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Expatriation et développement : linvestissement des universitaires

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Journal of African Transformation, Volume 1, No. 2, 2016, pp. 23-50

© CODESRIA & ECA 2016

(ISSN 2411-5002) Expatriation et développement : l"investissement des universitaires africains en poste en Amérique du Nord dans le renforcement des institutions de recherche scientifique en Afrique

Abdoulaye Gueye *

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Résumé

Le rapport de l"élite africaine expatriée avec son continent est une question qui intéresse de plus en plus les chercheurs. L'interrogation est légitime, ne serait-ce que pour deux raisons. D'une part, à la traîne des autres parties du monde en matière de développement économique et social, l'Afrique, encore largement dépendante de l'expertise intellectuelle étrangère, aurait beaucoup à gagner de l'implication de sa diaspora dans la dé?nition et la réalisation de ses projets. D'autre part, au regard d'initia- tives o?cielles récentes dont la conférence des intellectuels de la diaspora tenue à Dakar en 2004, sans parler de la prégnance, au sein de cette diaspora, de l'idée de servir l'Afrique, une telle ré?exion est opportune. Le souci premier de cet article est d'établir les preuves concrètes de l'inves- tissement des universitaires expatriés dans le fonctionnement du système académique africain. L'argument principal qui innerve tout l'article est le suivant : bien qu'il réponde à des considérations éthico-idéologiques, dont le patriotisme qui exige le service de l'Afrique, l'investissement des expatriés est aussi informé par les exigences et objectifs de carr ière au sein de l'Institution universitaire nord-américaine. Une analyse objective des relations entre expatriés et universitaires en poste sur le continent suppose donc une prise en compte de ces dernières. * Enseignant - Chercheur à l'Université de Ottawa. Email : Abdoulaye.Gueye@uottawa.ca

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Abstract

e relationship between Africa and its expatriate elite is an issue of increasing interest to researchers. ?eir interest is legitimate, if only for two reasons. First, lagging behind other parts of the world in economic and social development and still so heavily dependent on foreign intellectual expertise, Africa would greatly bene?t from the involvement of its own diaspora in identifying and carrying out its projects. Second, in the light of recent government initiatives such as the ?rst conference of African diasporan intellectuals, held in Dakar in 2004, and the growing receptiveness, among members of the diaspora, to the idea of serving Africa, deeper consideration of this matter is very timely. ?e ?rst concern of this article is to identify tangible evidence of investment by academic expatriates in the operation of the African university system. ?e main argument which informs the entire article is the following: although such investment may respond to the ethical and ideological considerations un- derpinning the patriotism that inspires service to Africa, investment by expa- triates is also motivated by the job requirements and career goals set by North American academic institutions. An objective analysis of the relations between expatriates and academics working within Africa therefore necessitates that due account is taken of these goals and requirements. Le présent article vise à établir les preuves de l'investissement de la diaspora universitaire africaine expatriée dans les universités d'Afrique pour ensuite en analyser les motivations. Sa raison d'être est tributaire d'une double dynamique sociopolitique: a) la persistance d'une idéologie de l'engagement comme devoir de l'élite intellectuelle expatriée au sein même de ce groupe; et b) l'expression relativement récente d'un besoin de la diaspora de la part des gouvernements africains. L'idéologie de l'engagement s'exprime depuis plus de 60 ans au sein de cette diaspora. Dès sa création en 1950, la Fédération des étudiants d'Afrique noire en France en faisait un mot d'ordre. Pour celle-ci, de leur lieu d'expatriation, la quête du bien-être de l'Afrique devrait constituer l'alpha et l'oméga des e?orts de ses membres (Gueye 2001). Cette position était traduite dans la décision de l'organisation d'adopter, en guise de logo, la sentence suivante du roi Ghezo reproduite à la une de tous les numéros de la revue L'Étudiant d'Afrique Noire qu'elle éditait: " Si tous les enfants du pays venaient par leurs mains boucher la calebasse percée, le pays serait sauvé ». Dans une démarche similaire, une génération plus jeune d'intellectuels africains, à l'origine de la revue Jonction/ Ex-Tribune Africaine à la ?n des années 1970, réitérait 25

