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Ecole doctorale de l'EHESS
Laboratoire d'Anthropologie Sociale
Doctorat
Discipline : Anthropologie sociale et Ethnologie
Journée-Duez Aurélie
Artistes femmes, queer et autochtones face à leur(s) image(s). Pour une histoire intersectionnelle et décoloniale des arts contemporains autochtones aux Etats-Unis et au Canada (1969-2019).
Thèse dirigée par : Marie Mauzé et Michel PoivertDate de soutenance : 12 octobre 2020
RapporteursJules Falquet, Université Diderot Paris 7Marine Le Puloch, Université Diderot Paris 7
Jury1Marie Mauzé, CNRS / Collège de France / EHESS2Michel Poivert, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
3Brigitte Derlon, EHESS
4Jules Falquet, Université Diderot Paris 7
56Marine Le Puloch, Université Diderot Paris 7
Elvan Zabunyan, Université Rennes 2
" L'explosion n'aura pas lieu aujourd'hui. Il est trop tôt... ou trop tard. Je n'arrive point armé de vérités décisives. Ma conscience n'est pas traversée de fulgurances essentielles. Cependant, en toute sérénité, je pense qu'il serait bon que certaines choses soient dites.Ces choses, je vais les dire, non les crier.
Car depuis longtemps le cri est sorti de ma vie.
Et c'est tellement loin... » (Fanon, 1952).
" L'Indien avec un appareil photographique annonce le crépuscule de l'Amérique eurocentrée »1 (Silko citée par J.Bauerkemper in Cummings, 2011 : 131).
" La décolonisation n'est pas une métaphore »2 (Tuck et al., 2012 : 3).1 ''The Indian with a camera announces the twilight of Eurocentric America''. 2 ''Decolonization is not a metaphor''.
2REMERCIEMENTS
Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à ma directrice de recherche Marie Mauzé et mon codirecteur Michel Poivert pour leur confiance, leur encadrement, leur aide, leur soutien etleurs précieux conseils. Je voudrais également remercier Joëlle Rostkowski, sans qui la conduite de
mes recherches sur le terrain aux Etats-Unis aurait été impossible, pour sa confiance, celle de son
mari Nicolas et de sa fille Edith-Laure pour m'avoir aidée à organiser des expositions dans leur
galerie. Mes pensées vont également à Brigitte Derlon et à Elvan Zabunyan qui ont accepté de faire
partie de mon comité de thèse. Je tiens aussi à adresser mes remerciements à Carine Peltier-Caroff,
directrice du service de l'iconothèque du musée du quai Branly-Jacques Chirac et au département
de la médiathèque grâce auquel ce travail a pu être nourri. Par-delà l'Océan Atlantique, j'envoie
toute ma reconnaissance et mon amitié à Patsy Phillips, Manuela Well-Off-Man et à leurs familles,
pour leur accompagnement lors de mon stage au MoCNA de Santa Fe et leur amitié. Mesremerciements vont également aux membres de l'IAIA et tout particulièrement à Jonathan Breaker,
Lara Evans, Amber Dawn Bear Robe, Suzanne Newman-Fricke et America Meredith pour leur aideet leurs témoignages. Je suis infiniment honorée d'avoir pu rencontrer les artistes Ashley Browning,
Kelly Byars, Brandee Caoba, Chris Eyre, Shan Goshorn, Cannupa Hanska Luger, Pamela J. Peters, Sandy Osawa, Cara Romero, Ryan J. Ryan, Zoe Marieh Urness, Will Wilson, et les remerciede m'avoir permis de recueillir leurs témoignages et d'avoir accepté de se confier à moi au sujet de
leurs processus de création. Je suis également très reconnaissante à Jules Falquet et Rocio
Martinez pour leurs conseils, soutien et relecture. Je remercie aussi celles et ceux qui ont cru en mes recherches et m'ont permis de les partager, notamment Emilie Blanc, Jonathan Larcher, Raphaël Julliard, Taous Dahmani, Julia Monge et Paola Domingo. Je remercie également du plusprofond de mon coeur les ami.e.s sans qui je n'aurais pu aller à Standing Rock et qui m'ont accepté
aux côtés d'autres membres de l'AIM d'Albuquerque : les artistes Keith Haines, Lynnette Haozous,
Monty Singer. Je tiens à saluer la merveilleuse Raye Zaragoza, grande source d'énergie, dont la
musique m'a accompagnée dans les moments difficiles de l'écriture de cette thèse. Mes pensées vont
aussi au CSIA-Nitassinan et tout particulièrement à Sylvain Duez-Alesandrini, Edith Patrouilleau
et Annie Lulu. Cette aventure n'aurait pas été la même sans mon mari et son soutien inconditionnel,
sa force et sa patience. Je remercie enfin et bien sûr ma maman, sans qui rien de tout cela n'aurait
été possible.
