[PDF] Lécrivain et ses demeures Rapport final





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L'écrivain et ses demeuresRapport final

Février 2003

SommaireIntroduction

Première partie : L'écriture et son lieuAnna Iuso, Gabriele D'Annunzio et le théâtre de l'écritureDaniel Fabre, L'écrivain et son lieu. La chambre de Joë BousquetDeuxième partie : Sanctuaires, cultes et pèlerinagesMarie-Géraldine Canou, Shakespeare,le vrai et le fauxMichel Pluche, La fauteuil rêvé de MolièreReka Albert, Le corps de Sandor Petofi

Régis Bertrand, En Provence : ce qui demeure des écrivainsTroisième partie : La transfiguration littéraireMarie-Géraldine Canou, Le presbytère des ombresSandro Scarrocchia, Recanati analoga. Sui valori letterari e ambientali della città di LeopardiJean-Marie Privat, Au pays de Madame Bovary

Francesca Uccella, Carlo Levi ad Aliano: la casa, il museo e il parco letterario

IntroductionMaisons d'écrivains, musées littéraires et lieux d'écriture en Europe.Genèses et significations d'une passion"Reçu une carte de Thomas Hardington. Il visite cet été lesdemeures d'écrivains et s'étonne du culte que rendent lesFrançais aux encriers de Balzac, aux perroquets de

Flaubert

et aux fauteuils où l'Ecrivain a posé ses fesses. Tout celas'accommodant fort bien du fétichisme du texte. On

déplore, dit Thomas, que Céline n'ait pas son musée, Proust ayant le sien. On vend à Illiers des madeleines et des montres kitsch comme sic'était Combray, sans s'apercevoir qu'on va ainsi contre la théorie des "deux moi" énoncée à satiété par Proust. Ou bien au contraire on s'en aperçoit ? On finirait par vendre à la gloire de

Stéphane

des rocking-chairs miniatures en bois d'allumettes et des plaids

à carreaux portant la griffe d'Hermès."

Daniel Oster, La Gloire, P.O.L., 1997, p. 12-13.

Un engouement, nouveau par son ampleur et la rapidité de sa diffusion, se développe en

France depuis la fin des années 1980, il propose un nouvel objet à la passion patrimoniale : les

Maisons d'écrivains1 et les lieux d'écriture. Certes cet intérêt ne vient pas de naître mais il est en

train de connaître une mutation quantitative qui en fait un problème central et complexe. Les indices

de son surgissement sont multiples : les projets de musées littéraires se multiplient, les guides et

itinéraires suivent le même rythme, des échos ou même des chroniques régulières sont consacrées

dans la presse à ce type d'initiative2, les Journées du patrimoine de septembre 1996 ont adopté et

consacré ce thème3, l'Ecole du Patrimoine a accueilli, en avril 1997, un stage sur la question, deux

rapports sur le sujet ont été remis au Ministre de la Culture en 1990 et 19964, enfin les responsables

de ces lieux commencent à se rencontrer régulièrement et ont entrepris de se lier en association et

fédération capables de faire pression sur les pouvoirs publics5 ... Le phénomène sollicite donc, en soi, l'attention des sciences sociales d'autant que l'objet

"Maison d'écrivain" opère comme révélateur de tensions assez bien identifiables.1 La majuscule (Maisons d'écrivain) sera utilisée pour désigner l'institution et ses réalisations particulières. 2 J. Bloch-Dano tient une chronique mensuelle dans le Magazine littéraire depuis février 1996.3 Le Monde, supplément au n°du 13 sept. 1996, "Un guide des lieux d'écriture".4 Laurence Renouf et Maurice Culot 1990 ; Michel Melot 1996.5 Il existe à ce jour (février 1997) deux projets concurrents : une "Fédération nationale des maisons d'écrivains et

des patrimoines littéraires" constituée à l'issue des rencontres de Bourges de décembre 1996 et une "Association

Française des Maisons d'écrivains", sise à Chatenay-Malabry. Chaque groupement comprend une quinzaine de

membres fondateurs. La première concerne le statut de ces "Maisons littéraires". Comme le remarque Georges

Poisson, un des militants les plus en vue de cette cause, "sur 109 maisons françaises d'écrivains

ouvertes à la visite, 9 d'entre elles appartiennent à l'Etat, 50 à des collectivités locales, 11 sont la

propriété d'associations ou de fondations et 39 sont restées privées"6.

