Un leader doit-il toujours dire la vérité pour justifier ses choix?
16 mars 2008 possibilité de dire la vérité au-delà même de son intention de ... Quels sont les arguments avancés par les uns et les autres pour ...
20 dissertations La vérité
d'une argumentation. c'est-à-dire qu'elle ne donne pas réellement la vérité. ... semblée politique être à même de « retourner » les arguments de ...
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C'est-à-dire l'art d'attendre l'apparence de la vérité l'on peut utiliser dans les cas particuliers pour en tirer des arguments et les montrer à tous ...
Vérité sans vérités ? Réponse à Kevin Mulligan
vais tenter de désamorcer les arguments contre cette conception rect de dire que la vérité de ce qui est exprimé par la phrase plus longue est.
ÉLOQUENCE MORALE ET VÉRITÉ - Tzvetan Todorov - Le Seuil
pour objet d'apprendre l'éloquence c'est-à-dire l'art de parler Après tous les arguments apportés par Platon pour prouver.
Deleuze et la question de la vérité en littérature
vérités au pluriel existent alors pour dire
LES STRATÉGIES DE PERSUASION DANS LÉLOGE DHÉLÈNE
sion est à l'œuvre même dans des discours qui prétendent dire ou cher- cher une forme de vérité à l'aide d'arguments : le rhéteur la considère.
Quand dire la vérité cest faire
5 janv. 2021 Mon objectif général est justement de montrer en m'appuyant d'abord sur les travaux de J. L. Austin
ÉRIC MÉCHOULAN - Dire la vérité de lobscur: Pascal et la lecture
recherches appelait aléthurgiques) : dire la vérité des êtres
LA PAROLE PERMET-ELLE DATTEINDRE LA VÉRITÉ ? Le pack
se sentir moralement tenu par un devoir de dire la vérité. [NdA : les arguments de cette grande partie sont rangés du plus général au plus précis mais.
Mengue, Philippe. "Deleuze et la question de la vérité en littérature". EREA 1.2 (automne 2003): i-xviii.
Philippe MENGUE
Le thème de notre colloque - la vérité en littérature - nous pose le très difficile problème de
la vérité. "Difficile" : c'est très peu dire, en vérité ! Puisqu'on sait que la philosophie n'existe tout
simplement pas sans son rapport à cette question de la vérité, et cela continûment, depuis sa
naissance, à chaque fois, à chaque (re)naissance d'une philosophie. C'est la question par excellence
du philosophe, sans laquelle il n'y aurait pas questionnement philosophique. On ne croira pas que laquestion soit allégée par la restriction qu'introduit le déterminant "en littérature", en nous enjoignant
de n'étudier ce problème que dans le domaine de la littérature. Car, qui ne voit qu'elle s'en trouve
éminemment compliquée, puisque maintenant nous avons sur les bras en plus de la vérité la question
de la littérature, de ce qu'elle est, etc.Pour comprendre l'apport de Gilles Deleuze à cette question, je dois restituer la problématique
d'ensemble sous-jacente par rapport à laquelle il intervient, fait relief et différence créatrice. Ce qui va
nous prendre un peu de temps et rappeler des choses connues.1. Vérité et vérités
La question de la vérité en littérature nous met obligatoirement dans une posture externe par
rapport à la littérature et d'où nous réfléchissons sur la littérature. Nous avons quitté le domaine
propre à la production littéraire (la littérature telle qu'elle, en elle-même, ne se pose pas cette
question). Nous sommes mis dans la position d'une théorie (réflexive) sur la littérature prise comme
objet d'enquête. Et cette situation réflexive se trouve partagée conjointement par la philosophie et la
critique littéraire ou poétique, comme la nommait Aristote. Mais leur domaine n'est pas le même.
Supposons qu'il y ait de la vérité en littérature, que la littérature soit productrice de vérité.