3RÉSUMÉ ET MOTS CLÉS
Résumé
Fin des années 1960 aux Etats-Unis, les Indians of All Tribes impulsent un mouvement decontestations sociales qui a pour but la reconnaissance des droits inhérents aux peuples autochtones
à la souveraineté et à l'auto-détermination. L'American Indian Movement et sa branche féminine
Women of All Red Nations s'emparent de ces questions sociales, politiques et culturelles. Femmeset hommes entament de concert un processus d'émancipation dont l'accomplissement ne cesse d'être
repoussé par les politiques assimilatrices successives du gouvernement états-unien. Au Canadaaussi, des mobilisations collectives éclatent dans les années 1980 et 1990, et culminent avec les
événements de Restigouche (1984) et la Crise d'Oka (1990). Ces évènements majeurs inspirent
toute une jeune génération d'artistes autochtones et de femmes en particulier, formées notamment à
l'Institute of American Indian Arts à Santa Fe (Nouveau-Mexique). De formations universitairesapprofondies, elles développent des démarches artistiques transdisciplinaires à mi-chemin entre
l'histoire de l'art et l'ethnographie. Elles mettent en évidence la porosité et la friabilité des frontières
instaurées dans tous les secteurs par la société dominante contre les groupes considérés comme
minoritaires. A cette fin, le photographique - par lequel nous désignons la pratique, la technique et
l'image photographiques - devient un outil stratégique majeur de réappropriation et de réaffirmation
de ce qu'elles sont et tendent à incarner. Ces artistes femmes interrogent grâce à ce médium les
façons dont elles ont été représentées et se représentent elles-mêmes dans le cadre de démarches
critiques des stéréotypes dont elles font l'objet depuis plusieurs siècles d'appropriation culturelle.
Elles repensent par ce biais leurs identités, les rapports qu'elles entretiennent à leurs corps, à leurs
sexualités et à leurs genres, à l'aune de leurs propres spiritualités. Grâce à leurs images artistiques et
politiques, fruits de pratiques fondées sur une analogie entre la violation de leurs droits,l'exploitation de leurs terres et territoires, et les violences sexuelles dont elles font l'objet, elles
continuent à prendre part aux mouvements de résistance actuels qui s'opposent aux projetsextractivistes face auxquels elles s'affirment, une nouvelle fois, en première ligne. A partir d'un
corpus iconographique de près de 400 oeuvres réalisées entre 1969 et 2019, et d'entretiens
individuels avec des artistes et des militantes femmes et queer autochtones des Etats-Unis et duCanada, cette thèse a pour objectif de montrer en quoi ces images - en particulier photographiques
configurent des épistémologies nouvelles dans une perspective intersectionnelle, décoloniale et
anticapitaliste, et s'inscrivent dans la continuité d'un processus de réaffirmation des droits inhérents
4des peuples autochtones, garantis par la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples
Autochtones (2007).
Mots clés
Autochtones ; Canada ; décolonisation ; Etats-Unis ; femmes ; intersectionnalité ; survivance ;
photographie ; queer. 5ABSTRACT AND KEYWORDS
Abstract
In the late 1960s, the Indians of All Tribes lead a movement of social protests to get their rights to sovereignty and self-determination recognized as peoples. The American Indian Movement take over these political, social, and cultural issues. Together, Indigenous women and men start a process of emancipation that has been blocked by assimilationist US governmental policies. In Canada, collective movements also rise in the 80s and 90s, with the highest points during the Restigouche events (1984) and the Oka Crisis (1990). These major events inspire a whole generation of young Indigenous artists and women in particular, who study mostly at the Institute of American Indian Arts of Santa Fe (New-Mexico). Thanks to their education, they develop transdisciplinary artistic practices between art and ethnography that highlight the porosity and the flakiness of the borders that have been created in all the sectors by the dominant society against groups regarded as minorities. To do so, the "photographique" - that designates the photographicpractice, technics and image - become a strategic technical and technological tool of
reappropriation and reaffirmation of their identities and representation. These women and queer artists question, thanks to this medium, the ways they have been presented and re-represent themselves in the context of critical practices of the stereotypes that they have been facing forseveral centuries of cultural appropriation. It enables them to rethink their identities, the
relationships to their bodies, their sexualities and genders, in terms of paradigms specific to their
own spiritualities. Through artistic and political images, based on an analogy made between the violation of their rights, the exploitation of their lands and territories, and the feminicides perpetuate, they continue to take part in actual resistance movements against extractivist projects where they are again at the frontline. Based upon an iconographic corpus made of almost 200 artworks, through the 70s till now, and individual interviews with women and queer artists and militants from the US and Canada, this dissertation aims to show how these images - photographic in particular - try to set up new epistemologies in an intersectional, decolonial and anticapitalist perspective, as part of a process of reaffirmation of the inherent rights of Indigenous peoples, guaranteed by the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples (2007).Keywords
