[PDF] Fait main * H est « de bon ton>> doffrir en cadeau de fin dannée

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l'Université le plus réjouissant pétard qui ait depuis longtemps fait se ca- brer les vieux chevaux de retour, le déjà célèbre pamphlet de Mustapha

Khayati qui s'ouvre sur les mots

" Nous pouvons affirmer, sans grand risque de nous tromper, que l'étu-diant en France est, après le policier et le prêtre, l'être le plus universelle- ment méprisé. » L'occupation, le pro- cès et le tumulte qui s'ensuivirent créèrent une de ces e situations » dont l'I.S . avait fait son objectif : " Faireles situations, non les reconnaître ».

A la Sorbonne, dès le début de

l'occupation, les situationnistes sur- girent avec un projet inaugural très simple : " Déterrons et renvoyons à l'Elysée et au Vatican les restes de l'immonde Richelieu, homme -d'Etatet cardinal n. On ne sait pourquoi, ce -projet ne fut pas retenu.

Après deux livres " théoriques » re-

marquables (" la Société du specta- cle » de Guy Débord, et le " Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes géné- rations », de Raoul Vaneigem), I'LS. publie le récit-dossier de ses activités récentes. L'ouvrage de René Viénet porte un titre un peu compassée Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations ». Son contenu ne l'est pas (compassé). On y trouvera un compte rendu très pré- cieux des activités des membres de ri. S. en mai et juin, des faux comic- strips très méchants et drôles, des pho- tographies très vivantes, des tracts très percutants, le texte du célèbre pam- phlet " De la misère en Milieu étti- diant », et, partout, ce mélange de pénétration, critique, de formules dé- fonçantes, d'agressivité joyeuse, de paranoïa de groupe, d'utopie féconde et d'humour au quatrième degré qui fait de l'I. S. autre chose et mieux qu'un groupuscule ou qu'une "école » une petite société de pensée virulente et audacieuse, le commando de choc d'un bon sens insolent et redoutable.

Car si les situationnistes empêchent

constamment les badauds médusés de savoir avec eux sur quel pied danser, ils savent très bien, eux, marcher.

Sont-ils sérieux, farceurs ou dingues,

se demandent les Tbons apôtres devant ces mauvais diables. La réponse est qu'ils sont sérieux dans leurs analyses, farceurs débloquants et forceurs de blocus dans leur démarche, et que dans leur manie des décrets d'excom- munication, des exclusions, dans la frénésie en vase clos de leur " dyna- mique de groupe », ils pastichent seulement la grande tradition des " charrettes » du mouvement surréa- liste. De leurs descriptions de la vie quotidienne, qui développaient et

élargissaient dès 1958 les intuitions

et les vues du livre de Henri Lefebvre, " Critique de la vie quotidienne »' à l'apparition, en mars 1966, dans l'L S., du projet des " Conseils ouvriers », la réflexion des situationnistes serre de plus en plus près ce qui nous serre à la gorge. Dans le grand combat engagé partout contre l'op- pression de la " marchandise », de rEtat autoritaire et bureaucratique, les situationnistes ne sont ni des éner- gumènes ni des rigolos, mais des jeunes gens très intelligents. L'intelli- gence met de bonne humeur, et la bonne humeur rend hardi.

CLAUDE ROY

J'ai promené partout avec

moi, durant mes vacances, " Belle du Seigneur », cet

énorme roman dont les di-

mensions m'effrayaient. Je l'ai Iu après tout le monde. Pour mon plaisir, le- quel n'a pas été médiocre. C'est un livre extraordinaire, irritant, magnifi- que, propre à déclencher les passions.

En somme le livre à offrir.

De ma vie je n'ai assisté au spec-

-tacle d'une telle délectation d'un auteur en présence de la bêtise. Deux bourgeoises idiotes se téléphonent- elles? Albert Cohen vous rapportera le texte intégral de leur conversation.

Inutile cela ? Pas du tout: Après quel-

ques dizaines de pages de cette veine, quelque chose a craqué en vous.

Votre sottise propre vous saute aux

yeux, vous emplit la bouche d'un goût _ amer. Vous n'êtes plus rien. C'est une singulière expérience. Si vous devez, après cela, vous sentir supérieur aux autres, inutile de lire " Belle du Sei- gneur ». C'est un livre fait pour casser l'orgueil. Pour casser tout. Au pas- sage, et dans son pessimisme absolu, il ramène à zéro la passion sexuelle.

Ça l'amour ? Cette frénésie cruelle

qui va pousser au suicide les deux héros du drame, Solal et Ariane ? Pas de doute, à la limite extrême où Albert

Cohen nous conduit, c'est bien cela.(

Je crois saisir en cet esprit très reli-

gieux,. très religieusement juif d'Albert Cohen, un immense désir de pureté. Qu'on soit ou non d'accord sur le principe sous-jacent, on consta- tera que ce n'est pas là un des aspects les moins intéressants du livre. Et puis, en dépit des longueurs, la démar- che est splendide, royale peut-on dire.

