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Maîtriser la relation entre loral et lécrit

L'orthographe est la manière de manifester par écrit une langue à une époque donnée. Passer de l'oral à l'écrit (lien avec la lecture).



1. Découvrir les relations entre loral et lécrit

Le chemin inverse qui va de l'écrit vers l'oral



Partie II - Le lien oral-écrit - Texte de cadrage

Ressources maternelle. Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions. Partie II - Lien oral-écrit -. Texte de cadrage éduscol. Retrouvez eduscol sur :.



Partie II - Le lien oral-écrit - Texte de cadrage

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De loral à lécrit : la rupture

passage à l'écrit d'une narration orale (transcription reconstruction



Passer de l oral à l écrit

PROG (Apprentissages progressifs de l 'écrit). La dictée a l'adulte Apprendre à différencier l'oral et l'écrit ; ... Passer du dialogue à la dictée.



Caractéristiques de loral / caractéristiques de lécrit

Lorsqu'on s'interroge sur l'apprentissage de la langue orale Pour passer au discours écrit



COMMENT PENSER LES RELATIONS ORAL/ÉCRIT DANS UN

passer de l'oral à l'écrit » c'est-à-dire



De loral à lécrit : lapproche phonographique

Remarques préliminaires. C'est dans l'esprit du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) que les nouvelles méthodes et manuels de langue 



De loral à lécrit

Jun 19 2006 Pour certains écrivains



Comment passer de l oral à l écrit? - La classe de Mallory

A l langage Comment passer de l’oral à l’écrit? A l’écrit je dois marquer la double negation : Je n’aime pas les épinards! Je A l’oral c’est mon intonation qui exprime mes émotions lorsque je parle A ’oral je ne fais pas des phrases complètes ou correctes “J’aime pas les épinards!” A A l’oral j’utilise la

Quelle est l’opposition entre langage écrit et langage oral ?

1 L ’opposition entre langage écrit et langage oral a longtemps été une affaire de lutte entre la langue du bon français, l’écrit, et la langue du mauvais français, le parlé. Cette dichotomie renvoie également à la distinction des classes sociales : la langue écrite réservée aux « riches » et la langue parlée « aux pauvres ».

Comment maîtriser la relation entre l’oral et l'écrit ?

Maîtriser la relation entre l’oral et l’écrit À travers le temps et les différentes cultures, deux grands principes ont émergé pour permettre aux hommes d’écrire. Le principe sémiographique, qui régit les premières écritures (dont celle inventée par les Sumériens en Mésopotamie au quatrième millénaire avant J.C.)

Pourquoi le texte est-il plus important à l’oral qu’à la écrit ?

Celle-ci paraît à première vue, plus importante à l’oral qu’à l’écrit, mais il faut considérer qu’à l’écrit, le texte est aussi un texte en situation (interaction complexe entre les caractéristiques du texte, les connaissances du lecteur et d’autres éléments pertinents de la situation comme les objectifs du lecteur, le contexte de lecture, etc.).

Comment fonctionne l’écrit en français ?

une simple transcription de l’oral (Nina Catach a utilisé le terme de plurisystème pour rendre compte du système orthographique du français). En français, l’écrit est donc majoritairement gouverné par le principe phonographiquequi correspond à l’utilisation des 26 lettres de l’alphabet, des accents et de la cédille pour

De loral à lécrit : la rupture Tous droits r€serv€s Universit€ Sainte-Anne, 2010 Ce document est prot€g€ par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. l'Universit€ de Montr€al, l'Universit€ Laval et l'Universit€ du Qu€bec " Montr€al. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Bru, J. (2009). De l'oral " l'€crit : la rupture.

Port Acadie

, (16-17), 33...43. https://doi.org/10.7202/045128ar

R€sum€ de l'article

Si les recueils de litt€rature orale dont j'ai assur€ l'€dition n'ont pas pos€ de

probl†me majeur ‡ il s'agissait de textes clos, repris de l'imprim€ ‡, le retour aux manuscrits en vue de publier les contes que Perbosc a recueillis au d€but du xx e si†cle pose la question de la rupture avec l'oralit€ qu'op†re chaque passage " l'€crit d'une narration orale (transcription, reconstruction, adaptation, traduction), selon des crit†res li€s " l'€poque et " l'optique de l'€diteur. Or la conservation de la performance orale sur bandes magn€tiques et les enregistrements en continu des discussions qui l'entourent donnent acc†s " des pans entiers de l'art du conte que les notes des ethnographes les plus vigilants ne nous permettaient pas d'envisager. Ainsi de la collecte in€dite, conduite par Marie-Louise Ten†ze, dans une r€gion proche, un si†cle plus tard, dont j'examine la possibilit€ d'une €dition. L'examen de tels documents fondera ma contribution " l'atelier.

