[PDF] Les Français dAlgérie: socio-histoire dune identité





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Université Aboubakr Belkaïd-Tlemcen Thème

L'objectif de l'enseignement du français langue étrangère en Algérie est de pour les Langues (CECRL) et des descriptions par langue (allemand anglais



Les Français dAlgérie: socio-histoire dune identité

29?/04?/2009 naturellement il a pas voulu devenir allemand

1UNIVERSITE PARIS I - PANTHEON-SORBONNE

UFR de Science Politique

Thèse pour obtenir le grade de docteur de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Discipline : Science politique

Les Français d'Algérie : socio-histoire d'une identité

Tome 1

Présentée par Marie MUYL

Dirigée par Monsieur le Professeur Pierre BIRNBAUM

Soutenue le 12 décembre 2007

Jury :

Monsieur Pierre BIRNBAUM, Professeur émérite des Universités en Science Politique, Université

Paris I Panthéon-Sorbonne (Directeur)

Monsieur Xavier CRETTIEZ, Professeur des Universités en Science Politique, Université

Versaille-Saint-Quentin (Rapporteur)

Monsieur Yves DELOYE, Professeur des Universités en Science Politique, Université Paris I

Panthéon-Sorbonne

Madame Nonna MAYER, Directrice de recherche, C.N.R.S. Monsieur Benjamin STORA, Professeur des Universités en Histoire du Maghreb, I.N.A.L.C.O. (Rapporteur)

Sylvie STRUDEL, Professeur des Universités en Science Politique, Université de Tours-François

Rabelais

2 " L'Université n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce document. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. » 3

Remerciements

L'occasion m'est donnée ici d'adresser à Monsieur le Professeur Pierre Birnbaum mes plus sincères remerciements, pour avoir accepté, il y a maintenant près de sept ans, de diriger mon travail. Ses conseils avisés et ses encouragements m'auront été indispensables pour mener à bien mon aventure doctorale. Je profite également de cette page presque blanche pour dire à mes parents combien leurs

épaules m'auront été précieuses, et combien, sans eux, sans leur soutien, sans leur aide, sans

leur contribution, je n'y serais parvenue. Un mot aussi, pour Benjamin, Céline et leurs deux soleils : Camille et Baptiste. Une pensée pour Yvonne et Louis. Ils devraient être à mes côtés. Enfin, un immense merci, à toutes les personnes qui, depuis l'an 2000, m'ont accueillie,

chahutée, bouleversée, celles qui ont sorti pour moi leurs livres, leurs photos, celles qui ont

ouvert pour moi leurs cartons, leurs armoires, leurs mémoires. 4

Tome 1 - Introduction p. 1

1

ère

partie : La naissance des Français d'Algérie p. 15 I - Un laborieux cheminement vers la colonie de peuplement p.17 A - La douloureuse période de la conquête de l'Algérie p.19

1 - Quelle population ? Quelle émigration ? p.21

2 - Une politique migratoire ? p.30

3 - Pourquoi l'Algérie ? p.36

B - Le gonflement de la population par l'arrivée des Européens p.38

1 - Lutter contre le péril étranger p.39

2 - Une loi de naturalisation : vers une homogénéisation ? p.41

3 - La construction d'un discours de filiation à la France p.47

4 - Premiers éléments de communauté p.51

C - La population juive : oscillations entre l'indigénat et la citoyenneté française p.57

1 - Vers une naturalisation massive p.61

2 - Un antisémitisme latent p.65

II - Une identité collective en marche p.70 A - Au coeur des Français d'Algérie p.72

1 - Une hiérarchie interne p.72

2 - Une initiation au régionalisme p. 80

B - Face à l'Autre p.85

1 - Les relations avec la population musulmane p.86

2 - Le rapport aux Français de métropole p.100

3 - Comment se nommer ? p.109

5 III - Le modèle républicain à l'oeuvre. p.120 A - Une acculturation au modèle républicain. La citoyenneté française, ses effets, ses aléas p.122