Cette vérité spécifiquement identifiable, cernable et exprimable par le texte ou l'oeuvre, viendrait
prendre place à côté d'autres vérités dont celle, incontestable celle-là, de la science. Partons donc de
l'idée qu'il y a de la vérité produite par la science et la littérature, la poésie et les arts, et peut-être
d'autres domaines d'activités comme la politique. Il y a donc des vérités. Mais que faisons-nous, quel
lieu occupons-nous, tandis que nous faisons ces hypothèses et procédons à ces réflexions ? Si des
vérités au pluriel existent, alors pour dire, qualifier de vraies ces vérités, il faut la vérité, il faut que
nous possédions une Idée de la vérité au singulier. Nous ne pouvons pas nous contenter du seul plan
de production des vérités (science, art, littérature, etc.) puisque est impliqué un autre plan ou espace
de réflexion qui pose la question de la vérité : ce qu'elle est, ce qu'elle vaut, etc. Ce lieu où est
interrogée la vérité des différentes vérités, où ces dernières viennent s'entrecroiser ou rencontrer, se
comparer, se dire ce qu'elles sont, quelles sont leurs importances respectives, etc. ce lieu ou espace
n'a jamais eu d'autre nom que celui de "philosophie".La philosophie n'est donc ni vraie ni fausse, puisqu'elle est le lieu où se décide ce qu'il en est
du vrai et du faux, où l'on se pose la question de savoir ce qu'est la vérité. On dit, nous les modernes
disons, qu'elle n'est pas un savoir, une science, mais une pensée, et une pensée qui élabore le sens,
dont le sens de la vérité, de l'être, etc. Or c'est sur ce plan, philosophique, que nous sommes
nécessairement mis quand nous donnons toute sa portée à la question de la vérité en littérature. Et
l'on voit que ce plan se distingue proprement du domaine de la critique littéraire ou poétique, qui, lui,
tout en restant dépendant et étroitement lié à la philosophie, se limite à une réflexion sur la
littérature. Ce domaine prend pour objet direct les procédés, les règles ou les formes des oeuvres
littéraires. La critique littéraire réfléchit donc le travail de fabrication des oeuvres, leur agencement
interne et fonctionnement, et donc aussi la question de leur mode différent de production du "vrai",
ou de ce qui est pris pour tel.2. Vérité et tentative de défaussement
Devant l'immensité de ces problèmes, est-ce qu'on ne serait pas bien inspiré en remarquantqu'on a simplement fait une hypothèse fausse, en présupposant qu'il y avait une vérité littéraire ou
Mengue, Philippe. "Deleuze et la question de la vérité en littérature". EREA 1.2 (automne 2003): i-xviii.
poétique. Car, après tout, et pour le dire vulgairement mais clairement : de la vérité, la littérature, elle
s'en fout ! Et voilà, notre question se trouverait d'emblée et déjà résolue. Y a-t-il de la vérité en
littérature ? Non. Et pour les raisons suivantes :- D'une part, la vérité est classiquement, par Aristote lui-même, définie comme une relation
de conformité entre une représentation, un discours, une idée et ce à quoi elle se rapporte, son
référent, la chose, le monde, la réalité.- D'autre part, la littérature est caractérisée comme puissance de fiction, de narration, de
récit, qui se moque, par définition, de son rapport à la réalité, puisque cette réalité les fictions se la
créent ou forgent ou configurent eux-mêmes (sens de fingo, d'où vient fiction). La fiction, selon un
geste qui s'origine dans Platon, est assimilée à la production du faux, de l'illusion, à la tromperie.
C'en est donc bien fini du vrai, qui lui suppose cette réalité préalable pour pouvoir lui être
conforme. En littérature et poésie, on invente des histoires de toutes pièces, on fantasme, on joue
avec les mots, le texte, la matérialité sonore, et l'écrivain n'est pas tenu comme le savant, le
journaliste, l'historien, le philosophe d'aller à la vérité. Le référent du récit, la diégèse, est un univers
imaginaire qui, même quand il emprunte à la réalité (lieux, personnages, etc.) des pans entiers de sa
narration, comme c'est le cas avec le roman réaliste et naturaliste, reste un univers fictif. Et s'il y a de
la vérité "en" elle, c'est comme par hasard. Oui, certes, on peut en trouver, par-ci par-là, de la vérité,
mais ce n'est pas son objet principal de dire le vrai.Enfin, et ce dernier point n'est pas mince, qui dit vérité dit nécessairement une procédure
d'établissement des preuves attestant que le réel dont on parle est bien comme on dit qu'il est. Les
preuves (ou raisons) peuvent être de genres différents, qui définissent à chaque fois un type de
rationalité spécifique, depuis la validité logico-mathématique jusqu'à la vérité expérimentale
(physique, biologie). La science expérimentale, en raison de ces procédures très strictes, exactes et
répétables, est incontestablement productrice de vérités, et la seule question qui vaille est de
connaître la nature de la vérité ainsi produite, ce dont l'épistémologie et l'histoire des sciences font
leur objet. Quand le positivisme part du principe qu'il n'y a de vérité que scientifique, n'a-t-il pas
raison ? La valeur, ou la fin de la littérature serait autre que la vérité : la beauté par exemple, ou tout
autre chose.Voilà, la question est réglée, comme on dit. L'argumentation est rapide mais semble solide. Et
pourtant on est plongé dans la plus grande des déceptions, car ce n'est pas pour rappeler ces vérités
élémentaires, quasi triviales, qu'on m'a si gentiment invité à ce colloque. En effet, on est tous plus ou
moins conscients de cela, et si nous insistons quand même, c'est que le positivisme ne nous suffit pas,
que nous le jugeons incomplet ou aveugle à quelque chose qui nous travaille : mais qu'est-ce ? Poser,
quand même, la question de la "vérité" en littérature, malgré ces évidences du "bon sens" nous
renvoie à un soupçon : on ne se tient pas quitte si aisément avec la vérité, même en littérature.