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Résumé

Si les recueils de littérature orale dont j'ai assuré l'édition n'ont pas posé de problème

majeur - il s'agissait de textes clos, repris de l'imprimé - , le retour aux manuscrits en vue de publier les contes que Perbosc a recueillis au début du xx e siècle pose la ques

tion de la rupture avec l'oralité qu'opère chaque passage à l'écrit d'une narration orale

(transcription, reconstruction, adaptation, traduction), selon des critères liés à l'époque

et à l'optique de l'éditeur. Or la conservation de la performance orale sur bandes magné tiques et les enregistrements en continu des discussions qui l'entourent donnent accès à des pans entiers de l'art du conte que les notes des ethnographes les plus vigilants ne nous permettaient pas d'envisager. Ainsi de la collecte inédite, conduite par Marie-Louise Tenèze, dans une région proche, un siècle plus tard, dont j'examine la possibilité d'une édition. L'examen de tels documents fondera ma contribution à l'atelier.Josiane Bru

Université de Toulouse

De l'oral à l'écrit

: la rupture Écrire et éditer les récits oraux a été jusqu'au milieu du xx e siècle la seule façon d'en assurer la sauvegarde. Les contes étaient alors consi- dérés comme des reliquats de mythes oubliés, " monuments

» immaté-

riels qu'il fallait reconstituer patiemment avant de tenter d'en approcher le sens, alors cherché dans l'origine lointaine. Il était donc normal, dans cette perspective, que l'on utilise pour cela plusieurs versions d'un même conte recueillies auprès de différents narrateurs. La quête du sens est l'une des raisons de la réécriture des contes. Ce n'est qu'en renonçant à chercher dans un en deçà ou un au-delà du récit (version d'origine ou sens oublié), puis en le considérant comme autre chose qu'un récit réductible à sa part transcriptible, que l'on a com- mencé à envisager le conte à la fois comme un acte et son produit, ainsi que le montre Marie-Louise Tenèze en s'appuyant sur sa propre expérience de terrain en Aubrac dans les années soixante et sur son travail d'éditrice de la collecte de Victor Smith au milieu du xix e siècle, auprès de la fabu- leuse conteuse que fut Nannette Lévesque " l'intérêt maintenant inclut fondamentalement le conteur dans le conte et ce faisant tend à déplacer l'étude du conte constitué vers le conte en train de se dire, de se faire »1 Sans se départir de leur souci du contenu des récits, d'autres folkloristes 1. Marie-Louise Tenèze et Georges Delarue (dir.), Nannette Lévesque, conteuse et chanteuse du pays des sources de la Loire,

Paris, Gallimard, "

Le langage des

contes

», 2000, p.

8.

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Première séAnce : trAnscrire Pour qui?

et, de plus en plus, les ethnologues du xx e siècle se sont intéressés à des conteurs remarquables dont le répertoire, mis en valeur par un bel art de dire, allait de pair avec une connaissance vaste et précise des savoirs de leur communauté. Ils ont mis en évidence l'inflexion particulière que l'un ou l'autre donnait à ses contes, en fonction de son propre vécu, de sa représentation du monde et, portant progressivement un regard nouveau sur les versions brutes (dites lacunaires, contaminées, fragmentaires, erronées...), montré que la variabilité n'est pas un défaut mais un carac- tère spécifique et fructueux de l'oralité. Tout d'abord conçue comme la seule manière de maintenir en vie les contes ancestraux, l'écriture apparaît désormais comme une rupture avec l'oralité. Du fait de tout ce qui disparaît dans le passage à l'écrit d'un conte oral, le mot de rupture s'impose en effet pour désigner une simpli- fication, une réduction, qui équivaut à un changement de nature, rédui- sant à la parole seule un événement qui ne peut être représenté dans sa totalité autrement que par lui-même

