Rationalité & nature. Une approche communicationnelle
5 mars 2010 2005 : Membre organisateur du séminaire-programme « Sciences communication et société ». Partenaires : Baudouin Jurdant (Université Paris ...
Rationalité & nature. Une approche communicationnelle
5 mars 2010 2005 : Membre organisateur du séminaire-programme « Sciences communication et société ». Partenaires : Baudouin Jurdant (Université Paris ...
Politiques du savoir. Une approche communicationnelle des
5 avr. 2013 Baudouin JURDANT - Université Paris Diderot/EHESS Paris (directeur) ... Récupérer et transformer » la science et la société.
Politiques du savoir. Une approche communicationnelle des
5 avr. 2013 Baudouin JURDANT - Université Paris Diderot/EHESS Paris (directeur) ... Récupérer et transformer » la science et la société.
HDR Joëlle Le Marec
la pratique scientifique a été mise en lumière par Baudouin Jurdant il y a longtemps. XIXème cherche l'ordre organisateur commun aux sociétés humaines.
La culture scientifique et les non scientifiques entre allégeance et
16 nov. 2011 Baudouin Jurdant professeur à l'université Denis Diderot
Parcours de chercheurs. De la pratique de recherche à un discours
22 oct. 2012 7 « Sciences et sociétés » est une expression générique qui a été discutée lors ... Moles puis ceux de Baudouin Jurdant
Bibliothèque Émile Cartailhac
2 déc. 2012 Cote : C 399. L'écrit de la science / [dir. de publ. Jean-Marc Lévy-Leblond] ; Baudouin Jurdant Joost Kirez
Histoire de léthologie. Recherches sur le développement des
20 janv. 2014 devant Monsieur Baudouin Jurdant directeur de la thèse
Bulletin de l
(5) Baudouin Jurdant « Entre science et société : les ambiguïtés de la à part de grands Musées nationaux
Mathieu QuetTo cite this version:
Mathieu Quet. Politiques du savoir. Une approche communicationnelle des rapports entre sciences, technologies et participation en France (1968 - 1983). Sciences de l'information et de la communication. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), 2009. Francais.HAL Id: tel-00808650
HAL HALEcole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
Formation doctorale " Sciences, savoirs, techniques : histoire et société »Centre Alexandre Koyré
Thèse
pour l'obtention du titre de docteur de l'EHESS spécialité sciences de l'information et de la communicationPolitiques du Savoir
Une approche communicationnelle des rapports entre sciences, technologies et participation en France (1968-1983)Présentée et soutenue publiquement par
Mathieu Quet
le 8 décembre 2009Jury :
Michel CALLON - Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris Yves JEANNERET - Université d'Avignon (co-directeur) Baudouin JURDANT - Université Paris Diderot/EHESS, Paris (directeur) Joëlle LE MAREC - Ecole Normale Supérieure LSH, Lyon (rapporteur)Dominique PESTRE - EHESS, Paris
Bernard SCHIELE - Université du Québec à Montréal (rapporteur) 2 3Remerciements
Difficile d'imaginer, avant de s'y lancer, à quel point une thèse est un travail collectif. Si elle
rendait justice à l'ensemble de ses soutiens et inspirations, une entreprise aussi individuelle en
apparence devrait se clore par un générique digne des films de cinéma. A défaut de pellicule
16/9e, on se contentera ici d'une page de remerciements.