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cet engagement pour elle-même. Plutôt que d"invoquer Ghezo, elle avait trouvé, par la voix d'un de ses membres, Hamidou Dia, dans une déclara- tion de Fanon la justi?cation de son engagement pour l'Afrique : " Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. » (Fanon 1961:155) À ces deux preuves d'engagement collectif s'ajoute l'expression, à partir des années 2000, d'un intérêt croissant des États africains pour leur diaspora. Celui-ci transparaît dans une série de décisions prises aux niv eaux les plus élevés de l'administration. L'Union Africaine promeut ainsi la diaspora, entendue comme espace géographique dans le texte d'adoption, au rang de

6ème région d'Afrique. En 2004, à l'initiative des chefs d'État de l'époque,

Wade du Sénégal et Obansanjo du Nigéria, se tient, du 6 au 9 octobre à Dakar, la conférence des intellectuels de la diaspora qui réunissait plus de cent invités en provenance des grands pays d'émigration volontaire ou forcée du monde occidental. À mesure que cette idée fasse l'adhésion, de plus en plus d'États africains, pour manifester qu'ils y adhèrent, ont créé un ministère de la diaspora africaine. À la suite de cette double dynamique se développe un e?ort intellectuel d'en rendre compte. E?ort que l'in?uence grandissante de la littérature sur la diaspora inspire à plusieurs égards. Jean-Baptiste Meyer et Mercy Brown (2000), Teferra (2003, 2004a, 2004b), Altbach et Teferra (2004) et Kaplan (2002) ?gurent parmi les chercheurs ayant entrepris à cet e?ort. On retient, d'abord, de leurs contributions une critique éclairée de la théorie classique de la fuite des cerveaux. À celle-ci, ils reprochent une lecture anachronique et simpli?ée de cette forme de migration comme étant un processus comparables au système de vases communicants où le gain de l'un est proportionnel à la perte de l'autre. S'appuyant sur le concept d'" option diaspora », ils concep- tualisent la migration comme étant une démarche ni linéaire ni vertical, mais plutôt circulaire. Selon leur conception, le pays de départ est tout à la fois pourvoyeur et béné?ciaire de ressources. La force de travail et la matière grise qu'il pourvoie à un pays autre lui reviennent sous forme d'expertise scienti?que, de ressources ?nancières, et d'équipements matériels. Sans minorer leur qualité, ces travaux sou?rent de quelques limites. La pre- mière est d'être impressionniste. En e?et, ils reposent sur une faible quantité de données dont la sélection ne semble reposer sur aucun critère spéci?que.

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Dans la plupart de ces travaux, les matériaux d"analyse consistent souvent en des anecdotes, trahissant ainsi une volonté de faire l'économie de la collecte de données. La seconde est le parti-pris qui consiste à uniformiser les actions et idées de cette diaspora. La troisième est de présenter l'Afrique comme creuset homogène et uniforme qui accueille les idées, les normes et les ressources des expatriés. L'Afrique n'y est ainsi pas un conglomérat d'acteurs ayant des intérêts, des visions et des connexions di?érents voire inégaux. Bien plus, les acteurs ne semblent exprimer aucune di?érence de statut, d'orientation idéologique, etc. En?n, un certain normativisme y prédomine. En e?et, il y est plus question de se demander " que faut-il faire ? » que de s'évertuer à montrer ce qu'il se passe. Peut-être les seules exceptions dans ce groupe sont l'ouvrage de Gueye (2001) et le rapport de Zeleza (2013) soumis à la Carnegie Corporation qui se soucient en priorité de ce que font ces intellectuels, plutôt que de ce qu'ils doivent faire. Au regard de ces limitations, une nouvelle étude sur la diaspora intellectuelle africaine s'impose. Celle-ci se souciera, en priorité, d'administrer les preuves d'un investissement de cette diaspora intellectuelle en Afrique, d'en tracer les circuits - en montrant de quels individus partent et auxquelles reviennent les ressources qui circulent - d'en caractériser les formes, de rendre raison de ses déterminants sociologiques, et en?n d'esquisser un cadre théorique ancré apte à rendre compte de la complexité de cette dynamique. Cette étude se focalise sur une fraction de la diaspora africaine : celle en poste dans les universités américaines et canadienne. L'approche est certes fragmentaire, mais elle repose sur un socle solide, la présence signi?cative d'universitaires en Amérique du Nord. En 2002, selon les données de Statistics Canada, 124 ressortissants de l'Afrique sub-saharienne était intégrés au corps professoral permanent des universités canadiennes. En 2008, précisément