», comme l'écrit Vivian Labrie en

son Précis de transcription de documents d'archives orales 2 . La voix, le rythme et le ton de la parole, les gestes et mimiques du conteur, l'espace partagé avec un auditoire qui colle à ses paroles et dont l'attente peut induire des modifications importantes du récit, tout cela disparaît dans le conte donné à lire. La littérature tente de diverses façons, suivant les auteurs et les époques, de compenser cette perte par des procédés sty- listiques divers. Nicole Belmont a émis l'hypothèse que les descriptions surabondantes des auteurs du "

Cabinet des fées

» visaient à compenser

les associations et images mentales issues des ambiguïtés du message oral et autres impondérables que l'inconscient perçoit dans le conte dit. Elle a distingué le texte - celui que l'on tente de restituer - de ce qu'elle nomme un sous-texte, qui se dessine dans les silences, hésitations, redi- tes, oublis, lapsus et lacunes de l'oral 3 . Elle a aussi montré comment, dans le passage à l'écriture des contes de transmission orale, s'effectue un autre passage : celui de leur destination aux enfants, du fait de leur apparente naïveté par rapport au conte littéraire, rédigé dans la solitude et la rigueur d'un esprit singulier qui lui donne forme définitive et person- nelle 4 . Tombé en enfance comme on dit d'un royaume qu'il est tombé en quenouille, le conte oral affadi, censuré, amputé de tout ce qui n'est pas 2. Vivian Labrie, Précis de transcription de documents d'archives orales, Québec, IQRC, " Instruments de travail » n° 4, 1979, p. 25. 3. Nicole Belmont, " Lacunes, altérations, lapsus dans le récit oral », Topique, n° 75,

2001, p.

181.
4. Nicole Belmont, Poétique du Conte, Paris, Gallimard, " Le langage des contes »,

1999, chapitre 4.

Cf. aussi la distinction entre les deux catégories de création

établie par André Jolles,

Formes simples,

Paris, Le Seuil, 1972 [1930].

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Josiane Bru

De l'oral à l'écrit : la rupture

réductible à un texte au sens le plus étroit du terme, semble en effet très pauvre, de style et de signification. L'illustration est appelée alors en ren- fort et l'on passe du livre à l'album. Le conte populaire, conçu et transmis oralement, s'élabore à l'infini dans l'échange entre des narrateurs et des destinataires susceptibles de les transmettre à leur tour. Il s'ouvre à l'infinité des variantes possibles et se réalise dans la pluralité de ses actualisations. Au contraire, le récit écrit, qui n'existe qu'à un exemplaire, daté et signé, se maintient en lui même. Il peut être lu et relu, par bribes ou en son entier, sans que soit altérée la version fixée. Jusqu'à l'avènement des techniques d'enregistre- ment, le conte oral, qui s'origine dans la " diction

» chaque fois différente

du conteur, ne pouvait être appréhendé qu'en perdant un peu de lui-même quand, afin de le retenir, le folkloriste demandait au conteur de ralentir son débit ou qu'il prenait "

à la volée

» des notes complétées ensuite

de mémoire. Contrairement à l'auditeur, le lecteur peut revenir en arrière, s'assurer de la cohérence de l'action autant que de sa propre appréhen- sion des événements qui la constituent. Dans le récit oral au contraire, ce qui est oublié le reste, à moins d'être introduit plus tard, si nécessaire, et l'action progresse quand même. L'auditeur, familier d'une intrigue qu'il a souvent déjà entendue, rectifie spontanément ce que le conteur a omis ou le suppose, sans avoir le temps ou éprouver le besoin de s'y appesan- tir 5 . À l'écrit, on prend soin au contraire de rétablir à sa place supposée l'élément manquant, au risque d'induire une interprétation erronée en lui accordant plus de place qu'il n'en faudrait, créant ainsi une variation que le processus de transmission orale n'aurait pas engendrée mais qui, cependant, fera autorité parce que c'est celle qui sera diffusée. Pour évaluer la place de chacun - conteur, transcripteur, éditeur - dans le mouvement de leur transmission, il nous faut scruter les termes employés, les attitudes et les projets mis en oeuvre à chaque moment de la vie du conte, de la voix au livre, analyser les choix conditionnés à chaque étape par des enjeux collectifs ou individuels que n'ont pas néces- sairement explicités les ouvriers de l'écriture des contes oraux qui nous ont précédés et qui sont extérieurs au conte lui-même. 5. Si le conteur oublie de dire que le roi qui cherche à marier sa fille a aussi un fils, c'est peut-être que cela n'a qu'une importance relative à ce moment du récit. L'histoire du fils du roi pourra toujours se greffer plus tard sur la partie du conte qui concerne la fille. Dans le récit oral, il n'y a pas besoin de signaler dès le départ tous les éléments qui interviendront plus tard. Peut-être d'ailleurs les auditeurs les oublieraient-ils?

