fluide par un raccord regard sur Moune et un raccord dans ...



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LA TRANSPOSITION DE LÉCRIT À LIMAGE : UNE ÉTUDE

Chapitre I- Le discours narratif : L'Amant (1984) et L'Amant de la Chine du Nord Cependant l'écriture de l'urgence supprime chez elle l'esthétique.



Thème

S'offrent au regard du narrateur ou de ses personnages Soit a Selon lui l'espace littéraire est très vaste demain et joue un rôle nécessaire.



La structure sémio-narrative de Tu ne mourras plus demain d

L'histoire apparait comme le contenu du récit qui est lui- même le résultat de la narration. Afin de créer un mode narratif précis chaque écrivain repose sur 



Littérature &...

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Reçu le 15-02-2015 / Évalué le 30-09-2015 / Accepté le 30-10 -2015Résumé La littérature devient, de plus en plus, l'espace et le temps d'un intense dialogue entre les arts. Elle est inséparable du cinéma, de la peinture et de l'architecture. La poursuite des images, des séquences et des espaces conduit à un foisonnement d'interprétations et devient un besoin absolu pour l'enseignement de la littérature

à l'université. La conscience du dialogisme et sa mise en scène par les professeurs, les jeunes chercheurs et les étudiants soulèvent de nouvelles hypothèses interpré-

tatives, déclenchent un nouveau regard sur la production artistique et font appel à la création d'un nouveau public. Littérature & autres arts : un regard, une urgence, un apprentissage.Mots-clés : cinéma, peinture, architecture, enseignement, interprétation

Literatura &...

Resumo

A literatura é, cada vez mais, o espaço e o tempo de um intenso diálogo entre as artes. Tornou-se inseparável do cinema, da pintura e da arquitetura. A procura

das imagens, das sequências e dos espaços conduz à profusão das interpretações e torna-se uma necessidade absoluta no ensino da literatura na universidade. A

consciência do dialogismo e a sua encenação junto de professores, jovens investi- gadores e alunos fazem emergir hipóteses interpretativas, provocam um novo olhar sobre a produção artística e apelam à criação de um novo público. Literatura &

outras artes: um olhar, uma urgência, uma aprendizagem.Palavras-chave: cinema, pintura, arquitetura, ensino, interpretação

Literature &...

Abstract

The literature is, increasingly, the space and time of an intense dialogue between the arts. Became inseparable from the cinema, painting and architecture. The

search of images, and sequences of spaces leads to profusion of interpretations and becomes an absolute necessity in teaching literature at university. Awareness

of dialogism and its staging to teachers, students and young researchers state the appearance of new interpretive assumptions, provoke a new look at the artistic production and urging the establishment of a new audience. Literature & other arts: a glance, an urgency, an apprenticeship.

Keywords:

Anabela Dinis Branco de Oliveira

Université de Trás-os-Montes e Alto Douro - Labcom, Portugal aoliveir@utad.pt

GERFLINT

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Introduction

Littérature &... énonce un vide, une attente ou plutôt une hypothèse à naître. Enseigner la littérature devient, de plus en plus, une quête parfois vide, parfois anxieuse, mais avant tout un véritable carrefour d'hypothèses. Jean Mitry évoque