Canada; decolonization; Indigenous; intersectionality; United States of America; photography; queer; survivance; women. 6SOMMAIRE
RÉSUMÉ ET MOTS CLÉS...............................................................................................................4
ABSTRACT AND KEYWORDS......................................................................................................6
LISTE DES ACRONYMES ET SIGLES.......................................................................................10
LA DÉCOUVERTE DE L'OEUVRE PHOTOGRAPHIQUE DE DOMINIQUE DARBOIS (1925-2014)............................................11
L'ÉTINCELLE MICHELLE VIGNES (1926-).......................................................................................................................11
LES PRÉMICES D'UNE HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE AUTOCHTONE............................................................................13
DU STATUT DE LA FEMME AUTOCHTONE DANS LES COLLECTIONS PHOTOGRAPHIQUES MUSÉALES NATIONALES..........14
CADRE HISTORIQUE........................................................................................................................................................20
L'éveil (fin des années 1960 - début des années 1970)............................................................................................21
Les femmes autochtones entrent en scène (1973-1976)............................................................................................24
L'ARTivisme, un outil d'émancipation pour les artistes (femmes) autochtones.......................................................25
La redécouverte d'une pratique, d'un médium et de ses images : le photographique...............................................28
Des pratiques du médium hétérogènes à mi-chemin entre l'art et l'ethnographie...................................................31
Dé-marginaliser la parole, réoccuper l'espace public.............................................................................................34
Associations de femmes photographes autochtones et premières expositions.........................................................36
CADRE MÉTHODOLOGIQUE ET THÉORIQUE.....................................................................................................................38
Méthode d'analyse....................................................................................................................................................38
Organisation du corpus............................................................................................................................................45
Etat de l'art...............................................................................................................................................................47
Annonce du plan.......................................................................................................................................................50
PARTIE 1. RÉAPPROPRIATIONS TECHNIQUES ET TECHNOLOGIQUES......................55CHAPITRE 1 - DES PRATIQUES À MI-CHEMIN ENTRE L'ART ET L'ETHNOGRAPHIE...........................................................56
I. L'héritage d'Edward Curtis : ruptures et continuités............................................................................................58
II. Réappropriations techniques et déconstruction de stéréotypes...........................................................................70
III. Images performées, performatif de l'image : entre déconstructions et reconstructions de stéréotypes............84
CHAPITRE 2 - PHOTOGRAPHING BACK. DES (DÉ)MONTAGES PHOTOGRAPHIQUES........................................................109
I. Constructions et reconstructions mémorielles et identitaires..............................................................................111
II. Quand le photographique se fait objet...............................................................................................................127
III. Des jeux avec les valeurs d'usages de la photographie...................................................................................144
CHAPITRE 3 - BALLETS DES IMAGES ET TECHNOLOGIE NUMÉRIQUE...........................................................................154
I. Photographie dématérialisée et déguisement performatif..................................................................................155
II. Danser avec la photographie.............................................................................................................................162
III. Réoccuper l'espace colonisé grâce à la photographie. L'oeuvre Living Proof de Mercedes Dorame..............166
Conclusion - De regardées à regardeuses.............................................................................................................174
