GUERNICA-contexte historique et analyse plastique
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UNIVERSITÉ DE STRASBOURG
ÉCOLE DOCTORALE - UNISTRA - ED 520
[ EA 3402 - ACCRA ]THÈSE
présentée par : [ Philippe GUÉRIN ] soutenue le : 26 novembre 2019 pour obtenir le grade de : Docteur de l'université de StrasbourgDiscipline/ Spécialité : Art - Arts visuels
TITRE de la thèse
Résurgence classique dans la peinture
contemporaine :Le filtre de la modernité
THÈSE dirigée par :
[Mr PAYOT Daniel] Professeur HDR, université de StrasbourgRAPPORTEURS :
[Mme ROHMER Odile] Professeur HDR, université de Strasbourg [Mr ATTALI Jean Prénom] Professeur Émérite HDR, ENSAPMAUTRES MEMBRES DU JURY :
[Mme MAZZONI Cristiana] Professeur HDR, ENSAPV [Mr ROESZ Germain] Professeur Émérite HDR, université d Strasbourg [Mme SAND Olivia] Journaliste spécialisée pour l'art contemporain [Mme MAILLIER Carole] Directrice cellule VAE, université de StrasbourgPhilippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
1Résurgence classique
dans la peinture contemporaine :Le filtre de la Modernité
Thèse
Philippe Guérin / Doctorant
Daniel Payot / Directeur de thèse et accompagnateur disciplinaire / EA 3402 Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques (ACCRA)Céline Hoffert / Accompagnatrice / Service VAE
Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
2Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
3Remerciements
Cette thèse est l'aboutissement d'une rédaction intense pendant presque deux années. Elleest aussi le fruit d'échanges, de lectures, de regards sur la peinture pendant cinq décennies. Il
me serait donc impossible de remercier toutes les personnes qui, indirectement, aurontparticipé à son élaboration. Parce que ma mémoire n'est pas infaillible, et afin de pallier tout
oubli, mes premiers remerciements vont à celles et ceux dont les textes et les oeuvres d'artm'ont tant appris depuis mon adolescence jusqu'à aujourd'hui. Parmi les auteurs(e)s, je
souhaite mentionner Nathalie Heinich et Hans Belting qui eurent la gentillesse, en 2012, derépondre aux courriers que je leur avais adressés après la lecture de leurs ouvrages respectifs
qui, au-delà des contenus, furent aussi source de réflexion pédagogique. Mais cette recherche n'aurait pas pu voir le jour sans le soutien assidu de celles et ceux qui en ont accompagné l'écriture pendant ces deux années. Pour commencer, je tiens à adresser mes très vifs remerciements à Daniel Payot. Il s'estengagé bien au-delà du rôle d'accompagnateur pour lequel il fut sollicité au départ. La
régularité de nos échanges a permis de développer une confiance réciproque quant aux idées
qu'il fallait développer, son livre Anachronies de l'oeuvre d'art ayant été à l'origine de cette
rencontre. En réalité, il fut un directeur de thèse attentif, loyal, déterminé et toujours d'une
grande précision dans ses remarques. Merci également à Cristiana Mazzoni, pour ses encouragements magnifiques depuis tantd'années, à Sandrine Dubouilh, pour son aide vigilante quant aux règles de la rigueur
académique, à Jean Attali, toujours plein de tact et dont l'esprit de synthèse est précieux.