1 - L'école p.125

2 - L'armée p.131

3 - Un patriotisme exacerbé p.136

B - Le rapport à la métropole : admiration et rébellion p.141

1 - Les troubles antisémites : la reproduction d'une exclusion p.142

2 - Une colonie " rebelle » p.151

3 - La seconde guerre mondiale : la rencontre du Général de Gaulle avec les Français

d'Algérie p.158 2

ème

partie : La marche vers la communauté p.170 I - La fin de l'Algérie française p.174

A - Un quotidien qui change p.175

1 - Un ennemi ? p.176

2 - Continuer à vivre p.180

3 - La population juive : le choix de la France p.183

4 - Des événements ou une guerre ? p.187

B - De l'espoir au désespoir p.194

1 - " C'est grâce à nous » : l'espoir du 13 mai p.196

2 - Des mots et des mensonges p.203

3 - Le " mystérieux » Plan de Constantine p.210

C - Des incompréhensions du quotidien p.216

1 - Les timbres et flammes : des outils au pouvoir insoupçonnés p.217

2 - L'engagement de l'armée p.224

63 - La légalité en question p.235

II - Sur le chemin de l'exil p.237

A - Vers la fin du conflit p.239

1 - Un dernier sursaut : l'OAS p.240

2 - Algérie française, les derniers jours p.246

3 - Des consultations décisives p.254

B - Partir ou rester ? p.256

1 - Les accords d'Evian, un leurre ? p.258

2 - Disparitions et enlèvements p.269

C - Un exode en marche p.276

1 - L'heure du départ p 277

2 - La solidarité mise à l'épreuve p.284

3 - Aller ailleurs qu'en France p.293

D - Douleurs et incertitudes p.296

1 - Douleur psychique, douleur physique p.297

2 - Quel nom pour quelle identité ? p.303

III - La rencontre de deux France p.313

A - Un pied en métropole p.313

1 - Une inconnue peu accueillante p.314

2 - Le rôle de la communauté juive de métropole p.321

B - Une minorité au sein du peuple français p.324

1 - A partir du sud, la dispersion p.324

2 - Une inégalité devant les aides ? p.330

3 - Affronter les mythes p.337

C - Quand leur France rencontre La France p.344

71 - " C'est ça la France » p.344

2- Faire sa place en métropole p.350

3

ème

partie : Emergence, conscientisation et affirmation d'une identité p.363

I - Du Français d'Algérie au Pied-Noir

p.365

A - Qui est pied-noir ? p.366

1 - La naissance en Algérie française ; le " voyage » pour la quitter p.367

2 - La mémoire sensorielle p.373

B - Se construire pour soi et par rapport aux autres p.384

1 - Le rapport à la population immigrée d'Afrique du nord p.385

2 - Le rapport aux métropolitains p.396

C - Vers une identité collective " assumée » p.402

1 - Le rapport au passé : reconnaissance, appropriation, reproduction p.402

2 - Une stigmatisation collective revalorisée : se réapproprier un nom p.408

3 - Donner du sens à son identité : qu'est-ce qu'être pied-noir ? p.414

II - Les Pieds-Noirs au coeur de la communauté nationale p.423 A - Une mémoire pied-noire qui résiste p.424

1 - La survivance d'une mémoire vive : mythifier ce passé qui ne passe pas p.426

2 - Les remous de l'écriture de l'histoire p.440

B - La France change p.454

1 - Une nouvelle place pour les différences : vers une possible reconnaissance de la

communauté ? p.455

2 - Etre pied-noir en France : faire face à l'illégitimité p.465

8 III - Evolution, transmission, conversion p.485 A - Face à la contestation, que faire de son passé ? p.487

1 - Les racines en question p.488

2 - La transmission est-elle possible ? p.502

3 - Ecrire et raconter p.513

B - Vers une nouvelle mutation ? Le cas du PPN : pour un avenir de l'identité pied-noire p.522

