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14Nouvelle Revue Pédagogique - Lycée / n° 22 / novembre 2006

I. Une représentation fictionnelle> p. 15

1/ LÕinvention du personnage par le romancier

2/ Le personnage et son lecteur

3/ Le portrait

4/ LÕidentitŽ narrative

II. Le personnage et lÕaction> p. 18

1/ Fonction du personnage

2/ Un Çmodèle actantiel»

III. Le personnage : un signe> p. 20

1/ Typologie

2/ Les personnages rŽfŽrentiels

3/ La signification du nom

IV. Crise du personnage et hŽros problŽmatique> p. 21

1/ La remise en cause du personnage

2/ Le hŽros, une notion problŽmatique

3/ LÕindividu et le type

4/ La production des valeurs

V. En guise de conclusion> p. 23

Le romancier

et ses personnages (1)

Par Nathalie Piégay-Gros*

L'histoire du roman nous invite à considérer le personnage comme une Žvidence du genre : cÕest souvent le hŽros qui identifie le roman, depuis Don Quichotte jusquÕˆ Harry Potter, en passant par Manon Lescaut, Madame Bovary, Mrs Dalloway et tant dÕautres figures qui peuplent lÕimaginaire romanesqueÉ Pourtant, le personnage est dÕabord secondaire, ˆ lÕaction (dramatique ou narrative) ; cÕest lÕintrigue qui commande le rŽcit, celui qui agit (cÕest ainsi que le personnage appara"t dÕabord) nÕintervenant que secondairement. nÕest plus seulement un r™le, mais une entitŽ existentielle et psychologique de plus en plus individualisŽe. Henry James renverse ainsi les termes du postulat aristotŽlicien : Çqu'est-ce que l'action sinon l'illustration du personnage ?» Aussi le personnage est-il le pilier de lÕinvention et le nerf du plaisir de lecture propre au roman. Mais cÕest aussi lui qui cristallisera les critiques du genre, chaque fois que le roman est remis en cause. Quelle que soit lÕimportance du personnage dans le roman, il ne saurait donc suffire ˆ dŽfinir le genre.

SOMMAIRE

DOSSIER

15Nouvelle Revue Pédagogique - Lycée / n° 22 / novembre 2006

Dans un second volet de ce dossier,

nous analyserons la faon dont le roman se soustrait aux dŽlimitations formelles et selon le mot de Gide, le roman a une souplesse qui lui permet de se modifier et de se renouveler sans cesse. Aussi nous tenterons non pas de le dŽfinir mais de montrer comment il a pu tre lÕobjet sÕagisse de lÕimpŽrialisme quÕil exerce aujourdÕhui sur tous les autres genres ou de ses enjeux philosophiques (le roman est affaire de connaissance et de pen- sŽe), il reste une expression majeure de la plasticitŽ et de la complexitŽ littŽ- raires.

I. Une représentation

fictionnelle

1/L'invention

du personnage par le romancier

L'invention du personnage est souvent

conue comme le moment-cléde l'écri- ture romanesque. Elle peut tre pensŽe comme un enfantement; la correspon- dance de Flaubert est pleine de notations qui dŽveloppent cette image. La nature lyriquede cet auteur (dÕaucuns diraient hallucinŽe) le conduit en effet ˆ sÕexalter et ˆ sÕexorciser dans des crŽatures qui paraissent lÕhabiter autant quÕil les enfante (Emma Bovary par excellence, mais aussi LŽon, Homais, Charles) : crŽer un personnage, ce serait donner vie ˆ une personne. Henry James remarque Lj mon avis, lÕintensitŽ de lÕeffort crŽateur fourni pour entrer dans la peau de sa crŽation tŽmoigne toujours dÕune passion admirable ; cÕest un acte de possession dÕun tre par un autre poussŽ ˆ son extrme 1

Les romanciers sont nombreux ˆ par-

ler de leur personnage comme s'il était rŽel, comme si se nouait avec lui une relation de personne ˆ personne. Ainsi,

Marguerite Yourcenar, dans les Carnets

de notes deLÕÎuvre au Noir confie, de vent dans ses insomnies, elle a eu

ÇlÕimpression de tendre la main ˆ

ZŽnon se reposant dÕexister, couchŽ sur

prŽcise et sensuelle de cette main dont elle dit conna"tre Çla pressionÈ, Ç [le] degrŽ exact de chaleurÈ (Gallimard,

Folio, p. 464).