Leurs lettres de recommandation furent d'un grand réconfort pour oser entreprendre cette démarche.Merci à Olivia Sand pour ses avis constamment bien informés sur la scène artistique
internationale, et aux autres membres du jury, Odile Rohmer, qui en est la présidente, Carole Maillier, directrice de la cellule VAE, et Germain Roesz, qui a aimablement accepté d'y participer. Merci à Catherine Schnedecker et Pierre Litzler, qui ont validé ma demande pour présenter un doctorat dans le cadre de l'École Doctorales des Humanités, l'UNISTRA, à Strasbourg. Merci à Philippe Bach pour le soutien de l'ENSA Paris-Val de Seine. Je tiens aussi à remercier toutes les personnes du service de la VAE de l'UNISTRA et plus particulièrement Anne Laidebeur et Céline Hoffert qui se sont relayées pour accompagner mes démarches avec une disponibilité efficace.Merci à Caroline Varlet, pour ses conseils méthodologiques au début du travail, et à Anne-
Sophie Vergne, pour sa relecture bienveillante et scrupuleuse de l'ensemble des textes.Merci enfin aux ami(e)s, collègues et étudiant(e)s qui auront, à leur manière, participé à
l'élaboration de ce travail par des dialogues fructueux.Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
4 Résurgence classique dans la peinture contemporaine :Le filtre de la Modernité
Ed.humanites.unistra.fr
Philippe Guérin / Doctorant
Céline Hoffert / Accompagnatrice / Service VAE
Daniel Payot / Directeur de thèse et accompagnateur disciplinaire / EA 3402 Approches contemporaines de
la création et de la réflexion artistiques (ACCRA)Nota Bene : Les reproductions de toutes les images figurant dans la présente thèse le sont dans le cadre
exclusif d'un travail de recherche universitaire et ne peuvent en aucun cas faire l'objet de publication, sous tout
support quel qu'il soit, sans une demande préalable d'autorisation à qui de droit. Toutefois, beaucoup de ces
images ont été retirées de la version mise enligne sur Internet et ont été remplacées par des cadre vides, de
format homothétique à celui qu'occupe l'alignement des vignettes sur la version Extranet. Il en reste une
vingtaine pour les chapitres I à V sans compter celles du chapitre VI correspondant au travail de l'auteur.
Sommaire
Remerciements
p. 3.Sommaire p. 4 à 5.
Introduction p. 7 à 11.
1. Le plan pictural
p. 12 à 58.1.1. Prologue p. 12 à 13.
1.2. Le plan du tableau, vue frontale, vue latérale p.13 à 16.
1.3. Le blanc en réserve, le blanc immense p.16 à 20.
1.4. Blanc ou noir les lumières du tableau p.20 à 24.
1.5. Juxtaposition, superposition, s'abstraire p. 24 à 28.
1.6. Présentation, représentation, présence p. 29 à 35.
1.7. Résurgence et survivance figurale p. 35 à 58.
2. Trois études de cas
p. 59 à 100.2.1. Gérard Garouste p. 59 à 72.
2.2. David Hockney p. 72 à 83.
2.3. Martial Raysse p. 84 à 100.
Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
53. Le filtre de la modernité p. 101 à 138.
3.1. Entre survivance et résurgence, le potentiel de l'inter-temps p. 101 à 116.
- 3.1.1. Le continuum de la peinture classique : réalité ou illusion p. 105 à 110.- 3.1.2. Copies et variations, l'exemple de la Sainte Anne de Léonard de Vinci p. 110 à 116.
3.2. Classique et contemporain, ensemble ou sous-ensemble p. 116 à 138.
- 3.2.1. Mona Lisa et son aventure moderne p. 117 à 123. - 3.2.2. Mona Lisa à l'international, Paris, New-York, Pékin p. 124 à 138.4. Le temps différé p. 139 à 181.
4.1. Persistance et nouveau paradigme, mémoire et actualité p. 141 à 167.
- 4.1.1. Une référence originelle : l'antique p. 148 à 156. - 4.1.2. D'un retour à l'autre, celui du métier, celui de l'art p. 156 à 167.4.2. Explicite ou implicite : citation, modèle ou référence p. 167 à 181.
- 4.2.1. Migration des images, inclusion, variation, métamorphose p. 168 à 172. - 4.2.2. Du retour au détournement, peinture ou ready-made p. 172 à 181.5. Hybridations confondues p. 182 à 238.
5.1. Profondeur et transformation, écartèlement du temps p. 183 à 205.
- 5.1.1. Cadrage et décadrage, démembrement, amalgame et coagulation p. 191 à 205. - 5.1.2. Juxtaposition, superposition, plénitude et concrétion p. 183 à 205.5.2. Histoire et géographie, la stratégie de l'hybridation p. 205 à 238.
- 5.2.1. La peinture contemporaine, paradigme ou stratégie, rupture et continuité p. 207 à 220.
- 5.2.2. Entre local et global, classique ou universel, la bascule de l'obsolescence p. 220 à 238.
6. Retour sur expériences p. 239 à 274.
- 6.1. Premières recherches p. 240 à 243. - 6.2. Apprentissage moderne p. 244 à 248. - 6.3. Résurgence et profondeur p. 248 à 252. - 6.4. Visages retrouvés p. 252 à 256. - 6.5. Revendication du dessin p. 257 à 262. - 6.6. Appartenance européenne p. 262 à 268. - 6.7. Révélation classique p. 268 à 272. - 6.8. Plat et profond p. 272 à 274.Conclusion p. 275 à 284.
