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La narration bouffonne dans Gil Blas : « trêve de morale »

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:

Journées d'Agrégation en Ligne 2002-2003 Gil Blas, le personnage introuvable Françoise Gevrey (Université de Reims) Peut-on dire sans paradoxe qu'un personnage éponyme est introuvable ? Gil Blas est un voleur, un homme plongé dans des aventures, souvent en fuite et sujet à des égarements ; c'est également un personnage léger, caractérisé pat l'élision et par le manque. Plus que la médiocrité, on retient une forme de transparence morale, et l'on a souvent souligné son abstraction en même temps que son universalité. Ainsi Charles Nodier écrit que Gil Blas est " l'homme de toutes les conditions de sa fortune, dans toutes les faiblesses et dans toutes les ressources de sa nature, de toutes les illusions de son esprit, dans toutes les combinaisons de sa pensée ; l'homme universel de Térence, placé au milieu d'un concours d'événements qui semblent se plaire à suivre le fil de ses rêves »1. Ce jugement peut être mis en relation avec l'" outil universel », expression qu'emploie Fabrice (VIII-9, p. 411), Rolando se donnant lui même pour un " garçon universel »2 (I-5, p. 36). En choisissant ce titre de " personnage introuvable », je préfère situer le personnage dans un contexte de conte, et laisser de côté une lecture " réaliste » du roman de Lesage. L'idée qu'on se fait maintenant de Gil, celle d'un p ersonnage aléatoire, es t sans doute déterminée par la perspective de Jacques le Fatal iste (" Comment s'étaient-ils rencontrés ? - Par hasard comme tout le monde. - Comment s'appelaient-ils ? - Que vous importe ? - D'où venaient-ils ? - Du lieu le plus prochain. - Où allaient-ils ? - Est-ce qu'on sait où l'on va ? »3), et par la crise du roman qui se manifeste à partir des années 1730. Les jugeme nts qu'on porte sur Gil Blas sont également inf luencés par ce qu e nous savon s de la réception du roman, et par les étapes de la lecture que nous en faisons. Walter Scott, en 1821, le perçoit très clairement : Peu importe l'époque où nous nous sommes trouvés pour la première fois sous le charme, que ce soit dans l'enfanc e, où nous étions surtout amusés par l a c averne des voleurs et les autres aventures romanesque de Gil Blas, que ce soit plus tard dans l'adolescence, alors que notre ignorance du monde nous empêchait encore de sentir la satire fine et amère cachée dans tant de passages, ou enfin que ce soit lorsque nous étions déjà assez instruits pour comprendre toutes les diverses allusions à l'histoire et aux affaires publiques, ou assez ignorants pour ne point chercher à voir dans le récit autre chose que ce qu'il découvre directement, l'enchanteur n'en exerça pas moins sur nous un pouvoir absolu dans toutes les circonstances.4 Dans notre mé moire se fixe en effet autant l'image du vieux po dagre Sédillo, celles du médecin Sangrado et de Pacheco, la momie vivante, sans parler de l'archevêque de Grenade qui apparaît au livre VII. Une certaine confusion des rôles contribue à dissoudre la personnalité de Gil, et, depuis les années 1920, on emploie le terme de " revue » pour caractériser la construction du roman. L'illustration contribue à cette réception du personnage de Gil Blas. Dans l'édition de Pierre de Bats (Paris, 1738), Gil Blas est souvent représenté dans des groupes, de profil, son visage n'est pas donné à voir au lecteur à la différence de celui d'autres personnages5. Les vignettes de Jean Gigoux pour l'édition Dubochet, lue par les grands auteurs du XIXe siècle comme Flaubert, jouent sur les formats et sur l'importance des objets métonymiques ;Gigoux a bien saisi le rôle de Gil Blas voyeur, notamment dans la scène qui rassemble don Bernard et le corrégidor au livre III ; la multiplication des visages dans les bandeaux ou dans les culs de lampe renforce l'idée d'un Gil Blas lui-même multiple ou décomposé. La présente étude voudrait observer la construction originale d'un personnage6 qui, sous son nom, regroupe des aventures, mais qui est rendu si transparent qu'il peut presque disparaître au cours du livre V ; est-ce un échec ou un choix délibéré de la part de Lesage ? Pour tenter de répondre à cette question, on envisagera des enjeux poétiques et anthropologiques. On fera d'abord apparaître une sémiologie paradoxale

et hasardeuse (plus Gil se dit héros, moins il l'est) ; puis on montrera la déconstruction du personnage, pour en venir enfin à la signification morale et esthétique7 de cette décomposition. * Pour juger du traitement que Lesage impose à son personnage, il convient de revenir sur les exigences poétiques du temps. Le roman du XVIIe siècle avait cherché à définir ses règles par rapport à l'épopée et au romanzo, donc aux théorie s de la Renaiss ance italie nne. En 1641, dans la Pré face d'Ibrahim, Sc udéry insistait sur le lien des épisodes avec le récit principal, en raison des lois de la vraisemblance, et justifiait ainsi le début in medias res que pratiquaient les grands génies de l'Antiquité : Ils n'ont pas fait comme ces peintres qui font voir dans une même toile un prince dans le berceau, sur le trône et dans le cercueil, et qui par cette confusion judicieuse embarrassent celui qui considère leur ouvrage : mais, avec une adresse incomparable, ils ont commencé leur histoire par le milieu, afin de donner de la suspension au lecteur dès l'ouverture.8 Scudéry exigeait également une meilleure caractérisation des héros dont il faut " imprimer fortement l'idée », surtout par leurs discours (" Parle