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La naissance d'un nouvel homme

Après avoir lu attentivement ce passage répondez aux questions suivantes : Vous devez rédiger vos réponses en vous appuyant sur l'étude précise du texte en nommant les procédés utilisés chaque fois qu'il est possible.

Il montait

lentement les marches, le coeur battant, l'esprit anxieux, harcelé surtout par la crainte d'être ridicule ; et, soudain, il aperçut en face de lui un

monsieur en grande toilette qui le regardait. Ils se trouvaient si près l'un de l'autre que Duroy fit un mouvement en arrière, puis il demeura stupéfait : c'était lui-même,

reflété par une haute glace en pied qui formait sur le palier du premier une longue perspective de galerie. Un élan de joie le fit tressaillir, tant il se jugea mieux qu'il

n'aurait cru. N'ayant chez lui que son petit miroir à barbe, il n'avait pu se contempler entièrement, et comme il n'y voyait que fort mal les diverses parties de

sa toilette improvisée, il s'exagérait les imperfections, s'affolait à l'idée d'être grotesque. Mais voilà qu'en s'apercevant brusquement dans la glace, il ne s'était pas même reconnu ; il s'était pris pour un autre, pour un homme du monde, qu'il avait trouvé fort bien, fort chic,

au premier coup d'oeil. Et maintenant, en se regardant avec soin, il reconnaissait que, vraiment, l'ensemble était satisfaisant. Alors il s'étudia

comme font les acteurs pour apprendre leurs rôles.

Il se sourit, se tendit la main, fit

des gestes, exprima des sentiments : l'étonnement, le plaisir, l'approbation ; et il chercha les degrés du sourire et les intentions de l'oeil pour se montrer galant auprès des dames, leur faire comprendre qu'on les admire et qu'on les désire.

Une porte s'ouvrit dans l'escalier. Il eut peur d'être surpris et il se mit à monter fort vite et avec

la crainte d'avoir été vu, minaudant ainsi, par quelque invité de son ami. En arrivant au second étage, il aperçut une autre glace et il ralentit sa marche pour se regarder passer. Sa tournure lui parut vraiment élégante. Il marchait bien. Et une confiance

immodérée en lui-même emplit son âme. Certes, il réussirait avec cette figure-là et

son désir d'arriver, et la résolution qu'il se connaissait et l'indépendance de son esprit. Il avait envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage. Il s'arrêta

devant la troisième glace, frisa sa moustache d'un mouvement qui lui était familier,

ôta son chapeau pour rajuster sa chevelure, et murmura à mi-voix, comme il faisait souvent : " Voilà une excellente invention. » Puis, tendant la main vers le timbre, il

sonna.

Bel Ami, Maupassant

1. Relevez le champ lexical de la perception. Que peut-on dire des verbes?

2. Expliquez le rôle du miroir dans l'extrait et par rapport à tout le roman.

3. Peut-on affirmer que George Duroy porte un nouveau regard sur lui-même?

Justifiez votre réponse en citant

4. Peut-on parler d'une mise en scène d'un autre lui-même? Relevez les expressions

du texte qui le montrent.

5. Quelles sont les expressions de l'extrait qui trahissent son désir d'évoluer dans

l'échelle sociale?

6. Relevez une accumulation qui prouve votre réponse.

7. Est-ce que la couverture de la Vie Populaire est réaliste par rapport à cet extrait ?

Bilan : En une quinzaine vous répondrez à la question suivante : Peut-on parler à la fin du texte d'un nouvel homme?

La naissance d'un nouvel homme

Eléments correction et analyse :

1) Le Champ lexical de la perception est essentiel dans ce passage écrit en

focalisation interne. Il nous donne accès aux pensées du personnage seul ; Les verbes employés traduisent l'étude attentive de son reflet, jusqu' à la reconnaissance. C'est par la perception, ici le regard que Duroy accède à une nouvelle image de lui même et prend confiance en lui.

2) Le miroir est un élément symbolique très riche.

Tout d'abord, dans cette scène le miroir permet à Duroy d'accéder à une nouvelle identité, de se reconnaître. Par ailleurs il prend conscience de l'image qu'il renvoie, et de son importance. Le miroir insiste évidemment sur l'importance des apparences dans le roman. La comparaison avec le jeu d'acteur met en lumière l'artifice du personnage. Cette pantomime que façonne Duroy dans la glace est adressée aux femmes, ressort essentiel de la réussite du personnage dans le roman. Le miroir souligne bien sûr le narcissisme et l'égoïsme de Duroy, séduit par son propre reflet comme Narcisse.