CÕest que le personnage est conu

comme la transposition d'une expérience ou dÕune personne rŽelle. Sans vouloir simplifier cette alchimie complexe par laquelle le roman puise dans lÕexpŽrience du romancier, bien souvent lÕinvention sÕenracine dans la rŽalitŽ pour aboutir ˆ une figure fictionnelle : non quÕelle la dŽcalque purement et simplement, mais elle la dŽplace, lui impose diffŽrents pro- cŽdŽs de grossissement, attŽnuation, hybridationÉ Ce dernier point est sans doute le plus important : jamais un per- sonnage de roman nÕest purement et sim- plement la transposition dÕune personne rŽelle ; il est le produit d'un croisement entre différents traits de personnes dis- tinctes et le romancier sÕy trouve lui- mme mlŽ. Ainsi, dans la prŽface de son roman AurŽlien, Aragon reconna"t que son personnage nÕest ni Drieu

La Rochelle ni lui-mme, mais quÕil a pu

chercher Çdans lÕun et lÕautre une sorte de vŽrification du personnage crŽŽÈ.

Comme Drieu, AurŽlien a fini la guerre ˆ

lÕarmŽe dÕOrient en 1918, mais Aragon Žloigne AurŽlien de lÕŽvolution de Drieu vers lÕextrme droite, refusant, mme lorsquÕil Žcrit contre ses personnages, de les noircir. Il sÕagit toujours pour lui de comprendre AurŽlien Leurtillois, mme si atroceÈ, mme sÕil devient ÇlÕinstrument de tout ce qui[lui] est ennemiÈ.

Mauriac affirmait, lui, que seuls ses

personnages secondaires pouvaient avoir ŽtŽ empruntŽs ˆ la vie et formulait la a dÕimportance dans le rŽcit, Çplus il a de chances dÕavoir ŽtŽ pris tel quel dans la rŽalitŽÈ. Pour les autres, sÕil a toujours situŽ ses personnages dans son milieu dÕorigine (la province bordelaise, bour- geoise et catholique), il a profondŽment imagination les plus terribles drames au fond de ces honntes maisons provin- cialesÈ ; dans le roman, il y a de lÕarse- ne servaient au petit garon quÕil fut que de sirop dÕorgeat 2

È. Le personnage est

fait de cette part maudite que le roman- cier exorcise par lÕŽcriture.

Le roman est une " loupe »qui ampli-

fie et simplifie les tentations et les pas- sions, jusquÕˆ les rendre monstrueuses. Il est alors le lieu où se reconfigure l'expé- rience personnelle, autorisant la liberté de dŽplacer ce que lÕon est et ce que lÕon a vŽcu. Il y aurait donc une part de vŽritŽ plus grande dans le roman que dans lÕau- tobiographie (cÕest, par exemple, lÕhypo-

Flaubert) : il permet de dire lÕexpŽrience

personnelle ˆ travers le prisme de person- plexitŽ de lÕexistence. Sans doute est-ce ainsi que lÕon peut comprendre pourquoi

DOSSIER

Le romancier et ses personnages (1)

Frontispice pour une édition

de Madame Bovary. c'est dans des romans que certains écri- vains ont situŽ la qute dÕune vŽritŽ sur soi quÕils permettaient de formuler au plus juste : cÕest par excellence le cas dÕË la recherche du temps perdude

Proust ou, dans un autre registre, du Pre-

mier homme de Camus. Ce dernier invente Jacques Cormery pour raconter, enfance ˆ Alger. Pourquoi sinon ne pas avoir Žcrit son autobiographie ?

Cette conception du personnage

comme reprŽsentation fictionnelle dÕune personne explique que lÕon cherche ˆ roman la ou les personnes qui lui

Schlesinger, le grand amour de Flaubert,

ou, plus grave, imputer ˆ Flaubert les propos et pensŽes quÕil prte ˆ Emma

Bovary. Le rŽquisitoire du procureur

Pinard (publiŽ en annexe de lÕŽdition

comment la condamnation du roman en simple du personnage fictionnel ˆ une personne rŽelle, dont on juge la moralitŽ.