afin que je te voie ») et par l'imposition des noms. L'influence de la nouvelle (quelle que soit son origine géographique et linguistique) impose à partir des années 1660 une évolution que formalisent les Sentiments sur les lettres et sur l'histoire de Du Plaisir (1683)9. Le critique anonyme insiste sur la linéarité du récit, sur l'inutilité des épisodes, sur la nécessité de ne pas avoir un trop grand nombre d'acteurs (le reproche s'adresse à Mme de Lafayette, l'auteur de Zayde et de La Princesse de Clèves). Pour lui, l'essentiel n'est pas le choix d'un héros, mais l'art que le narrateur va mettre à peindre ce héros, ce qui conduit à refuser le hasard, à affirmer la nécessité de transposer l'extraordinaire dans le monde intérieur, et de caractériser les personnages non par leur physique mais par leur caractère, tout en préférant le dialogue au monologue. Ces exigences se prolongent dans la réflexion de Fontenelle à propos d'une nouvelle de Catherine Bernard en 1687 : " On ne sent, dans les aventures, que l'effort de l'imagination de l'auteur ; et dans les choses de passion, ce n'est que la nature seule qui se fait sentir, quoiqu'il en ait coûté à l'auteur un effort d'esprit que je crois plus grand ». Il ne faudrait pas négliger l'esthétique formulée par Scarron qui paraît plus proche de Lesage que ne l 'est F uretière. L'auteur du Roman comique utilise les mêmes sourc es espagnoles que l'auteur du Diable boiteux ; la notion d e " tragi-comique » es t également efficace pour examiner l'oeuvre de Lesage. Dans un univers de théâtre (pensons à l'actrice nommé La Caverne) Scarron mêle l'héroïsme et le burlesque ; la nouvelle espagnole lui paraît fournir des personnages " à la portée de l'humanité » ainsi que des " exemples imitables » et utiles10. Le contrat de lecture proposé par Lesage pour l'Histoire de Gil Blas apparaît dans un conte inspiré par des modèles. Ce conte introduit une forme de distorsion, puisque Gil est appelé à devenir personnage, mais qu'il est aussi un auteur qui s'adresse au lecteur, d'où un statut d'emblée ambigu puisqu'il vient après la déclaration de l'auteur. Le roman picaresque avait ouvert, avec Guzman d'Alfarache, la voie au système des doubles préfaces ainsi que des divers niveaux d'énonciation pour plusieurs destinataires (" Au Vulgaire », puis " Au Prudent Lecteur ») . Lesage prolonge ce dispositif au cours du livre III où le personnage s'adresse au lecteur (p. 173), épisode redoublé par celui du livre VI (p. 305). Le conte initial a également pour but de mettre en abyme le récit. Il s'agit d'aller à Salamanque, or Gil y est envoyé dans le premier chapitre ; un cadre comme celui de la fontaine peut annoncer la rencontre de Zapata au chapitre 8 du livre II. Quant à l'épitaphe11, elle annonce d'emblée une fin du perso nnage ; da ns la traduction qu e Cha rnes donna de Lazarillo de Tormes12 a été ajoutée une épitaphe ainsi rédigée : Cy git Frère Lazare Gonzales Surnommé de Tormes Qui après avoir fait sur le théâtre De ce monde les personnages deGarçon d'Aveugle, Clerc de Village, Valet de toutes sortes de Maîtres, Marchand d'eau, Crieur public, Marchand aux Indes, Monstre Marin, Ecuyer, etc. Mourut hermite le 12. de Septembre1540, âgé de 39 ans 5 moiset onze jours. Le livre VI de l'histoire de Gil s'achève par la restitution de l'argent à Samuel Simon accompagnée de la réflexion suivante : " [...] c'était commencer le métier d'intendant par où l'on devrait le finir » (p. 310). Le motif de l'âme, qui renvoie au mythe de Psyché, repris tout au long du XVIIIe siècle dans les romans du

libertinage du Sopha à Point de lendemain, est détaché de son enracinement théologique ; l'âme matérialisée par une bourse permet de nier la psychologie traditionnelle du personnage (le profit est matériel avant d'être moral), et doit inviter le lecteur à s'interroger sur la notion même d'héritage qui recouvre l'imitation, la liste, la lignée. Tous ces éléments du conte initial font passer au second plan le plaisir des aventures qui ne seraient qu'un prétexte. Le précepte classique semble bien préservé par Lesage, comme il l'avait été par Rabelais et par Charles Sorel au début de Histoire comique de Franciona, mais les prévisions du lecteur seront souvent déjouées. Au-delà de cette présentation énigmatique, le personnage de Gil est construit par un certains nombre de signes dont l'auteur fait l'inventaire, notamment à chaque fois qu'un nouveau maître doit l'embaucher et qu'on l'examine comme Gregorio Rodriguez " depuis les pieds jusqu'à la tête » (III-3, p. 138). Intendants et maîtres se conduisent en maquignons qui prennent leur serviteur pour une bête. Lesage tente de donner consistance à un personnage-narrateur qui sait bien que c'est un " sot projet » de se peindre13, ce qui peut expliquer la dérision qui tombe sur lui. Le titre du roman semble pourtant mettre l'accent sur le personnage (avec toute la polysémie du terme d'histoire), et les éditions romantiques ont voulu unifier l'ouvrage en présentant en frontispice un hidalgo vieilli dont le parcours serait retracé. Mais dans les six premiers livres ce sont les titres des chapitres qui assurent la présence du personnage, dans la mesure où on peut les lire à la suite comme un récit, ce que trahit la reprise par le pronom il pour le chapitre 2 du livre I et pour le chapitre 6 du livre II, ainsi que la dérision souvent à l'oeuvre dans ces titres (I-10). Un examen systématique des titres du livre II montre comment Lesage impose un parcours ; il choisit soigneusement la place du nom de Gil, en tête ou en fin de