Marcel Proust

On lit dans Proust

: " D"abord, au fur et à mesure que ma bouche commençait à s"approcher des joues que mes regards lui avaient proposé d"embrasser, ceux-ci se déplaçant virent des joues nouvelles, le cou aperçu plus près et comme à la loupe montra dans ses gros grains une robustesse qui modifia le caractère de la figure. » N"est-ce pas l"équivalent d"une avancée en gros plan dans une prise de vues subjective ? Avancée dont le mouvement et l"effet de grossissement modifient au fur et à mesure la perception de l"objet considéré ? Certes ! Mais s"il a fallu attendre Proust pour que ces impressions soient traduites en litté- rature, et le cinéma pour en avoir pleinement conscience, je ne pense pas que les amoureux aient attendu après l"un ou l"autre pour s"approcher d"un visage convoité et en ressentir quelque émotion... (Mitry, 2001 : 36). Il énonce le regard du narrateur littéraire, propose le regard de la caméra cinématographique, le regard de celui qui étudie le cinéma mais souligne la souve- raineté de l'émotion, véritable levier de l'art. Les propos de Jean Mitry déclenchent toute une réflexion sur l'identité littéraire parmi les autres arts et sur le défi de ce possible dialogue pour l'enseignement de la littérature à l'université. Le regard de Jean Mitry représente les défis actuels de l'enseignement de la littérature : une mise en valeur des expériences d'investissement émotionnel, le développement de la créativité au niveau de la lecture et de l'écriture et la stimulation de l'enrichis- sement intellectuel. Fondé sur les propositions du Conseil de l'Europe en ce qui concerne les dimen- sions discursives et linguistiques nécessaires à l'enseignement/apprentissage de la littérature et suivant la notion de Bildung présentée par Irene Piepper (2007), cet article présente des réflexions fondées sur plusieurs expériences pédagogiques de l'enseignement de la littérature à l'université. La littérature y est présentée comme une œuvre d'art aux codes spécifiques et un moyen de participer à la vie culturelle inévitablement médiatisée par d'autres supports, y compris ceux d'ordre multimodal. Ces expériences permettent aux étudiants de percevoir la multipers- pectivité du discours littéraire et de prendre conscience de la mémoire esthétique du lecteur/spectateur et de l'artiste/créateur. En plus, ils se rendent compte que la littérature est, ainsi que les autres arts, notamment le cinéma, la peinture et l'architecture, l'un des éléments fondamentaux de la construction d'une Europe 46

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multiculturelle. La littérature devient, pour eux, une expérience d'altérité, un code spécifique, un langage esthétique récepteur et, en même temps, provocateur d'autres langages. Tenant compte des propos ci-dessus, cet article est organisé en cinq parties Littératures et... lectures souligne le besoin d'abandonner des grilles strictes des propositions traditionnelles de lecture et d'analyse littéraire ; Littérature et... cinéma, divisé en deux parties, présente une réflexion sur les relations entre les deux arts, notamment sur la transposition filmique et la présence du cinéma dans la littérature ; Littérature et... peinture essaie de répondre à l'immensité polémique des études et à la diversité des hypothèses ; Littérature et... architecture ébauche les perspectives créatives des deux arts ; finalement, Littérature, apprentissage et création définit le pouvoir créatif du dialogue entre les arts et présente la voix de quelques cinéastes.

1. Littérature &... lectures

Les compétences d'analyse littéraire étant acquises, l'étudiant universitaire et le jeune chercheur __ inscrits dans le cadre de Littérature et Autres Arts (Literatura e Outras Artes), discipline intégrée dans un programme de doctorat en littérature __ poursuivent la quête d'un nouveau regard au niveau de la production littéraire et à l'égard de la genèse du texte littéraire. Le premier pas vers l'indépendance à l'égard des textes et des lectures canoniques est la prise d'une conscience esthé- tique, de la part de l'écrivain et de la part du lecteur. Et cette conscience esthé- tique sait aussi jouer avec les styles et les points de vue. Prévoir l'interprétation est aussi lire les oeuvres littéraires avec d'autres grilles, celles qui ne sont plus jamais conventionnelles. Michael Riffaterre considère : Le propre de l'expérience littéraire c'est d'être un dépaysement, un exercice d'aliénation, un bouleversement de nos pensées, de nos perceptions, de nos expressions habituelles. (Riffaterre, 1979 : 8). Annie Rouxel (1996) analyse ce dépaysement et ce bouleversement, la conscience de l'histoire et du récit, celle de l'essence littéraire et la force identitaire des arts et de leurs différences. Pierre Bayard énonce la transformation des auteurs, proclame le droit à la fiction, à la liberté créatrice et aux avantages possibles du retour à l'imagination. Pour ce qui concerne l'erreur et le droit à la fiction, il souligne En modifiant l'auteur en partie ou en totalité, nous nous mettons dans les dispositions psychologiques de percevoir l'oeuvre comme des lecteurs d'autres temps ou d'autres pays pourraient le faire, et l'erreur assumée est ici un autre nom pour l'ouverture d'esprit. [...] Ce droit à la fiction apparaît comme plus 47