Comme il semble, néanmoins, difficile de refuser le statut narratif ou fictif de la littérature, notre
question devient celle de savoir en quoi la fiction est porteuse de vérité. L'entrelacement du vrai et du
faux, dans le fictif, comment le démêler et le caractériser ?Cette dernière question a renvoyé dans l'espace culturel français, à un débat entre deux
positions théoriques opposées. Elles apparaissent si l'on part justement du fait que la littérature est
d'abord un fait ou un événement de langage et que le langage peut être abordé selon deux grandes
vections ou orientations majeures, différentes et opposées. - On peut se retourner vers le fonctionnement interne du "discours" littéraire, et donner leprimat à son organisation signifiante et narratique, aux formes ou structures. Le sens, la vérité, sont
toujours un effet, un résultat du jeu et de l'organisation signifiante, matérielle ; c'est la position qu'on
a dit structuraliste et qui s'est fait connaître par le courant Tel Quel (Sollers, Kristeva, Barthes).
- Ou bien, par ailleurs, comme le langage, selon un second vecteur, transitif, est tourné vers le monde et qu'il a pour fonction de nous en dire quelque chose, l'oeuvre littéraire va êtreprioritairement conçue comme détenant un sens qui désigne une référence (réelle ou irréelle). La
priorité est donnée à un sens visé qui se subordonne et rend raison de l'organisation matérielle du
texte. C'est la position phénoménologique qui fait de la littérature la manifestation d'un sens porté par
la richesse d'un rapport originairement vécu au monde, et l'expression d'une subjectivité, d'un auteur.
Mengue, Philippe. "Deleuze et la question de la vérité en littérature". EREA 1.2 (automne 2003): i-xviii.
3. Littérature et pratiques signifiantes
A) Selon la première direction on se demandera : comment le récit fait-il vrai ? Si l'onmaintient la définition du vrai comme ce qui est conforme à la réalité, notre question conduit, pour
nous les modernes, à une critique de la théorie de la mimesis en place depuis Platon et la célèbre
Poétique d'Aristote : le récit ne fait pas vrai parce qu'il imite la réalité, mais parce qu'il met en jeu des
procédés techniques qui ont pour résultat de faire vrai (ou réel ou naturel, etc.). On sait que la
modernité en poétique, au sens large, consiste à dénoncer la théorie mimétique, l'exigence de la
vraisemblance et à répertorier tous les tours par lesquels l'illusion du réalisme et du naturalisme est
fabriquée : ce sont toujours des procédés de fiction qui produisent un "effet de vérité", et la "réalité"
est fictivement produite ; c'est toujours un artefact du récit.De là deux conséquences.