297 universitaires africains, y compris des ressortissants de l'Afrique du Nord,

étaient en poste au Canada. Un rapport remis au Social Science Research Council (SSRC) établissait, quant à lui, que 35% des Africains ayant reçu leur doctorat d'une université américaine ou canadienne occupaient, par la suite, un poste universitaire dans ces pays (Pires, Kasimir, Brhane, 1999). En?n le rapport plus récent de Paul T. Zeleza (2013) estime entre 20.000 et

25.000 le nombre d'Africains membre du corps professoral des universités

et collèges américains. Par comparaison à la France et au Royaume Uni, ces chi?res sont indéniablement élevés. Les travaux de Gueye (2002 ; 2005) ont 27

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montré que les universités françaises n"enrôlent pas plus d"une cinquante d'Africains spécialistes des sciences humaines et sociales. Au vu de ces chi?res, force est de reconnaître que le contexte nord-américain se prête bien à une nouvelle étude sur les relations entre la diaspora universi- taire africaine et le continent. D'autres facteurs contribuent à la pertinence du choix de ce contexte. D'abord, les États-Unis et le Canada sont - en compagnie de la Grande Bretagne - les deux pays les plus signi?cativement représentés dans le top 50 des universités selon le Times High Education de

2013. Ce classement traduit un niveau de pouvoir d'in?uence ainsi qu'une

concentration des ressources ?nancières indéniables sur le plan universitaire mondial. Ensuite, hors d'Afrique, la position professionnelle et la visibilité dont jouit la diaspora africaine en poste en Amérique du Nord sont inégalées. Le nombre d'universitaires qui y béné?cient d'une chaire d'enseignement et de recherche est en croissance régulière, et inclut plusieurs chercheurs ayant mené une (grande) partie de leur carrière sur le continent avant d'avoir été recruté en Amérique du Nord. On peut ainsi faire l'hypothèse que si les avantages comparatifs que représentent cette visibilité et cette position de pouvoir ne favorisaient pas un investissement de la diaspora en Afrique, l'engagement des expatriés établis dans un pays o?rant le moi ns d'avantages serait alors invraisemblable. Des faits qui précèdent résultent ma question principale de recherche: quels facteurs sociologiques président à l'engagement de la diaspora universitaire africaine en faveur du système universitaire africain ? Deux arguments majeurs sont élaborés à la suite de cette question : L'exercice de la profession d'universitaire est au con?uent de l'individualisme et du collectivisme. L'individualisme ressortit en grande partie à l'institu- tionnalisation d'un mécanisme de compétition qui, au-delà de la phase de recrutement per se, impose une performance académique remarquable tant pour l'obtention de la permanence dans le poste obtenu (tenure) que pour l'accès à des privilèges et distinctions dont une chaire de recherche ou d'enseignement (endowed chair), des prix ou des subventions de recherche. Le collectivisme, quant à lui, résulte du fonctionnement contemporain de la profession universitaire. En e?et, à l'instar de la production industrielle, l'hyper spécialisation s'est aujourd'hui substituée à l'encyclopédisme des générations postérieures. Le temps court de la spécialisation professionnelle