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Première séAnce : trAnscrire Pour qui?

Témoins et acteurs de la transmission

La question de la fidélité à la source orale se pose dès l'entrée du conte dans le champ de la recherche, lorsque l'on cesse de considérer les récits populaires comme des reliques ou comme de simples réservoirs de thèmes. Si l'on ne peut douter de la sincérité des folkloristes lorsqu'ils se déclarent fidèles à la parole des conteurs, il est impossible d'éluder la question de ce qu'ils entendent par là. À quoi sont-ils réellement fidèles? Comme le collecteur, le transcripteur et plus tard l'éditeur (qui peu- vent être une même personne) sont à la fois témoins et acteurs. En fixant dans l'écriture les contes populaires, ils les font passer dans un autre monde, où ils se trouvent confrontés aux oeuvres de la culture dominante. Le conte oral, donné dans un acte unique de transmission, irréversible et modeste, est alors nécessairement jugé à l'aune de cet autre patiemment construit, peaufiné, reproduit à l'identique et susceptible d'adaptations qui ne changeront pas ce qu'il est au moment de sa révélation au lecteur. Dans les sociétés pratiquant l'écriture, l'oral et le populaire sont inévitablement considérés comme inférieurs à l'écrit et aux formes insti- tuées de la culture. Il est difficile d'échapper à l'" emprise idéologique » qui fonde ce système de valeurs, fausse la confrontation des genres et nous enferme dans les anciennes façons de faire pour reprendre les termes de Vivian Labrie 6 . Ce sont pourtant bien les lettrés, tenants de la culture dominante, qui se sont acharnés à mettre au jour ce qu'ils ont nommé la littérature orale, comme pour mieux poser face à face les deux genres narratifs en soulignant par le substantif leur caractère commun avant le qualificatif qui les différencie. Il serait injuste de dire qu'ils l'ont trahie, car leurs recueils ont ouvert ce nouveau champ d'investigation et motivé les collectes ultérieures. Au fil du temps, leur recherche a changé d'orientation, donnant lieu à des théories successives sur l'élaboration, le sens, l'origine ou la transmission des contes, souvent en relation avec une volonté de reconnaissance identitaire, rendant aussi la collecte et la conservation plus pressantes. Les chercheurs ont décrit une forme parti- culière de dire, analysé sa fonction sociale, recensé et comparé les ver- sions. Tous ont été des témoins au double sens du terme, observateurs et hérauts. Révélant les oeuvres de transmission orale, ils ont affirmé du même coup l'intérêt des savoirs populaires qui, avec les langues dans lesquelles ils s'expriment, définissent les contours de pays et de peuples dont l'Histoire ne dit rien et qui ne font pas de taches de couleur sur les cartes 7 . Les folkloristes ont agi en défenseurs de langues et de cultures 6

Vivian Labrie, op. cit., p. 13.

7. Selon l'expression du poète occitan Yves Rouquette.

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Josiane Bru

De l'oral à l'écrit : la rupture

particulières, mais aussi de la culture populaire en général, dont ils nous ont transmis les histoires, au mieux, du point de vue qui était le leur. Les outils d'enregistrement et de reproduction de la parole ne chan- gent rien à l'échelle des valeurs qui infériorise l'oral. Ils en modifient tou- tefois l'appréhension, en autorisant une écoute répétée et ralentie et la notation de plus en plus précise. La transcription par décryptage d'un enregistrement peut désormais prétendre rendre compte de tout ce qui est audible : l'aventure narrée, les mots exacts, les silences, les interven- tions éventuelles de l'auditoire et jusqu'aux particularités de la langue et de la prononciation du conteur. Pris de vertige, le transcripteur ne sait plus où donner de la tête et tente de faire retenir dans l'écrit le plus d'éléments possibles du récit oral. Le sens se perd dans le codage des détails, le fil du récit casse sous les annotations. L'histoire racontée devient d'autant plus illisible que la transcription veut rendre compte d'un maximum de choses. Au lieu de mettre en lumière le récit oral, elle en souligne les défauts et imperfections face au texte construit par écrit 8