Annexes p. 285 à 308.
Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
6Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
7Introduction
Ce travail interroge l'histoire de la Peinture. Celle-ci peut-elle encore s'inscrire dans un continuum classique quand elle traverse les périodes moderne et contemporaine qui sont clairement énoncées par la critique, la philosophie ou la sociologie, comme des moments de rupture ? Ce que nous appelons " peinture classique » est par essence une pratique occidentale. Elle fut longtemps aussi presqu'exclusivement européenne. En revanche, ce que l'on nomme aujourd'hui " peinture contemporaine » se retrouve depuis plusieurs décenniessur les cinq continents. L'hypothèse de ce travail sera donc d'observer, à l'appui de
propositions théoriques et d'analyses d'un corpus d'oeuvres choisies, comment des pratiques anciennes, après les bouleversements de la modernité, peuvent nourrir des pratiques actuelles en les inscrivant dans un même continuum classique. Résurgences et survivances seront au coeur du débat. Dans un premier temps, il nous fallait définir avec le plus de précision possible ce que nousnommons " plan pictural », lequel deviendra le terrain privilégié de notre investigation, et
finalement, presque exclusif de notre recherche. Cette orientation s'est faite spontanément lorsde notre première discussion avec Monsieur Daniel Payot qui a suggéré de démarrer librement
et d'écrire sur cette notion que nous venions de lui présenter pour tenter de situer notre
approche initiale. Au départ, ce choix a permis une écriture assez fluide. Puis, au fil des idées
qui se présentaient, un enchaînement, non anticipé, s'est développé avec cohérence. Ensuite,
après la rédaction des trois premières études de cas, la problématique s'est resserrée et il fut
alors décidé d'organiser l'ensemble de la thèse selon un plan en cinq, puis six chapitres. Ce
texte introductif présente donc successivement la méthodologie, la problématique et le plan déroulé de la thèse.1. Méthodologie. Un terrain de recherche spécifique à définir et à cadrer
La méthodologie est celle d'un doctorat par validation des acquis de l'expérience. Il s'agitdonc, à partir de nos expériences qui sont directement liées, soit à un processus de travail de
mise en oeuvre picturale, soit aux processus pédagogiques d'enseignements initiant larecherche dans les écoles d'architecture, de prendre un recul théorique plus large en
définissant un positionnement et en l'énonçant de manière strictement académique. Aussi,
pour prendre cette distance, il était indispensable de confronter nos questionnements à laréalité vive de l'art contemporain et plus précisément à celle la peinture contemporaine
figurative. Le coeur du corpus est donc constitué d'oeuvres appartenant aux arts visuels et dediscours qui s'y rattachent. Nous nous limiterons au tableau et détaillerons cela dans le
paragraphe suivant. D'une manière générale, la méthode est celle d'un travail analytique etcomparatif reliant des oeuvres, des contextes d'émergence de ces oeuvres et des discours
qu'elles contiennent ou élaborés à partir d'elles, des locuteurs (artistes, critiques, philosophes,
Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
8historiens, théoriciens, sociologues, etc.), des temps historiques et des espaces géographiques ainsi mis dans des " rapports différentiels
1. »
Notre point de départ, la pratique picturale, se définit aujourd'hui comme celle d'un
médium ancien et historique. Pour autant, ce médium reste d'actualité puisque des artistescontemporains, importants sur la scène artistique internationale et simultanément sur le
marché de l'art, continuent de pratiquer la peinture et de le faire de manière privilégiée par le
biais du tableau peint. Nous nous intéresserons donc plus particulièrement à cette mise enoeuvre singulière qu'est la peinture d'un tableau. Ce mode d'expression fait son apparition à la
toute fin du Moyen Âge2 et prend ensuite toute son ampleur avec l'invention de la perspective
de la Renaissance italienne. Dès lors, il ne cesse de se développer dans tout l'Occident
jusqu'au XIXe siècle, se transforme pendant la période moderne de la première moitié du XXe
siècle avant de se déconstruire à la fin de ce même siècle. Finalement, il connaît un nouvel
essor aujourd'hui dans le monde entier selon les codifications essentielles qui lui sont propres. En revanche, dans le cadre de cette étude, ne seront abordées aucune des mises en oeuvrepicturales liées aux fresques, ou de celles liées à d'autres organisations formelles, ou à
d'autres techniques que celles qui découlent directement de la peinture sur tableau. Cette pratique de la peinture d'un tableau, au sens strict du terme, n'occupe aujourd'huiqu'une place relativement faible dans la globalité des pratiques contemporaines des arts
plastiques et visuels. On peut d'ailleurs s'interroger sur la pertinence actuelle de cette
dénomination - Arts plastiques et visuels - tant sont nombreuses les approches hybridesprésentes dans les arts émergeants, avec des croisements pluridisciplinaires et multiculturels,