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légitime encore quand on reconnaît que l'inconscient joue un rôle déterminant dans notre réception de la littérature et que l'activité imaginaire, de ce fait, ne constitue nullement une part secondaire de la lecture, mais le cœur même de la relation que nous entretenons avec les œuvres. [...] Il deviendra enfin possible d'étudier A la Recherche du Temps Perdu d'Henry James, La Chartreuse de Parme de Flaubert ou Les Frères Karamazov de Nietzsche en commettant des erreurs apparemment plus grandes, sur un strict plan historique, que celles qui sont généralement relevées, mais avec des avantages considérables pour les œuvres, auxquelles un tel changement de parrainage, nous allons le voir, ne peut que les bénéficier. (Bayard, 2010 : 12-15). C'est pourquoi Pierre Bayard introduit la magie d'une certaine alchimie des lectures : il analyse l'œuvre Y en croyant qu'elle appartient à un auteur X. Ce n'est pas une création littéraire et non plus une production littéraire, ce sera plutôt une création analytique, interprétative. Et un tour sur ce qu'il nomme la " réattri- bution » d'autres arts. Et les exemples le prouvent, il nous offre L'Odyssée par un

écrivain grec

; Hamlet, de Edward de Vere ; Dom Juan, de Pierre Corneille ; Alice au pays des merveilles par un écrivain surréaliste ; L'Étranger de Franz Kafka ; Autant en emporte le vent, de Léon Tolstoi ; L'Éthique de Sigmund Freud ; Le Cuirassé Potemkine d'Alfred Hitchcock ; Le Cri de Robert Schumann. Une expérience étrange et l'avènement d'un même principe : croisement des arts, croisements d'auteurs. Le parcours infini de l'interprétation. Tous ces textes deviennent des instruments interprétatifs qui, en classe, déclenchent des débats sur la création de nouveaux codes littéraires et provoquent des moments d'écriture créative. Une lecture créative qui met en valeur la dimension culturelle, artistique et multimodale de la littérature.

2. Littérature &... cinéma

Les propos de Jean Mitry énoncent les rapports dialogiques entre littérature et cinéma. Le regard de l'écrivain et du narrateur n'est pas un regard humain : il peut tout voir, n'importe où et n'importe quand et il peut établir plusieurs mouvements, surpassant les limites anatomiques et établissant un constant et inévitable parallèle avec la caméra cinématographique. Il possède ainsi une flexibilité illimitée. Une flexibilité qui n'est, d'ailleurs, pas exclusivement fictionnelle car le regard humain, pendant tout le parcours narratif, suivant le besoin de raconter ses expériences et ses visions, lui non plus, ne suit pas de séquences rigides, de processus immutables ou de continuités spatiales. Le regard humain est un regard proustien, projeté volontairement et involontairement. Le cinéma en a pleinement conscience et entretient avec la littérature un rapport créatif né d'un véritable coup de foudre. Le 48

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coup de foudre devient réel parce que le cinéma habite dans la mémoire esthétique de l'écrivain sans dépendance, influence ou prémonition créative. Il n'y a dans ce rapport que le dialogisme et l'indépendance des véhicules de signification. Tout d'abord, il s'établit entre la composition fragmentaire des unités descriptives et les mouvements de la caméra un parallélisme bien inévitable. La flexibilité du regard humain se joint à la flexibilité du montage interne dans les images cinématogra- phiques. Les narrateurs regardent partout suivant toutes les directions et en toutes vitesses, ils définissent des espaces qui se croisent et des distances optiques qui augmentent et qui diminuent. Le texte littéraire transmet des expériences cinéma- tographiques car le regard humain n'a pas de profondeur de champ, ne contrôle pas de la même façon la lenteur ou l'accélération d'un mouvement, ne possède pas la régularité d'un plan panoramique ou d'un travelling, ne fait pas de zooms dans des directions ou dans des vitesses variables et ne définit pas la superposition des images en fondu enchaîné. Le texte littéraire énonce une polyphonie optique dans une constante succession et métamorphose d'images, intentionnellement travaillées, mouvementées et superposées. Et, pour celui qui étudie le cinéma, l'enseignement de la littérature est indissociable du regard de la caméra (Oliveira,