Production exécutive : mes premiers remerciements vont à Yves Jeanneret et BaudouinJurdant, pour leur soutien indéfectible dans cette aventure. Je suis particulièrement
reconnaissant à chacun d'eux d'avoir su me faire partager un regard singulier sur la communication et les sciences. Je remercie en outre Michel Callon, Joëlle Le Marec, Dominique Pestre, Bernard Schiele de leur participation au jury de cette thèse.Scénario : Loïc Blondiaux, Jean-Paul Gaudillière et Olivier Martin ont accepté de discuter
avec moi les toutes premières ébauches de cette recherche. Ces discussions, qui ont eu lieu à
un moment essentiel de formulation de mes interrogations, ont longtemps nourri ma réflexion. Montage : je souhaite aussi remercier les différentes personnes qui m'ont accordé du tempsen lisant de premières versions des différents chapitres de la thèse. Par leurs lectures avisées
et leurs conseils, Yannick Barthe, Christophe Bonneuil, Jacqueline Chervin et Dominique Pestre m'ont aidé à " remonter » avantageusement ce texte.Acteurs : pas de thèse de sciences sociales sans acteurs. Je tiens à exprimer toute ma gratitude
à ceux qui occupent le premier plan de cette histoire. En acceptant de se remémorer avec moi une partie de leur vie, ils m'ont bien souvent regonflé d'espoir et de courage. D'autres acteurs d'une thèse se trouvent aussi hors-champ. Le lecteur verrait, s'il pouvait se pencher, ceux avec qui j'ai pu converser, partager des questions ou affronter des problèmes. Je salue, pour le plaisir que j'ai eu à les retrouver, doctorants et compagnons de réflexion : Etienne Candel, Ivan Collombet, Renaud Debailly, Clémence Emprin, Sarah Labelle, Ronan Le Roux, Emmanuel Schenck, Aude Seurrat, Sezin Topçu, Charles Vincent, Pierre Vinclair.Costumes, maquillage : le texte serait probablement bien peu présentable s'il n'avait été
correctement habillé et maquillé. Que ses relectrices et relecteurs en soient remercié(e)s - en
particulier Anne Lambert, Clémence Vanalderweireldt et Charles Vincent.Décors : le cadre de la recherche a joué un rôle essentiel au bon déroulement de cette thèse.
Pour cela, je ne remercierai jamais assez les habitants du 3 rue Affre, dont la présence et les attentions ont pimenté le quotidien de la façon la plus agréable qui soit.Musique et son : si ce texte avait été sonorisé, Julien Aléonard en aurait assuré la musique. Il
ne l'est pas, qu'à cela ne tienne ! Que ce dernier soit remercié quand même ! Eclairages, lumières : je remercie du fond du coeur ma famille pour son aide matérielle ou immatérielle, Dominique Dourojeanni, François Quet, Emmanuelle Quet.Régie : une fois de plus, la régie, à qui l'on doit tout, est reléguée en fin de générique. Mais la
dernière place témoigne parfois d'une affection spéciale. Last but not least, je remercie donc
Marine Al Dahdah, pour tout le soutien passé et toutes les expériences à venir. 4Table des matières
5Table des matières
INTRODUCTION Désordres scientifiques et participation politique....................9PARTIE I Perspectives...........................................................................................25
CHAPITRE 1 Gouvernements du sens. Remarques préalables d'épistémologie pratique......................29
1. Désigner le pouvoir......................................................................................................................33
1.a. Un geste efficace..............................................................................................................33
1.b. Un geste nécessaire..........................................................................................................38
1.c. Un geste fragile................................................................................................................42
2. Ecouter la polyphonie..................................................................................................................44
2.a. Le " dire vrai » des théories de la domination....................................................................44
2.b. Le " faire dire » des théories post-domination...................................................................48
2.c. Logistiques de la désignation............................................................................................53
3. Multiplier les explications............................................................................................................56
3.a. (Dé/Re)-naturaliser le pouvoir..........................................................................................56
3.b. Redésigner le pouvoir.......................................................................................................60
3.c. Diversifier le pouvoir.......................................................................................................65
4. Analyser la participation.............................................................................................................70
4.a. Les sens de la participation...............................................................................................70
4.b. Procédé............................................................................................................................72
4.c. Hypothèses.......................................................................................................................76
CHAPITRE 2 Topographies. L'espace discursif " science-société » (1945-1970).....................................83
1. Sciences en société........................................................................................................................87
1.a. Big Science et transformations matérielles........................................................................87
1.b. Big Science et transformations discursives........................................................................89
1.c. Big Science et instruments de contrôle..............................................................................92
2. Représentations générales...........................................................................................................97
2.a. Du savoir : l'éducation et l'enseignement..........................................................................97
2.b. Du pouvoir : la technocratie..............................................................................................99
2.c. De l'inscription spatio-temporelle de l'homme : l'écologie..............................................101
3. Propositions de formes du monde.............................................................................................104
3.a. Explosions militantes de mai..........................................................................................104
3.b. Les discours académiques saisis par la politique..............................................................107
3.c. Bribes de participation....................................................................................................109
4. Modèles d'intervention sociale..................................................................................................112
4.a. Les modèles de critique de la science..............................................................................112
4.b. Les modèles d'engagement politico-scientifique.............................................................116
4.c. Le renouveau des modèles d'intervention........................................................................121
5. Pôles discursifs, opérateurs de réagencements..........................................................................127
5.a. Pôle militant : contestations............................................................................................127
5.b. Pôle technocratique : évaluations....................................................................................132
5.c. Pôle académique : investigations....................................................................................135
PARTIE II Recompositions..................................................................................139