La transcription

: de la sauvegarde à l'analyse des contes oraux À égale distance des concepts de notation et d'écriture, celui de transcription exprime la tentative d'empêcher qu'une étrangeté totale ne s'instaure entre l'événement oral et son double écrit. Il me semble s'appli- quer au patient travail de saisie de l'intégralité de la parole, au plus près des mots et des phrases entendus. La notation sur le vif ou peu après l'écoute faisait office de filtre sim- plifiant à partir duquel les anciens folkloristes effectuaient la " mise au net », après laquelle les notes étaient détruites. La version écrite, publiée ou archivée, remplaçait alors la version orale, donnant à lire un texte cohé- rent, limpide, entrant à sa façon dans le projet de transmission qui est aussi celui du conteur. Au contraire, la transcription stricte, c'est-à-dire la plus proche possible de la parole, avec ses hésitations, ses apartés, ses interruptions éventuelles et autres " accidents

» qui affectent le plus sou-

vent la diction, ne permet pas de délivrer un texte immédiatement intelli- gible. Elle recourt à des codages qui brouillent le sens et font perdre le fil de l'histoire. En insistant sur la nécessité de rendre la coulée du texte et de signaler en dehors de celui-ci tous les éléments qui ne servent pas directement le sens, Vivian Labrie pose la question de la destination de l'écrit obtenu et de son insertion dans le processus de transmission. Elle en désigne deux modalités distinctes

On appellera ici transcription la

mise en écrit de la verbalisation, et édition l'intervention critique du trans- 8. Comme les documents de travail qui ont servi de support à cette rencontre ou les plus anciennes tentatives de normalisation en vue de la transcription des ethno- textes, l'ouvrage de Vivian Labrie en donne des exemples frappants.

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Première séAnce : trAnscrire Pour qui?

cripteur sur la suite écrite [...] 9 . Je préfère réserver le terme d'édition à l'acte qui porte les récits à la connaissance des lecteurs et à l'objet qu'il produit, mais une distinction doit effectivement être faite entre une trans- cription au plus près de l'oral et celle qui sera livrée au lecteur par l'édi- tion. La première est un outil et il est normal, et même indispensable, qu'elle reflète par exemple les ambiguïtés de la parole, qu'elle laisse en blanc les moments où celle-ci est inaudible afin de ne pas induire un sens étranger. Elle est nécessaire au chercheur parce qu'il est un travailleur de l'écrit, qui ne peut se passer d'une visualisation du texte, mais elle ne vaut en principe que dans l'optique de celui ou celle qui la réalise. Inutilisable par le linguiste, insuffisante pour l'ethnologue et illisible pour le profane, la transcription au plus près de l'oral apparaît comme un codage caricatural dès qu'elle prétend répondre à trop de besoins. Elle fonctionne alors quasiment comme une dénonciation de l'irréductibilité de l'oral à l'écrit, une démonstration de l'incompatibilité de deux systè- mes qui ont chacun leurs lois propres. Étape intermédiaire entre deux états du conte, elle constitue la base d'élaboration de la transcription dérivée, celle que l'on édite et qui dif- fère des réécritures à l'ancienne par son souci de proximité du texte oral. Transcrire et traduire sont deux démarches proches, susceptibles d'opé- rer le même type d'éloignement par rapport à l'original. La façon dont les anciens folkloristes nous ont transmis les contes a suffi pour nous donner accès aux intrigues, mais les techniques d'enregistrement et d'écoute répétée des contes invitent à d'autres types d'investigation. On peut comparer la transcription au plus près de l'oral à une première traduction avant que le texte ne prenne cohérence dans une nouvelle langue 10 Transcrire pour éditer suppose d'effectuer une série de choix à partir de la prestation du conteur ou de son enregistrement. C'est une opération complexe, hésitante, réalisant dans la lenteur et l'incertitude un traite- ment de l'information qui se fait pour l'auditeur dans le temps bref de l'écoute 11 . Alors que l'acte du conteur est irréversible et légitime parce qu'il reste dans la cohérence d'un genre où création et transmission ne 9.