2007). Pour lui, il faut, à tout prix, voir le texte littéraire comme un palimpseste

plein de regards cinématographiques. Les amoureux de Jean Mitry et de Proust ont toujours senti de l'émotion. C'est bien l'émotion qui deviendra l'essence de l'oeuvre d'art. C'est bien l'émotion qui nous fait aimer la littérature. L'émotion qui n'est jamais inséparable de l'imma- nence et de la transcendance que Gérard Genette (1994) accorde à l'oeuvre d'art et de la conduite esthétique analysée par Jean-Marie Schaeffer (2000). Gilles Thérien analyse le pouvoir des images littéraires en ces termes Que sont les images devenues ? Je ne parle pas de celles que l'on peut encadrer et mettre à distance, mais des images qui se cachent sous les mots de la litté- rature, ces images qui font qu'un texte littéraire n'est pas un effet de langue, ces images qui se situent aux confins de la mémoire. (Thérien, 2007 : 205). Tout ce cheminement est possible parce que la lecture reconstruit patiemment la mémoire du texte grâce à l'imagination créatrice du lecteur. Lecteur, la page écrite est ce chant qui me permet de visiter les autres mondes, de les expérimenter dans une dimension imaginaire que seule la lecture peut offrir. (Thérien, 2007 : 211). Le cinéaste a besoin des espaces, des décors, de plusieurs objets pour expliquer, par exemple, le succès social d'un certain personnage ; le théâtre anéanti tout cela et ne choisit qu'un seul aspect. Le romancier construit tout dans une seule phrase. Le romancier peut évoquer une foule, le dramaturge la représente à travers 49

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quelques-uns qui deviennent le chorus, le cinéma montre la foule à un nombre infini de spectateurs. Le cinéaste a besoin de toute une paraphernalia de moyens pour justifier, pour démontrer une seule phrase du romancier et pourtant la spéci- ficité cinématographique reste incomplète si on ne lui accorde que des mots. Il est trop difficile de raconter un film à travers de mots car on oublie la valeur du son, de la musique et du rythme propres au montage. Il est trop difficile de raconter, à travers les mots, la lumière et les tons d'un paysage, l'expression et le regard des acteurs. Durançon souligne que Le cinéma est dans la durée. / La littérature est en liberté. / Le cinéma, c'est le présent. / La littérature c'est l'épaisseur du temps (Durançon, 2010 : 445). La liberté de la littérature est une liberté qui se construit dans la mémoire esthétique de l'écrivain. Dans la texture et dans l'épaisseur du temps de la littérature naît le parcours des voix narratives et une immense et intense passion envers le cinéma. Et pourtant les images de la littérature énoncées para Gilles Thérien ne sont pas anéanties par les stéréotypes souvent créés par les lecteurs et les professeurs. En classe, ces images sont encore la cible d'un immense préjugé. Et dans ce préjugé, à la suite de l'analyse d'un film fondé sur un texte littéraire canonique, il y a toujours le doute entre les notions d'adaptation cinématographique ou transpo- sition filmique. Et d'autres problèmes surgissent : les romans à longues descrip- tions, nettement visuelles, deviennent forcément des romans cinématographiques. Les films qui n'ont pas pu se libérer du texte originel sont considérés des films littéraires. Il y a encore, parmi les professeurs, pas mal de gens qui refusent la convergence entre les deux moyens d'expression. Il y a encore ceux qui accordent à la littérature le territoire de la subjectivité tandis que, pour eux, le cinéma sera toujours le territoire de l'objectivité.

