[PDF] Renault Billancourt 1950-1992: le parti communiste et les ouvriers

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Université Paris I, Panthéon - Sorbonne

e siècle (UMR 8058) (ED 113)

Renault Billancourt, 1950 1992

Le parti communiste et les ouvriers

Identités ouvrières et identité de parti

Thèse pour le doctorat d'histoire,

Présentée et soutenue publiquement par

Alain VIGUIER

Le 16 octobre 2017

Sous la direction de M. le Professeur Michel PIGENET

Membres du jury :

M. Paul BOULLAND, ingénieur de recherche, CNRS, Centre d'histoire sociale du XXe siècle M. Nicolas HATZFELD, professeur d'histoire contemporaine, Université d'Evry (rapporteur) M. Michel MARGAIRAZ, professeur d'histoire contemporaine, Université Paris Panthéon-

Sorbonne

M. Julian MISCHI, directeur de recherche en sociologie, INRA, Dijon

M. Michel PIGENET, professeur émérite d'histoire contemporaine, Université Paris 1 Panthéon-

Sorbonne (directeur)

M. Xavier VIGNA, professeur d'histoire contemporaine, Université de Bourgogne (rapporteur) 2 3

Résumé

Mots clé : Communiste (Parti), identité, immigré, insubordination, métier, militant, ouvrier

qualifié, ouvrier spécialisé,

Summary

4 Key words : Communist (Party), identity, immigrant, insubordination, job, militant, skillworker, unskillworker, 5

Remerciements

limites relevant de ma seule responsabilité. Cette thèse doit aussi à ma fréquentation pendant de nombreuses années de militants à Billancourt. Parmi ceux-ci, Clara et Henri Benoîts me sont découvrir et mieux comprendre bien des aspects de la lutte politique et syndicale à Renault, en particulier le combat des ouvriers algériens pour pense en particulier à René Dang et à Enrique Izierte, ancien combattant de la guerre civile espagnole, passé ensuite par le PCF quitté en 1968. enfin, les dix années de compagnonnage avec Philippe Boisseau, à

Renault.

ouverture de militants aux parcours politiques parfois différents ou éloignés du mien, qui ont accepté de répondre à mes demandes un camarade fait Raymond Treppo, me percevant comme partageant les mêmes bien que les points de vue que je développe à propos du PCF puissent avec des militants de Billancourt dont il préparait la notice biographique. des années 1980, comblant des lacunes dans mes propres sources. Je lui en suis redevable. Ce travail doit beaucoup à Marie Dominique, ma compagne, qui a eu la patience de relire mes rédactions successives à propos desquelles elle a pu faire des remarques pertinentes. Dans les dernières semaines, ce travail nous a sans doute privé de quelques loisirs. Cependant il a été

Et enfin Sandra qui dans les

6 7

Sommaire

Résumé / summary

Remerciements

Sommaire

Préambule

Introduction

1 Billancourt et le Parti communiste, quelle approche historiographique ?

2 Identités ouvrières et politique communiste à Billancourt

3 La limitation du domaine étudié, et ses conséquences

Partie I - 1950- 1992. Billancourt, théâtre politique. Le cadre et les acteurs

1 Billancourt : cadre physique et symbolique de luttes politiques

2 Les acteurs salariés : leur métier, leur origine, leur statut

3 Force et influence des acteurs collectifs, syndicats et partis

Partie II -

des gauches ouvriers et du corps militant communiste

Partie III -

commun

1 Les conflits, les nouvelles dynamiques ouvrières leurs forces et leurs limites

2 La politique communiste contrariée par les contestations ouvrières

3 1978- 1980, les ouvriers affaiblis, les communistes sans perspectives

8

Partie IV -

1 Les ouvriers déstabilisés, puis stigmatisés

2 Les ouvriers perd l'appui de OS sans gagner celui des ITC

3 La section communiste de Billancourt, un bateau ivre

4 Billancourt, un univers politique défait

Conclusion

Annexes

Index

Bibliographie et sources

Table des matières

9

Préambule

Le sujet que je vais

ur,

1 diverses missions et responsabilités, à la charnière

les évolutions des technologies de production et du travail ouvrier2 syndiqué au syndicat SRTA CFDT sans y avoir de responsabilité particulière, et militant -mêmes espoirs de mai 1968. Travaillant dans cette usine qui, au début des années 1970, employait un peu plus de 38 000

salariés, dont les deux tiers étaient des ouvriers, je ne pouvais pas être indifférent à sa charge

t le Parti communiste, comme à la difficulté des approfondir ma compréhension de la dynamique des luttes assuré 3. moins politique. Ce faisant, ne suis- du PCF, de son implantation et de sa politique enfin des causes de son dépérissement en tant q-delà de la nécessité de comprendre ? Sans doute ce risque existe-t- haut », à distance comme