A cette diversité du statut juridique s'ajoute la quasi impossibilité de situer ces lieux dans les

catégories du patrimoine administré. Relèvent-ils du musée, de la bibliothèque, du dépôt d'archives,

de l'association d'action culturelle ou de l'amicale du souvenir ? En fait ils sont tout cela, plus ou

moins et en même temps. Ils attirent aussi bien des lecteurs spécialisés qu'un public de masse qui

vient "voir", ils accueillent à la fois la dévotion privée et l'éducation populaire, ils offrent la richesse

informative du document et l'émotion mal définissable que suscite le monument.Ajoutons que tous les auteurs célébrés ne sont pas de même rang, loin s'en faut, et que les

éléments matériels qui permettent d'accrocher la mémoire collective sont de nature, de valeur et de

dimension très variables. Par exemple le support habité du souvenir est, forcément, des plus

disparates : chaumière, appartement, château, village ou bourg entiers ou encore paysage et pays. Ici

ce sera la maison que l'écrivain lui-même a conçu comme cadre de son écriture, ailleurs un lieu

natal dont l'identification est très douteuse. Ici le décor aura presque intact traversé le temps, ailleurs

tout ce qui est donné à voir est le fruit d'une reconstitution tantôt scrupuleuse, tantôt fantaisiste.Dans l'état actuel des choses, la "maison d'écrivain" apparaît donc comme le plus chaotique

des patrimoines en attente de reconnaissance : elle n'est pas née d'une initiative d'Etat, elle échappe

encore à tout encadrement réglementaire, elle ne met pas en oeuvre, dans sa structure, sa

présentation et ses activités, un ou des modèles dominants, elle n'intéresse pas un seul métier du

patrimoine qui pourrait en unifier la forme et le fonctionnement... Aussi est-ce à son propos que

s'expriment aujourd'hui, comme en liberté, les discours qui traversent toute l'institution patrimoniale

; l'intérêt étant qu'ils sont tous pris à revers. Par exemple la notion de représentativité n'a guère de

sens dans un régime de valeurs fondés sur la singularité insubstituable7. La notion d'authenticité se

révèle tout aussi fragile puisque c'est l'efficacité évocatoire qui est gage de succès, or, dans ce

domaine, la fiction vaut largement le réel, surtout si elle se donne pour vraie. Quant aux critères

utilitaristes qui recensent la demande sociale, le soutien des collectivités et la fréquentation du

public, ils ont du mal à s'appliquer uniformément à des situations aussi différentes que mouvantes.Ces constats ont fait naître de profondes perplexités du côté de l'Etat et des collectivités qui

se trouvent aujourd'hui sollicités de façon pressante dès qu'un nouveau lieu de mémoire est en quête

de légitimité. Même si elles doivent tenir compte de logiques politico-administratives largement

autonomes, les recommandations exprimées par les récents rapports au Ministre de la Culture

s'appuient sur une bonne connaissance du terrain. Par ailleurs l'incessant travail d'inventaire, fût-il

conduit à des fins apologétiques ou touristiques, laisse entrevoir un luxuriant état des lieux dont

l'effervescence associative actuelle souligne les traits saillants. Que retenir aujourd'hui de ces approches et de nos visites de terrain8. Une première évidence s'impose : les promoteurs, gestionnaires et conservateurs des