1) D'une part, l'oeuvre littéraire se trouve libérée, émancipée de sa soumission au vrai, de son
amarrage à la réalité, et elle peut se tourner joyeusement vers la recension de ses richesses internes
propres, intradiscursives, intérieures à la langue. Le sens est coupé de la référence, de la dénotation,
et donc ce qui rend possible la vérité est aboli. Et c'est vrai que la narration littéraire ne montre pas
directement un référent observable, en droit présent à partir d'une situation de discours déterminée,
comme c'est le cas dans la phrase ou la proposition apophantique, dans le discours descriptif ou dedésignation. La référence ostensive, qu'on peut monter d'un geste, est suspendue. On a affaire aux
mots, à leurs puissances et à leurs jeux, et non aux choses. Les mots et discours semblent se clore
sur eux-mêmes et l'univers de fiction qu'ils engendrent, et abolir tout rapport au réel. Toute transcendance du langage vers le monde est suspendue, et relève d'une illusion. Selon cette veine, on dira, en se réclamant de Nietzsche, que la vérité est un conceptmétaphysique, qui en assurant le primat de l'intelligible sur le sensible joue un rôle oppressif,
répressif. Y recourir serait introduire dans la littérature, ou bien la stabilité d'un sens conçu comme
une essence soustraite au temps et à l'histoire, alors que nous n'avons à faire qu'à des lignes ou
strates de sens pluriel, dépassant et remettant en question la notion d'oeuvre, une et autocentrée.
On sait que l'ultra-modernité en littérature - qui a eu pour point de départ principal Beckett
et dont l'influence semble en perte de vitesse dans la sensibilité postmoderne - , a abouti à la notion
de "Texte" ou d'"Écriture", soit à un fait de langage qui ne dit plus rien, ne désigne plus et devient à
lui même sa propre réalité - on ne parle plus de récit ou de narration. Ce qui marque la modernité
dans tous les domaines d'art, comme l'a bien montré Jean-Marie Schaeffer, est un mouvement d'auto-
référentialité qui suit une direction inverse à celle qui tend spontanément le langage vers le monde,
soit un mouvement qui combat la mimesis et l'illusion référentielle. L'être de la littérature, disait
Roland Barthes, n'est pas dans son message mais dans son langage, soit dans un système de signesdont le "sens est suspendu", problématique, introduisant une "déception", une "déprise" à l'égard du
sens et la volonté de vérité qui s'ensuit (Essais critiques 256-7). Écrire devient intransitif, sans
complément direct. Le monde est évacué au profit de la réalité autoréférentielle du langage, qu'est la
littérature.2) D'autre part, et concernant notre question, comme les moyens narratifs voués à produire
cette illusion de vérité, vont varier selon les auteurs et les différents genres de récit - policier, roman
classique, science fiction, et de ce genre de récit qui se revendique d'emblée et par convention
comme véridique, le récit biographique (et historique) - la question posée nous invite à une étude
interne aux différents récits pour dégager ces procédés. Mais, c'est un premier abord de la question
sur laquelle je n'insisterai pas puisque vous êtes certainement plus calé que moi sur ces sujets
L'évocation de cet abord des choses nous aura appris a contrario à quelles conditions la vérité
garde encore un sens. Ce n'est que si nous sortons de l'analyse immanente, autocentré sur le texte,
que si nous réintroduisons la transcendance d'une référence extérieure au texte que la littérature peut
conserver un lien avec la vérité.4. La littérature comme porteuse d'un sens transcendant
B) Nous abordons donc le second ordre de problèmes. Il semble difficile, en effet, de s'entenir à cet abord formel des techniques. Car, se demandera-t-on, pourquoi toute cette puissance du
Mengue, Philippe. "Deleuze et la question de la vérité en littérature". EREA 1.2 (automne 2003): i-xviii.