CHAPITRE 3 La science au peuple ? Utopie participative et critique militante des sciences...............143
1. La dynamique contestataire......................................................................................................146
1.a. Caractéristiques..............................................................................................................146
1.b. Un pôle politique militant...............................................................................................148
1.c. Utopies discursives.........................................................................................................150
Table des matières
62. Porisme : revue charnière.........................................................................................................152
2.a. Crise de l'engagement scientifique.................................................................................152
2.b. " Récupérer et transformer » la science et la société........................................................155
2.c. Les limites du progressisme de Porisme.........................................................................159
3. Labo-contestation : revue des luttes...........................................................................................163
3.a. Luttes contre l'exploitation............................................................................................163
3.b. Luttes contre l'aliénation épistémologique......................................................................165
3.c. Luttes contre la hiérarchie des intelligences....................................................................167
4. Survivre : revue des savoirs alternatifs.....................................................................................169
4.a. Antimilitarisme et écologie............................................................................................169
4.b. L'intrusion des masses...................................................................................................171
4.c. La science au peuple ?...................................................................................................173
5. Impascience : revue de synthèse................................................................................................179
5.a. Mélange des genres........................................................................................................179
5.b. Thèmes de la recherche collective..................................................................................180
5.c. Résister à la science.......................................................................................................183
CHAPITRE 4 Evaluer le progrès ? Instrumentation participative à l'OCDE..............................................189
1. L'écriture technocratique, une pratique d'administration......................................................193
1.a. Stratégie de diagnostic social.........................................................................................193
1.b. Stratégie ventriloque......................................................................................................196
1.c. La maîtrise du développement technologique.................................................................200
2. La participation, un dispositif de communication....................................................................205
2.a. Emergence de la participation........................................................................................205
2.b. Dispositif et communication...........................................................................................211
2.c. Des dispositifs de connaissance......................................................................................213
3. L'évaluation, un outil de gouvernement...................................................................................217
3.a. Définition......................................................................................................................217
3.b. Effets de rationalisation..................................................................................................218
3.c. Outils de la rationalisation..............................................................................................223
4. La décision, un processus informationnel.................................................................................225
4.a. La décision illégitimée...................................................................................................225
4.b. La décision évaluée........................................................................................................227
4.c. La décision transformée.................................................................................................232
CHAPITRE 5 Une démocratie technique ? Présupposition participative dans le champ STS..............235
1. Spécificité des logiques discursives...........................................................................................239
1.a. Logiques discursives......................................................................................................239
1.b. Pandore dans la continuité.............................................................................................240
1.c. Prolongement des enjeux politiques................................................................................245
2. Le radicalisme épistémologique................................................................................................247
2.a. Un détour anglo-saxon...................................................................................................248
2.b. Stratégies de mise en circulation.....................................................................................250
2.c. Du radicalisme politique au radicalisme épistémologique...............................................253
3. Une posture discursive fragile...................................................................................................255
3.a. Conflits..........................................................................................................................256
3.b. Effacements et glissements.............................................................................................257
3.c. La démocratie technique................................................................................................259
4. Indices de participation.............................................................................................................263
4.a. Rela(c)tivisme...............................................................................................................263
4.b. Controverses..................................................................................................................265
4.c. Multiplicité des espaces publics.....................................................................................267
5. Un monde-laboratoire...............................................................................................................269
5.a. Bricolages scientifiques.................................................................................................270
5.b. Rationalités plurielles.....................................................................................................272
5.c. Effets de science............................................................................................................275
Table des matières
7PARTIE III Régimes..............................................................................................279
CHAPITRE 6 D'un pôle à l'autre. Circulations et régime de discours.......................................................283
1. Principes....................................................................................................................................286
1.a. A l'ombre des formations discursives.............................................................................287