1 ai cessé mon activité salariée en juillet 2007

2 (Division Machinisme Agricole

choix industriels puis aux produits en développement, en dernier lieu enfin dans un service de stratégie

industrielle de la direction de la mécanique.

3 Le Monde, daté du 24 septembre 2015

10 un univers social et culturel marqué par la ruralité

et largement ignorant, non pas des réalités ouvrières, mais de celles de la grande industrie.

rejetées le PCF. Bien que je doive mettre à distance ma propre subjectivité pour prendre le parti des inier comme parfois aux attentes politiques du Parti communiste.

Dans les " années 68

et sociales. Cela répondait alors au besoin qui incombe au militant de les comprendre. Je dois m plupart des militants qui le critiquaient4

donnait à voir de lui-même, ses prétentions comme ses ambitions, sans accéder aux

que par des relations individuelles permises par le syndicat, alors que je ne partageais guère les valeurs du milieu

professionnel dans lequel je baignais. Cette altérité, sociale et subjective, me mettait dès lors

de la force de travail ouvriè

et de son affirmation renforcée en dépit de son euphémisation par les subterfuges de la langue

de bois managériale. La présente étude me permet ainsi à la fois de satisfaire un intérêt

historique et de mettre à distance un vécu personnel qui pour avoir été une source

collecter tracts, documents, bilans, ouvrages ou études, notes diverses, et liens personnels 4

avaient milité dans la CGT, et parfois en étaient encore membres, en avaient une approche moins

stéréotypée. 11 c Dreyfus, explorant la construction du mythe de la " forteresse ouvrière », propos qui ne -delà des le de Renault Billancourt de 1950 à 1992, ouvrière, comme dans celui de la société française,

toutefois ce pouvait être aussi une source de difficultés. Je devais me défaire des

ine emblématique et ses travailleurs ont été convoqués pour légitimer des propositions politiques ou illustrer un discours politique, voire une thèse universitaire sur le rapport des ouvriers à la politique. Fermée depuis plus de vingt ans, ce u passé. La buts politiques et sociaux des journalistes ou des hommes politiques, aux 12 13

Introduction

mémoire de ce qui a été le travail, les conflits, ainsi que les solidarités, est encore portée par

guère mise en récit que quelques vestiges dérisoires qui ne rendent pas compte de la communauté humaine on et de lutte, histoire collective faite de fatigue et de révolte communisme français devenue encombrante dans le dernier quart du vingtième siècle. La u projet de Billancourt 2000, répondait sans doute à -même, et dont le changement de statut était un marqueur, que Ce passage dans une modernité dont la fermeture de Billancourt et la création du " Technocentre » de Guyancourt se voulaient deux actes emblématiques, suppose néanmoins un changement dans l nationalisation de 1945, restait un acte fondateur à " la Régie », ma

Louis Renault, puis la nationalisation, sont des péripéties dans une continuité affirmée5. Dans

5 En 1994, une Unité élémentaire de travail (UET), ,

CGT. Voir Syndicat CGT Renault Douai, 40 ans de combat de classe, Paris, Edition Les points sur les i, 2009

14

les années 1970, seul le portrait de Pierre Lefaucheux, premier Président directeur général

direction, vingt ans plus tard, dans les couloirs de la direction générale, la continuité de

Raymond Lévi6.