1 - Porter la voix d'une minorité en mal de reconnaissance p.524

2 - Survivre en France, exister en Europe p.534

Conclusion p.545

Bibliographie p.552

Annexes p.559

- Tome 2 p.559 - Tome 3 p.101 9 " Ils ont de commun la perte de leur terre, de leur soleil, de leurs biens, de la sépulture

de leurs morts, de leurs joies, le souvenir de leurs peines, de leurs espérances... (...) Voilà

l'identité de la souffrance des êtres qui composent cette communauté, si diverse, jetée sur le

rivage métropolitain » 1

Ce sont les Français d'Algérie, population créée de toutes pièces par la volonté de l'Etat

français en pleine euphorie colonisatrice. Pourtant, l'Algérie ne constituait pas pour la France

du XIXème siècle un objectif réel de conquête et de colonisation. C'est un concours

d'événements qui amènera une métropole, soucieuse d'imposer son autorité dans une zone

draguée de toutes parts, à envoyer soldats et colons sur l'autre rive de la Méditerranée. Peu

attrayante, la terre algérienne résiste à l'effort, entraîne maladies et morts. De plus, sa

population n'est pas prête à céder à l'autorité de la France, toute puissance européenne qu'elle

soit. L'Algérie se fait plus revêche que ne l'avaient envisagé les autorités métropolitaines.

Malgré les intentions de la France de faire de l'Algérie une colonie de peuplement, le nombre

de Français sur place stagne. Le travail use les quelques courageux qui ne se sont pas décidés

à refaire le voyage vers la métropole.

En revanche, ouvertes sur l'extérieur, les frontières de l'Algérie désormais française laissent

entrer et s'installer des flux massifs d'individus provenant des quatre coins d'Europe, fuyant misère ou oppression politique. Bientôt plus nombreux que les Français de métropole, ils

constituent peu à peu une menace sur la supériorité de la France qui, après avoir déjà grossi

ses rangs en naturalisant massivement les Juifs d'Algérie -avec l'appui indispensable de la communauté juive de France- fait français ces Européens de toutes origines. La France va

entreprendre de se les " approprier », tout comme eux, en retour, vont apprendre à aimer et à

servir leur nouvelle patrie. Des accrocs viendront, certes, bouleverser ponctuellement cette relation entre la France et ses nouveaux citoyens, mais elle ne cessera de leur rappeler qu'ils sont désormais ses enfants - français sur une terre française-, tout comme ils ne cesseront de lui rappeler, parfois bruyamment, qu'elle est leur mère-patrie.

En 1954 éclate le conflit qui mènera, près de huit années plus tard, à l'indépendance de

l'Algérie. L'Algérie française disparaîtra, comme elle avait été créée, presque aussi

10subitement, et avec l'accord presque unanime d'une métropole fatiguée par une violence

incompréhensible et approuvant le Général de Gaulle dans ses décisions de " libérer » la

métropole de ce qui était, selon lui, devenu une charge, économique, démographique et

politique. De cette époque date aussi la confirmation d'une césure entamée quelques années

plus tôt, mais jugée alors non irrémédiable, entre la métropole et sa colonie, ou, plus

précisément, entre Français de métropole et Français d'Algérie. Ces derniers, nés sur le sol d'une Algérie française d'où ils tirent, logiquement, leur

appartenance à la communauté nationale, voient, avec ce conflit, se déliter l'ensemble de leur

univers, la totalité de leurs repères. Menacés, apeurés, inquiets, ils seront pourtant encouragés

par la métropole, au coeur même du conflit, à croire en la pérennité de leur situation et en leur

avenir algérien. Mais, progressivement, les contradictions se feront jour, les affrontements aussi, avec le gouvernement, avec l'armée -des affrontements particulièrement bouleversants

pour les Français d'Algérie qui sentent que la France se détache irrémédiablement de la

colonie qu'elle a construite depuis les années 1830, et sur laquelle elle leur a, véritablement,

donné naissance. Créée par la volonté de la France, la population française d'Algérie devrait-

elle disparaître de la même façon ? Peuple de l'Algérie française, les Français d'Algérie

devraient-ils, comme elle, cesser tout simplement d'exister ?