Vivian Labrie, op.cit., p. 106.

10. La traduction des imparfaits du subjonctif et des temps surcomposés de l'occitan

populaire produit un décalage, car, en français par exemple, ces modes de conju- gaison relèvent du langage châtié des catégories sociales lettrées.

11. Par exemple quand le conteur a des difficultés avec le déroulement de l'histoire ou qu'il effectue des associations inhabituelles. On avait l'habitude de consi-

dérer que toute version manquant de cohérence est le résultat d'une perte. Marie- Louise Tenèze en propose une lecture plus nuancée en voyant, dans une version de Nannette Lévesque notée par Victor Smith, la manifestation d'un conte qui se cherche, d'une "création" en cours, non achevée, non encore suffisamment limée (Marie-Louise Tenèze et Georges Delarue, op. cit., p. 231).

Port Acadie 16-17, automne 2009 - printemps 39

Josiane Bru

De l'oral à l'écrit : la rupture

sont pas séparables, son double est toujours par définition contestable parce qu'il se situe dans un espace intenable ou, comme l'on dit, entre deux chaises.

Transcrire pour faire entendre

J'ai pu suivre l'expérience tentée par un collègue qui, travaillant à l'élaboration de matériel pédagogique pour les enseignants d'occitan, voit dans les enregistrements de conteurs anciens une possibilité de confron- ter maîtres et élèves à une langue naturelle, parlée par des locuteurs en dehors de toute relation à l'écriture 12 . Pour sa diction particulièrement claire, son niveau de langue et son talent de conteuse qui rend ses récits particulièrement attractifs, il a choisi un conte d'animaux dit par Maria Girbal devant la caméra de Jean-Dominique Lajoux lors de l'enquête de lit- térature orale conduite par Marie-Louise Tenèze en Aubrac, dans le Massif central, dans les années 1966-1968 13 . Malgré sa fluidité et l'aide que l'image en gros plan apporte à la compréhension, le récit de la conteuse est difficile à saisir à première écoute, même par une personne maîtrisant relativement bien la langue. Le débit est rapide, le vocabulaire riche et le dialecte présente des particularités que l'on ne repère pas toujours dans l'instant. Cette transcription-là doit servir à faciliter l'écoute. Interrogé sur sa façon de faire, le transcripteur insiste sur ses prio- rités J'ai essayé de rendre le rythme de la parole; j'ai porté une grande attention aux respirations, que j'ai tenté de rendre par les points et les vir- gules. » Or l'exercice simultané d'écoute et lecture du conte fait apparaître des décalages entre version orale et version écrite. En dépit de la priorité énoncée, le transcripteur ne restitue pas à proprement parler le rythme du récit oral, il le souligne. En effet, là où une notation de type musical indi- querait un court silence parce que la voix de la conteuse s'infléchit sans pour autant marquer une césure, il place soit un point, un point d'excla- mation ou d'interrogation, des points de suspension 14 . Ces pauses, ou

12. Beaucoup de jeunes enseignants des classes bilingues (occitan-français) ou des

Calandretas (écoles d'enseignement immersif) n'ont pas fait d'apprentissage natu- rel de la langue qu'ils enseignent et qui se présente toujours sous forme dialectale. Leur parler s'appuie de plus en plus sur la lecture de textes dans la graphie de l'Institut d'études occitanes. Cette graphie, dont l'intérêt principal est de mettre en avant l'unité de la langue, estompe du même coup maintes variations dialectales. Il y a donc danger de passer d'une graphie normalisée à une langue normalisée si on ne retourne pas vers les locuteurs naturels n'ayant pas fait l'apprentissage de la langue écrite.

13. Cf. Marie-Louise Tenèze, Littérature orale narrative, Paris, CNRS, 1975. Extrait de

L'Aubrac, tome

v, p. 31-164 : " Le conte de la poulette », version n° 1 du T. 122F dans le catalogue français des contes d'animaux.