7 -ci ne la pilote pas8. Elle publie un

Yves Dubreil9 :

conservant un tronc commun de valeurs partagées par tous ». nécessaire pour Renault. »

6 Cette continuité est soulignée par Yves Dubreil, président de la SHGR "

autant changé de système de gouvernance : pour commencer, un patron autocrate, puis Pierre Lefaucheux,

entrepreneur social et étatique représentant d dèle exemplaire de management. Et malgré tous ces avatars, on constate une continuité ». http://www.ametis-renault.com/UPLOAD/media/file/127_ametis_N17.pdf, p. 7

7 Gilbert Hatry avait été membre des jeunesses communistes avant 1939. Animateur du CLAJ de Boulogne. Il

est exclu du PCF au début des années 1950. 8 - (AGR)- enault voit le jour en 1970. Gilbert Hatry est alors cadre à la http://www.ametis-renault.com/UPLOAD/media/file/127_ametis_N17.pdf, p.5

9 Ibidem

15

de génération en génération. Je poursuivrai un récit animé par les contradictions et les

quelques questions suscitées par

pesanteur de cette mémoire pour mettre le passé à distance et éclairer par la recherche des

faits et de pratiques redécouvertes un présent problématique. Cette ambition se heurte aussi

bien au politique de Billancourt emblématisée par le Parti communiste et confortant sa qualité de elles que 1936 ou 1944, le récit du PCF trace lui aussi une continuité édifiante qui fait obstacle à la compréhension de la complexité des rapports que les ouvriers entretiennent avec les organisations politiques et syndicales. Renault Billancourt a joué un rôle singulier dans la politique du Parti communiste depuis le milieu des années 1920. L permis par les grèves de 1936, plus de 7000 adhésions un an plus tard, a symbolisé sa grande rencontre avec la classe ouvriè filmographie militantes ont rendu compte, contribuant à asseoir un mythe Renault10. Cette usine devenue emblématique du lien de ce parti avec la classe ouvrière, non seulement pour a classe politique, construisait une continuité masquant les transformations qui affectaient la classe ouvrière et ses rapports au Parti communiste. son statut u robuste et durable que dans la plupart des autres entreprises automobiles, où le PCF connaît,

au début des années 1950, des échecs suivis de répressions patronales violentes,

désorganisant des " citadelles ouvrières » telles que Citroën11. A Billancourt, le parti a eu

i, si

contrarié sa thèse de la paupérisation absolue de la classe ouvrière, a peu nui à ses capacités

10 Alain Viguier, Renault Billancourt 1936 1970, mythe de la forteresse ouvrière et politique du Parti

communiste français, Master 2, Paris 1 Sorbonne, sous la direction de Michel Dreyfus, 2010, 360 p.

11 venant après ceux de décembre 1947, accentue

automobiles. A Citroën, la capacité de lutte syndicale est annihilée pour plusieurs décennies. En 1954, le p

travailleurs. A SIMCA et Ford des licenciements frappent la CGT. Plusieurs centaines de ses militants et quelques

militants CFTC sont congédiés. Après la fusion de ces deux entreprises en 1953 / 1954, la CGT sera laminée par

Alain Viguier, Renault Billancourt

1936 1970, mythe de la forteresse, opus cit. p.160

16 tions du parti à cette usine, leur es communistes, donnaient à voir, plus

1- Billancourt et le Parti communiste, quelle approche historiographique ?

faire un lieu emblématique de sa archétypale du métallo, lui-même symbole " »12. Aussi a-t-elle

été, avec ses travailleurs, abondamment sollicitée dans les controverses politiques,

contribuant à construire des représentations idéalisées et trompeuses qui se sont imposées

tant à propos de la force réelle du Parti communiste que du rôle de ses ouvriers dans les luttes

politiques et sociales nationales13 années 68 » que les travaux historiques ont mis en cause le rapport univoque entre ouvriers et Parti communiste. Les

rapport étroit entre ce parti et les ouvriers se délitait laissant apparaitre une réalité plus

1.1 Retour nécessaire sur le mythe Billancourt

Billancourt a fait, bien plus fréquemment que les autres usines de France, la " Une » des

1968, des publications des groupes ddevait pas seulement à

ces occurrences. Sa notoriété était entretenue par des intellectuels, artistes, écrivains pour

qui Billancourt était le lieu où ils pouvaient rencontrer les ouvriers, le parti les appelant ainsi

te et à la promotion de Billancourt comme symbole du lien de ce parti à la classe ouvrière. à être visitée par Parti communiste tire profit de cette configuration exceptionnelle et construit à son propos

12 Jean-Paul Molinari, les ouvriers communistes ion ouvrière au PCF

1996, 367 p., p.87.