des techniques ou technologies de mises en oeuvre très diversifiées, et bien sûr aussi les
innovations constantes des moyens de communication liés au numérique. C'est pourquoi laproblématique que nous souhaitons présenter et développer dans cette thèse, intitulée
Résurgence classique dans la peinture contemporaine : le filtre de la modernité, propose d'observer ce qui est retenu, empêché et probablement abandonné, ou au contraire ce qui passe, traverse et finalement survit aujourd'hui dans l'exercice de cette discipline. Dans unpremier temps, il nous fallait d'abord déterminer un terrain d'investigation pour notre
recherche. Il se situera précisément au niveau de ce que nous nommons " le plan pictural »,lequel fera l'objet du premier chapitre de cette thèse. Nous l'étudierons à travers des exemples
permettant progressivement de mieux définir ses caractéristiques entre concept originel et productions factuelles.2. Problématique. Résurgences et survivances, passer pour durer
Reprenons maintenant l'hypothèse de départ : l'histoire de la Peinture peut-elle encore
s'inscrire dans un continuum classique quand elle traverse les périodes moderne et contemporaine qui sont clairement énoncées par la critique, la philosophie ou la1 Pleynet Marcelin, Système de la peinture, chapitre 3, Le Bauhaus et son enseignement, Paris, Éd. Seuil, 1977,
p. 162.2 Belting Hans, Miroir du Monde - Invention du tableau dans les Pays-Bas, Paris, Éd. Hazan, 2014.
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9 sociologie, comme des moments de rupture ? Par déduction, si la peinture continue d'être pratiquée dans l'art contemporain, quelles sont alors les conditions qui lui permettent d'exister et de rivaliser avec les nouvelles pratiques artistiques des arts plastiques et visuels ? Pourétablir notre recherche dans une même filiation formelle, nous concentrerons donc notre
investigation sur ce concept du tableau peint, qui s'affirme avec la Renaissance italienne, et dont le principe d'organisation spatiale reste d'actualité quand on le retrouve sur la scène artistique internationale, que ce soit dans les musées et les galeries, ou bien entendu sur les grands marchés et principaux réseaux commerciaux. Selon l'expression de Catherine Millet, l'art contemporain serait " un pôle d'attraction3 » pour de nouveaux champs disciplinaires en recherche d'un statut artistique. Par ailleurs, laglobalisation actuelle de l'art entraîne une situation d'une complexité de plus en plus grande,
où la notion d'art elle-même est parfois remise en question. C'est donc dans ce contextegénéral, particulièrement mouvant, que la pratique très ancienne qu'est la peinture occupe à
nouveau l'actualité de manière presque incontestée. Dans un premier temps, nous tenterons de
bien définir la notion de tableau peint et par conséquent, nous nous intéresserons plus
particulièrement à celle du plan pictural où se situe notre terrain de recherche. Et si nous
partons de l'hypothèse d'un continuum de la pratique picturale, alors quelles ont été, sont ou
seraient, les différentes transformations qui s'emparent de ce médium - celui du tableau peint- pour lui permettre d'évoluer dans les différentes périodes citées ? Ou plus précisément,
comment le tableau peint, issu d'une antériorité historique, scientifique, et finalement
classique, peut-il être présent dans l'art contemporain, aujourd'hui encore, après avoir
traversé la Modernité4, qui fut un moment de changement radical, une rupture considérable,
ou considérée comme telle ? Et qu'en est-il des artistes, et notamment des peintres, qui
continuent d'utiliser ce mode d'expression ? Et par quels moyens parviennent-ils de nos joursà le porter vers de nouveaux sommets ? On notera d'ailleurs que cette pratique fut délaissée et
même rejetée par un grand nombre d'artistes et de critiques pendant presque deux ou trois décennies5, c'est-à-dire celles des avant-gardes se développant avec force dans les années
soixante. Cette situation fut d'ailleurs particulièrement exacerbée en France, peut-être en
partie suite à l'héritage de Marcel Duchamp ? A travers plusieurs études de cas, nous observerons comment tel protagoniste ou tel autre a su maintenir certains usages ou faits anciens, traditionnels et classiques dans leur pratiqueactuelle. La recherche tentera d'établir comment ils ont contribué à l'évolution de ces usages
ou de ces faits pour traverser ou ignorer la période moderne qui s'inscrivait en rupture avec laprécédente. Comment, ensuite, ils ont travaillé en gardant certains usages et certains faits tout
en en rejetant d'autres pour définir et développer leur engagement artistique, d'où l'hypothèse
d'une pratique du tableau peint, filtrée - ou infiltrée - par la Modernité. En d'autres termes,
comment passer pour durer ? De manière à circonscrire une étude pertinente, nous3 Millet Catherine, L'art contemporain, histoire et géographie, Paris, Éd. Flammarion, 2006, p.171.