titre ; des effets de chiasme apparaissent (entre le titre du chapitre 4 et celui du chapitre 5) qui perme ttent de rebondir d'une aventure à l'a utre. C ertains titres fonctionnent com me des résumés commodes qui piquent to ujours la curi osité (III-5). Quand le personnage dis paraît par l'effet des enchâssements, les nouveaux narrateurs s'adressent à lui, comme le fait don Raphaël au cours du livre V (p. 285, 287). L'onomastique est elle-même décalée. Gil porte naturellement le nom de son père, mais on ne voit pas le personnage dans la ville de Santillane,.puisque son itinéraire commence à Oviedo. Quant à Salamanque, c'est par hasard que le héros y parvient au cours d'une aventure, par la volonté d'une femme amoureuse. Gil est désigné par des noms qui varient en fonction de la position morale ou sociale dans laquelle il se trouve ; le panégyriste le désigne comme le " seigneur Gil Blas » ou la " huitième merveille du monde » (p. 29, 27) ; par contraste le héros se découvre à Camille comme " le trop crédule Gil Blas » (p. 95). Gil est ensuite anobli quand il obtient des lettres patentes, mais il tirera ces lettres d'un tiroir (XII-14, p. 607) comme s'il n'adhérait pas pleinement à cette noblesse (ce qu'on pourrait rapprocher de l'usage qui est fait du nom du " seigneur Gil Blas » dans une fausse lettre attribuée à dona Mencia, I-16, p. 68). La généalogie de Gil Blas fait apparaître un autre détournement. Contrairement aux personnages des romans picaresques e spagnols, Gil n'a pas à faire oub lier une origine honteuse. Mais la prédésignation conventionnelle dont use Lesage n'informe guère, puisque les faits du récit vont insister sur l'inefficacité de l'éducation familiale (I-2), sur le refus du motif de la force du sang (p. 38). Le fils du bourgeois et celui du boucher sont promis au même avenir de voleurs. Don Raphaël est-il victime de l'hérédité ? L'influence de Lucinde sur son fils n'est pas clairement établie dans le livre V ; le roman de l'époque de Lesage ne croit pas encore aux règles systématiques qui tiendront tant de place dans l'interprétation des comportements des romans réalistes ou naturalistes du XIXe siècle. Le corps du personnage principal n'est pas traité comme la pelure d'oignon de Balzac. Alors qu'on sait avec clarté que don Chérubin, le bachelier de Salamanque, est séduisant, que ses avantages physiques vont produire leur effet sur la marquise, en revanche il apparaît souvent que Gil Blas échoue auprès des femmes, à l'exception des soubrettes et des actrices (ce qui oriente le lecteur vers une explication d'ordre sociologique). Lesage donne à son personnage un corps qui est destiné à être fouillé et dépouillé (" ils me tournèrent de tous côtés et me dépouillèrent pour voir si je n'avais pas d'argent entre la peau et la chemise », I-12, p. 57), tout comme celui de l' ermite dans la s cène sacri lège du livre V, p. 293. Ce c orps est l ié à la scat ologie traditionnelle du picaresque, sans doute atténuée par Lesage ; la colique du chapitre 9 du premier livre est un stratagème d'autant plus verbal qu'il est préparé par une expression plaisante : " Cette pensée m'échauffa l'imagination et me fit concevoir un projet que je digérai bien » (p. 48). Sans doute faut-il tenir compte de la défiance à l'égard des hyperboles du portrait flatteur et mondain qui se traduisait déjà dans La Princesse

d'Elide de Molière14 et qui favorisa l'éclosion du portrait-caractère. Il faut cependant noter que dans un roman à la première personne comme Les Mémoires de la vie d'Henriette-Sylvie de Molière de Mme de Villedieu (1671-1674), réédité en 1707 l'année du Diable boiteux, l'auteur donne un portrait physique très explicite de son héroïne qui commence son existence d'aventurière par un coup de pistolet sur Molière (le rapprochement de ce roman avec Gil Blas mérite d'être approfondi15). Si le corps semble fait pour être dénudé, l'habit de Gil Blas est souvent une " dépouille » (" ils me parèrent de toute la dépouill e d'un gent ilhomme nouvelleme nt volé » I-7, p. 43), ce pourpoint accusera ensuite Gil Blas ; " ils m'ôtèrent tous deux d'un air grave et sans me dire un seul mot mon pourpoint et mon haut-de-chausses, qui étaient d'un drap fin et presque neuf, puis, m'ayant revêtu d'une vieille souquenille, ils me mirent dehors par les épaules » (I-13, p. 59). Lorsque Gil rencontre Fabrice alors qu'il s'est habillé en médecin, il répond ainsi aux rires de son ami : " [...] respecte un nouvel Hippocrate ! Apprends que je suis le substitut du docteur Sang rado, qui est le plus fameux médec in de Valladolid » (II-3, p. 89). Mais, à la différence de ce qu'on observe dans Le Paysan parvenu de Mari vaux, la progression sociale n'est pas systématiquement caractérisée par le vêtement ; Gil porte tantôt une souquenille, tantôt un pourpoint ; il adapte sa tenue aux circonstances : " Je me parai donc, à l'aide du barbier, d'une manière qui tenait un milieu entre don César et Gil Blas » (II-9, p. 166) ; les changements de vêtements brouillent la caractérisation par l'habit, et c'est tout naturellement que Gil Blas reprend un habit brodé après la mort de la paumière (II-5, p. 101) ; de même que son corps ne porte pas de cicatrices, le personnage est prêt à retrouver un vêtement de parade après une humiliation. En ce qui concerne la psychologie du personnage dans les six premiers livres, elle semble pouvoir se résumer dans l'expression " on me laissa ronger mon frein » (I-12, p. 57). On ne résumera pas ici l'évolution de Gil Blas vers une sagesse, dans la mesure où les livres au programme