faux, toute cette inventivité et débauche de procédés pour faire vrai si nous n'étions pas comme
invinciblement attachés à la vérité ?Et, de fait, s'il n'y a pas de vérité en littérature, à quoi bon celle-ci ? Ne semble-t-elle pas nulle
et non avenue ? Et s'il ne devait rester que le "plaisir esthétique", la littérature ne serait-elle pas
chose, certes agréable, mais légère, un peu vaine, peu importante, et pour tout dire, à terme, un
passe-temps, un délassement ? Pourquoi toute cette richesse de paroles et d'écrits si ce n'est pour
dire quelque chose de vrai, et d'un vrai qui ne se réduit pas à être un effet de discours mais porte sur
l'être, sur le monde, l'auteur qu'elle révèle ou exprime ? En se servant du "faux" ou du fictif comme
d'un moyen ou d'un détour n'énonce-t-elle pas, voire même à son insu, de la vérité ? Le faux de la
fiction qui se donne pour vrai, réduit à lui-même, est bien distrayant, mais volatile. Il faut à la fiction
une once de vérité tout court pour l'alourdir et la faire aller vers le fond de l'être, de la réalité, la
rendre profonde et moins légère, superficielle. Certes, il est certain, comme on l'a vu, que la narration,
la fiction romanesque, la nouvelle, rompt avec la référence ostensive, montrable d'un geste dans une
situation extra-discursive. Mais, pour autant est-on fondé à soutenir que toute forme de référence soit
suspendue ? Voilà la question qui ouvre une approche phénoménologique de notre problème."L'écriture, dit Paul Ricoeur, a un pouvoir de désignation au-delà de toute situation déterminée ; elle
ouvre véritablement un monde" (Encyclopoedia Universalis XIV, "Signe et sens" 1014).Ce qui est à comprendre dans un récit, ce n'est pas d'abord celui qui parle derrière le texte,
mais ce dont il est parlé, la chose du texte, à savoir la sorte de monde que l'oeuvre déploie en
quelque sorte en avant du texte. (Du texte à l'action 168) Ainsi posée, la question appelle deux remarques :1) D'abord, elle fait appel à une exigence : le texte littéraire ne peut rompre les amarres avec
la vérité. Cette exigence n'est pas étrange et semble même naturelle, spontanée : nous voulons que
le texte nous parle : on parle pour dire quelque chose, et donc quelque chose qui soit vrai, et donc pour dire quelque chose de quelque chose, et que c'est pleinement cela qui est un fait ou unévénement de langage. Le texte littéraire nous parle vraiment, d'autant plus que ce qu'il nous dit est
vrai, c'est-à-dire conforme à ce qui est, nous dévoile quelque chose de vrai sur le monde, l'homme, sa
condition, ses idéaux, ses attentes, sa vie, ses possibilités de vie, etc. Cette conception peut être
qualifiée de morale, spiritualiste, idéaliste, si l'on veut car elle rompt, en effet, avec la matérialité des
signifiants et des procédures textuelles repérables. Elle pose un en-dehors du texte, la transcendance
et de l'Objet dont on parle (monde extérieur au discours et visé dans son indépendance) et du Sujet
qui parle, s'exprime, faisant du langage son instrument.2) Mais, secondement, comme nous passons par le faux et le fictif, pour satisfaire ce désir, on
posera que le texte est porteur d'un sens autre que son sens littéral. On est obligé de fendre en deux.
Deux couches ou strates : celle de la fiction à son niveau d'énoncé et celle, derrière, qui rend raison
de la première et l'accomplit, le sens vrai, caché mais présent en la littérature. À travers la fable un
sens est visé et dit par le détour d'un "autre", la fiction, et c'est pourquoi il est dit "allégorique" pour
parler grec. Et corrélativement une discipline apparaît qui prend en charge ce sens caché, l'hermé-
neutique. On retrouve la question centrale, et de toujours, de savoir si les mythes et les oeuvres d'art
en général sont porteurs de vérité, et de quelle sorte, de quelle nature, est cette vérité. La vérité du
mythe, du récit littéraire, du fantasme, met en jeu non plus des procèdes intradiscursifs, interne au
récit, mais des procédés externes d'interprétation du texte : au-delà du voile ou de la déformation du
contenu manifeste, on essaye de restituer par un travail de lecture, la vérité qui est en lui, son
contenu latent.5. Le problème deleuzien de la littérature
Tout cela est bien connu, et l'on pourrait raffiner ; mais la question qui, maintenant, se pose ànous est de savoir s'il y a une autre approche possible de la littérature, qui ne soit ni une narratique
formelle des structures et des catégories internes du récit, ni une herméneutique des contenus en
direction du sens allégorique ? La critique et la clinique deleuziennes ont pour intérêt de renouveler
ces questions. Gilles Deleuze va beaucoup conserver du structuralisme, l'essentiel peut-être : le principed'immanence et le refus de toute transcendance, la dissolution du sujet souverain dans la critique de
Mengue, Philippe. "Deleuze et la question de la vérité en littérature". EREA 1.2 (automne 2003): i-xviii.