2.1. La littérature qui provoque le cinéma

Les débats autour d'un film issu d'une oeuvre littéraire deviennent presque toujours polémiques. L'analyse en classe des critiques littéraires et cinématogra- phiques parues dans la presse, les publicités des maisons d'édition et les interviews d'écrivains et de cinéastes témoignent de cette polémique. Les films issus des romans Harry Potter et...de J.K.Rowling, Le Nom de la Rose de Umberto Eco, Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, O Delfim de José Cardoso Pires et O Crime do Padre Amaro de Eça de Queirós ont été chaleureusement commentés. À travers les débats et les exercices de production écrite, nos cours deviennent le territoire de multiples expériences de réception jouant avec les opinions acharnées de ceux qui, dans ces films, quêtent le pire et le meilleur des deux arts. Les expériences de lecture contribuent au foisonnement des imaginaires : les personnages, les gestes 50

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et les mouvements sont sans cesse imaginés et construits. Soudain, l'image peut tout éliminer et c'est bien l'avènement de la déception ! Devant l'écran, images, plans et bande sonore incarnent la transformation de la lecture. Les comparaisons deviennent inévitables. On ne sait jamais comment juger et qui juger : les person- nages, le récit, les décors, les rôles, l'interprétation ou le choix des images.

Opinions et métaphores s'éparpillent

: le cinéma ne filme pas les livres, le cinéaste pénètre le style de l'écriture, ferme le livre et ne filme que les images que le texte lui évoque ou, bien, il se transforme en vampire avide qui, sortant du tombeau, vient sucer le sang du roman : afin d'en tirer la force vitale et pour se nourrir, il devra bien le rendre compatible à son groupe sanguin. Dans l'immense lac des préjugés et des malentendus, une seule mort est exigée celle de la fidélité. Littérature et cinéma ne sont que des lectures, des interpré- tations, des regards, des codes, des moyens, des techniques et des différences. Et pourtant inséparables. Ils sont la cible de multiples interprétations, de multiples forces esthétiques, politiques et idéologiques, de multiples expériences sociocri- tiques et de plusieurs budgets. La co-production européenne de Georges Sluizer (2002) d'après A Jangada de Pedra de José Saramago est bien différente d'une éventuelle création de Steven Spielberg ou de James Cameron financée par un budget hollywoodien. Le texte de Shakespeare, Roméo et Juliette devient la cible de deux films totalement différents : celui de Franco Zefirelli (1968) et celui de

Baz Luhrman (1996).

Étant des œuvres d"art, elles se croisent, elles dialoguent et elles provoquent plusieurs lectures. Impossible donc de dire adaptation : on n"en parle jamais pendant le processus artistique. Nouvelles lectures exigent une transposition. Une transposition filmique est la seule qui se permet un ensemble de réactions créatives : on va bien pouvoir lire les films, voir les livres, éprouver et juger les moments littéraires d'un film et les moments cinématographiques d'un livre. Et en plus, c'est bien ce comportement qui va nous aider à créer ou à recevoir les hommages qu'un art peut accorder à l'autre. Suivant cet esprit on va pouvoir accepter les hommages que Manoel de Oliveira rend à la littérature et ceux que António Lobo Antunes rend au cinéma. Absolument interdit de dire Le livre est meilleur ! Le film est supérieur

2.2. La présence du cinéma dans la littérature

Actuellement, l'enseignement de la littérature est inséparable de tous les textes multimodaux qui l'entourent car l'un d'entre eux, le cinéma, habite inévitablement la mémoire esthétique de l'écrivain. C'est pourquoi nos pratiques pédagogiques 51

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se sont centrées sur l'oeuvre d'António Lobo Antunes. Le cinéma est, pour lui, cette sorte de château magique, l'endroit de lumière et de passion. Avouant la splendeur du cinéma, son parcours fictionnel construit des rapports dialogiques, des symbioses et une transmutation des matériaux littéraires et filmiques. Les romans et les chroniques d'António Lobo Antunes composent des voix et des images : des moments, des exemples, des parcours, des citations, des titres et des morceaux de pellicule (Oliveira, 2009a). Les voix du récit, fragmentées et discontinues, provoquent sur la table de montage, la rencontre entre António Lobo Antunes et Bob Fosse, Vincent Minnelli, Alain Resnais, Francis Ford Coppola, Eisenstein, Koulechov et Deleuze. Passionné de cinéma, António Lobo Antunes est un écrivain qui a appris le montage (Oliveira, 2009b). Dans la diversité des témoignages et des discours,