ne lui construisent pas une vie intérieure et encore moins u ne vér itable formation. Le nar rateur ins iste sur un certain nombre de traits récurrents (exprimés par les adjectifs sot, naïf, ou les noms de jeunesse, de vanité et de simplicité16. Ses réflexions sont souvent trouvées " inutiles » (p. 57) comme ses monologues sont " ridicules » (p. 182). Dans sa plasticité, le personnage est prêt à reprendre ses rôles comme il retrouve ses biens, tout en soulignant la contradiction entre ses aventures et l'idéal d'une " vie douce et tranquille » à laquelle il aspire (III-2, p. 136). Gil Blas oublie volontiers, parfois par prudence ou par nécessité lorsque Rolando le lui demande (p. 136), mais aussi parce qu'il n'a pas toujours la mémoire des expériences morales et des sensations. C'est là un trait qui le di stingue de J acob, le paysan de Mariva ux qui garde le souvenir du pain que la cuisini ère des demoiselles Habert lui donne. Gil, pourtant sensible aux bisques de dame Jacinte, ne pourrait s'exclamer : Ah ! le bon pain ! je n'en ai jamais mangé de meilleur, de plus blanc, de plus ragoûtant ; il faut bien des attentions pour faire un pain comme celui-là ; il n'y avait qu'une main dévote qui pût l'avoir pétri ; aussi était-il de la façon de Catherine.17 L'usage même que Gil Blas fait de sa mémoire, en espérant réciter des passages de pièces de théâtre qui séduiraient Aurore, se révèle inutile : Je comp tais de les bien appliquer, et j'espéra is qu'à l'exemple de quelques comédiens de ma connaissance, je passerais pour avoir de l'esprit, quoique je n'eusse que de la mémoire.(IV-1, p. 182) Le héros de Lesage est très brièvement touché par les aléas de la vie ; il garde tout au plus la marque de l'humiliation. Même lorsqu'il est responsable de la mort d'un autre, comme don Mathias, son esprit n'en reste pas assombri : Je courus au malheureux don Mathias. Je le trouvai sans connaissance et presque déjà sans vie. Ce spectacle m'attendrit, et je ne pus m'empêcher de pleurer une mort à laquelle, sans y penser, j'avais servi d'instrument. Néanmoins malgré ma douleur, je ne laissai pas de songer à mes petits intérêts. Je m'en retournai promptement à l'hôtel sans rien dire. Je fis un paquet de mes hardes où je mis par mégarde quelques nippes de mon maître, et, quand j'eus porté cela chez le barbier où mon habit d'homme à bonnes fortunes était encore, je répandis dans la ville l'accident funeste dont j'avais été le témoin. (III-8, p. 165)18

Il pourrait prendre à son compte la réflexion de fait don Raphaël à propos de la disparition du frère Juan : " Ces sortes d'objets font toujours quelque impression sur les plus grands libertins même. Mais nous n'en fûmes pas longtemps touchés » (V-1, p. 292). L'amour n'est qu'égarement : Gil se trompe au sujet d'Aurore qui ne l'aime pas ; assez souvent il est victime du désir des autres (par exemple la sexualité du muletier (I-3) ou celle du Biscayen qui aime la paumière (III-5). Il consent seulement à avouer qu'il considérait avec plaisir le tableau des actrices " qui n'avait que trop de charmes pour un vieil adolescent » (III-10, p. 170). Ainsi la sémiologie du personnage ne correspond pas aux exigences de la poétique classique. Lesage ne donne pas à son lecteur tous les éléments permettant d'être " intéressé pour » le héros ; il faut le filtre de l'intertextualité pour que le lecte ur se retr ouve, ou du moins rec onnais se sa culture , dans le personnage dont les caractéristiques littéraires permettent qu'il soit traversé par tous les milieux. Gil parcourt les diverses couches de la société, mais il est aussi assimilé par ces divers milieux. ; très vite il perd de son individualité en vivant en groupe avec des voleurs, puis avec des actrices. Un parallèle s'établit du reste entre les voleurs et les moines ; Rolando dit à Gil : " nous sommes plus unis que des moines » (I-5, p. 39), et ce n'est pas un hasard si l'image de saint Pacôme se détache dans la grotte de l'ermite (IV-9, p. 233) pour renvoyer ironiquement à cette manière d'exister dans un groupe qui n'a plus rien de religieux. * Confronté à une sémiologie détournée ou lacunaire, le lecteur de l'Histoire de Gil Blas découvre une intention de déconstruire le personnage et, à travers lui, l'illusion romanesque de l'époque classique19. Gil Blas adopte en effet comme premier principe de " céder à la nécessité » (I-5, p. 34), ce qui ne surprend pas dans le prolongement d'une topique picaresque. Pour lui, servir n'est pas seulement une exigence sociale, c'est une attitude morale entraînant un certain nombre de procédés qui tendent à le vider de sa substance. La réve rsibilité des rôles se manifeste constamm ent, Gil ét ant adjuvant et op posant, trompé et trompeur dans un monde où les échanges sont toujours possibles. Les exemples de ses relations avec dona Mencia dont il a fait le bonheur20 et le malheur, et avec Camille, qui l'a d'abord grugé avant qu'il ne la trompe pour récupérer son bien, confrontent le lecteur à cette instabilité des emplois. Le terme de métamorphose, très fréquent dans le texte, renvoie sans doute à une tradition de conte ; la métamorphose de Gil en alguazil (VI-1, p. 302), reprend celle de Fabrice (II-4, p. 94) et celle de Rolando (III-2, p. 135). Plus tard, dans le livre VIII, Fabrice constatera une métamorphose morale de Gil Blas devenu alors inaccessible pour ses anciens amis (p. 425-426). Raphaël subira plusieurs métamorphoses au cours de sa longue histoire (p. 272). À la peur et à l'erreur est lié un processus imaginaire qui égare le personnage. D'emblée sa