Une telle dŽmarche a quelque chose de

rŽducteur puisque aussi bien tout person- nage est la projection et la reconfigura- tion complexesde moments autant que de constantes, de tendances refoulŽes ou fantasmŽes autant que de traits assumŽs dÕune personnalitŽ.

2/ Le personnage

et son lecteur

Mais une telle conception a également

pour corollaire dÕautoriser tous les effets dans Du c™tŽ de chez Swanncomment le personnage, parce quÕil nÕest pas rŽel (mme Franoise le remarque), suscite une Žmotion et une comprŽhension parti- romancier a ŽtŽ dÕavoir lÕidŽe de rempla- cer ces parties impŽnŽtrables ˆ lÕ‰me [celles qui font lÕopacitŽ des personnes rŽelles avec lesquelles nous pouvons sym- pathiser] par une quantitŽ Žgale de par- ties immatŽrielles, cÕest-ˆ-dire que notre ‰me peut assimilerÈ. Alors, les aventures et les Žmotions des personnages nous arrivent ˆ nous-mmes lecteurs et Çtien- nent sous leur dŽpendance, tandis que nous tournons fiŽvreusement les pages du livre, la rapiditŽ de notre respiration et lÕintensitŽ de notre regardÈ (Du c™tŽ de chez Swann, Garnier-Flammarion, 1987, p. 187). CÕest que le roman a la particu- laritŽ irremplaable de nous faire pŽnŽtrer dans la Ç tte È des personnages et de nous les faire conna"tre mieux que tout autre genre Ð mieux mme, comme le dit

Proust, que la connaissance rŽelle ne le

permet : supŽrioritŽ de la fiction ! (Nous cette Žtude sur ce type de connaissance que le roman peut dŽlivrer).

Le chapitre V de Bouvard et PŽcu-

lecture romanesquetrès précieuse pour comprendre ce que Vincent Jouve a appelŽ "l'effet-personnage 3

». Les deux

comparses retirŽs ˆ Chavignol sÕem- ploient ˆ lire des romans historiques. Ils sont alors emportŽs dans un monde merveilleux qui les captive et voient pro- gressivement les personnages qui au dŽpart nÕŽtaient pour eux que Çdes nomsÈ devenir des ǐtres vivants, rois, princes, sorciers, valets, gardes-chasse, moines, bohŽmiens, marchands et sol- dats[É] È. Gr‰ce au personnage, la fic- tion sÕanime et produit une forte illusion : Bouvard et PŽcuchet suivent les aventures narrŽes par Walter Scott, sÕidentifiant aux personnages (le pas- sage du pronom personnel au pronom monde qui nÕest que mouvement et aventures : ÇOn suit des yeux un cava- aspire au milieu des gents la fra"cheur du vent, la lune Žclaire des lacs o glisse un bateau[É] È. LÕeffet-person- nage conjugue lÕanimation, lÕidentifica- tion et la transformation (du lecteur par le personnage) : ÇIl [Bouvard] sÕenthou-

George Sand] et les nobles amants,

aurait voulu tre Jacques, Simon, BŽnŽ- dict, LŽlio et habiter Venise ! Il poussait des soupirs, ne savait ce quÕil avait, se trouvait lui-mme changŽÈ.

3/ Le portrait

?La description

La représentation du personnage est

principalement assurŽe par son portrait. CÕest lui qui nous dŽtaille les caractéris- tiques morales et physiquesqui forment le substrat de son identitŽ. Souvent pris en charge par le narrateur (songeons au fameux portrait de Charles Bovary ˆ la casquette au dŽbut du roman), il peut aussi tre focalisŽ par le regard dÕun timentale, le portrait de madame Arnoux est tout entier livrŽ par le regard de FrŽ- dŽric Moreau. La description du person- nage caractŽrise aussi celui qui le regarde nous apprend quels sont ses dŽsirs, sa cultureÉ Ainsi, dans Un amour de Swannle portrait dÕOdette permet ˆ la fois au narrateur de décrirecelle dont

Swann est Žperdument amoureux et de

montrercomment il se complait à retrou- ver dans les tres quÕil c™toie les souve- nirs et les images de reprŽsentations artistiques. Odette est rŽfŽrŽe ˆ ZŽphora telle quÕelle appara"t dans une fresque de