4 Nous opterons pour une période allant grosso modo de 1906 à 1968, notamment définie par Jean Clair, et
nous développerons ce choix dans le chapitre 3.5 Nous parlons des avant-gardes commençant à la fin des années 1950 et se prolongeant jusqu'au début des
années 1980.Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
10concentrerons nos études de cas sur des artistes qui ont continuellement interrogé, totalement ou partiellement, la figure peinte et notamment la représentation humaine, quand bien d'autres
médiums, la photographie, le cinéma ou d'autres encore se déployant dans l'actualité
artistique, pouvaient sembler plus adaptés aux enjeux contemporains.3. Plan. Enchainement et restitution de la construction d'une pensée
Dans une première partie, nous allons donc définir avec le plus de précision possible le plan
pictural, puisqu'annoncé comme étant le terrain privilégié de notre investigation. Il s'agit de
voir comment il peut rassembler et cristalliser l'ensemble des postulats que l'artiste activedans la réalisation de son oeuvre. Nous étudierons ensuite, à travers cette élaboration
intellectuelle et matérielle, comment l'artiste se positionne dans sa relation au monde. Ce premier corpus rassemble des peintres classiques, modernes ou contemporains, dont les oeuvres nous permettent de bien expliciter ce que nous entendons avec cette notion de plan pictural. Par conséquent, nous aborderons des oeuvres figuratives ou abstraites, nous nousintéresserons à des écrits divers, de philosophes, de critiques ou d'artistes, pour préciser notre
pensée.Dans une deuxième partie, nous développerons un corpus de trois études de cas spécifiques
avec trois artistes dont les oeuvres et les écrits seront analysés en fonction de la problématique
en lien avec différentes thématiques ou autres paramètres de travail. Il s'agit de Gérard
Garouste, David Hockney et Martial Raysse, qui tous, à un moment de leur carrière, ont revendiqué clairement leur choix d'une appartenance à la peinture classique. Pour chaque cas, nous choisirons d'étudier des oeuvres spécifiques tout en prenant soin de les situer dans la totalité du parcours de chacun d'entre eux. Ces trois analyses, enrichies ponctuellement par des comparaisons avec quelques oeuvres signées par d'autres artistes, vont nous permettre dedégager progressivement les principaux critères, à partir desquels nous pourrons ensuite
développer notre problématique et en préciser davantage les enjeux.Dans la troisième, quatrième et cinquième partie, nous suivrons directement, cette fois, trois
thématiques essentielles pour notre problématique, en croisant les critères étudiés
précédemment avec de nouvelles études de cas, plus nombreuses et plus variées, tout en
ouvrant le protocole de recherche sur des chronologies6 et des localisations7 élargies. C'est à
ce moment-là que nous structurerons véritablement notre approche pour tenter de répondre aumieux aux interrogations et hypothèses de travail. Ainsi, un même aspect de la problématique
pourra être étudié et approfondi en le confrontant successivement à une série d'études de cas
appropriées. Ensuite, un autre aspect sera à son tour confronté à une autre série d'études de
cas, etc. Il y aura bien sûr de nombreux recoupements dans ce qui ressemblera à une
organisation avec abscisses et ordonnées. Ces trois parties seront respectivement intitulées Le
Filtre de la modernité, Le Temps différé et Hybridations confondues. Elles seront introduites
6 Certains peintres, encore présents dans la période contemporaine (Balthus, Bacon, Delvaux, etc.) étaient déjà
actifs à la fin de la période moderne (1906 -1968/70) telle que définie dans ce travail.7 D'autres peintres, pleinement actifs dans la période contemporaine seront cités car mettant en miroir culture
occidentale et culture asiatique.Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
11par des textes plus spécifiquement philosophiques et historiques afin d'assurer une liaison pertinente entre ces trois corpus qui, au départ, avaient été imaginés d'un seul tenant.