pratique de la rhétorique en fait un " possédé » (I-1, p. 24). Il se grise aussi de son élégance : " Mes yeux ne pouvaient, pour ainsi dire, se rassa sier de mon ajustem ent. Jama is paon n'a regardé son plumage avec plus de complaisance » (I-15, p. 65). Croyant entendre " la voix d'un séraphin » lorsqu'un homme lui apporte un sac d'espèces, le héros se jette sur le sac " comme un faucon sur sa proie » (ibid.) Le sommeil est l'occasion d'ironiser sur le ridicule d'une situation qui permet de voler Gil Blas : " Cependant, parmi tant d'images de plaisir, le sommeil ne laissa pas de venir répandre sur moi ses pavots » (I-16, p. 70). Plus profondément le personnage tend à se tromper sur lui-même, ce qui détourne la moralité de sa fonction : Au lieu de n'imputer qu'à moi ce triste incident, et de songer qu'il ne me serait point arrivé si je n'eusse pas eu l'indiscrétion de m'ouvrir à Majuelo sans nécessité, je m'en pris à la fortune innocente et maudis cent fois mon étoile (I-16, p. 71) Quand Gil prétend imposer la morale, par exemple face à don Gonzale Pacheco que trompe Eufrasie, c'est à ses dépens et sans parvenir à convaincre son maître qui le renvoie (l'épisode peut annoncer celui de l'archevêque de Grenade). À plusieurs reprises Gil laisse le lecteur dans un certain doute pour interpréter un épisode. Ainsi à propos du maître de l'hôtel garni dans lequel il s'est fait dévaliser : " [...] mais je crois, malgré ses démonstrations, qu'il n'avait pas moins de part à cette fourberie que mon hôte de Burgos, à qui j'ai toujours attribué l'honneur de l'invention » (I-16, p. 71). Gil Blas v it certains év énements com me s'il n'y participait pa s, ce qui dilue sa responsabilit é individuelle. Lors de l'attaque du carrosse, il avoue les effets de son trouble : " [...] mais, pour dire les choses

comme elles sont, je fermai les yeux et tournai la tête en déchargeant ma carabine, et, de la manière que je tirai, je ne dois point avoir ce coup-là sur la conscience. [...] et ma peur en me troublant l'imagination me cachait l'horreur du spectacle qui m'effrayait » (I-9, p. 46)21. Quand les circonstances le demandent, Gil Blas, qui se caractérise par une curiosité naturelle (IV-11, p. 247), se transforme en spectateur et même en voyeur : véritable Persan dans le salon de la marquise de Chaves (IV-8), il se fait spectateur du tableau, puis auditeur de son explication par Elvire (IV-3, p. 189). Gil Blas est du reste victime de ce rôle d'auditeur lorsque des histoires trop longues l'ennuient, comme celle de Diego de la Fuente (p. 120). Il ne répugne cependant pas à écouter aux portes le récit de don Pompeyo ou d'être le témoin caché d'un duel. Quand il a un maître comme don Be rnard qui lui paraît avoi r un compor tement d'es pion, il l'espionne lui-même, ce qui p ermet une nouvelle réversibilité des rôles. Les doubles participent également à la déconstruction du personnage. Ils permettent de multiplier les possibles dans un jeu romanesque expérimental qui n'est pas du même ordre que le rapport de domination qui unit don Quichotte et Sancho. Ils suppriment la hiérarchisation des personnages ainsi que l'autonomie du héros, puisque les informations dont le lecteur a besoin à propos de son comportement viennent par le biais d'autres personnages. D'autre part quand un sentiment lui échappe (Gil se plaint devant le chantre), la réaction des autres jette le ridicule sur ce sentiment, et le personnage n'a pas la maîtrise de l'effet rhétorique de ses plaintes (le chantre rit , I-13, p. 60). Hommes et femmes semblent souvent interchangeables. Gil Blas, qui a été d'abord appelé à verser le vin à la place de dame Léonarde, se compare aux femmes libertines (II-6, p. 101). Même s'il éprouve une fascination mêlée de répulsion à l'égard des femmes " vrais caméléons qui changent de couleur suivant l'humeur et le génie des hommes qui les approchent » (IV-7, p. 223), il accepte que Laure lui déclare : " Tu es en homme ce que je suis en femme » (III-5, p. 152). Des rapports étroits unissent Gil à don Raphaël dont la vie est aléatoire, et qui veut " grossir le volume » (p. 247) des aventures dont il doit être le narrateur dans sa vieillesse, au barbier Diego, ou à Fabrice et même à don Bernard qui représente le bonheur d'abstention et le rapport à l'argent auquel il aspirera. Face à sa maîtresse, Gil se donne pour " l'Harpocrate des valets confidents » (IV-2, p. 185) : un note de Lesage renvoie au dieu du Silence, un jeune homme demi-nu, tenant d'une main une corne, et un doigt sur sa bouche, attitude qui peut caractériser parfois le comportement de Gil Blas. Enfin l'imitation entraîne des effets de dédoublement, qu'il s'agisse d'une imitation verbale ou gestuelle. Gil compare la mule du religieux avec la sienne ; les valets s'enivrent tandis qu'ils ont pris des noms des maîtres. Ainsi se préparent les listes qui paraissent assez nombreuses dans le roman : le registre d'Arias de Londona (I-17, p. 76), le registre mortuaire de Sangrado dont Gil se charge, l'agenda de bons mots de don Rapha ël (V-1, p. 281), ou la li st e de péchés que récite Gil comme des morceaux de catéchisme à la fin du chapitre 11 du livre III. Cette démultipl ication du personnage est renforcée par l'usage d e lieux et de circonstances qui reviennent comme sur les panneaux d'un théâtre de Foire22. L'abstraction relative des décors favorise un éparpillement du personnage, qu'il s'agisse de Gil Blas ou de Raphaël. Dans une " plaine coupée de plusieurs routes », Gil prend un chemin au hasard après son évasion en compagnie de dona Mencia (I-10, p. 50) ; il arrive qu'un itinéraire s'achève dans un cul-de-sac, comme celui où habite Arias de Londona (II-3, p. 85). Le héros du roman est souvent obligé de passer par des cavernes qui peuvent être aussi des tombeaux, des caves, des prisons et des cages (p. 33, 34, 47, 58), un grotte sur une île, autant de lieux d'ombre et de souffrance qui prennent parfois un aspect labyrinthique. Même la maison de don Bernard, avec sa trappe et ses mystères, garde un aspect d'étrangeté (p. 128-129). Le parcours de Gil Blas ne lui impose pas systématiquement un retour au lieu de son dépa rt (retour réservé a u barbier d ans les premi ers livres), mais on perçoit une figuration du jeu de l'oie dans l'avancée du personnage principal. En outre la diversité n'exclut pas l'unité des milieux. Laure déclare en effet : " [...] passer de chez un petit-maître au service d'une héroïne de théâtre, c'est être toujours dans le même monde » (III-9, p. 166)23. Ainsi peut être ménagée la variété nécessaire au plaisir du lecteur (don Raphaël nomme la " variété des temps » (IV-11, p. 245)), mais également la négation de toute fatalité. Gil n'a pas de destin à accomplir24, à l'inverse des héros picaresques traditionnels. On peut constater une forme d'appauv rissement dans cette dispersio n. La fin du VIe livre portait la m ention de Chapitre III et dernier, alors qu'on peut se demander si ce poste d'intendant constitue bien le " port assuré » dont il e st question ironiquement dans l e premier livre, tandis que Gil se trouve chez l es voleurs e n compagnie de dame Léonarde (I-6, p. 39). *

Si l'on cherche à dégager les intentions morales et esthétiques de Lesage, il apparaît d'abord une volonté de détourner la structure picaresque. Dans les six premiers livres du roman, Gil parvient tout au plus à se " décrasser » (l'expression est employée par un des valets des petits-maîtres (III-4, p. 145)). En aucun cas il ne s'agit de se convertir dans ces six livres au cours desquels Gil se conduit un peu comme don Raphaël le revendique lorsqu'i l affirme : " Je ne su is pas moin s prêt à faire une bonne action q u'une mauvaise » (V-2, p. 296). Seule l'apostasie est fermement condamnée, dans le cas du voleur qui trouve la mort, comme dans celui de Lucinde, la mère de don Raphaël, peut-être par prudence, peut-être aussi pour laisser de côté la question religieuse. Au lieu de s'en tenir à une ascension du personnage principal, Lesage fait surgir les vérités de l'expérience des groupes (Robert Challe le fait également en 1713 dans Les Illustres Françaises). Cela explique la m anière dont Gil reste souvent sans in itiative personnelle, et le fait qu 'il s'accommode des milieux dans lesquels il se trouve, par exemple lorsqu'il entre chez les petits-maîtres : " De sage et posé que j'étais auparavant, je devins vif, étourdi, turlupin » (III-5, p. 147). Lesage donne souvent l'impression de travailler sur des structures qu'il emprunterait aux moralistes, comme si son personnage était destiné à illustrer toutes les virtualités contenues dans une série de maximes ou de caractères. La Rochefoucauld a donné un archipel de maximes sur les louanges25. Les " louanges empoisonnées » y sont dénoncées, et le moraliste affirme : " Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit ». La Fontaine a placé " Le Corbeau et le Renard » presque au seuil de ses Fables choisies mises en vers. Il conviendrait de relire les aventures de Gil Blas à la lumière de ces paradigmes empruntés aux moralistes. D'abord la dupe d'un panégyriste qui lui fait la leçon, Gil est capable ensuite de louer don Gonzale Pacheco en lui donnant " de l'encensoir par le nez » (IV-7, p. 222) et de se défier de Béatrix et Eufrasie : En un mot, elles me louèrent tant que je me défiai des louanges qu'elles me donnèrent. J'en pénétrai le motif ; mais je les reçus en apparence avec toute la simplicité d'un sot, et par cette contre-ruse je trompai les friponnes, qui levèrent enfin le masque (IV-7, p. 224). Entre le modèle moraliste et l'anthropologie du XVIIIe siècle, il n'y a pas de coupure, et Gil préfigure tous ces hommes abstraits qui vont permettre l'expérimentation des philosophes. Dans Emile, Jean-Jacques Rousseau entend considérer dans son élève " l'homme abstrait, l'homme exposé à tous les accidents de la vie humaine »26, et l'on peut aussi penser à Robinson Crusoé auquel Rousseau se réfère. Mais pour Lesage l'autodérision est souvent plus efficace que les le çons délivrées par des personnages assez peu recommandables. Elle apparaît dans un mot ou au détour d'une phrase, par exemple quand Gil a peur de Rolando auquel il vient de se voir confronté par hasard, il se dit : " Malepeste ! si je le croyais, je lui ferais voir tout à l'heure que je n'ai pas la goutte aux pieds » (III-2, p. 133). Lesage n'abandonnera pas cette attitude jusqu'au dénouement du livre XII ; Gil Blas évoque alors l'éducation de ses deux enfants " dont [il] croit pieusement être le père » (p. 609). C'est sans doute cette dérision que Gil Blas apprend le mieux à maîtriser. On peut d'autre part réexaminer le personnage de Gil Blas à la lumière des idées que Lesage pouvait se faire de la Querelle des Anciens et des Modernes. Rappelons que l'Histoire de Gil Blas fut publiée en 1715, alors que la questi on de la vr aisembl ance du bouclier d'Achille avait été largement débattue durant la querelle d'Homère qui fit rage cette année-là, surtout après la publication du " Discours sur Homère » que Houdar de La Motte écrivit en 1714 en guise de préface à son Iliade en vers abrégée et mise au goût