14. Par exemple : " E amont abans d'arribar » (Et là haut avant d'arriver) devient

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Première séAnce : trAnscrire Pour qui?

plutôt ces retenues discrètes de la voix qui scandent efficacement le récit oral, ont si peu d'importance quantitative, si l'on considère le récit oral comme une alternance de sons et de silences, que leur équivalent dans la transcription ne suffirait pas à structurer le texte écrit. Il a donc fallu les amplifier. Elles peuvent être très brèves et légères à l'oral parce qu'elles sont appuyées par des changements de ton (exclamatif, interrogatif, dubi- tatif ou autre) qui, eux, sont par contre bien marqués et qui se traduisent à l'écrit par des signes de ponctuation différenciés. La ponctuation du texte

écrit a de fait une double fonction

: rythmer et donner le ton. Le transcrip- teur a donc, dans la modification qu'il fait subir au rythme stricto sensu, assumé une autre dimension de l'oral qui isole des mots ou des phrases par des modulations de la voix de telle sorte que l'auditeur puisse suivre sans avoir à effectuer lui-même ce découpage 15 . Ce que Vivian Labrie nomme " l'arrangement physique du texte » 16 - la ponctuation ou les parenthèses comme la division en paragraphes ou les alinéas dans les dialogues - a la même fonction que la ponctuation : donner au texte à lire la limpidité du récit oral afin qu'il puisse être compris clairement à première lecture comme il l'est à première écoute.

Éditer

: défendre l'oral par l'écrit La transcription délivre le contenu du récit et une partie de ses moda- lités. Elle ne peut à elle seule rendre compte de l'acte oral qu'est le conte ou libérer le regard de l'idéologie dominante. C'est dans le mode d'édition qu'il nous faut trouver les moyens et la manière de témoigner de la spé- cificité des récits qui sont donnés à lire, afin que le lecteur les reçoive en toute connaissance de cause. L'édition des contes transcrits à partir de phonogrammes et celle des contes recueillis directement par écrit répondent aux mêmes nécessités, à peu de choses près. Il faut en expliquer la singularité, justifiant ainsi leur aspect lacunaire lorsqu'ils ont été recueillis en dehors du contexte normal de transmission. C'est dans une présentation, une préface, un avertisse- E amont, abans d'arribar ». De même, lorsque la poule dit au loup : " Ne me mange pas je serai plus grasse et plus tendre

», des points de suspension montrent

son hésitation dans le choix des arguments pour le dissuader : " Me manges pas... ... serai pus grasseta... ... e pus mofleta

» pour " Me manges pas serai pus grasseta

e pus mofleta

15. On remarque que les ajouts portent uniquement sur la ponctuation. Par exemple : " Lo rainal : / A, a, a! A, cossí me vau carrar de te manjar! / - Piu! Piu, piu, piu, piu! / A! Aquel rainal! Mon vièlh, coma un fat! Qual sap de qu'arriba? Agacha se anèt luènh! Venguèt jusca al forn dels Botigas, aicí, a Bèç. E se fotèt dedins ». Pour " Mon

vièlh, coma un fat! », on aurait la tentation de compléter : " Mon vieux! [Il s'en va] comme un fou!

16. Vivian Labrie, op. cit., p. 34.

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Josiane Bru

De l'oral à l'écrit : la rupture

ment que l'on peut développer l'exposé du contexte, de la démarche, du mode de vie, des lieux... C'est là que nous pouvons donner à voir, faute d'entendre tout ce qui permettra au lecteur de situer les contes dans cet environnement particulier qu'est la culture de transmission orale. Des notes comparatives renvoyant à des variantes recueillies dans d'autres régions, la référence à la classification internationale, une bibliographie adaptée et d'autres explications ou commentaires éclairant la question de l'oralité disent ce que ne peuvent dire les récits eux-mêmes. La pré- sence de plusieurs versions d'un même conte dans le corpus édité aide aussi à comprendre la variabilité et la part de création du conteur dans le processus de transmission. Seules les collections scientifiques permettent un appareil critique important, mais en France les anciens grands éditeurs d'ethnographie et de littérature orale se tournent vers des publications plus rentables 17quotesdbs_dbs29.pdfusesText_35
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