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qui résulte d"enjeux de carrière s"est imposé sur le temps long de l"érudition. Preuve éclatante en est l'abolition en France du doctorat d'État au pro?t de l'universalisation du doctorat nouveau régime conçu sur le modèle du Ph.D. L'obtention du premier grade pouvait occuper un chercheur la moi- tié de ses années e?ectives de recherche universitaire et l'amener à explorer une diversité de disciplines, alors que le second objectif dure cinq ans en moyenne. Or les objectifs de recherche n'ont pas cessé d'être complexes, les terrains d'enquête non plus. En même temps, les enjeux de carrière rendent les chercheurs sensibles au chronomètre. D'où le besoin, de plus en plus réel, de travailler en équipe. D'où, aussi, l'indispensabilité de l'interdisciplinarité et parfois même de l'association avec un correspondant de recherche local qui devienne le double de l'universitaire ‘étranger' lequel, sous le poids de ses lourdes tâches d'administration et d'enseignement, sans mentionner la supervision d'étudiants, trouve rarement le temps de séjourner une dizaine de mois sans discontinuer dans sa société d'études, comme jadis ses aînés. Cette stratégie est dans une large mesure indiquée pour combler les carences de formation générées par les réformes universitaires successives. À l'instar de leurs collègues, les expatriés évoluent aussi et plani?ent leurs carrières professionnelles dans les limites de ces contraintes structurelles. Leurs rela- tions avec le système universitaire en Afrique, les formes et niveaux de leur implication dans le son fonctionnement doivent être analysées, cette réalité sociologique en tête. Car, à en croire Bourdieu, les acteurs sociaux évoluent en société mais encore plus dans un champ, soit un microcosme social donné, lequel sans constituer un isolat, fonctionnent tout de même sur la ba se de règles internes, donc de manière relativement autonome. Le deuxième argument, qui s'articule étroitement au précédent, est que l'échange des expatriés avec l'Afrique est à analyser en rapport avec le fonction- nement du champ professionnel dont ils participent. Les universitaires font partie intégrante d'un univers professionnel où le processus de socialisation implique des relations d'échange qui tantôt prend la forme d'un don forcé, d'un retour de don, d'une solidarité spontanée indemne de calculs a priori ; tantôt manifeste une inégalité entre les partis. Ces acteurs ne s'y conforment pas toujours par humanisme/philanthropisme, mais souvent parce que cet échange est nécessaire à la reproduction de la profession universitaire, parce qu'il en est même une règle de fonctionnement. L'universitaire contemporain consacre ainsi, en plus de ses obligations, un temps signi?catif à des tâches qu'il n'est pas tenu d'exécuter selon les clauses de son contrat : ainsi la rédaction 29

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de lettres de références qu"il tente de rendre le plus favorable possible pour des (anciens) étudiants ou collègues, l'évaluation rémunération d'articles, de manuscrits de livres soumis pour publication, de dossiers pour la titularisa- tion, de projets de recherche présentés en vue de l'obtention d'une bourse ou d'une subvention de recherche. Sans mentionner les préfaces et postfaces de livres. Autant d'actions oblatives qui légitiment et renforcent la compétition au sein de l'Institution universitaire et contribuent au renouvellement des connaissances scienti?ques. Le cadre théorique apte à intégrer les deux arguments en question procède d'un alliage des théories de l'échange développées dans les ouvrages de Godelier (1996), Weiner (1992), Mauss (1985 [rééd], et Lévi-Strauss (1949), d'une part, et de la théorie de l'embeddedness (incorporation), d'autre part. Je commencerai d'abord par dé?nir l'échange, sous l'inspiration de Lévi- Strauss (1949), comme la circulation de choses matérielles ou immatérielles d'un individu à un autre. L'échange n'exige pas nécessairement la réciprocité et revêt plusieurs formes. Comme l'indiquent Mauss et, plus tard, Gode- lier, il peut consister en un geste généreux, ou contraint, ou intéressé. Il est contraint parce que la reproduction du système d'organisation social dans lequel est intégré l'individu requiert à la fois rivalité et solidarité entre ses membres. La solidarité suppose que les plus nantis, les plus aisés cons entent quelques sacri?ces pour le bien-être collectif. L'échange se manifeste aussi comme un don intéressé, non pas nécessairement du fait que le donateur s'attende expressément du receveur à une rétribution égale ou supérieure en échange de ce qu'il o?re, mais du fait que l'organisation sociale elle-même invente des mécanismes de rétributions (parfois matérielles mais plus souvent symboliques) sociale de l'acte. Ainsi le statut extraordinaire que le donateur pourrait acquérir aux yeux de ses concitoyens à travers l'accès à un titre, un honneur, à une visibilité sociale supérieure à celle de la population moyenne. C'est, me semble-t-il, ce dont le livre de Lamont (2009) sur les jurys de bourses rend compte : sacri?ant leur propre travail en siégeant dans ces jurys qui leur coûtent des journées entières qu'ils auraient dû consacrer à leur propre acti- vité de recherche, ces universitaires y consentent volontiers pour des raisons variées : renforcer leur identité d'expert, ra?ermir leur autorité dans leur propre champ, par exemple. A supposer d'ailleurs qu'un mécanisme social de rétribution symbolique de leur e?ort ne vienne intervenir dans l'échange, le fait, comme le rappelle Bourdieu que " le don oblige [celui qui reçoit] », et que le donateur lui-même ait conscience de cette obligation, transfor me, en