7 PARTIE 2. ESTHÉTIQUES ET ICONOGRAPHIES DÉCOLONIALESCHAPITRE 4 - CULTURE(S), TRADITION(S) ET CONTEMPORANÉITÉ..............................................................................178
Préambule - La suture : un motif-métaphore des rencontres et des tensions inter-culturelles postcoloniales.....178
I. Corps, photographique et stéréotypes.................................................................................................................181
II. Rendre visibles les images photographiques d'Indien.ne.s réalisées par des Indien.ne.s.................................205
III. Des artistes en prise avec leur temps : jouer avec les images vernaculaires de la culture mainstream.........209
CHAPITRE 5 - VISIONS, PERCEPTIONS, DÉSTABILISATION ? UNE STRATÉGIE DE DÉCOLONISATION DESI. Images à glitchs, représentations à failles : des procédés de distanciation.......................................................234
II. Des êtres sans paroles ? Ouvrir la voix des femmes autochtones.....................................................................258
III. Tricksters et sentiment d'étrangeté...................................................................................................................270
PARTIE 3. DES RECONFIGURATIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES........................................282 CHAPITRE 6 - RACE(S), SEXE(S), GENRE(S). DES PARADIGMES INTERROGÉS PAR DES REPRÉSENTATIONSI. Des oeuvres-miroirs. Autoreprésentation et visibilisation des femmes autochtones............................................284
II. (Re-)Présenter le corps de la femme autochtone. De la dimension bio-politique de la colonisation...............293
III. Des représentations " queer » ? Le cyborg comme corps et espace décoloniaux...........................................318
CHAPITRE 7 - SCIENCES, SAVOIR(S) ET CONNAISSANCE(S) AU PRISME DU PHOTOGRAPHIQUE....................................331
Contextualisation historique...................................................................................................................................332
Précisions terminologiques - De l'oeuvre conçue comme " zone de contact ».....................................................334
I. Interroger la logique linéaire de la conception occidentale du temps................................................................337
II. Déconstruire les musées comme lieux de savoirs figés et uniques....................................................................346
III. Paradigmes dominants et spiritualités autochtones au prisme du photographique.........................................362
CHAPITRE 8 - ARTS PHOTOGRAPHIQUES ET FÉMINISMES AUTOCHTONES DÉCOLONIAUX............................................372
I. Dépasser les frontières du féminisme eurocentré................................................................................................375
II. " De mère à Mère » : un éco-féminisme queer autochtone ?...........................................................................389
III. Des féminismes anticapitalistes autochtones ?.................................................................................................399
CONCLUSION GÉNÉRALE - IDENTITÉS ET MONDES EN CONSTRUCTION.......................................................................410
ANNEXE 1 - CORPUS ICONOGRAPHIQUE ET VIDÉOGRAPHIQUE (VOIR : VOLUMEANNEXES 2 - SCHÉMAS ET TABLEAUX...............................................................................454
ANNEXE 2.1. SCHÉMA EXTRAIT DE LA PRÉSENTATION "MENDING THE RAINBOW: WORKING WITH THE NATIVELGBT/TWO SPIRIT COMMUNITY"................................................................................................................................454
ANNEXE 2.2. TABLEAUX " COLONIALISME DE L'OCCUPANT NORD-AMÉRICAIN ET RÉSISTANCE CONTEMPORAINEAUTOCHTONE : DOMINATION ET DÉCOLONISATION »....................................................................................................455
ANNEXE 2.3. TEXTE MANIFESTE DES WOMEN OF ALL RED NATIONS (WARN)............................................................458
ANNEXE 2.4. SCHÉMA " CONTINUUMS ET CERCLES INTER-SPATIAUX ENTRE L'IMAGE, LE CORPS ET LE TERRITOIRE »
ANNEXE 2.5. LE MOT " FEMME » DANS LES LANGUES VERNACULAIRES DES ARTISTES DU CORPUS...........................461
ANNEXE 2.6. TERMINOLOGIE " TWO-SPIRIT » ET PEUPLES AUTOCHTONES DES ETATS-UNIS ET DU CANADA............462
ANNEXE 2.7. RAPPORT DE L'ENQUÊTE NATIONALE SUR LES FEMMES ET LES FILLES AUTOCHTONES DISPARUES ETASSASSINÉES (ENFFADA), JUIN 2019. ANALYSE SÉMANTIQUE..................................................................................467
ANNEXE 2.8. DÉCLARATION DE QUITO (PREMIÈRE RENCONTRE CONTINENTALE DES PEUPLES INDIENS, QUITO,EQUATEUR, 17-21 JUILLET 1990). CHAPITRE V. " LA FEMME AUTOCHTONE »...........................................................468
ANNEXE 2.9. LE MYTHE DE SKY WOMAN, D'APRÈS L'ARTISTE SHELLEY NIRO (MOHAWK).......................................470
ANNEXES 3 - ENTRETIENS......................................................................................................471
ANNEXE 3.1. ENTRETIEN AVEC SHAN GOSHORN, PAR VISIOCONFÉRENCE (SKYPE), RENNES, LE 6 OCTOBRE 2015....471