C'est en tout cas cette impression qu'ils ne vont, dès lors, cesser de ressentir. Car, si la France

sera parvenue, avec plus ou moins de réussite, à quitter, matériellement, sa colonie et à

assister à la naissance d'une Algérie algérienne, le départ s'avèrera bien plus compliqué pour

une population qui a dû, du jour au lendemain, accepter l'inacceptable : quitter leur terre

natale, la terre de leurs aïeux, la terre sur laquelle ils avaient envisagé leur avenir et celui de

leurs enfants, une terre dont la France n'aura cessé de leur répéter qu'elle était la leur et

qu'elle était française. Cette France qui tourne désormais le dos à son histoire sur l'autre rive

et à son Algérie française, se détourne, par la même occasion, de ceux qui la symbolisent le

mieux. Les Français d'Algérie sont les témoins vivants d'un égarement colonial, et la France

semble de pas pouvoir accepter qu'il subsiste, quelque part, la trace de cette époque.

C'est dans ces conditions que les Français d'Algérie vont, malgré eux mais poussés par la

peur et la détresse, quitter leur terre algérienne, pour aller rejoindre une mère patrie, longtemps adorée, mais qui vient, violemment, de les trahir et de les abandonner. Et c'est

dans cette succession d'événements dramatiques, dans ce véritable arrachement, et dans cette

11souffrance commune qu'ils vont, selon notre hypothèse, prendre véritablement conscience de

ce qu'ils participent d'un même ensemble, d'une communauté. Dans l'adversité, le désarroi,

et l'indifférence parfois moqueuse d'une métropole qui refuse de voir s'installer sur son sol

des individus, étrangement surnommés " Pieds-Noirs », et à propos desquels circulent toutes

sortes de mythes péjoratifs. Pieds-Noirs ? Ils n'en saisissent pas le sens, ni l'origine, mais ils

comprennent rapidement que cette expression sert à les stigmatiser collectivement, et, par là même, à renforcer la perception d'eux-mêmes en tant que groupe déterminé.

A bientôt cinquante années de la fin de ce que l'on appelle désormais la guerre d'Algérie, la

France regarde toujours avec angoisse et appréhension cette période de son passé. Mais si elle

a pu, presque du jour au lendemain, quitter cette Algérie désormais algérienne, il n'était pas

possible que s'efface avec la disparition de l'Algérie française, celle de centaines de milliers

de Français d'Algérie désemparés car voyant sous leurs yeux se désintégrer leurs vies, leur

environnement, leurs points de repères. Comme le rappelle Michel Wieviorka, " bien des

identités (...) ont été créées ou renforcées par des pouvoirs politiques impériaux ou coloniaux

(...) pour mieux assurer leur suprématie. » 2 . Dès lors, que sont devenus ces Français

d'Algérie, Pieds-Noirs en métropole, une fois le pouvoir colonial français désavoué, une fois

leur environnement décimé, effacé, renié ? Sont-ils parvenus à prendre leur indépendance

identitaire ? A s'approprier et à positiver une stigmatisation identitaire négative ? Sont-ils

parvenus à faire vivre leur communauté conscientisée au-delà de son drame fondateur ? Ont-

ils réussi à faire accepter leur existence et la légitimité de leur présence et de leur souffrance

dans une métropole fermée aux symboles de l'Algérie française ? Quel rapport entretiennent-

ils avec leur passé, essentiel à leur identité, et pourtant inaudible à la France dans laquelle ils

évoluent ? Dans un contexte national à la fois fermé à leur mémoire algérienne et de plus en

plus ouvert à l'expression des différences, quelle place reste-il pour une identité pied-noire ?

Peut-on envisager une pérennisation de la communauté et de l'identité pieds-noires au-delà de

ceux-là mêmes qui ne parviennent toujours pas à en faire reconnaître l'existence, et à faire

admettre la légitimité de son expression ?