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eet, son geste en quelque chose d"intéressé, si tant est que, par dénition, l'intérêt, surtout dans son acception économique, suppose toujours un e?et positif en retour. En plus de l'échange, la théorie de l'embeddedness constitue un élément d'importance pour comprendre l'engagement des universitaires africains dans le fonctionnement du système académique africain. Analysant le processus d'accès à un emploi, Granovetter (1973) montre que les relations interperson- nelles s'avèrent en fait beaucoup plus e?caces pour la réalisation de cet objectif que ne le sont les cadres formels et dépersonnalisés tels que les annonces publicitaires dans les colonnes des journaux. Sa théorie entend simplement souligner que les actions et les trajectoires des individus, mêmes celles d'ordre professionnel, s'inscrivent dans des relations sociales interpersonnelles, que celles-ci, à l'origine, se soient construites au sein ou en dehors d'institutions. Réinterprétant cette idée, j'a?rme que l'intervention des expatriés en Afrique ne se déploie pas strictement à partir d'une conception abstraite de l'Afrique, même si cette entité vaste, protéiforme et hétérogène apparaît, dans leur discours, comme l'objet et la béné?ciaire de leurs actions. En réalité, cette intervention béné?cie et s'adresse à des individus et des cercles bien précis, dont les trajectoires ont croisé celui de l'universitaire expatrié. Seulement par le fait d'une ?gure de discours et d'une synecdoque, ces individus ou cercles deviennent l'Afrique.

Méthodologie

Les résultats de cette étude proviennent de l"analyse d"une partie des données d'une enquête e?ectuée de 2012 à 2015 au Canada et aux É tats Unis, d'une part, et en Afrique, précisément au Ghana, au Nigeria, en Afrique du Sud et au Niger, d'autre part. Mais seules les données recueillies en Afrique ont été retenue. La contrainte de temps en est une des raisons. Mais la plus importante est d'ordre méthodologique : réduire au maximum le risque d'être mysti?é tant par ma propre expérience, en tant qu'universitaire sénégalais expatrié, que par mes propres collègues expatriés. Compte tenu de la valeur positive associée à l'engagement pour l'Afrique, il n'est pas exclu que les universitaires expatriés se prévalent d'une générosité en réalité ?ctive. L'entretien avec leurs collègues basés en Afrique permet de prendre la mesure de la factualité de leurs échanges. Il augmente, en outre, les opportunités de découvrir des dimensions de ces échanges qui ne sont pas toujours aisées à dé terminer à 31

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partir des discours des expatriés. Par exemple, sachant, en tant qu"individu à la situation jugée enviable, que leurs échanges avec des homologues perçus

moins privilégiés sont censés s'e?ectuer de façon gratuite et désintéressée, les

expatriés pourraient taire le gain qu'ils en retirent. Au total, 102 questionnaires ont dûment été remplis par des chercheurs formés dans l'une des disciplines des sciences sociales ou des humanités. Il s'en est suivi 32 entretiens ouverts. En plus des entretiens leurs CV ont été dépouillés. Ce document a été ajouté à la banque de données car il consigne des données aptes à éclairer la nature de la relation des universitaires de la diaspora avec l'Université africaine. Esquisse d"idéaux types d"engagement transcontinental Les initiatives des expatriés en direction de l"Université africaine épouse une diversité de formes qu'il serait fastidieux de présenter exhaustivement. Par conséquent, c'est plutôt la présentation d'idéaux types qui est ici proposée. Telles qu'elles sont apparues, les formes de ces échanges se répartissent essen- tiellement en cinq types nullement homogènes. Le premier, non dans l'ordre d'importance, est désigné par "partenariat symé- trique». Il incorpore une variété d'initiatives qui incluent la co-production de travaux universitaires dont les articles et livres ainsi que la rédaction de projets de recherche. Dans un partenariat symétrique, l'expatrié comme son collègue en poste en Afrique jugent avoir contribué également à la création de ce produit, et s'en attribuent mutuellement l'autorité. Le concept de " partenaire symétrique » est donc utilisé pour décrire ces échanges parce qu'il suggère intrinsèquement une égalité de contribution, donc une absence de hiérarchie entre les deux partis dans le strict cadre de cette collaboration. Le deuxième type est caractérisé d'" assistance promotionnelle ». Elle englobe une série d'échanges dont l'objectif explicite est de contribuer à la réussite de la carrière d'un collègue. Dans le cadre de cette relation, les ressources qui circulent le sont essentiellement à sens unique et sont considérés aussi bien par ‘le receveur' que ‘l'expéditeur' comme susceptibles d'accélérer la carrière professionnelle du dernier, tandis que son impact sur celle du donateur est di?cilement attesté, sinon très marginal. Se trouvent classées dans ce type des actions et initiatives allant de la rédaction de lettres de référence en faveur d'un