Enfin, dans la sixième partie, appelée Retour sur expériences, sera développée notre
approche personnelle de la problématique, c'est-à-dire comment ces questions et hypothèses de travail sont apparues et se sont structurées dans le cadre de notre pratique picturale. Nous suivrons, grosso modo, leur déroulé réel et nous verrons comment elles peuvent, justement,surgir d'une pratique et être ensuite peu à peu théorisées, par des allers-retours entre lectures
et visites d'exposition, pour finalement être réintroduites dans de nouvelles mises en oeuvre. Nous verrons comment la rédaction de cette thèse permet à l'auteur de se positionner avec plus de finesse puisqu'il peut passer de l'extérieur à l'intérieur du tableau8 dans l'analyse des
études de cas visées par la problématique, et vice versa, dans la poursuite de son engagement
de peintre pour la finalisation et réalisation des oeuvres en cours et à venir.8 Dans ce cas précis, le mot tableau est aussi la terminologie utilisée par les sociologues...
Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
121. Le plan pictural
Ce premier chapitre a pour objectif de définir notre terrain de recherche. Nous retrouvons çà
et là quelques notions récurrentes qui émergeront dans le déroulé de l'exposé. A ce stade, les
titres des sous-parties apportent plutôt un éclairage spécifique sur quelques idées qui
participent progressivement de la construction du texte, quant à la manière dont nous allons appréhender la problématique. Ces sous-parties sont brèves, environ quatre pages pour les quatre premières, et six pages pour la cinquième. Elles permettent de dégager rapidementquelques outils. En revanche, la dernière sous-partie est beaucoup plus longue et installe
progressivement, sur une vingtaine de pages, la problématique dans un contexte plus général.
1.1. Prologue
Dans le cadre de l'émission télévisuelle Le Grand Tour9, le peintre Gérard Garouste et le
journaliste Patrick de Carolis échangent sur Gustav Klimt et son oeuvre dans la galerie duBelvédère à Vienne. Dans cette interview de Gérard Garouste, face au célèbre tableau Le
Baiser de Gustav Klimt exposé à Vienne, le journaliste parle de dorure, de doré, de sacré.
Garouste évoque alors les premières secondes si déterminantes à la réception d'une oeuvre :
Le premier choc de ce tableau, c'est la délicatesse de ces visages par rapport à cette composition qui
n'a rien à voir avec la peinture, qui est sortie d'un panneau décoratif, on est dans du décor et moi qui
suis peintre, je me dis mais alors où commence la peinture, où commence le décor, c'est un jeu.
10Gustave Klimt, Le Baiser, 1908-1909, huile et feuille d'or sur toile, 180 x180 cm, Vienne, Galerie du Belvédère
Vienne est la croisée des chemins entre l'Europe orientale et l'Europe occidentale et onretrouve dans la peinture de Klimt des éléments appartenant à l'icône byzantine et d'autres,
9 Le Grand Tour est une émission de télévision documentaire française diffusée depuis 2012 sur France 3 et
présentée par Patrick de Carolis. Source Wikipédia. Consultation le 22 07 2019.10 Garouste Gérard, interview avec Patrick de Carolis, Vienne, France 3 - replay, diffusion le 16 07 2014.
(Consultation le 24 08 2019)1 image
Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
13bien sûr, venant directement de la Renaissance italienne. A cet égard, il est intéressant de
noter que le grand Rainer Maria Rilke, écrivain et surtout poète, né à Prague et cependant
autrichien lui aussi, s'exprime sur ce rapport forme/fond/figure avec une merveilleuse simplicité dans un petit ouvrage intitulé Notes sur la mélodie des choses : Cela me vient en observant ceci : que nous en sommes encore à peindre les hommes sur fond d'or,comme les tout premiers primitifs. Ils se tiennent devant de l'indéterminé. Parfois de l'or, parfois du gris.