dans l'hétérogénéité des points de vue, le narrateur construit des enchaînements et

des parallélismes structuraux et symboliques. La mémoire esthétique de l'écrivain et du lecteur crée le dialogue entre Lobo Antunes et Alfred Hitchcock. Le parcours intertextuel construit des oiseaux bien forts, des métamorphoses identitaires et menaçantes. Les oiseaux d'António Lobo Antunes sont eux aussi hitchcockiens (Oliveira, 2009c). Notre réflexion en classe s'appuie également sur Jacinto Lucas Pires qui présente une écriture où Woody Allen parcourt des jeux humoristiques dans Azul-Turqueza (Pires, 1998 : 69), où Alfred Hitchcock raconte l'histoire écossaise des macguffins dans Cinemaamor (Pires, 1999) ; où la cinéphilie de Gaspar est identifiée dans les allusions à Hitchcock, Tarantino et Nanni Moretti. Fellini est fragmenté, éparpillé, commenté et toujours présent. Jean-Luc Godard est le réalisateur des films dont les affiches couvrent les vitrines d'une boutique japonaise dans Livro Usado (Pires,

1999 : 78). Rita Hayworth, Humphrey Bogart, James Dean, Marlon Brando, Marilyn

et Audrey Hepburn peuplent les espaces et les personnages. Les allusions aux films, aux espaces filmés et au métalangage cinématographique y sont fréquentes (Oliveira, 2008).

Encore un exemple analysé en classe

: dans Short Movies, Gonçalo M. Tavares oriente, dans un projet littéraire, un parcours nettement cinématographique. La couverture nous transporte vers l'univers des premiers photogrammes. Gonçalo M. Tavares établit la concentration narrative exigée dans tous les courts métrages. Il nous donne des textes trop courts (quelques paragraphes, deux pages maximum) aux titres bien expressifs qui déclenchent un grain, un objet d'introduction, le début d'une réflexion, la construction exigeante d'un Haïku. Il ne construit pas des courts métrages, il nous en fait la description dans un rapport avec le cinéma à travers les références et les terminologies. Un aperçu terminologique qui parcourt l'univers des images fixes (la photographie) et celui des images en mouvement. 52

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Dans Short Movies, les plans se succèdent dans un rythme intense et le regard du narrateur devient nettement cinématographique. Nous avons, dans presque tous les textes, un foisonnement de gros plans et de plans de détail. Le narrateur ne porte pas la caméra sur le dos comme Vertov dans L'Homme à la Caméra (1929) car il nous décrit les courts métrages, il nous décrit les mouvements de la caméra et il nous fait attendre presque indéfiniment. Short Movies pourrait s'identifier à Rear Window (Fenêtre sur cour, 1954) d'Hitchcock car ses histoires déclenchent d'autres récits à travers le pouvoir exigeant de l'hors champ qu'il présente. Short Movies est un projet littéraire ! Ce sont des textes d'un cinéphile incorrigible ! C'est le besoin absolu de transformer le cinéma en mots