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collègue pour l"obtention d"une bourse de recherche, la lecture critique à titre amical (‘friendly reading') d'articles, de manuscrits, de projets de recherche, l'attribution d'un ?nancement de recherche, à la facilitation d'un séjour de recherche académique à l'étranger. Le troisième type d'échanges est désigné " concours logistique » à défaut d'une terminologie plus esthétique et précise. Suivant l'approche Weberienne (2003 [rééd]), jusqu'ici adoptée, qui place les points de vue des acteurs sociaux au centre de l'analyse sociologique, cette terminologie conceptuelle est préférée pour souligner que les ressources échangées sont préalablement conçues pour répondre notamment à une dé?cience ou une insu?sance de ressources logistiques. Les acteurs en relation s'accordent tacitement à penser qu'elles constituent des outils ; leur acquisition précède théoriquement l'éclosion de leur plan de carrière. C'est en cela qu'elles se distinguent, en partie, des échanges qui relèvent du type précédent, lesquels sont précédés par la mise en acte de ce plan. Dans ce type sont classés les logiciels informatiques, les ordinateurs, les ouvrages et même les montants d'argent qui, plus rarement que les autres ressources, circulent de la diaspora à l'Afrique. La " co-formation» dé?nit le quatrième type. Elle renvoie à un ensemble d'actions plus ou moins formalisées par une procédure administrative desti- nées à prendre part, aux côtés des collègues d'Afrique, à l'e?ort de formation des étudiants inscrits dans les universités du continent. Parmi ces actions, l'évaluation de projets de recherche, de programme d'enseignement et de recherche, la co-supervision de thèses, et l'animation de séminaires ou cours dans les universités du continent. Ce qui distingue principalement ce type d'échanges des précédents est que ses béné?ciaires ne sont pas les interlo- cuteurs directs des expatriés, mais constituent de simples médiateurs entre ceux-ci et l'institution universitaire. Ainsi, un des répondants à cette enquête, politologue de formation et directeur d'un centre de recherche à l'université du Ghana, Legon, confessait: À la vérité, c'est l'université qui tire plus d'avantages de mon amitié avec [PP] que j'en tire moi-même. Moi, à chaque fois que je le sollicite, c'est à la de- mande de l'institution, pour qu'il nous aide à régler un problème... parfois dans mon département parfois dans une autre unité. Tantôt, c'est pour évaluer une thèse de doctorat, tantôt c'est pour qu'il anime un atelier de recherche méthodologique pendant qu'il est en vacances au pays. 33

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Le cinquième type est caractérisé de " philanthropie conditionnelle ». L"éla- boration de ce concept s'inspire de l'expression " communistes libéraux » promue dans le discours académique par le philosophe Zizek dans son analyse de la posture d'acteurs majeurs de la globalisation actuelle dont Bill Gates et George Sorros. L'expression est judicieuse pour l'oxymoron qu'elle constitue. Elle met en exergue un double processus : venir en aide à une per- sonne tout en exigeant d'elle une contrepartie symbolique, ce dont Godelier o?re un excellent exemple dans L'énigme du don. Il s'agit de l'action des associations caritatives qui viennent au secours des ‘sans emplois' et ‘sans domiciles ?xes' en exigeant cependant d'eux qu'ils manifestent la volonté d'une insertion dans le tissu économique, cela en vendant, par exemple, des journaux qu'ils auront contribué à produire, à des passants qui, eux-mêmes, les ‘achèteraient' volontiers sans peut-être jamais les lire, mais se refuseraient à faire don par pure charité d'une pièce de monnaie à ces vendeurs. L'on pourrait se méprendre sur cette action en l'assimilant à celle qui, dans le système marchand, lie employeur et employé ou client et vendeur. En vérité, les associations caritatives et les acheteurs des journaux ne retirent presque aucun gain individuel de leur investissement dans cette relation ; du reste tel n'est pas intentionnellement leur objectif. Dans le cadre strict des relations entre la diaspora universitaire et l'Afrique ?gure une forme rare d'échange qui tombe dans ce cinquième type. Il s'agit d'attribuer un salaire ou honoraire à un chercheur basé en Afrique en l'inté- grant à un projet de recherche qui a obtenu une subvention tout en sachant que son inclusion à ce projet n'est pas indispensable. En fait le chercheur expatrié, concepteur originel du projet, entend expressément soutenir la volonté de son collègue d'Afrique d'exceller à partir de son propre milieu. Alors, tout au plus lui demande-t-il de justi?er o?ciellement la p ertinence de son inclusion dans le projet. Justi?cation qui peut consister, comme dans un cas porté à ma connaissance lors de mon enquête au Niger, à partager des notes de lecture personnelles dont la valeur marchande est extrêmement faible, comparativement au salaire perçu: Oui, toute la bénédiction revient à Dieu, entame cet anthropologue nigérien qui rapporte son expérience. Mais après Lui, je remercie le professeur [BJ]. Il me donne régulièrement le goût de continuer. Je lis des livres, j'arrive à collec- ter des données de terrain dans l'arrière-pays grâce à lui. Il me paie et n'exige [que] très, très peu de moi. Quand il arrive au pays pour ses recherches, je l'accompagne en voiture sur son terrain, et je retourne le chercher quand il