Dans la lumière parfois, et souvent avec, derrière eux, une insondable obscurité. 11 Dans un deuxième extrait, Garouste précise ensuite que " Gustave Klimt parle de lui » et" que c'est son aventure personnelle qu'il met en scène12 ». Il évoque également l'époque de
" ces nouveaux peintres qui se mettent à peindre leurs fantasmes, leurs illusions, leurs désirs
[...]13 » ; ce qui, certes, choque à l'époque, mais n'oublions pas que Sigmund Freud exerçait à
Vienne. En réalité, ce phénomène est aussi une donnée fondamentale de l'oeuvre de Gérard
Garouste, qui lui-même puise dans la profondeur de l'intime pour renouveler les récits mythologiques qui caractérisent un grand nombre de ses peintures. Nous développerons cet aspect de son travail dans le deuxième chapitre de la thèse.Si on reste sur l'analyse de Gérard Garouste quant à son observation première du tableau, on
constate que sont en présence, dans ce même tableau, sur la même surface, deux entitésdifférentes, en tout cas différenciées dans le commentaire : l'une relèverait de la peinture et
l'autre relèverait du panneau décoratif ou du décor. On aurait donc la juxtaposition de deux
entités bien distinctes sur un même plan. Par extrapolation, l'une serait la peinture, l'autreserait l'entourage de la peinture, son cadre, détouré, doré ou décoré mais qui se fondrait sur ce
même plan. On aurait donc, si on poursuit le raisonnement, deux sous-ensembles contenant respectivement la peinture et le décor et simultanément contenus et finalement unifiés car appartenant à un même ensemble, le plan pictural.1.2. Le plan du tableau, vue frontale, vue latérale
A propos du célèbre " petit pan de mur jaune14 », ainsi nommé par Marcel Proust, décrivant
La vue de Delft de Johannes Vermeer, Georges Didi-Huberman écrira que, dans le tableau, " le pan n'est qu'un pur symptôme de la peinture15». Nous reviendrons plusieurs fois sur cepoint, ici ou ailleurs dans le déroulé du texte. Pour l'instant, en l'état, on peut donc dire que ce
pan révèle la peinture du tableau en son essence, qu'il est tenu par et dans le plan pictural sans
lequel rien, ni la peinture, ni le tableau, ne pourrait exister. Ce plan pictural est à la foisthéorique, conceptuel, c'est une surface plane mathématique, mais aussi très concret, c'est un
support, un matériau. C'est enfin également une mise en oeuvre technique, celle de sa
11 Rilke Rainer Maria, Notes sur la mélodie des choses, (1898), Union Européenne, Éd. Allia, 2018, p. III.
12 Garouste Gérard, suite de l'entretien. (Consultation 24 08 2019).
13 Ibid., http://www.legrandtour.fr/fr/module/99999648/118/extrait-interview-de-grard-garouste-partie-3
14 Proust Marcel, A la recherche du temps perdu, Paris, Éd. Bibliothèque de la Pléiade, 1954, (1983), Tome III, p.
186.15 Didi-Huberman Georges, La Peinture incarnée, suivi de, Le Chef-d'oeuvre inconnu, par Honoré de Balzac,
Paris, Éd. de Minuit, 2012, p. 57.
Philippe Guérin / Thèse de Doctorat VAE / UNISTRA - ED520 / Dir. Daniel Payot - Lab. ACCRA / 2018-2019
14réalisation. Pourrait-on dire alors que ce plan est une interface, un " go between » entre l'idée
et sa révélation ? En effet, c'est là que vont s'organiser les apports de matière, se déposer les
couleurs, s'appliquer les touches (du pinceau, de la brosse, du couteau, des doigts, etc.) car ce plan pictural est donc aussi un support résistant qui, avec plus ou moins de souplesse, plus oumoins de réactivité, va répondre aux coups qu'il reçoit : coups de pinceaux, très souvent, mais
également coups de toute sorte, parfois coups de couteau comme avec Lucio Fontana qui le percute et le transperce, parfois coups d'instrument les plus divers qui vont griffer, racler,décaper, plier, brûler ou très différemment, glisser, caresser, laver, dénuder la surface du plan
pictural. Tout se joue entre son idée virtuelle (le plan du tableau géométrique, perspectif) et sonincarnation propre à la peinture de tableau. La fameuse citation de Maurice Denis nous
rappelle inlassablement cet état de fait irréductible pour la peinture figurative, certes, mais qui
est tout aussi vrai pour la peinture en général : " Se rappeler qu'un tableau, avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées16».