ANNEXE 3.2. ENTRETIEN AVEC ASHLEY BROWING (SANTA CLARA PUEBLO), CANYON ROAD, SANTA FE (NOUVEAU-MEXIQUE, ETATS-UNIS), MARDI 18 AVRIL 2017..........................................................................................................474
ANNEXE 3.3. ENTRETIEN AVEC WILL WILSON (DINÉ), SANTA FE COMMUNITY COLLEGE (SANTA FE, NOUVEAU-MEXIQUE, ETATS-UNIS), JEUDI 20 AVRIL 2017............................................................................................................476
8 ANNEXE 3.4. ENTRETIEN AVEC CARA ROMERO (CHEMEHUEVI), SANTA FE (NOUVEAU-MEXIQUE, ETATS-UNIS),LUNDI 24 AVRIL 2017...................................................................................................................................................478
ANNEXE 3.5. ENTRETIEN AVEC PAMELA J. PETERS (DINÉ), LOS ANGELES (CALIFORNIE, ETATS-UNIS), VENDREDI 10
MAI 2017......................................................................................................................................................................481
ANNEXE 3.6. ENTRETIEN PAR CORRESPONDANCE ÉLECTRONIQUE AVEC SANDY OSAWA (RÉALISATRICE MAKAH), 16
SEPTEMBRE 2017..........................................................................................................................................................482
LEXIQUE (NOMS PROPRES)....................................................................................................485
LEXIQUE (NOMS COMMUNS).................................................................................................486
INDEX ALPHABÉTIQUE............................................................................................................492
AVERTISSEMENTS AUX LECTRICES ET LECTEURS
Pour être en adéquation avec notre objet d'étude et l'angle d'approche choisi, nous avons fait le
choix de privilégier dans cette thèse l'écriture inclusive, qui est typographiée dans ce manuscrit par des
points médians. D'autres formes existent à cette fin, le " x » ou le " @ » par exemple, mais ces dernières sont
davantage employées en espagnol (par exemples : " companerxs », " indigen@s ») qu'en français, et
principalement dans les écrits militants non scientifiques. Néanmoins, le chercheur Sam Bourcier utilise
quant à lui " la troncature informatique, l'astérisque » (Larue, 2018 : 113). Enfin, l'écriture inclusive n'est pas
neutre, mais " Le neutre n'existe pas en français. C'est en réalité un masculin hégémonique » (Larue, idem. :
110).D'autre part, ce volume texte (I) est construit à partir d'un volume iconographique (II) que nous
avons extrait de ce manuscrit, afin de fluidifier la lecture. Chacune des traductions sont de l'auteure, sauf
indications contraires.Enfin, nous tenons à signaler que cette thèse présente à certaines reprises des citations d'une longueur
conséquente, des artistes sur les travaux desquelles se concentrent nos recherches. Ce choix se justifie selon
nous pour trois raisons. La première est l'absence de sources bibliographiques existantes se proposant de
faire une étude à la croisée de l'histoire de la photographie, des études autochtones et de genre. La seconde
est notre souhait de faire la part belle aux paroles des enquêté.e.s dans une perspective critique décoloniale.
Cette dernière raison se conjugue à notre volonté de rendre justice à la place des " informateurs » en
anthropologie, dont la place a longtemps été minimisée voire écartée des écrits scientifiques. Il s'agit là d'un
tournant effectif depuis déjà plusieurs années. 9LISTE DES ACRONYMES ET SIGLES
AFAC : Association des Femmes Autochtones du CanadaAIM : American Indian Movement
BIA : Bureau of Indian Affairs (Bureau des Affaires Indiennes) CNRTL : Centre National de Ressources Textuelles et LexicalesDAPL : Dakota Access Pipeline
ETP : Energy Transfer Partners
ENFFADA : Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinéesFSA : Farm Security Administration
IAIA : Institute of American Indian Arts
IAT : Indians of All Tribes
ICOM : International Council of Museums (Conseil International des Musées)IGG : Indigenous Goddess Gang
LGBTQ2+ : (personnes) lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queer et bispirituelles.MoCNA : Museum of Contemporary Native Arts
MBAM : Musée des beaux-arts de Montréal
NCAI : National Congress of American Indians
NDNZ : Contraction langagière familière pour " Indians » (" Indiens »)NMAI : National Museum of the American Indian
REZ : Contraction langagière familière pour " reservation » (" réserve ») RISE : Radical Indigenous Survivance & EmpowermentSWAIA : Southwestern Association for Indian Arts
WARN : Women of All Red Nations
10AVANT-PROPOS
La découverte de l'oeuvre photographique de Dominique Darbois (1925-2014) Fin 2013, je fais un stage à la Parisienne de Photographie qui réunit l'ensemble des collections photographiques de l'ancienne iconothèque de la Ville de Paris. La majeure partie dufonds se compose des collections Roger-Viollet. Cette institution s'occupe également des
collections photographiques des musées Carnavalet, Cognacq-Jay et de la maison Victor Hugo. Ma rencontre avec Delphine Desveaux, directrice des collections, est déterminante et me permet de découvrir l'oeuvre d'une femme photographe et exploratrice remarquable, Dominique Darbois. Sonparcours incroyable suscite en moi le désir de consacrer mon mémoire de recherche à son oeuvre.