3) Cette scène de transformation s'appuie sur un découpage et une structure

mise en évidence avec la montée des 3 étages. Il s'agit d'une scène en mouvement : rythmée par de nombreux adverbes qui accompagnent les verbes d'actions au passé simple. Ce découpage accompagne le changement de perception de Duroy, marqué par de nombreuses oppositions et gradations entre le début et la fin du passage.

4) La notion de mise en scène est essentielle ici puisque Duroy se construit un

personnage dans le miroir : son costume, son allure, ses gestes, sa voix et les choix des mots sont étudiés, répété s. Il crée son double, véritable personnage de théâtre pour faire son entrée dans le monde ; cette société parisienne bourgeoise, marquée par le règne des apparences, souvent trompeuses.

5) Dans cette scène, Maupassant évoque de manière symbolique l'ambition de

Duroy. La montée des marches illustre son désir d'ascension sociale. Le mythe de Narcisse est raconté dans le livre III des Métamorphoses d'Ovide . Narcisse, superbe jeune homme, est indifférent aux sentiments qu'il provoque autour de lui, et il rejette en particulier l'amour que lui porte sa malheureuse prétendante Écho. Ovide décrit ainsi l'événement qui poussera ensuite Narcisse à sa perte " Un jour, après la chasse, le jeune homme veut se désaltérer à une source d'eau pure, et s'éprend de son propre reflet dans l'eau. Éperdument amoureux de l'être qu'il aperçoit, il tente désespérément de saisir sa propre image, incapable de s'arracher à sa pro pre contemplation. »

Ovide,

Métamorphoses, livre III (légendes thébaines). Narcisse est un tableau fréquemment attribué au peintre italien de la renaissance : Caravage et probablement peint vers 1598-1599, désormais conservé à la galerie nationale d'art ancien de Rome, au palais Barberini . Il représente le personnage mythologique de Narcisse qui se mire dans l'eau.

La naissance d'un nouvel homme

L'emploi du conditionnel

" il réussirait » semble anticiper l'avenir et souligne le désir du personnage. L'origine énonciative de cette longue phrase (propositions coordonnées à un rythme ternaire) est d'ailleurs ambigüe, le lecteur peut se demander s'il s'agit d'un commentaire d'auteur ou plutôt d'un emploi du discours indirect libre.

6) Le désir de Duroy se traduit notamment par un système de gradation et

d'énumérations : " Il avait envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage ».

" Certes, il réussirait avec cette figure-là et son désir d'arriver, et la résolution qu'il se

connaissait et l'indépendance de son esprit »

7) La posture du personnage évoque tout à fait celle d'un comédien, d'un

ténor d'opéra, d'un acteur en représentation. Quelque peu caricaturale elle traduit bien l'attitude de Duroy. Toutefois on peut trouver dommage que le dessinateur n'est pas représenté le double de Duroy dans la glace, véritable clef symbolique dans la construction du personnage.

8) -Une scène de transformation : scène découpée construite autour du

basculement, de la prise de conscience de Duroy. " il demeura stupéfait : c'était lui- même » -Une scène qui convoque des symboles forts :

Les 3 glaces. Fonction du miroir.

La montée des marches.

Symbole de la volonté d'ascension du perso.

Un nouveau Duroy : " il s'était pris pour un autre »

La confiance en soi et le désir de réussir.

-Duroy comme metteur en scène de son double.

Le jeu d'acteur devant la glace.

Le masque comme fausse identité.

Duroy existe à travers le regard qu'il porte sur celui et celui des autres qu'il anticipe. En Psychanalyse on parle du " Stade du miroir » pour éclairer la construction de l'individu en tant que sujet. La notion est certes élaborée après la parution du roman de Maupassant,

Mais ce passage de Bel-Ami n'en est pas moins une

étonnante évocation...

Cette phase, décrite par le psychanalyste J. Lacan dans la première moitié du

XXème siècle

("Les complexes familiaux", 1938), survient chez l'enfant entre six et dix huit mois, celui-ci appréhende alors l'image unifiée de son corps et se reconnait dans le miroir ce qui lui procure une immense joie. C'est le temps où se constitue l'identification narcissique du moi (moi idéal). Vous trouverez ici une vidéo illustrant les recherches sur l'évolution psychique de l'enfant et sa perception de lui-même à travers le miroir...quotesdbs_dbs28.pdfusesText_34

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