Dans ce cas, ne
convient-il pas que ce recouvrement se tienne uniquement dans l'épaisseur du plan pictural lorsqu'il s'agit de la surface plane quadrangulaire du tableau peint, initialement le panneau debois, puis la toile tendue sur un châssis ? Le premier, rigide, est structurellement homogène et
nécessitera même que le verso du recto soit également peint pour pallier les déformations. Le
second acquiert une hétérogénéité entre la toile tendue et la structure, la plupart du temps en
bois, parfois de nos jours en métal et plus particulièrement en aluminium, ce qui optimise au maximum la qualité de tension de la surface obtenue. Dans la seconde moitié du XX e siècle,cette hétérogénéité construite par assemblage, engendrera des interrogations et des
déconstructions partielles et momentanées de cet objet trivial qui porte et contient le concept
du tableau et donc de son plan pictural. Le tableau est fait pour être vu de face et depuis la Renaissance, il intercepte de manière perpendiculaire l'axe du regard monoculaire dans le dispositif d'une perspective centrée, dont la mise en oeuvre s'adresse directement au spectateur quand son point de vue est celui de " l'oeil du prince ». Cité par Daniel Arasse dans son ouvrage l'homme en perspective, Michel- Ange en personne nous rappelle que le peintre doit avoir " le compas dans l'oeil17 ». On sait aussi que notre vue du tableau pourra être optimisée selon certains rapports de mesure qui se jouent entre la distance qui nous en sépare et sa dimension propre. Cependant, lors de nosdéplacements, de nos déambulations dans les musées, nous sommes parfois surpris par
l'impression reçue de loin d'un tableau vers lequel on se dirige ou également de quelque autre tableau devant lequel on va passer pour rejoindre celui qu'on souhaite observer de plus près et avec plus d'attention. Ces déplacements peuvent être riches d'informations si on mémorise son impression première (nous venons de le constater avec l'observation de Gérard Garouste ci-dessus) ou si on concentre son observation sur les déformations ressenties par le regard latéral sur une image alors que celle-ci est construite pour une position monofocale de face. Souvent, on peut facilement s'exercer à décrypter la mouvance formelle de cettereprésentation et plus précisément le moment où on quitte - et où on perd finalement -
16 Denis Maurice, Paroles d'artiste, Maurice Denis, (Art et critique, 1890), Lyon, Éd. Fage, 2018, planche 4.
17 Michel-Ange, in Arasse Daniel, L'homme en perspective, Paris, Éd. Hazan, 2011, p. 156.
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15 l'image18 au profit d'une surface plane plus ou moins homogène.
Or, l'homogénéité de la
surface peinte, parfois très relative, est particulièrement intéressante dans le cadre de la
peinture ancienne dont la protection est assurée par un vernis final, c'est-à-dire assez souvent
par plusieurs couches de l'ordre du micron auquel s'ajoutent en général la patine et parfoisaussi l'usure du temps. C'est ainsi que selon les incidences lumineuses, se révèlent à nos yeux
et éventuellement à notre attention, les différents aléas, accidents ou au contraire restaurations
qui ont accompagné la vie d'un tableau. Ces reflets vont révéler, chahuter, altérer l'unité de
cette surface peinte. Quelquefois, c'est magnifique ! Quelquefois tout s'écroule et on ne peut plus regarder le tableau de la même manière. Ainsi, une lecture latérale d'un tableau, de gauche à droite mais aussi de bas en haut, nous renseigne sur le processus de mise en oeuvre en fonction des différents reliefs superficiels quisont parfois le résultat de dessiccations différentes selon les pigments choisis, selon les
touches ou les empâtements, selon les tempi rapides ou lents, virtuoses ou laborieux, selon lagestuelle du peintre ou des différents intervenants. Le lecteur pourra aisément s'amuser à en
faire l'expérience dans les musées, et par exemple, observer à quel moment la matière
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