1.b. Identifier l'hétérogène....................................................................................................290
1.c. Régime discursif............................................................................................................293
2. Qu'est-ce qui circule ?...............................................................................................................295
2.a. Agrégations médiatiques................................................................................................295
2.b. Circulation-déplacement.................................................................................................298
2.c. Circulation-immobile.....................................................................................................303
3. Médiations.................................................................................................................................305
3.a. Médiations individuelles.................................................................................................306
3.b. Médiations locales..........................................................................................................309
3.c. Médiations frontières......................................................................................................315
4. Le régime discursif participatif.................................................................................................319
4.a. Caractéristiques..............................................................................................................320
4.b. Régime de sens, régime de pouvoir.................................................................................324
4.c. Homogénéité et plurivocité.............................................................................................329
CHAPITRE 7 La politique expérimentale, une métaphore de gouvernement...........................................331
1. La métaphore expérimentale.....................................................................................................335
1.a. Naissance.......................................................................................................................335
1.b. Fonctionnement..............................................................................................................338
1.c. Extension.......................................................................................................................342
2. L'expérimentation comme mode de gouvernement..................................................................346
2.a. Problèmes de politique expérimentale.............................................................................346
2.b. L'objet de la politique expérimentale..............................................................................350
3. Le débat public : de l'agora au laboratoire...............................................................................355
3.a. Mutation du débat public................................................................................................356
3.b. Disparition des chimères consensuelles...........................................................................358
3.c. Transformation des discours politiques...........................................................................360
4. La décision : du choix à l'enquête.............................................................................................362
4.a. Du consentement à l'acceptabilité...................................................................................363
4.b. Du jugement à l'évaluation.............................................................................................365
4.c. Savoir est décision..........................................................................................................367
5. L'ordre : police et communication............................................................................................369
5.a. Importance du faire savoir..............................................................................................369
5.b. Métamorphoses de la compétence politique....................................................................371
INDEX DES NOMS PROPRES..............................................................................409
8 " Dis-toi bien, citoyen, que l'aristocratie de la cervelle peut être aussi haïssable que l'autre aristocratie. Nous avons assez des scientistes. Nous sommes tous égaux. »Romain Rolland, Les Loups, 1898
Introduction - Désordres scientifiques et participation politique 9INTRODUCTION
Désordres scientifiques et participation politiqueLa décennie ardente
Janvier 1969. Quatre physiciens américains appellent à la formation d'un groupe de chercheursscientifiques en faveur d'un " engagement sociopolitique énergique »1. Le premier appel de ce qui
deviendra, en septembre 1969, le SESPA (Scientists and Engineers for Social and Political Action2)s'interroge sur les bienfaits du progrès scientifique et technique. Ses signataires dénoncent une
situation paradoxale : depuis la fin de la deuxième guerre mondiale les ressources financières et
humaines allouées à la science n'ont cessé de croître, mais le monde de la recherche n'a pas su faire
face aux responsabilités nouvelles qui lui incombent. En conséquence, les réalisations scientifiques
et techniques sont devenues une menace plus qu'une opportunité pour les sociétés humaines. Il est
grand temps pour les chercheurs de remettre en question l'équation " recherche = progrès = bonheur
de l'homme » et de prendre acte de leur dépendance à l'égard des financements gouvernementaux
et militaires ; il est nécessaire qu'ils s'organisent pour acquérir une efficacité politique réelle et
reprendre ce que le pouvoir politique et financier leur a retiré. Quelques mois plus tard, en
décembre 1969, des militants du SESPA manifestent à Boston, lors du meeting annuel de
l'American Association for the Advancement of Science (AAAS), aux cris de " Science for thePeople ». Ils forgent ainsi une formule qui fera fortune dans les années suivantes et marquent
l'entrée dans la sphère scientifique d'un type de militantisme qui lui était étranger.Ces événements inaugurent une décennie singulière de l'histoire des sciences, aux Etats-Unis
comme en Europe. Pendant un peu plus de dix années, les actions se succèdent qui font souffler, sur
le milieu habituellement calme et confiné de la recherche scientifique, le vent d'une joyeuse révolte.
Manifestations où d'honorables professeurs de mathématiques se retrouvent aux prises avec la
police, laboratoires temporairement autogestionnaires opérant une redistribution égalitaire des
1 Michael Goldhaber, Martin Perl, Marc Ross, Charles Schwartz, " Announcing the formation of a new organization of
Scientists dedicated to vigorous Social and Political Action », tract, janvier 1969.2 Créé lors d'un meeting annuel de l'American Physical Society, le 4 février 1969, le SSPA (Scientists for Social and Political
Action) est rebaptisé en septembre 1969 Scientists and Engineers for Social and Political Action - SESPA.
Introduction - Désordres scientifiques et participation politique 10salaires, contre-expertises sauvages sur l'énergie nucléaire : une partie du monde de la recherche
connaît un radicalisme politique sans précédent. Avec des variantes selon les pays, ce militantisme
débridé prône le retrait des troupes américaines au Vietnam, soutient les luttes féministes et l'action
des Black Panthers, dénonce les politiques nucléaires. Mais surtout, il entame une réflexion inédite
sur le rôle et la fonction de la science dans la société. Sciences et techniques soulèvent un véritable
dilemme politique, car elles font obstacle à l'égalité entre les individus alors même que le
développement économique et social repose sur elles. Le militantisme et l'autocritique du champ
scientifique conduisent à s'interroger sur la possibilité d'un usage émancipateur des sciences.
