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Lecture analytique
Emmanuel Carrère, L'Adversaire P.O.L. 1998 (2000)Des psychiatres ont été chargés de l'examiner. Ils ont été frappés par la précision de ses propos et son souci
constant de donner de lui-même une opinion favorable. Sans doute minimisait-il la difficulté de donner de soi une
opinion favorable quand on vient de massacrer sa famille après avoir dix-huit ans durant trompé et escroqué son
entourage. Sans doute aussi avait-il du mal à se détacher du personnage qu'il avait joué pendant toutes ces années,
5car il employait encore pour se concilier la sympathie les techniques qui avaient fait le succès du docteur Romand:
calme, pondération1, attention presque obséquieuse2 aux attentes de l'interlocuteur. Tant de contrôle témoignait
d'une grave confusion car le docteur Romand, dans son état normal, était assez intelligent pour comprendre que la
prostration3, l'incohérence ou des hurlements de bête blessée à mort auraient davantage plaidé en sa faveur, vu les
circonstances, que cette attitude mondaine. Croyant bien faire, il ne se rendait pas compte qu'il sidérait4 les
10psychiatres en leur fournissant de son imposture un récit parfaitement articulé, en évoquant sa femme et ses enfants
sans émotion particulière, comme un veuf bien élevé met un point d'honneur à ne pas laisser son deuil assombrir ses
commensaux5, en ne manifestant un peu de trouble, pour finir, qu'à propos des somnifères qu'on lui donnait et dont
il s'inquiétait de savoir s'ils ne risquaient pas de créer chez lui une accoutumance - souci que les psychiatres ont jugé
" déplacé ».15Au cours des entretiens suivants, ils l'ont vu sangloter et produire des signes emphatiques6 de souffrance
sans pouvoir dire s'il l'éprouvait vraiment ou non. Ils avaient l'impression troublante de se trouver devant un robot
privé de toute capacité de ressentir, mais programmé pour analyser des stimuli7 extérieurs et y ajuster ses réactions.
Habitué à fonctionner selon le programme " docteur Romand », il lui avait fallu un temps d'adaptation pour établir
un nouveau programme, " Romand l'assassin », et apprendre à le faire tourner.Extrait, © P.O.L.
1. Juste mesure. 2. Exagérément polie. 3. L'abattement extrême. 4. Stupéfiait. 5. Invités. 6. Très appuyés. 7. Signaux
déclenchant une réaction.Lecture cursive
Eclairages de Camus sur l'Étranger
Préface à l'édition américaine, 1955
J'ai résumé L'Etranger, il y a très longtemps, par une phrase dont je reconnais qu'elle est très paradoxale: " Dans
notre société, tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort. » Je voulais dire
seulement que le héros du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit, il
erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c'est pourquoi des lecteurs ont été tentés de le
considérer comme une épave. On aura cependant une idée plus exacte du personnage, plus conforme en tout cas aux
intentions de son auteur, si l'on se demande en quoi Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir.
Mentir, ce n'est pas seulement dire ce qui n'est pas. C'est aussi, c'est surtout dire plus que ce qui est et, en ce qui concerne le
coeur humain, dire plus qu'on ne sent. C'est ce que nous faisons tous, tous les jours, pour simplifier la vie. Meursault,
contrairement aux apparences, ne veut pas simplifier la vie. Il dit ce qu'il est, il refuse de masquer ses sentiments et aussitôt
la société se sent menacée. On lui demande par exemple de dire qu'il regrette son crime, selon la formule consacrée. Il
répond qu'il éprouve à cet égard plus d'ennui que de regret véritable. Et cette nuance le condamne.
Meursault pour moi n'est donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas
d'ombres. Loin qu'il soit privé de toute sensibilité, une passion profonde, parce que tenace, l'anime, la passion de l'absolu et
de la vérité. Il s'agit d'une vérité encore négative, la vérité d'être et de sentir, mais sans laquelle nulle conquête sur soi ne
sera jamais possible.On ne se tromperait donc pas beaucoup en lisant dans L'Etranger l'histoire d'un homme qui, sans aucune attitude
héroïque, accepte de mourir pour la vérité. Il m'est arrivé de dire aussi, et toujours paradoxalement, que j'avais essayé de
figurer dans mon personnage le seul christ que nous méritions. On comprendra après mes explications, que je l'aie dit sans
aucune intention de blasphème et seulement avec l'affection un peu ironique qu'un artiste a le droit d'éprouver à l'égard des
personnages de sa création.(Cité par Roger Grenier, Soleil et ombre, une biographie intellectuelle, Gallimard, 1987, Folio, 1991, p. 106-107)
The Cure, " Killing an arab », composée en 1975-76 et publiée dans un 45 tours en 1978
et dans l'album Three Imaginary Boys :Paroles initiales de la chanson
Standing on the beach
With a gun in my hand
Staring at the sea
Staring at the sand
Staring down the barrel
At the Arab on the ground
I can see his open mouth
But I hear no sound
I'm alive
I'm dead
I'm the stranger
Killing an Arab
I can turn
And walk away
Or I can fire the gun
Staring at the sky
Staring at the sun
Whichever I chose
It amounts to the same
Absolutely nothing
I'm alive
I'm dead
I'm the stranger
Killing an Arab
I feel the steel butt jump
Smooth in my hand
Staring at the sea
Staring at the sand
Staring at myself
Reflected in the eyes
Of the dead man on the beach
The dead man on the beach
I'm alive
I'm dead
I'm the stranger
Killing an Arab
Oh MeursaultTraduction de Olivier Moch sur son site Acta Diurna) :Debout sur la plage
Un pistolet à la main
Je fixe la mer
Je fixe le sable
Je fixe le canon
Sur l'Arabe à terre
Je vois sa bouche ouverte
Mais je n'entends aucun son
Je suis en vie
Je suis mort
Je suis l'étranger
Qui a tué un arabe
Je peux me retourner
Et m'en aller
Ou je peux tirer avec le pistolet
Je fixe le ciel
Je fixe le soleil
Quoi que je choisisse
Cela revient au même
Absolument rien
Je suis en vie
Je suis mort
Je suis l'étranger
Qui a tué un arabe
Je sens le sursaut de la crosse d'acier
Lisse dans ma main
Je fixe la mer
Je fixe le sable
Je me regarde fixement
Dans le reflet des yeux
De l'homme mort sur la plage
L'homme mort sur la plage
Je suis en vie
Je suis mort
Je suis l'étranger
Qui a tué un arabe
Oh, Meursault
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