En m'y plongeant, je découvre des pratiques et des usages nouveaux de la photographie. Je m'initie
alors à la photographie réalisée dans un contexte ethnographique, c'est-à-dire dans le cadre d'une
étude de celles et ceux qui sont étiqueté.e.s comme " Autres » (L'Estoile, 2007). En 1952,
Dominique Darbois se rend en Guyane " française » aux côtés de Francis Mazière dans le cadre de
l'expédition Tumuc-Humac, dont elle rapporte des centaines d'images et enregistrements
audiovisuels. Je suis frappée par ses photographies, produites pendant la période dite des " grands »
photographes français : la photographie humaniste. Ces images sont saisissantes en raison de leuresthétique, de leur composition, des scènes qu'elles donnent à voir. De surcroît, elles sont le fruit du
travail d'une femme voyageuse, deux mots à priori antagonistes à l'époque. Ces photographies,
diffusées dans la série de livres pour enfants " Enfants du monde » aux éditions Nathan, ont un
statut pluriel. Ce sont des documents, des archives de terrain et des oeuvres d'art à part entière.
L'étincelle Michelle Vignes (1926-)
Cette recherche m'incite par la suite à m'intéresser de plus près aux femmes photographes.Après l'obtention de mon Master 2, je me mets en quête de ce qui allait devenir mon sujet de thèse.
Je suis alors sûre de deux choses : mon désir de poursuivre mes recherches en histoire de laphotographie ; ma volonté de travailler sur l'oeuvre d'une femme. Grâce à l'historien de l'art Michel
Poivert (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), je découvre le travail de Michelle Vignes (1928-
2012), ancienne assistante du célèbre photographe français Henri Cartier-Bresson. Sa production,
11 méconnue - en dehors des cercles engagés dans la promotion et la valorisation des droits despeuples autochtones - est immense et d'une richesse historique inouïe. A partir de la fin des années
1960 et pendant plus de trente ans, cette photographe suit les membres de l'American Indian
Movement (A.I.M.), alors très actifs aux Etats-Unis. Les images sont magnifiques et leur contexte de production passionnant (Stourdze, 2003). Pourtant, après avoir mené quelques premièresrecherches et localisé le fonds Vignes (à l'Université de Berkeley, Californie), je décide de ne pas
consacrer ma thèse à l'oeuvre de cette photographe. Cela aurait pourtant été assez simple : il s'agit là
d'un sujet monographique, dont le corpus est déjà très largement constitué et accessible.
Néanmoins, une question s'impose à moi et oriente mon travail dans une toute autre direction. En regardant les images de Michelle Vignes, qui documentent entre autres des évènementshistoriques impulsés par l'A.I.M.3, je me demande pourquoi l'histoire et la culture visuelles ne se
sont principalement constituées qu'à partir d'images réalisées par des Occidentaux, et donc
uniquement par le prisme ou le regard de la société dominante. La question est : n'existe-t-il pas
d'images d'Indien.ne.s4 produites par des personnes autochtones5 ? Les résultats de mes recherches
nourrissent cette intuition : des journaux, des médias locaux, des appareils photographiques et des
caméras, ont bien été utilisés par des Autochtones afin de documenter eux-mêmes leur histoire et
donner leurs propres visions du monde. Je me concentre alors non plus seulement sur des images représentant des Indien.ne.s mais également sur d'autres produites par des Indien.ne.s.3 Nous pouvons citer en particulier l'épisode de l'Occupation d'Alcatraz, moment durant lequel plusieurs centaines
d'Indien.ne.s ont convergé sur l'île d'Alcatraz afin de faire respecter les traités signés plusieurs centaines d'années
auparavant entre le gouvernement fédéral états-unien et les chefs représentants les différentes tribus autochtones. Ce
traité prévoyait que si l'île n'était pas utilisée par le pouvoir fédéral, elle devait être rendue aux Indien.ne.s.4 Nous faisons le choix de conserver le terme " Indien » pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons. Simplement,
nous désirons souligner le fait que chaque choix sémantique pour qualifier les peuples dont nous parlons peut être
soumis à la critique dans la mesure où aucun d'eux ne sont pleinement satisfaisants en raison de leur dimension
généralisante. Il s'agit de termes-parapluie qui ne reflètent pas la diversité de ces peuples et surtout, tous sont des termes
crées en référence à la colonisation : " [...] des questions émanent toujours de la part des étudiants, des enseignants, des
chercheurs, et du public en général sur le terme " approprié » à utiliser quand l'on parle de groupes raciaux et/ou
ethniques. Le caractère approprié des termes comme Aborigène, Indien, Natif Américain, Indien Américain,
Amérindien, Autochtone, Premières Nations, ou Premiers Peuples, dépend largement de la personne que vous
interrogez. Cornel Pewewardy (2000) a souligné que ces identifiants sont culturellement et politiquement connotés car
la plupart a été imposée par des Euro-Américans » (Shear, Knowles et al., 2015 : 71). Citation originale : "[...] there are
always questions among students, teachers, scholars, and the general public about the "appropriate" term to use when
discussing racial and/or ethnic groups. The appropriateness of such naming terms as Aboriginal, Indian, Native
American, American Indian, Amerindian, Indigenous, First Nations, or First Peoples largely depends who you ask.