Comment faire de la science une pratique " réellement » juste et égalitaire ? Comment rendre
compatibles pratique scientifique et souci de justice sociale ? Une telle vitalité critique n'est pas l'apanage des seuls mouvements contestataires radicaux. Aucours de la même période, différents acteurs sociaux élaborent, chacun à sa manière, une réflexion
sur la science contemporaine. Militants écologistes, journalistes, administrateurs et responsables de
la politique scientifique, sociologues des sciences : nombreux sont ceux qui, au cours des années1970, conçoivent une contradiction entre les pratiques scientifiques et un fonctionnement social
juste. La décennie ouvre ainsi une parenthèse curieuse de l'histoire des sciences, laissant libre cours
à un bouillonnement d'idées sur les problèmes sociaux soulevés par les sciences et sur les
dispositifs d'inscription du développement scientifique dans un fonctionnement démocratique.La grande originalité de cette décennie de contestations et de réflexions sur les sciences tient à la
fois aux ambitions et aux formes d'action déployées, aux solutions imaginées et à l'interpénétration
des plans sur lesquels porte la remise en question, du plus concret au plus théorique. Le
foisonnement de la critique affecte des domaines habituellement tenus pour distincts (militant,
académique, administratif, journalistique) et multiplie les occasions de croisements et de rencontres
entre des milieux pourtant enclins à se tenir à distance les uns des autres. Engagement politique,
politique scientifique, étude académique se trouvent fréquemment confrontés et profondément
enchevêtrés. L'analyse économique répond à la théorisation critique, les concepts universitaires
sont mobilisés par l'administration et il n'est pas rare de voir des acteurs circuler d'un milieu à
l'autre. L'étanchéité des différents domaines qui traitent de problématiques scientifiques est
dementie avec une vigueur particulière par les années 1970 ; de l'épistémologie à la politique
scientifique et à la critique militante, des questionnements fort différents sont articulés dans le plus
grand enthousiasme. Introduction - Désordres scientifiques et participation politique 11A l'orée des années 1980, la revue Esprit consacre par exemple à la recherche scientifique un
dossier qui illustre le mélange des genres auquel donne lieu la réflexion sur les sciences1. S'y
retrouvent pêle-mêle des articles de militants partisans de l'autocritique scientifique (les biologistes
Jean Deutsch, John Stewart, Françoise Laborie), de promoteurs de la vulgarisation (le physicien Michel Crozon), de fonctionnaires d'Etat soucieux de politique scientifique et d'innovation (RobertFraisse, du commissariat au Plan, Thierry Gaudin du ministère de l'Industrie), de personnalités du
monde académique (Luce Giard, Michel de Certeau ou encore Bruno Latour - sous le pseudonymede Lamarosse). Chacun de ces auteurs est porteur de logiques institutionnelles et de pratiques
spécifiques ; tous cependant prennent la science et la recherche pour objet commun et s'interrogent,
qui sur l'épistémologie du savoir de l'expert, qui sur la nécessité de réguler le développement
technologique ou sur la politique énergétique française. Des formes de questionnement diverses se
rencontrent ainsi et contribuent à l'élaboration d'une problématique commune.Au confluent de ces différentes logiques et dans l'intrication des motifs, une multitude d'énoncés
sur la science et la recherche sont façonnés, distribués, circulent et s'affrontent pour s'informer ou
se contredire. Procédant parfois de logiques minoritaires au sein des milieux où elles sont élaborées,
voire de véritables " erreurs de parcours »2, ces interrogations n'en constituent pas moins le
témoignage captivant d'une pensée audacieuse - par les idées qu'elle propose, les liens qu'elle
créé - des rapports entre science et société. Elles apparaissent aujourd'hui comme les vestiges d'un
temps, trop tôt révolu, où une analyse critique des sciences ne se résumait ni à la mesure d'une
position sur l'échelle internationale du progrès, ni à la défense d'un fonctionnement menacé par les
assauts de la libéralisation. Surtout, ces discours sont la chronique d'une époque qui, plus hardiment
qu'aucune autre, s'est emparée de la question du sens politique de l'activité scientifique.Un modèle de gouvernement
C'est d'abord sur l'histoire de ces discours que s'est penchée cette étude. Pour le chercheur
contemporain, faire le récit de cette florissante période de réflexion sur les sciences, rendre l'ardeur
avec laquelle des milieux variés ont essayé de concevoir la science, c'est profiter un peu de la
lumière qui baigne une époque singulière. C'est aussi, et surtout, tenter de restituer la cohérence du
projet politique des acteurs d'un moment essentiel de l'histoire des sciences contemporaines. Car1 Esprit, 10-11, octobre-novembre 1981. Dossier consacré à la recherche dirigé par Luce Giard.