Maisons d'écrivains sont tous plus ou moins porteurs d'un récit qui articule, de fait, trois mémoires

successives : celle de la relation entre le lieu et l'existence de l'écrivain, celle de la destinée

posthume de cet endroit (souvent oublié et méconnu), celle de sa redécouverte - le terme

"invention" au sens des archéologues serait ici plus juste -, de sa restauration et de son ouverture,

plus ou moins généreuse, au public. Une variante, très minoritaire, de ce récit de fondation met en

scène l'écrivain comme acteur patrimonial : c'est parfois lui qui décide de léguer au public un lieu

de vie. Ce récit ternaire s'énonce à la façon d'un mythe, il propose une sorte de vérité

6 Poisson, 1997, p.104.7 Ce régime de la singularité, problématique dans toute approche d'activités créatrices, est bien cerné dans les

travaux de Nathalie Heinich (1991 ; 1994). Il nécessite un réglage particulier des instruments classiques de la

sociologie et de l'anthropologie.8 Celles-ci ont profité du dépouillement de la littérature récente des Maisons situées en France, de la visite des

Maisons parisiennes ( J. Andlauer, C. Fabre ; D. Fabre ; A. Iuso), italiennes - Rome, Vérone, Naples - ( D. Fabre

; A. Iuso), de la proximité entretenue par D. Fabre, depuis 1988, avec le projet de Maison Joë Bousquet, à

Carcassonne, des premières enquêtes faites par Géraldine Cannou dans plusieurs Maisons anglaises .

inquestionnable qui accompagne et renforce l'évidence du haut lieu devenu monument. Les guides

et répertoires, en regroupant localisations et narrations rapportées à chaque nom propre, enregistrent

la vulgate et se posent aujourd'hui comme les relais indispensable d'une consécration.Le volet complémentaire de ce premier discours porte sur le public des visiteurs, et ici

s'introduit une certaine ambiguïté. Ce public est estimé nécessaire puisqu'il justifie la

reconnaissance du lieu mais il est pour partie dévalorisé - à cause de ses attitudes qui dénoterait un

fétichisme superficiel étranger à la lecture de l'oeuvre - et pour partie redouté à cause de ses

curiosités jugées excessives et intempestives. Les gestionnaires des maisons les plus vivantes (et les

mieux dotées) visent donc à transformer celles-ci en bibliothèques, centres de documentation, lieux

de recherche et de manifestations culturelles, ce qui est une façon de les ancrer dans des cadres

familiers, de les apprivoiser institutionnellement, tout en déniant la part obscure de la passion qui

pourtant les anime. Le lien entre ces lieux et la recherche sur l'oeuvre n'ayant, c'est sûr, rien de

nécessaire, en général et pour la majorité des visiteurs.Sur ce double discours se sont récemment greffées des études qui, tout en conduisant de

précieuses monographies du phénomène, tendent simplement à l'identifier comme un symptôme

parmi d'autres de l'élargissement des emprises et des entreprises patrimoniales. Alors l'action

immédiate impose ses demandes urgentes. Parmi les thèmes soulevés on peut retenir, à titre

d'exemple, la question de la muséographie de la littérature (Amouroux 1994), celle de la sociabilité

induite par ces lieux de mémoire ou encore celle de l'essor d'un tourisme dit culturel (Hartwig

1995).

En fait, la plupart des études récentes ou en cours semblent admettre comme un acquis la

relation essentielle entre des lieux, des vies et des oeuvres d'écriture. Or n'est-ce pas ce noeud qu'il

faudrait d'abord défaire pour le mieux comprendre ? Là se tient sans doute la racine de cette passion

qui, aujourd'hui, en grandissant se démocratise. L'approche anthropologique ne peut pas se limiter

au relevé des récits fondateurs et à la description des acteurs et de leurs pratiques, elle ne peut

davantage se réfugier dans la dénonciation du fétichisme dévoyé et honteux de lui-même qui

s'exprimerait dans ce culte des lieux liés à l'écriture. Pour un ethnologue, quand une population

décrète qu'elle habite le centre du monde il n'est pas très éclairant de démontrer qu'il n'en est pas

ainsi, en revanche il est intéressant d'analyser dans quel ensemble cette croyance fait sens et quel est

le système des façons de faire qu'elle fonde. Le "point de vue indigène", celui des "prêtres", des