Botticelli si bien quÕelle est encore plus

prŽcieuse aux yeux de Swann. DÕune temps perdu, les personnages sont dŽcrits avec un luxe de dŽtails et une passion mŽticuleuse et sensible (les por- traits de madame Swann dans Ë lÕombre des jeunes filles en fleurssont ˆ cet luxuriance du portrait ne permet pas tou- jours de saisir une identitŽ stable : au contraire, ce qui intŽresse Proust, cÕest la tension vers une individualisation dÕabord problŽmatique. QuÕil sÕagisse dÕOdette, rŽfŽrŽe par Swann ˆ une peinture de Bot- ticelli, ou du narrateur dŽcouvrant ˆ Bal- bec la bande des jeunes filles (Çbouquet de rosesÈ, Çgrappe de fleursÈ, Çbandes de mouettesÈ) dÕo peu ˆ peu des visages singuliers vont Žmerger, la

16Nouvelle Revue Pédagogique - Lycée / n° 22 / novembre 2006

DOSSIER

Le romancier et ses personnages (1)

17Nouvelle Revue Pédagogique - Lycée / n° 22 / novembre 2006

démarche est la même : le portrait est lÕoccasion de mettre à l'épreuve l'indivi- dualitŽ dÕun tre, extraite d'une série ou rapportŽe ˆ une gŽnŽralitŽ qui lÕenglobe et la dŽpasse. ?La focalisation interne

La focalisation interne permet égale-

ment dÕarticuler étroitement le portrait du personnage et lÕaction narrative, évi- tant ainsi que la description ne soit trop autonome par rapport ˆ la narration ; ˆ aux galeries de portraits qui font dÕabord dŽfiler les personnages avant de les faire entrer dans lÕhistoire (cÕest le cas, par exemple, de Modeste Mignonde Balzac, fait des premiers chapitres lÕŽquivalent sente les personnages). Dans Le Hussard ment les procŽdŽs de la focalisation interne. LorsquÕAngŽlo voit pour la pre- nommŽe Çla jeune femmeÈ (avant que son identitŽ, Pauline de ThŽus, soit fina- lement rŽvŽlŽe), il ne peroit dÕabord que son costume : Çune jupe verte, courte et ronde sur des bottes quÕune cravache battaitÈ. Puis son regard sÕarrte sur la main de la jeune femme, sur son cha- peau : ÇTout cela appartenait ˆ un petit feutre Louis XI jaune soufre et ˆ une lement quÕun visage appara"t : ÇAngŽlo vit un petit visage de fer de lance enca- drŽ de lourds cheveux noirsÈ (Gallimard,

1951 ; Folio, 1972, p. 300). Le portrait

du personnage, strictement limitŽ ˆ ce que voit et sait AngŽlo, est donc parcel- laire, garde une part dÕindŽtermination ; il est Žtroitement subordonnŽ ˆ lÕhistoire relation qui se noue entre les person- nages. Mais cÕest lˆ une constante du personnage de roman : il est toujours lacunaireet comporte nécessairement une part dÕindŽtermination. Ainsi, dans

Manon Lescaut, malgrŽ le grand nombre

de portraits de Manon, nous ne savons pas grand-chose de sa physionomie ; son sissable, lÕambivalence de sa condi- tionÉ sont mis en avant, comme sÕil fal- lait justement laisser une marge de rverie et dÕindŽtermination. Pourtant, et nous reviendrons sur ce point dans la du roman est aussi de nous introduire dans la vie psychique des personnages.