Cornel Pewewardy (2000) noted that these identifiers are culturally and politically charged because most have been
imposed by Euro-Americans". 5 " Les identifiants qui utilisent le mot 'Indien' sont inextricablement liés à Colomb et à l'invasion européenne des
Amériques, mais ce n'est pas rare de continuer à trouver le nom 'Indien' utilisé à la fois par les personnes autochtones et
non-autochtones aux Etats-Unis et au Canada. Pewewardy (2000) a relevé que même le terme 'Autochtone' posait
problème car il dépeint à grands traits des cultures uniques qui ont toutes eu des expériences différentes de la
colonisation » (Shear, Knowles et al., 2015 : 71-72). Citation originale : "Identifiers using the word 'Indian' are linked
inextricably to Columbus and the European invasion of the Americas, but it is not uncommon to still see the name
'Indian' used by both Indigenous and non-Indigenous Peoples in the United States and Canada. Pewewardy (2000)
noted that even the term 'Indigenous' is problematic because it paints with a broad brush very unique cultures that all
had vastly different experiences with colonization". 12 Les prémices d'une histoire de la photographie autochtone L'existence de pratiques artistiques autochtones contemporaines, qui utilisent des médiumstechnologiques dits " modernes » aux Etats-Unis et au Canada, a longtemps été éludée. Cela me
semble révélateur d'une certaine idéologie, qui pérennise les rapports de domination également à
travers l'histoire de l'art. La découverte des oeuvres des photographes Richard Throssel (Creeadopté par une communauté crow, 1882-1933) - qui a notamment documenté la réserve crow au
début du 20ème siècle -, le photographe de studio Benjamin Haldane (Tsimshian, 1874-1941), Peter
Pitseolak (Inuit, 1902-1973) et Horace Poolaw (Kiowa, 1906-1984), mais aussi et surtout de JennieRoss Cobb (Cherokee, 1881-1959), longtemps ignorées, me conforte dans cette idée. Or, si de telles
productions ont été développées à la fin du 19ème et durant la première moitié du 20ème siècle, des
pratiques contemporaines doivent nécessairement exister. Les images réalisées par ces photographes
posent la question d'une ethnographie visuelle réalisée de façon autochtone, puisque celles-ci
documentent la vie quotidienne de communautés autochtones. Je m'interroge alors sur les raisons pour lesquelles les ouvrages sur les Indien.ne.s et la pratique photographique sont si rares et rappellent systématiquement la croyance selon laquelle les Autochtones avaient peur de l'appareilphotographique6. Plus précisément, je cherche à savoir dans quelle mesure l'entretien de ce mythe
participe du déséquilibre des rapports de pouvoir entre la société dominante et les peuples
autochtones. En ce sens, je suis également frappée par le fait que la pratique photographiqueexogène (touristique principalement) fasse aujourd'hui l'objet d'une surveillance et d'un contrôle
très stricts de la part de certains peuples (Hopi notamment, au Nouveau-Mexique, Etats-Unis)6 Quelques exemples de récits sont intéressants : " Le rôle des Indiens participants aux séances de prises de vue en
studio, était passif. Jusque dans les années 1880, la plupart d'entre eux ignoraient l'existence de la photographie et se
méfiaient de l'appareil qui pensaient-ils risquait de leur voler leur âme. Constatant que la photographie impliquait la
manipulation des rayons du soleil pour fixer les ombres, les Indiens des Plaines appelèrent les photographes des "
attrapeurs (ou voleurs) d'ombres » (Perriot, 2000 : 133-134). Voir aussi : " Le fait que quelques personnes autochtones
d'Amérique du Nord ont d'abord pensé que les photographies étaient des 'ombres' et que des photographes tels que
Curtis étaient des 'voleurs d'ombres' est bien connu » (Gidley, 20003 : 124). Citation originale : "It is well known that
some American Indian peoples at first thought of photographs as "shadows" and of such photographers as Curtis as
'shadow catchers'". Ou encore : " Echouant à obtenir ce que je voulais des groupes, je plantais ma chambre
[photographique] sous le porche de l'Agence dans le but de capturer le rassemblement qui avait lieu. Peah et cinq ou six
autres Indiens s'érigèrent d'abord face à moi, en protestant de façon véhémente, c'est-à-dire en repoussant au loin les
pieds du tripode, en me jetant à la tête le vêtement utilisé pour faire les focus, et occasionnellement en recouvrant d'une
couverture la chambre photographique et moi-même. Ils protestèrent que 'l'Indien ne connaît pas la photographie' -
'que cela allait les rendre malades - ils allaient tous mourir - le cheval allait mourir - le bébé allait mourir'. L'idée de
Peah semblait être qu'aucun mal ne résulterait de la prise en photographie d'un homme, de deux ou trois ensemble,
mais que je ne devais pas essayer d'y inclure leurs femmes, leurs bébés, ou leurs chevaux » (Jackson, 1929 : 198-199).