2 C'est ainsi que Benoît Godin caractérise le rapport Science, croissance et société, publié en 1971 par l'OCDE, et qui
constitue l'un des éléments du corpus d'analyse. Benoît Godin, " Are statistics really useful ? Myths and Politics of Science
and Technology Indicators », Project on the history and sociology of S&T statistics, working paper, 20, 2002, [en ligne].
Introduction - Désordres scientifiques et participation politique 12c'est bien un projet politique qui traverse la réflexion sur les sciences dans les années 1970, projet
dans lequel la science ne fait que tenir un rôle - le principal certes, jamais le seul. La dimension
politique de la critique des sciences est un aspect aussi crucial que mal compris de cette dernière.
Crucial, car ses principes centraux (comme le refus du partage entre savants et ignorants), loin derenvoyer à la seule critique d'une logique scientifique spécialisée, conduisent à la contestation de
principes structurants d'organisation sociale1. Mal compris, car ce n'est jamais comme systèmephilosophique cohérent que s'expose la critique des sciences, mais à travers des documents de
nature diverse et hétérogène (tracts, bulletins critiques, rapports administratifs, etc.) dont l'analyse
implique un exercice périlleux de reconstitution. Comprendre pourquoi, malgré leur éparpillement,
ces éléments forment une entité discursive, " individualiser » cette entité, impose d'ordonner la
continuité de la réflexion par-delà la discontinuité des matériaux2.La mise en lumière d'un projet politique commun à ces différents supports d'une réflexion critique
sur les sciences constitue donc un enjeu de taille. Une partie de cette recherche a consisté à clarifier
ce projet, que l'on définirait aujourd'hui comme une tentative de radicalisation de la démocratie3.
Qu'il s'agisse du fantasme d'une vulgarisation pure et parfaite, du mythe d'une autre science ou durêve de dispositifs intégrant aux choix technologiques l'avis de la population, les idées ne manquent
pas qui poursuivent un idéal égalitaire, mais renvoient à des conceptions peu explicitées, parfois
confuses, des inégalités et du partage social des connaissances. De plus les groupes militants,
universitaires, administratifs qui portent ces différents discours ne revendiquent pas un projet
commun et les dissensions l'emportent souvent sur les correspondances. L'objectif des militants dela critique des sciences diffère par exemple profondément, selon ses artisans, des initiatives prises
au niveau administratif et gouvernemental en matière de démocratisation scientifique. Pourtant, il
semble possible et même pertinent de dégager, malgré l'hétérogénéité des énoncés produits, une
logique discursive collective de ces différentes tentatives de refondation politico-scientifique. Ce
faisant, on peut les rendre compréhensibles au lecteur contemporain en les éclairant d'un jour
nouveau. Au-delà des différences institutionnelles, quelque chose rassemble ces tracts politiques sur
1 Baudouin Jurdant, Problèmes théoriques de la vulgarisation scientifique, thèse de doctorat, Université Louis Pasteur de
Strasbourg, 1973 ; Philippe Roqueplo, Le partage du savoir. Science, culture, vulgarisation, Paris, Seuil, 1974.
2 Michel Foucault emploie la notion d' " individualisation d'un discours » pour décrire les opérations par lesquelles le
chercheur montre l'appartenance commune d'énoncés hétérogènes à une entité discursive. Michel Foucault, L'archéologie
du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p.51.3 La notion de démocratie radicale est entendue au sens de Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, qui insistent sur la dimension
dynamique et conflictuelle de l'approfondissement démocratique, plutôt qu'à celui de Jürgen Habermas comme idéal
d'autolégislation par la communication. Chantal Mouffe, Ernesto Laclau, Hégémonie et stratégie socialiste, vers une
politique démocratique radicale, Paris, Les solitaires intempestifs, 2009 [1985, trad. de l'anglais par Julien Abriel]. Jürgen
Habermas, Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1997 [1992, trad. de l'allemand par Rainer Rochlitz et Christian
Bouchindhomme].
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