Ce qu'Albert Cohen ne met jamais en

doute, et avec raison, c'est son pouvoir de création. Il avance et tout s'écarte devant lui.

Fait main

J'aurais voulu éviter de parler de

prix littéraires et me voilà contraint de placer, après le lauréat de l'Aca- démie française, celui du Femina.

C'èst parce que Marguerite Your-

cenar, dans " rCEuvre au noir », me paraît avoir une démarche inverse de celle d'Albert Cohen. Jacques Brenner a dit dans ce journal tout le bien qu'il fallait penser de ce roman fort impor- tant. Si j'y ajoute quelques mots, c'est plutôt pour marquer une certaine réti- cence. C'est si bien fait! Comment '- ne pas tirer son chapeau devant tant d'érudition soigneuse ? Pas un instant on ne s'ennuie ; si loin que soit la

Renaissance, si étrangers puissent

nous paraître ces nobles personnages un peu crasseux, braves inutilement et rêveurs, qui parcourent, à travers les forêts, un pays inimaginable. La documentation, la compréhension d'un certain phénomène historique sont parfaits ; on le devine ; on le pressent si on ne le sait pas ; mais on s'en fiche. Le temps est mort. Alexan- dre Dumas n'a jamais fait des mous- quetaires » d'autres hommes que ceux qu'il connaissait vers 1840. C'est lui qui avait raison. On ne reconstitue rien.

Le livre de Marguerite Yourcenar

est admirable par le savoir et l'atten- tion. Là où il prétend se rattacher aux temps modernes, il s'en détache.

Et cela ne serait pas trop sensible si

le style ne s'efforçait de s'adapter.

A quoi ? A rien que nous puissions

connaître. L'auteur, consciente de la gravité du sujet qu'elle traite, imagine un type d'écriture solennel, certes non dépourvu de qualités, mais froid et sentant l'huile », ce que les connaisseurs disaient voici longtemps de " Madame Bovary », l'opposant à c rEducation sentimentale ». Vous achèterez, vous offrirez cl'OEuvre au noir » parce que c'est un article fait main et une oeuvre d'une remarqua- ble intelligence. Mais il est bien cer- tain que Marguerite Yourcenar ne pourrait dire, paraphrasant le mot célèbre de Haubert : " Zénon, c'est moi.

Léautaud est un écrivain. Exécrable

parfois. Sa fréquentation est cepen- dant tonique. Voici, publié sous la responsabilité de Pascal Pia et Mau- rice Guyot, un livre de près de

900 pages, fort bien présenté, des

c Extraits du journal littéraire », le- quel, dans sa forme originale, est environ dix fois plus gros. Comme il m'amuse ce- bonhomme qui enjambe deux siècles sans bien s'en rendre compte, qui s'arme d'une vertu farou- che et parfois s'en désarme au point de vouloir c maquer » une fille en lui assignant un coin de trottoir * H est " de bon ton>> d'offrir, en cadeau de fin d'année, des " prix littéraires >>.

Il en est de bons

mais il y a mieux

BELLE DU SEIGNEUR

par Albert Cohen.

Gallimard, 848 p., 32 F.

L'CEUVRE AU NOIR

par Marguerite Yourcenar.

Gallimard, 344 p., 20 F.

EXTRAITS DU " JOURNAL

LITTERAIRE »

DE PAUL LEAUTAUD

par Pascal Pia et Maurice Guyot.

Mercure de France, 928 p., 59 F.

CORRESPONDANCE

ANDRE GIDE -

ROGER MARTIN DU GARD

Gallimard, 744 p., 42 F, et 560 p.,

38F: •

SEXUS par Henry Miller.

Buchet-Chastel, 666 p., 30 F.

L'OR DE LA TERRE PROMISE

par Henry Roth.

Grasset, 456 p., 24 F.

LE-PAVILLON DES CANCEREUX

par Soljenitsyne.

Julliard, 800 p., 31 F.

LE PREMIER CERCLE

par Soljenitsyne.

Robert Laffont 576 p., 33,70 F.

LES CHEVAUX DU SOLEIL et

UNE FEMME AU NOM D'ETOILE

par-Jules Roy.

Grasset, 456 p., 24 F, et 464 p.,

25 F.

LE VOL D'ICARE

par Raymond Queneau.

Gallimard, 260 p., 14 F.

LE MAITRE DE MAISON

par François Nourissier.

Grasset, 256p., 18 F.

LE DEVOIR DE VIOLENCE

par Yambo Ouologuem.

Le Seuil, 200 p., 15F.

NABAB par Roger Boussinot

Robert Laffont, 272 p., 13 F.

LES ILLUSIONS

DE LA MER.

par -Jean d'Ormesson.

JUlliard, 352 p., 20,70 F.

Page 34 Lundi 23 décembre 1968

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