du temps27.. Après Charles Perrault, La Motte critique " ce bouclier mouvant, comme ces tableaux que nous avons vus en France depuis quelques années » (les tableaux mécaniques en la circonstance), à tel que point qu'un de ses adversaires, Jean Boivin, qui fréquentait le salon de Mme de Lambert, va trouver efficace de publier dans son Apologie d'Homère (1715) une planche dépliante du bouclier d'Achille pour en défendre la vraisemblance et l'intér êt. Or, dès 1707, Lesage s'était inspiré du bo uclier d'A chille pour concevoir l e manteau du Diable boiteux qui est une figure de l'écrivain : On y remarquait, d'un côté, une dame espagnole couverte de sa mante, qui agaçait un étranger à la promenade ; et de l'autre, une dame française qui étudiait dans un miroir de nouveaux airs de visage pour les essayer sur un jeune abbé qui paraissait à la portière de sa chambre avec des mouches et du rouge. Ici, des cav aliers italie ns chantaien t et jouaient de la gui tare sous les balcons de leurs

maîtresses ; et là, des Allemands déboutonnés, tout en désordre, plus pris de vin et plus barbouillés de tabac que des petits-maîtres français, entouraient une table inondée des débris de leur débauche. On apercevait dans un endroit un seigneur musulman sortant du bain, et environné de toutes les femmes de son sé rail, qui s'empressaient à lui rendr e leurs services. On découvrait dans un autre un gentilhomme anglais qui présentait galamment à sa dame une pipe et de la bière. On y démêlait aussi des joueurs merveilleusement bien représentés ; les uns animés d'une joie vive remplissaient leurs chapeaux de pièces d'or et d'argent ; et les autres, ne jouant plus que sur leur parole, lançaient au ciel des regards sacrilèges, en mangeant leurs cartes de désespoir. Enfin l'on y voyait autant de choses curieuses que sur l'admirable bouclier que le dieu Vulcain fit à la prière de Thétis. Mais il y avait cette différence entre les ouvrages de ces deux boiteux, que les figures du bouclier n'avaient aucun rapport aux exploits d'Achille, et qu'au contraire celles du manteau étaient autant de vives images de tout ce qui se fait dans le monde par la suggestion d'Asmodée.28 Les vignettes du manteau sont comparables, jusque dans leur agencement, aux personnages enchâssés dans l'Histoire de Gil Blas. La réception " stéréoscopique » du monde par un écrivain-diable29 prépare celle que permettra le personnage de Gil Blas. La déco mposition du personnage principal, qui su ppose une imitation très libre des modèle s picaresques espagnols, autorise une redéfinition des rapports de l'écrivain et du lecteur. Loin de s'en tenir à l'amertume d'un anti-roman, Lesage, qui s'est accordé avec Asmod ée la libert é d'ouvrir les maiso ns de Madrid, s'abandonne au plaisir des discordances dans la parodie. Les aventures des personnages, qui se présentent d'abord comme des fragments ou des lambeaux - don Chérubin, le bachelier de Salamanque, rencontre une marquise qui avait la mé moire farcie de " lambeaux romanesques » (c h. IX)- doivent se continuer dans une auto-imitation. Cela explique chez Lesage le besoin de reprendre ses sujets et de les réécrire (sous la forme de fragments dans La Valise trouvée ou de roman dans Le Bachelier de Salamanque). Le plai sir ne demande pas de r éduire la matière romanesque (à la différenc e de ce que feront d'autres romanciers des années 1730 co mme Crébillo n fils et même Marivau x qui la détou rne dans La Vie de Marianne). Au contraire, Lesage laisse à son roman une liberté de développement qu'on peut comparer au " caprice de la nature qui se montre féconde et stérile quand il lui plaît »30. Le personnage de Gil s'adapte donc aux exigences de la nature. * Au terme de ces quelques réflexions sur le personnage de Gil Blas, on perçoit que le romancier Lesage s'est situé dans une période intermédiaire entre la poétique des classiques et l'ère du soupçon qui va s'ouvrir en 1730. Son personnage, conforme en cela à la tradition picaresque, n'a rien d'héroïque au sens moral du terme, mais également au sens poétique, puisqu'il est surtout un " instrument textuel » selon l'expression de Vincent Jouve31. L'illusion romanesque est souvent mise à mal par Lesage dans ce qu'on peut tout de même considérer comme une période de retour du baroque (on goûte toujours Zayde de Mme de Lafayette ; à partir de 1690, Mm e d'Aulnoy écrit de longs romans incluant de s enchâssements, ce que fera ensuite l'abbé Prévost) où l'on ne renonce pas aux charmes du romanesque, quitte à le mitiger par les exigences du roman-mémoires. La vérité des personnages se découvre dans leurs relations au groupe, et cette vérité ne laisse pas d'être souvent noire et cruell e. Mais à la différence d e Prévost qui sou ligne généralement avec sérieux l'opacité des conduites de ses héros-narrateurs, Lesage, beaucoup plus rationaliste, tend à mettre en lumière des comportements dont la duplicité ne doit pas échapper au lecteur. Dans un beau jugement sur l'Histoire de Gil Blas32, Flaubert explique son intérêt pour le roman de Lesage. Même s'il aime " les viandes plus juteuses » (ce qui pourrait confirmer l'impression d'affaiblissement du personnage), il admire la facture du texte : " comme cela est fait ! ». le futur auteur de Madame Bovary connaît l'importance du plaisir du texte et du style ; il a conscience du caractère littéraire du roman qui se libère du vraisemblable par les dénivellations lexicales ou thématiques. Il fallait sans doute décomposer le personnage de Gil pour parvenir à cette construction qui tient le lecteur en haleine.