"dévots" et de leurs "idoles" mérite donc d'être pris au mot et au geste afin d'en tenter la patiente

reconstruction interne. Telle est l'intention de ce projet. Peut-être ajoutera-t-il encore à la perplexité

des actuels décideurs mais il aura atteint son but s'il contribue à jeter sur les raisons de leur trouble

un peu de lumière.Notre travail collectif s'articule en trois grands points qui explorent les trois axes dont le

croisement produit le phénomène des Maisons d'écrivains :* Le premier interroge la genèse et les évolutions du rapport entre le lieu et l'acte d'écriture du point

de vue de l'écrivain et de l'institution littéraire. L'auteur est donc aussi "auteur" de la maison où il

écrit et son geste est lié à une figure de l'écrivain et à une théorie de l'écriture. * Le second analyse l'extension et les formes changeantes de la redéfinition littéraire du lieu et de

l'espace en général. Dans ce cadre on peut considérer l'"invention" relativement récente des Maisons

d'écrivains comme une des inscriptions concrètes de la littérature dans le réel spatial et social. * Mais ce phénomène est loin d'être homogène, il se trouve renforcé par des valorisations

historiques et nationales des écrivains, de la littérature et de ses lieux. Le troisième axe de notre

enquête explore et analyse ces spécificités en illustrant l'apport de la comparaison, en Europe

d'abord.

I. Des lieux pour écrire ou l'intérieur d'écrivainQuand j'étais tout enfant, le sort d'aucun personnage de l'histoire sainte ne me semblait aussi misérable que celui de Noé, à cause du déluge qui le tint enfermé dans l'arche pendant quarante jours. Plus tard,je fus souvent malade, et pendant de longs jours je dus rester aussi dans l' "arche". Je compris alors que jamais Noé ne put si bien voir le monde que de l'arche, malgréqu'elle fût close et qu'il fit nuit sur la terre.Marcel Proust, Les plaisirs et les jours.

Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle nous savons très peu de choses sur les conditions matérielles

de rédaction des textes littéraires et moins encore sur l'émergence et le déroulement, chez un auteur,

de l'acte d'écriture. Le "travail" tout comme l'"inspiration" sont des expériences évoquées mais

jamais explicitées. De plus, entre l'apparition de l'imprimerie et la Révolution française, le

manuscrit littéraire n'est pas particulièrement valorisé, les écrivains ne se soucient guère des états

successifs de leur texte et négligent, le plus souvent, leurs propres archives, la conservation

systématique et le marché des autographes n'existent pas. A notre avis ces phénomènes ne se

comprennent que lorsqu' ils sont mis en relation : à de très rares exceptions près, pendant des

siècles, l'acte d'écriture n'a pas, en tant que tel et dans sa singularité d'évènement, fait l'objet d'une

réflexion de la part de ceux-là même qui le pratiquaient. Cette absence va avec le silence qui

entoure l'existence quotidienne de l'écrivain. La mise en oeuvre de sa fonction alimente très peu de

textes et nous connaissons mal les lieux, les occasions et les formes de son exercice privé.Ce n'est pas l'éloignement temporel qui explique ce grand vide. Il faut plutôt admettre qu'à

partir d'une certaine époque la littérature se prend elle-même pour objet en englobant jusqu'aux

circonstances concrètes de son écriture. Paul Bénichou, en 1973, dans un livre qui n'a pas eu le

retentissement qu'il méritait, a parfaitement identifié la période (1750-1830) au cours de laquelle se

met en place ce qu'il appelle le "sacre de l'écrivain" c'est-à-dire l'émergence d'un "pouvoir spirituel