Citation originale : "Failing to get some of the individual groupings that I wanted, I planted my camera on the Agency
porch for the purpose of taking in the general gathering on the issuing ground. At once Peah and five or six other
Indians rode up in front of me, protesting vehemently, meanwhile pulling away the tripod legs, jerking the focusing
cloth from over my head, and occasionally throwing a blanket over the camera and myself. They protested that 'Indian
no sabe picture' - 'make 'em all heap sick - all die - pony die - papoose die.' Peah's idea seemed to be that no harm
would result from making a picture of one man, or two or three together, but I must not attemps to include their squaws,
papooses, or ponies". 13(Perez, 2000). Ainsi, la réalisation de photographies en terre hopi fait l'objet d'un véritable
encadrement juridique initié par la communauté hopi elle-même. Je m'interroge alors sur le sens de
ces mesures7 qui visent à garder la main sur la production et la diffusion d'images : cet encadrement
ne participe-t-il pas d'une dynamique plus large de réappropriation d'images qui tend à recouvrir
une liberté dérobée ? Du statut de la femme autochtone dans les collections photographiques muséales nationales Mon orientation vers des productions d'artistes femmes s'explique aussi par les observationsfaites durant un stage effectué au service iconographique du musée du quai Branly-Jacques Chirac
(octobre 2014-février 2015). Au cours de mes recherches, je suis alors frappée par l'infériorité
quantitative des portraits de femmes et par la façon dont laquelle ceux-ci sont légendés. Toutes ou
presque posent aux côtés de leur mari et sont désignées par l'expression " X' squaw »8 ( " squaw de
X » en français). Lorsqu'elles sont représentées, les femmes autochtones ne sont donc pas
individualisées mais définies en fonction de leur statut d'épouse ou de conjointe. Cette observation
me conduit à m'interroger sur ce que ces caractéristiques révèlent des mentalités et des idéologies
qui prévalent à l'époque de la réalisation de ces images. En d'autres termes, j'aspire à comprendre
comment le processus d'invisibilisation des femmes autochtones par la photographie a été rendu possible, quelles en sont les modalités, et quelles réponses y sont apportées.7 A ce sujet, voir notamment : Patrick Perez, " No picture ! no picture ! », Journal des anthropologues [En ligne], 80-
81 | 2000, mis en ligne le 01 juin 2001, consulté le 27 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/jda/3247.8 Nous avons choisi la lettre X pour désigner le nom du mari. Quant au terme " squaw », un débat entre chercheurs
existe sur la signification exacte de ce terme. Il semblerait que celui-ci ait originalement été dénué de toute connotation
péjorative, mais ait été détourné ensuite par les utilisations occidentales successives qui en ont été faites. Cf. Ives
Goddard, "The True History of The Word Squaw", in News from Indian Country, 1997, p. 19A. Il répond à Muriel
Charwood-Litzau (Anishinaabe). Source : http://home.kpn.nl/cvkolmes/ojibwe/SQUAW.htm. Page consultée le 28 mars
2018.14
PRÉAMBULE
1933. Au Field Museum of National History est inaugurée l'exposition Races of Mankind.
Celle-ci réunit un ensemble de 104 sculptures en bronze réalisées par Malvina Hoffman (1885-
quotesdbs_dbs33.pdfusesText_39[PDF] Financement et aides publiques à destination des TPE/PME wallonnes
[PDF] financement public des écoles privées. http://www.csq.qc.net/educat/publique/financement_prive_public.pdf
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