Mais la caractŽrisation est toujours par-

tielle et il faut s'interroger sur les choix qui prŽsident au portrait: mettre l'ac- cent sur le physique plut™t que sur le psychologique, sur le costume plut™t que significatif. Les romans de Balzac se caractŽrisent souvent par la faon dont le portrait du personnage est solidaire de son milieu : sa maison, son mobilier sont dŽcrits aussi prŽcisŽment que sa physio- nomie et son costume et sont prŽsentŽs dans la continuitŽ lÕun de lÕautre, pour suggŽrer que lÕhomme ne peut tre apprŽhendŽ indŽpendamment des condi- tions matŽrielles dans lesquelles il vit. quer aboutit au portrait de madame Vau- teur nous a fait pŽnŽtrer dÕabord dans le quartier, puis dans la rue, puis dans la maison, dont il dŽcrit dÕabord le jardin, puis la cour, puis le premier Žtage, puis les suivants. Dans Les Travailleurs de la mer, la maison o vit Gilliatt est elle aussi longuement dŽcrite par Hugo avant que le portrait du personnage ne soit entrepris. Mais ici, cÕest moins lÕimpor- tance du milieu qui motive cette solida- ritŽ de la maison et du personnage que lÕhistoire et les rumeurs quÕelle permet de raconter. LÕidentitŽ et le portrait du personnage font naturellement place ˆ sa biographie et ˆ sa gŽnŽalogie : en nar- rant son histoire, le narrateur nous apprend ˆ le conna"tre. LÕhistoire de Gil- liatt est affaire de rŽputations, de personnage. Il faut ainsi attendre le dŽbut du chapitre VI pour que son por- trait physique soit ŽbauchŽ : ÇLes filles le trouvaient laid.

Il nÕŽtait pas laid. Il Žtait beau peut-

tre. Il avait dans le profil quelque chose

dÕun barbare antique. Au repos, il res- semblait ˆ un Dace de la colonne Tra- jane. Son oreille Žtait petite[É] È (Galli- mard, Folio, 1980, p. 112).

4/ L'identité narrative

Élément constitutif du personnage

romanesque, le portrait, nous lÕavons vu, est rarement sŽparŽ de lÕhistoire et de la biographie du personnage. LÕidentitŽ du personnage de roman, et cÕest lˆ une spŽcificitŽ essentielle, se construit dans le temps. Le roman, à maints égards, est un art du temps, et assurŽment le personnage romanesque est un ŽlŽment essentiel de cette configuration tempo- relle : pris dans une Žvolution, il change, vieillit ; mme lorsque la diŽ- une seule journŽe : Ulysse, de Joyce ;

La Mort de Virgile, dÕHermann Broch ;

Histoire, de Claude SimonÉ), le travail

de la mŽmoire et, ˆ de moindres Žgards, la projection des personnages dans lÕavenir Žlargissent de faon considŽ- rable lÕempan temporel du roman. Aussi

DOSSIER

Le romancier et ses personnages (1)

Zéphora, détail de " Les deux filles

de JŽthro È de Botticelli.

Chapelle Sixtine, Rome.

l'identité du personnage ne saurait rŽsulter de son seul portrait. Comme lÕa lÕidentitŽ ne peut tre pensŽe seulement comme permanence dans le temps.

Mais il nÕest pas pour autant rŽductible

ˆ la Ç mmetŽ È (cÕest ce que signifie le latin idem) ; elle est aussi affaire dÕÇ ipsŽitŽ È (du latin ipse) qui met lÕac- cent sur le maintien de soi dans le temps. CÕest justement le propre de lÕidentitŽ narrative que de montrer la dialectique entre lÕidentitŽ comme mmetŽet lÕidentitŽ comme ipsŽitŽ; en le roman, est un laboratoire qui montre les variations de lÕidentitŽet s'emploie à non seulement comme un espace de reprŽsentation, mais surtout comme celui o ont lieu des expŽriences de pensŽe). Si le rŽcit le plus simple (le stable et identifiable par ses traits (mmetŽ), le roman classique (de La comment lÕidentification du mme devient problŽmatique : le personnage ne peut tre apprŽhendŽ quÕau terme dÕune dialectique qui croise le sujet comme idemet comme ipse(Žgal ˆ lui- mme dans le temps). Le propre du roman dÕapprentissage est justement de faire passer notre apprŽhension du per- sonnage de la mmetŽˆ lÕipsŽitŽ. CÕest

Lucien de RubemprŽ dans Illusions per-

dues. ÇLe rŽcit construit lÕidentitŽ du personnage, quÕon peut appeler son identitŽ narrative, en construisant celle de lÕhistoire racontŽe. CÕest lÕidentitŽ de lÕhistoire qui fait lÕidentitŽ du person-quotesdbs_dbs46.pdfusesText_46
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