laïque" qui va prendre, au cours du demi-siècle, des visages fort divers : entre philosophie,

prophétisme et poésie. Exprimée dans le discours conscient que les écrivains tiennent sur leur rôle

social (tel est l'objet du livre de P. Bénichou), cette mutation est aussi liée à la transformation de

leur condition économique et à l'émergence d'un espace social complexe, et pour partie autonome,

que Pierre Bourdieu dénomme "champ littéraire". Mais il existe un troisième ensemble qui participe

de la transformation de l'état d'écrivain, il regroupe tout ce qui désormais caractérise l'écriture

créatrice et les conditions de son apparition. On a parfois tendance à placer dans une sorte de fourre-tout ces façons de faire qui sont

aussi des façons d'être, l'hypothèse a été développée ailleurs d'une relation systématique entre les

divers éléments de la nouvelle expérience d'écrire9. Des auteurs aussi différents que Chateaubriand,

Balzac, Baudelaire, Hugo ou Proust ont, en effet, défini dans des termes très proches en quoi

consistait, pour eux, celle-ci. Le "réseau des expériences de l'écriture inspirée", est représenté dans

le schéma ci-contre. Contentons-nous de souligner ici ce qui concerne le lieu d'écriture. Son importance s'affirme d'abord dans la relation avec le corps de l'écrivain qui, à partir de

Voltaire, devient un "corps pathétique", affligé des désordres que déclenche et nécessite le travail

créateur de l'esprit. A cet intérieur physique en crise répond un intérieur domestique protecteur,

fonctionnant exactement comme un exo-squelette. L'écrivain, à partir de Chateaubriand, en devient

9 C'est le thème général du séminaire de Daniel Fabre (EHESS, Toulouse) depuis mars 1996, voir Annuaire de

l'EHESS, compte-rendus des cours et conférences. Nous résumons ce qui touche à la question des espaces de

l'écriture.

l'architecte et le décorateur. Outre ses vertus protectrices, cette "tour d'ivoire" - expression de

Sainte-Beuve que Flaubert reprendra à son compte - contient tous les objets susceptibles d'exciter

l'émotion, la mémoire et l'imagination10. Pour peupler leur maison, leur cabinet de travail et leur

chambre les écrivains des années 1830 lancent le goût durable du bric à brac, de la brocante et de la

collection personnelle11. Il font aussi d'un objet vivant, le chat, le génie tutélaire de la maison où l'on

écrit. Chez eux nous trouvons pour la première fois exprimés tous les rapports entre l'acte d'écrire,

les choses qui l'environnent, l'accompagnent et le suscitent, l'espace et le temps où il advient.La "philosophie de l'ameublement" (E. Poë) devient partie intégrante de la condition

littéraire et ce n'est point un hasard si les Maisons d'écrivains les plus "authentiques", en ce sens que

leur architecture et leur décoration sont l'oeuvre des auteurs qui les ont habitées, datent toutes des

deux derniers siècles. En effet, à partir de 1807, date où Chateaubriand se rend acquéreur de la

Vallée-aux-Loups (Chatenay-Malabry, Hauts-de-Seine), l'écriture créatrice est forcément assignée à

un lieu. D'ailleurs tout un courant de la critique - de Sainte-Beuve à Taine -, en valorisant les

incidents de la biographie et du contexte social dans la compréhension de l'oeuvre, fera toute sa part

à cette condition "spatiale" de l'écriture. Proust, dans son Contre Sainte-Beuve, portera de rudes

coups à ce déterminisme tout en illustrant intensément l'importance du "sentiment géographique"