Peut-on voir dans ce personnage un échec, une faiblesse, ou un scepticisme à l'égard du genre ? Il ne s'agit pas en tout cas de désinvolture, et si Lesage a douté de son art, il a surmonté ce doute dans la gaieté. Il a voulu donner au lecteur plus d'initiative pour faire surgir le sens des aventures : l'éclatement du personnage et celui du livre demand ent un trav ail herméneutique. L'auto-dérision de Gil nous autor ise deux comparaisons iconoclastes qu i éclaireron t la lecture du roman. En 1945, Dub out a il lustré Le Diab le boiteux33 ; le trait du dessinateur fixe les caricatures grotesques des personnages, il rend surtout parfaitement par les hors-texte la prolifération des figures qui se ressemblent dans leur diversité. L'autre comparaison, plus proche de nous, est empruntée au domaine du théâtre : dans Le Roman d'un acteur (onze pièces et trente-trois heures de scène), Philippe Caubère a joué tous les rôles de ses spectacles qui se situent pour une grande part dans l'univers des comédiens. Cette ambition, qui ne va pas sans démesure et sans improvisation, était déjà celle de Lesage quand, après avoir fait l'expérience du théâtre, il conçut le personnage de Gil Blas. NOTES 1 Histoire de Gil Blas de Santillane, Paris, J.-J. Dubochet et Cie, 1837-1838, " Notice sur Gil Blas », p. 8. 2 L'expression vient des tripots. On pourrait rapprocher ces dénominations de l'eau, " dissolvant universel » selon Sangrado qui enseigne la médecine à Gil Blas (II-3, p. 87) 3 Jacques le Fataliste et son maître, écrit entre 1762 et 1780, [in] Contes de Diderot, OEuvres complètes, éd. L. Versini, coll. Bouquins, Paris, R. Laffont, t. II, p. 713. 4 Biographie des romanciers célèbres depuis Fielding jusqu'à nos jours, traduction de 1826, Paris, Gosselin,t. I, p. 37. 5 Voir les illustrations jointes pour le départ de Gil, ou la scène de l'intérieur de Sédillo. 6 Rappelons que dans le texte, conformément aux usages de l'époque, le mot de personnage n'apparaît qu'à propos du théâtre, avec l'acception de rôle, quand les personnages se déguisent. 7 Peut-on voir un lien ou une contradiction avec l'épisode de l'avant-propos de Guzman d'Alfarache (celui du peintre et du cheval ? Voir le passage consacré à cet avant-propos par J.-P. Sermain et J.Berchtold, dans Les Bons contes et les bons mots de Gil Blas, Nizet, 2002, p. 66. 8 [in] Idées sur le roman, textes critiques sur le roman français XIIe-XXe siècle, sous la direction de H. Coulet, Larousse, 1992, p. 75. 9 On peut se reporter à l'édition procurée par Ph. Hourcade, Genève, Droz, 1975. 10 Le Roman comique, éd. J. Serroy, Folio, 1985, première partie, p. 166. Le roman de Scarron est souvent réédité au XVIIIe siècle, prolongé par la suite d'Offray ou par celle de Préchac, son influence se fait donc toujours sentir au moment où Lesage entreprend la rédaction de Gil Blas. 11 Voir l'étude de la signification de ce passage par J. Berchtold, Les Prisons du roman, Genève, Droz, 2000, p. 532-533. 12 La Vie et aventures de Lazarille de Tormes écrites par lui-même (1678, réédité en 1698 et 1731). 13 Pascal l'écrit à propos de Montaigne, Pensées, 644, éd. Ph. Sellier, Classiques Garnier, 1991, p. 436. 14 Voir Jacqueline Plantié, La Mode portrait littéraire en France 1641-1681, Paris, Honoré Champion, 1994, p. 488-490. 15 Voir René Démoris, Le Roman à la première personne du classicisme aux Lumières, [1975] Genève, Droz, 2002, p. 134-140. 16 Gil Blas deviendra dur à la cour (VIII-10, p. 413). 17 Le Paysan parvenu, (1734), éd. F. Deloffre, Classiques Garnier, 1992, 1ère partie, p. 49. 18 On trouverait des attitudes morales de cet ordre dans l'Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut de l'abbé Prévost. 19 Voir notre ouvrage L'Illusion et ses procédés. De la Princesse de Clèves aux Illustres Françaises, Paris, José Corti, 1987. 20 Les motifs de la libération de la dame sont du reste suspects dans la mesure où Gil se réfère à des modèles empruntés, et qu'il compte en tirer profit pour lui-même (p. 50-51). 21 Au début de la Vie de Marianne de Marivaux, l'héroïne déclare à propos de son infortune liée à l'attaque du carrosse : " Heureusement je n'y étais pas quand elle m'arriva ; car ce n'est pas y être que de l'éprouver à l'âge de deux ans » (1ère partie, éd. F. Deloffre, Classiques Garnier, 1990, p. 12), mais les motivations ne sont pas les mêmes que celles de Gil Blas.. 22 J. Wagner évoque une " géographie sémantique », Histoire de Gil Blas de Santillane, Livres I à VI, A. Colin, 2002, p. 16. 23 Même idée chez Rolando qui déclare à Gil Blas : " [...] car je ne te crois pas assez sot pour te faire une peine d'être avec des voleurs. Eh ! voit-on d'autres gens dans le monde ? Non mon ami ; tous les hommes aiment à s'approprier le bien d'autrui. » (I-5, p. 39). 24 C'est par dérision qu'on le déclare " né coiffé » alors qu'il est tombé entre les mains des voleurs , I-4, p. 33. 25 Maximes 144-150, éd. J. Truchet, Classiques Garnier, 1967, p. 38-39. 26 Emile ou de l'éducation, livre I, [in] OEuvres complètes, éd . de B. Gagnebin et M. Raymond, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, 1969, t. IV, p. 252 . 27 On pourra se reporter à Houdar de La Motte, Textes critiques. Les raisons du sentiment, édition dirigée par F. Gevrey et B. Guion, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 133-238. 28 Le Diable boiteux, préface de R. Laufer, Folio classique, Gallimard, 1984, ch. I, p. 35. 29 R. Laufer signale également l'influence de Perrault dans l'anecdote du " comédien qui contrefait le cochon à Athènes » [Gil Blas III-4], [in] Lesage ou le métier de romancier, Paris, Gallimard, 1971, p. 167. Dans le débat qui a suivi les interventions, une question de Jean-Paul Sermain a permis de nuancer les positions de Lesage à l'égard des Anciens et des Modernes, dans la mesure où elles changent selon les domaines abordés et selon l'expérience du romancier. 30 L'expression intervient à propos de l'île de Cabrera, V-1, p. 263. 31 La Poétique du roman, Paris, A. Colin, 2001, p. 67. On relira avec profit les pages 51-72 qui portent sur le personnage. 32 Lettre à Louise Colet du 17 février 1853. 33 Editions du Livre, Monte-Carlo, voir les reproductions jointes.

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