3. Littérature &... peinture

En tant qu'oeuvre d'art, la littérature est née d'autres images, a fait naître d'autres images et énonce la naissance d'autres images : celles de la peinture. Daniel Bergez (2009) analyse cette altérité qui est selon lui une altérité mais avant tout une force créatrice engendrée par les deux. Littérature et peinture sont des sources d'inspiration mais, en plus, elles sont la source du paradoxe ou de l'identité créatrice. Il proclame la rencontre de l'écrire et du voir. Dans le cadre de l'ensei- gnement supérieur, il faut dynamiser cette rencontre : établir constamment le parallèle interprétatif et artistique entre les deux arts. Il faut les étudier, pour en savoir les différences structurelles et conceptuelles et il faut les transmettre de façon à pouvoir approfondir le regard du dialogisme. Les tableaux contempo- rains d'Os Lusíadas de Camões ont été un objet d'étude qui a exigé, de la part de l'étudiant, la conscience de la différence des codes et, en même temps, l'urgence d'un regard comparatiste. À la suite de cette activité, la présence de la peinture médiévale et humaniste a été étudiée dans le poème épique. L'enrichissement culturel issu de ces expériences a conduit à d'autres activités : la recherche sur la réception et la production artistique à travers la construction des ponts éternels entre l'oeuvre poétique et les peintures qu'elle a inspirées. D'autres propositions ont été faites : l'analyse des éditions illustrées du poème ; la recherche de l'omni- présence de la plasticité chez A Engomadeira d'Almada Negreiros et les dialogues intenses entre les dessins de Mário Botas et l'écriture d'Almeida Faria qui sont devenus le territoire d'une production écrite. Des parcours esthétiques indisso- ciables mais aussi des parcours de lecture, d'apprentissage et de cré ation. Pendant ce parcours analytique, les questions les plus fréquentes concernent la classification des études, ou plutôt, le besoin parfois insensé d'une grille de classification des études critiques. À l'urgence de bien connaître les codes de la peinture pour mieux comprendre le dialogisme s'ajoute le besoin d'établir un corpus 53

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cohérent. Et il faut toujours choisir et justifier le choix : étudier des romans sur la vie des peintres ou des romans qui nous montrent le processus créatif d'une oeuvre comme ceux de Tracy Chevalier à propos de Girl with a Pearl Earing de Vermeer ou The Lady and the Unicorn inspiré des tapisseries des Gobelins ; analyser la force de la peinture dans les mots du vieillard au bandeau noir dans L'Aveuglement de José Saramago ou étudier les premiers paragraphes de L'Évangile selon Jésus Christ de Saramago et son rapport avec le tableau décrit ? Le dialogue entre littérature et peinture exige l'analyse mythique et fictionnelle du portrait dans The picture of Dorian Gray d'Oscar Wilde et, suivant la suggestion de João Botelho, la recherche des références picturales dans Os Maias d'Eça de Queiroz. La réception du texte littéraire dans le cadre d'une situation d'apprentissage conduit à une autre réalité de plus en plus urgente : l'analyse de la production littéraire. La conscience esthétique de l'écrivain devient elle-même objet d'étude.

De nouvelles hypothèses de travail surgissent

: essayer de savoir si les écrivains établissent les différences de langage entre littérature et peinture ; essayer de voir si la peinture est pour eux une source d'inspiration, un parcours narratif, un choix de récit, un accessoire historique ou un levier vers d'autres questions. En classe, à travers une recherche online ou pendant la visite d'un musée, les étudiants parti- cipent à la quête de réponses possibles aux questions posées : un roman biogra- phique sur un peintre rend hommage au peintre ou à la peinture ? Y aurait-il la possibilité d'une mise en scène de la peinture dans la litté rature À cet égard, les étudiants s'inspirent d'un défi présenté par João Bénard da Costa dans le cadre des Encontros da Arrábida en 2001/2002 : il a demandé aux historiens d'art et aux amateurs de peinture de présenter, d'analyser leur cinéma Un nouveau regard dans le dialogue entre cinéma et peinture ! À l'université, les étudiants ont pu faire exactement la même chose avec la littérature. Que peintres et amateurs de peinture puissent nous parler sur leurs textes littéra ires

4. Littérature &... architecture

Les images sous les mots de Gilles Thérien et les regards détaillés de Jean Mitry énoncent aussi des espaces vécus, des espaces écrits dans la poursuite du temps narratif. L'imagination du lecteur quête les images des foules, des personnages, des événements mais cherche aussi les bâtiments, le labyrinthe des rues, la magie des maisons. L'architecture, en tant qu'art de l'espace et en tant que réflexion sur le rôle de l'espace dans la vie de l'homme, devient, elle aussi, un point de dialogue avec la littérature. Antoine Leygonie énonce qu'au seuil de la fiction et de l'architecture se rejoue l'expérience de notre mise au monde (Leygonie, 2010 :