(M. Chaillou) dans la genèse de sa Recherche et dans le lieu et le moment de sa rédaction. L'intérêt

pour les Maisons d'écrivains traduit, par conséquent, ce qui est devenu un "lieu commun" de la

création littéraire, lieu commun assumé par les écrivains eux-mêmes dans la période initiale et

axiale du "sacre de l'écrivain". Reste à montrer, mais c'est une autre histoire, comment cette

insistance sur l'espace de l'écriture créatrice s'articule à une théorie nouvelle visant à rendre compte

de l'expérience de son avènement dans une conscience singulière.Jusqu'à présent nous avons opposé deux périodes : au cours de la première - qui a duré des

siècles - le contexte étroit de l'écriture ne retient pas l'attention de l'écrivain et de ses lecteurs, au

cours de la seconde il occupe une place centrale, en liaison avec d'autres métamorphoses de la

condition et de l'institution littéraires. Il faut cependant nuancer ce dernier constat. En fait le "sacre

de l'écrivain" n'induit pas immédiatement une focalisation sur la maison, le cabinet de travail, la

chambre et le jardin. Les grands écrivains du XVIIIe siècle valorisent plutôt le salon et le souper

comme espace idéal d'apparition de l'homme de lettres même si leurs admirateurs, en participant au

rite nouveau de la visite privée, commencent à décrire les intérieurs de leurs maîtres d'existence

(O.Nora 1986). Par la suite, le triomphe de la "philosophie de l'ameublement", qui accompagne,

récupère et justifie des traits communs aux intérieurs bourgeois du XIXe siècle12, ne reste pas

longtemps sans nuances et oppositions. Des auteurs comme Nerval et surtout Rimbaud ont le souci

de "délocaliser" méthodiquement leur écriture, de s'arracher, par conséquent, au lieu commun de la

condition littéraire13. Cette prise de distance a, au siècle suivant, des aspects paradoxaux. Ainsi

André Gide, qui fut un attentif concepteur de lieux, n'écrivait-il que dans les endroits qui n'étaient

pas faits pour écrire, fuyant les décors qu'il avait lui-même mis au point - villa Montmorency puis,

après 1928, rue Vaneau - selon le modèle précédent14. Cette dénégation prend des formes extrêmes

10 La meilleure monographie des intérieurs d'écrivains français est celle de Giuseppe Scaraffia 1994, pour la fin

du XIXe siècle voir aussi Séverine Jouve 1996.11 Que les écrivains, Balzac en tête, ait inventé le goût de la brocante est un fait vaguement connu et mal

compris. Les formes et les fonctions nouvelles de la collection privée restent à étudier, elle se distingue de la

mise à disposition des trésors personnels dans les musées de l'âge démocratique (Pomian 1977). On sait combien

les écrivains - de Balzac aux surréalistes en passant par Flaubert et Huysmans - ont médité sur la collection, ses

vertus et sa pathologie. Voir, pour les premiers cités, Biasi 1980 et Shuerewegen 1987. Le rôle tout à fait

nouveau des objets désuets, "à fonctionnement symbolique", dans la littérature est le thème du grand livre de

Francesco Orlando 1993, reste à mettre cette apparition en relation avec les marques du sacre de l'écrivain dans

le cadre de vie quotidien. De fines remarques à propos des objets dans les intérieurs d'Henry James ouvrent

l'essai anthropologique de Marie Douglas et Baron Isherwood 1979, voir aussi le suggestif essai de Rémy G.

Saisselin 1990.

12 Les travaux de Mario Praz 1981 et Peter Thornton 1986 éclairent la révolution bourgeoise des intérieurs sans

la mettre clairement en relation avec l'expérience de l'écriture et le modèle de l'écrivain. Il faudrait citer aussi les

récents travaux ethnologiques sur le décor domestique.13 Sur la quête, parfaitement vaine, d'un lieu rimbaldien voir Borer 1996.14 C'est ce que remarque Pierre Lepape dans sa récente biographie (Le Seuil, 1997, "Le Vaneau", p. 347-352).

chez Joyce qui va jusqu'à refuser le support d'une table pour composer Ulysse ou chez Cioran qui

n'écrit qu'hors de sa maison. On sait combien toute la génération sartrienne s'est attachée, à

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