13 Pour plus de développement voir, Alain Viguier, Renault Billancourt 1936 1970, mythe de la forteresse

ouvrière opus cit. 17 au-delà de son cercle de sympathie. Cependant, le mythe Renault ne doit pas seulement aux dans le discours politique et dans les représentations sociales comme métonymie de la classe

ouvrière elle-même. En 1949 dans le Deuxième sexe, Simone de Beauvoir, faisant référence

aux communautés naturelles, prolétariennes entre autres, cite Saint Denis et Billancourt comme exemplaires de ces dernières. Six ans plus tard, Georges, personnage de Nekrassov, ticommuniste qui se " fout » des ouvriers " soient de Billancourt ou de Moscou »14 et veut désespérer Billancourt par " des slogans terribles »15 il ne faut pas désespérer Billancourt »16. Dans son roman " », Louis Aragon, fait en sorte que le narrateur évoquant la journée du 28 mai de 1952, rencontre des ouvriers en

cortège " sur le quai, près de chez Renault »17. Les écrivains, les artistes, exploitent et

véhiculent, à son propos, des symboles " » détachés des circonstances qui ont pu

contribuer à les établir. Ils permettent la diffusion des figures associées à Renault en les

émancipant des contingences politiques. Elles connaissent dès lors une vie indépendante de

Elles sont véhiculées par les médias et par les hommes politiques les plus divers. Au début

des années 1960, un député de droite peut affirmer q

lorsque Renault éternue, toute la France tressaille »18, tirade fréquemment reprise ensuite.

Gauche prolétarienne

à la société

française19.

14 Jean-Paul Sartre, Nekrassov, Paris, Folio, 2005, 309 p., p.208

15 Ibidem, p 211

16 -Paul

Sartre ; page 209 : "

», " Je trouverai des slogans terribles ! Désespérons Billancourt ! Désespérons ».

17 Louis Aragon, , Paris, Folio, 1972, 596 p., p. 470

18 Cette expression est de Michel Maurice-t de

19 Ainsi un militant de Billancourt dit que grâce " à Sartre, grâce aux grands noms de la politique, grâce aux

artistes et aux gens du spectacle ou du sport qui ont parlé de

pour la France entière »., dans Jacqueline Costa-Lascoux et Emile Témime, Les hommes de Renault Billancourt

1992, Paris, Autrement, 2004, 231 p., p.16, note de bas de page

18 forteresse ouvrière » est popularisée par le livre éponyme du journaliste Jacques Frémontier20 Billancourt, alors que les chocs des grèves ouvrière et " :

Renault »21. Vingt ans plus tard, Daniel Mothé publie dans la revue Esprit, un article

réquisitoire contre le mythe Billancourt et ses mensonges, réquisitoire sans concession

22. Anticipant de quelques années la destruction du

site, il en conclut que " quant aux murs, ils peuvent tomber, pour moi, ils étaient surtout le

», dont les communistes porteraient la

responsabilité, de même que " les gauchistes ». Le retournement symbolique que permet la fermeture sans à-coup de Billancourt, témoigne combien " les peuples exposés [pour nous ici seulement un groupe ouvrier] au ressassement stéréotypé des images sont, eux aussi des

peuples exposés à disparaître »23. En balayant les stéréotypes qui déformaient la réalité de

de démythification font disparaître une réalité ouvrière " dans les poubelles du spectacle »24.

1.2

Un des paradoxes constatés à propos de Billancourt est que sa notoriété politique, son mythe

ganisation du travail, la sociologie des ouvriers, ses

conflits. Elle a été souvent convoquée dans des travaux portant sur la classe ouvrière25,

éalité que le mythe

-Paul Depretto et

26, fait exception.

20 Jacques Frémontier, La Forteresse ouvrière : Renault, Paris, Fayard, 1971, 380 p.

21 Le Monde daté du 12 février 1971

22 Daniel Mothé, " La fin du mythe Billancourt », Revue Esprit, n°2, Février 1990

23 Georges Didi-Huberman, Peuples exposés, peuple figurants, Paris, les Editions de Minuit, 2012, 266 p.

24 Ibidem

25 Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, Paris, Point histoire Seuil, 2002, 321 p.

26 Jean-Paul Depretto et Sylvie Schweitzer : vie ouvrière et mouvement ouvrier chez

Renault 1920-1939, Paris, EDIRES, 1984, 290 p.

19

Badie27

les biographies de Louis Renault28 de son rôle dans la collaboration, ou par Patricia Darrasse dans sa thèse portant sur la condition des ouvriers à Billancourt à cettequotesdbs_dbs22.pdfusesText_28

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