157). Pierre Hyppolite affirme

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La lecture d'un roman n'aide pas seulement les architectes à concevoir un espace architecturé, elle permet d'éprouver l'architecture dans sa dimension spatiale. La littérature prend en compte l'expérience sociale et intime de l'espace qu'il soit autonome, hétéronome ou hétérotopique. Elle permet aux architectes de saisir au-delà de la nature, de la structure de leur projet ou de leur réalisation, sa dimension symbolique, esthétique et anthropologique. Les projets des archi- tectes ne prennent sens que lorsqu'ils s'inscrivent dans une démarche culturelle réfléchie. Les utopies architecturales et urbaines se sont, depuis les débats du XXème siècle nourries des échanges entre l'architecture, la littérature et les sciences humaines. Les grands projets urbains à l'image de ceux de New York dans les premières décennies du XXème siècle, de Berlin dans les années mille neuf cent quatre-vingt, et de Shanghai aujourd'hui en témoignent. Ces villes sont de hauts lieux de l'architecture et de la culture contemporaine au point d'attirer les jeunes écrivains, de susciter la fiction, favorisant ainsi un autre aspect de l'interface de la littérature et de l'architecture. Dans un univers mondialisé aussi virtuel que réel, la littérature aide à prendre conscience du rapport paradoxal que l'homme entretient avec l'espace architecturé (tours, grands ensembles), ou désarchitecturé (ruines, friches) et avec l'architecture dans son édification comme dans son effacement. (Hyppolite, 2000 : 7-8) Étudier le rapport entre littérature et architecture c'est aussi étudier la quête de l'identité de la ville moderne. La ville devient personnage, titre, lieu primordial de réflexion architecturale et espace de réflexion émotionnelle. Pour nourrir la réflexion en classe, il faut d'abord choisir un corpus littéraire qui puisse représenter l'architecture des villes comme un lieu de mémoire ou d'imagination et qui puisse la classifier comme un lieu de passage, de parodie ou d'éblouissement. L'analyse du corpus et la recherche des textes de réception conduisent à l'identité d'une ville devenue roman et d'une ville littéraire architecture d'un roman. Et les étudiants veulent savoir s'il y a des romans sur des villes, sur des architectes ou sur des bâtiments et si la ville est transformée ou si elle transforme le regard de l'écrivain ou, plutôt, s'il y a des romans de villes ou des villes de romans. Les rec herches littéraires et l'ouverture vers les codes de l'architecture conduisent à des activités d'interaction orale et de production écrite autour de Michel Butor, Marcel Proust, Kafka, Albert Camus, José Saramago et d'autres écrivains portugais. La Caverne de José Saramago est la ville dévoratrice, totalitaire, la ville de la hiérarchie, de la sélection et de l'imposition. Une création fictionnelle qui refuse l'individu et la liberté créatrice : la prison d'un régime qui écrase la création artistique. La ville devient l'architecture du roman : Dublin dans Ulysses de James Joyce, Bleston/ Manchester dans L'Emploi du Temps de Michel Butor, Paris dans À la recherche 55

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du temps perdu de Marcel Proust, Prague dans Le Procès de Kafka, Oran dans La Peste d'Albert Camus, Lisbonne dans João de Melo, Lídia Jorge, Almeida Faria, Olga

Gonçalves et António Lobo Antunes.

Les textes des architectes étudiés en classe ont pu répondre aux doutes concernant le dialogue entre deux arts si différents : l'un, la littérature, un art du temps et l'autre, l'architecture, un art de l'espace. Jean Nouvel (1995 : 105) considère que l'architecture est aussi un art des séquences temporelles... tout comme le cinéma et la littérature ! L'édifice pourra devenir une obsession inexorable d'une intrigue, la cible d'une intense description, le parcours d'une fragmentation du récit comme chez Alain Robbe-Grillet dans La Maison de Rendez-Vous ou l'Année Dernière à Marienbad. Les architectes choisissent eux aussi des romans et les romans sont, pour eux, des sources d'inspiration.quotesdbs_dbs46.pdfusesText_46
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