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a décidé de revenir à Niamey. Ce que j"aurais fait d"ailleurs, même s"il ne me le demandait. Des fois, je partage avec lui des notes de lecture d'articles ou d'ouvrages publiés ici chez nous, quand j'estime que cela pourrait l'intéresser. Aussi bien dans l'exemple des sans-emplois de Godelier que dans l'échange ainsi rapporté, la dimension marchande de la relation est insigni?ante (1996). Elle est neutralisée par l'intention et la conviction individuelles du donateur que : a) d'autres options plus optimales, où le service reçu serait proportion- nel au montant d'argent o?ert, étaient disponibles (ainsi l'option d'envoyer un assistant de recherche qu'il recruterait dans sa propre université) et, b) la ?nalité première de son action est surtout d'entretenir, par la motivation ?nancière, son engagement en faveur de la recherche en Afrique. Le sixième type est désigné " altruisme de civilité ». Il s'agit d'une généro- sité qui ne soit attachée à aucune condition, ni contrepartie, et se déploie de manière informelle. O?rir à un collègue des conseils pratiques sur le fonctionnement du système universitaire occidental, sur les stratégies d'orga- nisation du temps académique pour assurer un meilleur équilibre entre la préparation de l'enseignement, la réalisation des tâches administratives et le développement d'un calendrier de recherche personnel ; ou le diriger vers les sources d'informations les plus susceptibles de lui être utiles en sont quelques exemples. Se prononçant sur les conditions de son premier séjour de recherche en Allemagne grâce à une bourse Humboldt, un historien en poste au Nigéria se remémore la rencontre l'ayant conduit à cette réalisation majeure : Un hasard... un pur hasard. J'étais à la conférence des africanistes à Boston, mon premier séjour aux États-Unis. J'attendais dans le grand hall, je tournais juste en rond. Je vois passer quelqu'un, il m'avait semblé que je le connaissais. C'est un ancien du département d'histoire d'Ibadan, il est parti il y a plusieurs années faire son Ph. D. aux Etats-Unis. Ah ! On était tous les deux heureux de se retrouver comme ça. On a pris un verre. Une heure plus tard, il me dit qu'il doit aller à la réception que [FT], un grand professeur, très connu là-bas aux États-Unis, donnait dans sa chambre d'hôtel. Il me demande si je fais quelque chose. Je n'avais rien prévu, alors.... C'était que des Nigérians dans la chambre. Wow ! C'était un choc de voir autant de professeurs nigérians dans une chambre en Amérique. Il n'y avait pas que des profs, c'est vrai ; tout le monde n'était pas nigérian, c'est vrai. Il y avait aussi des Africains d'autres nationalités... Un moment je me mets à parler avec quelqu'un. C'est un Ca- merounais, il enseigne là-bas. C'est lui qui m'a parlé d'ailleurs au départ, il m'a dit: " J'ai entendu ton papier. C'est intéressant et original ». Il m'encourage àquotesdbs_dbs46.pdfusesText_46
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