" Le concept d'identité est débattu, controversé. Au premier abord, il est peu clair, complexe,

multiple, déroutant. Il comporte une dimension individuelle et une dimension collective ; une

12dimension positive, constituée autour de quelques traits communs, et une dimension négative,

caractérisée par la dévalorisation ou le dénigrement de l'autre, du voisin, de l'étranger. »

3 Ni immanente ni immuable, selon l'expression de Denis-Constant Martin 4 , l'identité se construit dans un rapport fondamental à la mémoire, à travers un travail permanent " de

réappropriation et de négociations que chacun doit faire vis-à-vis de son passé pour advenir

dans son individualité propre » 5 . Enracinant de même profondément l'identité dans un

processus mémoriel, Isaac Chiva définit l'identité comme " la capacité que possède chacun de

nous de rester conscient de la continuité de sa vie à travers changements, crises et ruptures »

6 suivant ainsi la pensée de Maurice Halbwachs pour qui, " de chaque époque de notre vie, nous gardons quelques souvenirs, sans cesse reproduits, et, à travers lesquels se perpétue, comme par l'effet d'une filitation continue, le sentiment de notre identité. » 7

Selon nous, même si c'est à compter de leur présence sur le sol métropolitain, et au terme

d'un voyage bouleversant à bien des égards, que les Français d'Algérie semblent avoir véritablement pris conscience de ce qu'ils partageaient une même souffrance, et qu'ils se sont

ainsi retrouvés dans une adversité fondatrice et uniformisante, il ne s'agira pas pour autant de

considérer cette période comme marquant la naissance d'une identité inédite et nouvelle, mais

plutôt comme la nouvelle étape d'un cheminement entamé en Algérie, et poursuivie sous un nouveau nom : celui de Pieds-Noirs. En effet, comme le rappelle Joël Candau, les individus ne créent pas leur identité " de novo » 8 . " Des commencements entièrement nouveaux sont inconcevables (...) car trop de loyautés et d'habitudes anciennes empêchent la substitution complète d'une nouvelle origine à des temporalités antérieures. » 9 . Ainsi, indispensable à la

consolidation et à l'affirmation de leur identité, la mémoire des Français d'Algérie - au sens

donné par Pierre Nora de " souvenir ou (...) ensemble de souvenirs, conscients ou non, d'une

13expérience vécue et/ou mythifiée par une collectivité vivante de l'identité de laquelle le passé

fait partie intégrante » 10 - leur permet de l'inscrire dans un passé qui dépasse parfois leur seule existence, dans un temps long qui leur donne une assise et qui répond à leur besoin

d'accroître, face à une France qui se fait sourde, les " preuves » de leur légitimité de leur

identité, " tributaire [ du ] vécu d'hier et des traces qu'il a laissées (...). » 11

Provoqué violemment, dénié en France, base contestée de leur communauté, le passé des

Français d'Algérie fait l'objet, de leur part, d'une véritable cristallisation qui, en même temps

qu'elle leur permet de " résister » face à une France qui refuse de regarder ces témoins et de

reconnaître la légitimité de leur présence en France, leur permet de lutter contre

" l'écoulement du temps (...) [ qui ] menace les individus et les groupes dans leur être même.

Comment arrêter ce temps dévastateur, (...) comment s'affranchir de " l'universelle mise en

ruines » dont il menace toute vie ? La mémoire en donnera l'illusion : ce qui est passé n'est

pas définitivement enfui puisqu'il est possible de le faire revivre grâce au souvenir. » 12 En effet, comme le rappelle Marie-Claire Lavabre, dans le vocabulaire commun, " la mémoire

n'est autre que la faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passés, de garder

le souvenir » 13 . Elle renvoie au sensible et au vécu et peut même, selon l'auteur, renvoyer à ce

mouvement de rétrospection par lequel une communauté vivante se réapproprie son passé. La

mémoire apparaît ici comme liée à l'existence d'un groupe précis. Il n'existe pas de mémoire

dans l'absolu. Elle est liée à une collectivité et lui est propre. En effet, comme le rappelle

Maurice Halbwachs, " nos souvenirs demeurent collectifs, et ils nous sont rappelés par les

autres, alors même qu'il s'agit d'événements auxquels nous seuls avons été mêlé, et d'objets

que nous seuls avons vus. C'est qu'en réalité, nous ne sommes jamais seuls » 14 lorsque nous nous souvenons, et, à ce titre, " nous portons toujours avec nous et en nous une quantité de personnes » 15 Selon nous, ce serait, en un sens pour se rapprocher de leurs ancêtres -parfois jusqu'à l'imitation ou à la reproduction-, véritables fondateurs de la communauté des Français

14d'Algérie, arrivés sur cette terre souvent au hasard d'une quête d'un " mieux vivre », et pour

doter le groupe d'une force et d'une légitimité historique pourtant niée, que les Français

d'Algérie mobiliseraient leur mémoire comme " pour signifier un mode de ralliement à une

entité collective : marquer la reconnaissance d'une origine, s'inscrire dans une généalogie,

(...) se référer à un ensemble de valeurs communes. » 16 " Archéologie d'une civilisation

antérieure, terre des disparus que l'on veut arpenter. Fantômes (...) que l'on fait apparaître,

surgir ça et là, pour marquer son affiliation dans l'épaisseur d'un destin collectif. Pour dire

que l'on n'est pas tout seul et que l'on vient de quelque part. Pour être fier (...) d'être ainsi

lesté d'une histoire » 17 Se trouve ainsi mise en avant " une mémoire collective, au sens d'une

mémoire constituée et constitutive de l'identité d'un groupe, élaborée dans l'histoire de celui-

ci, et intéressant le groupe avant d'intéresser l'individu. » 18

D'ailleurs, " au premier plan de la

mémoire d'un groupe se détachent les souvenirs des événements et des expériences qui concernent le plus grande nombre de ses membres et qui résultent (...) de sa vie propre ». 19 Ce serait donc sous l'effet d'une succession d'événements dramatiques que les Français d'Algérie soudainement prendraient pleinement conscience de ce qu'ils appartiennent à une

communauté et de ce qu'ils sont porteurs d'une identité particulière, du drame d'abord, mais

dont l'ancrage, l'histoire, les fondements, et les trames remontent bien en amont du terrible

exil : en Algérie, là où tout avait commencé pour ce groupe inédit qui ne savait pas, alors,

qu'il écrivait déjà son aventure collective. En effet, " lorsqu'un groupe est, ou se sent,

opprimé par un groupe plus puissant, il revendique son identité menacée. Dès que la valeur du

groupe est mise en cause, en particulier par le jugement du regard d'autrui, des processus de

défense sont mis en oeuvre. La dévalorisation rend les groupes agressifs car l'estime de soi est

un sentiment fondamental concernant la force vécue de l'identité. » 20

Selon notre hypothèse, c'est dans une tragédie commune qu'ils vont se retrouver, et c'est cette

tragédie qui va faire véritablement émerger à leur conscience la réalité de leur passé commun,

de leur communauté et de leur identité particulière, réaffirmée en métropole. D'ailleurs,

15comme le précise Claudine Attias-Donfut, " tout groupe a une histoire et construit son identité

à travers sa mémoire collective (...). »

21

Particulièrement intéressante lorsque l'on s'intéresse à la population des Français d'Algérie,

celle que propose Joël Candau, entre les mémoires faibles et les mémoires fortes. " Une

mémoire faible est une " mémoire sans contours bien définis, diffuse et superficielle qui est

difficilement partagée par un ensemble d'individus dont l'identité collective est, par ce fait même, relativement insaisissable ». En revanche, une mémoire forte est " une mémoire massive, cohérente, compacte et profonde qui s'impose à la grande majorité des membres

d'un groupe, quelle que soit sa taille, tout en sachant que la probabilité de rencontrer une telle

mémoire est d'autant plus grande que le groupe est restreint. Une mémoire forte est une mémoire organisatrice, en ce sens qu'elle est une dimension importante de la structuration d'un groupe et, par exemple, de la représentation qu'il va se faire de sa propre identité » 22
Pour illustrer cette distinction entre mémoires faibles et mémoires fortes, Joël Candau en appelle à Maurice Halbwachs, lorsque celui-ci affirme que, " tandis qu'il est facile de se faire oublier dans une grande ville, les habitants d'un village ne cessent pas de s'observer, et la

mémoire de leur groupe enregistre fidèlement tout ce qu'elle peut atteindre des faits et gestes

de chacun d'eux, parce qu'ils réagissent sur toute cette petite société et contribuent à la

modifier » 23
. Dans de tels milieux, ajoute-t-il, " tous les individus se souviennent et pensent en commun » 24
. Les individus membrs d'un groupe ont ainsi le sentiment de partager la même

mémoire. En effet, " les sociétés d'interconnaissance sont donc plus propices à la constitution

d'une mémoire collective (...) que les mégalopoles anonymes » 25
. Dans le même sens, nous

pourrions sans peine être amenés à considérer la mémoire des Français d'Algérie, à partir de

leur arrivée sur le sol métropolitain, comme une mémoire forte et organisatrice, en ce sens qu'elle est à la base de la structuration du groupe, et de son existence même. En quittant

l'Algérie pour la France, la mémoire des Français d'Algérie aurait mué de " mémoire faible »

à " mémoire forte », entraînant par ce mouvement même une prise conscience par le groupe

de sa dimension collective. Ainsi, éparpillés sur le territoire algérien, vivant en ville ou dans

le bled, originaire de différents pays d'Europe, les Français d'Algérie, nous le verrons, étaient

16caractérisés par une réelle diversité, que la citoyenneté française avait tendu à dépasser,

désireuse d'évacuer tout signe de particularisme. Selon notre hypothèse, ce n'est qu'à la

faveur d'événements traumatiques que va émerger, paradoxalement, une mémoire plus forte et organisatrice du groupe. De mémoire faible, diffuse et sans contours, la mémoire des Français d'Algérie est devenue forte, active, et même prépondérante. L'histoire les a propulsés, eux et leur mémoire, dans une forme de village en exil. Il ne s'est pas agi pour nous de retracer l'histoire des Français d'Algérie, mais de tenter de saisir leur cheminement identitaire, de faire appel à leur mémoire, à leur capacité de restitution et de reconstitution de leur passé, d'apporter des outils de compréhension du

groupe et de son identité qui demeure, quarante cinq ans après la fin de l'Algérie française,

une identité douloureuse, sans jamais oublier que " lorsque joue la mémoire, l'événement

remémoré est toujours en relation étroite avec le présent du narrateur, c'est-à-dire le temps de

l'instance de parole : alors que dans l'énonciation historique c'est l'événement qui constitue

le repère temporel pour le sujet de l'énonciation (c'est-à-dire l'historien), le moment du discours devient le repère de l'événement lors de toute narration de soi ». 26

Jamais, il ne s'est

agi, pour nous, de " chercher La vérité, car, Pirandello nous l'a bien rappelé, la vérité

humaine n'est pas une chose simple, il n'y a pas de vérité absolue et la vérité de chacun

mérite le respect. Il ne s'agit ici que de l'idée qu'un individu a de lui-même et des autres, de

son histoire personnelle ou de celle de ses proches et dans ce domaine privilégié dont dépendent équilibre et bonheur il n'y a pas de Vérité en soi. » 27
En ce sens, notre travail emprunte le chemin de la sociohistoire et aux deux préoccupations

énoncées par Gérard Noiriel. " La première tient à un souci de relier l'étude du passé et du

présent. C'est pour mieux comprendre le monde actuel que les sociohistoriens se tournent vers l'histoire. (...) La seconde grande préoccupation méthodologique de la sociohistoire concerne un effort de déconstruction des entités collectives qui peuplent notre vocabulairequotesdbs_dbs48.pdfusesText_48
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