la catégorie humaniste d'auteur. Mais ce qu'il récuse est la clôture du texte et la perte de réalité qui
l'accompagne, le primat du système signifiant et des pratiques formelles, soit ce qu'il appelle la
dictature du signifiant à laquelle ce type d'analyse conduit. Le problème central me semble donc
devenir le suivant : comment conserver l'ouverture sur le dehors sans se référer à la transcendance
du sens ? Maintenir une analyse purement immanente sans abandonner les droits du sens et de la vie ? On doit partir, pour prendre la mesure de l'envergure du problème, du fait que la littératureest présente dans toute la philosophie de Deleuze. Il ne serait pas exagérer de dire qu'elle hante sa
pensée : des livres consacrés à Proust, Kafka, Beckett, Carmelo Bene, de nombreux articles réunis
dans sa dernière publication Critique et clinique où les auteurs anglo-américains reçoivent une place
de choix. Pourquoi cette présence quasi obsédante de la littérature ? C'est que la philosophie ne peut
se passer de la littérature, et pas seulement d'elle. C'est un principe très générale qui veut que la non-
philosophie (l'art en général, ou tout autre activité) soit indispensable à la philosophie : "il faut les
deux (...) comme deux ailes ou deux nageoires" (QP 43 ; voir PP 191).Philosophie et art sont tous deux des modalités de la pensée ; ils n'en sont pas moins distincts
puisque l'élément propre à la pensée philosophique est le concept, et ceux de la pensée artistique
sont l'affect et le percept. Mais, quoique distincts, art et philosophie, littérature surtout, ne sont pas
dissociables. La philosophie, comme création de concept ne vit que de sa confrontation avec l'art, la
littérature et la science, avec le non philosophique. Deleuze ne cesse de répéter que les idées
philosophiques viennent autant de ces disciplines que de l'histoire interne de la philosophie. "Laphilosophie naît ou est produite du dehors par le peintre, le musicien, l'écrivain (...). Sortir de la
philosophie, faire n'importe quoi, pour pouvoir la produire du dehors. Les philosophes ont toujours été
autre chose, ils sont nés d'autre chose" (Dialogues 89).Pour Deleuze, c'est donc plus à travers la littérature que de l'intérieur de l'histoire de la
philosophie que s'inaugure une nouvelle pensée. Deleuze aime même à dire que les grandspersonnages de la littérature sont des grands penseurs, et que la philosophie ne peut se passer de
personnage (cf. tout le chapitre 3 de Qu'est-ce que la philosophie ?, "Les personnages conceptuels").
On ne sait alors plus ce qui est concept et ce qui est percept-affect : et cet état, où se confondent ces
deux lignes, constitue non pas un défaut, une chute comme le voudrait le positivisme ou la philosophie analytique anglo-américaine contemporaine, mais le point le plus sublime de la philosophie. "La philosophie ne cesse de faire vivre des personnages conceptuels, de leur donner lavie" (QP 61). Littérature et philosophie sont donc inséparables et cette indissociabilité explique la
place que la littérature tient dans la philosophie deleuzienne.6. Critique de la vérité
Supposons. Mais qu'est-ce à dire ? Au nom de quoi, dans quel but commun sont-elles si liées l'une à l'autre ? Ce n'est certainement pas dans la recherche de la vérité.En effet, dès le Nietzsche et Différence et Répétition, puis à travers toutes ses oeuvres,
Deleuze n'aura eu de cesse de dénoncer la déformation et le rabaissement de la pensée qu'implique le
primat de la pensée représentative. Or ce n'est que pour la pensée représentative que la vérité peut
non seulement prendre sens et pertinence, mais à devenir en même temps la fin la plus haute de la
pensée. La pensée philosophique classique préjuge d'une image de la pensée qui fait que chacun sait
implicitement ce qu'est penser. On peut appeler orthodoxe cette image qui est tirée du sens commun,
de l'opinion commune. Le sens commun présuppose un sujet et un objet et entre les deux la pensée
(la représentation) qui doit aller au vrai en tant qu'elle est l'imitation adéquate de l'objet prédonné au
sujet. La tâche de la philosophie nouvelle ne peut que résider d'abord dans la critique et le renversement de ce modèle implicite de la pensée qui culmine dans la reconnaissance. Comme, enrégime représentatif, la vérité est toujours la vérité d'une représentation adéquate à son objet, la
pensée se trouve assujettie à un réel posé comme préalable qu'elle a pour fonction de reconnaître.
Penser c'est re-présenter, c'est re-connaître. Les différences sont écrasées sous ce primat de la
répétition. On assiste au triomphe du vraisemblable et du bon sens qui ne connaît comme contraire du
vrai que le faux, l'erreur, la fausse récognition : dire bonjour Théétète alors que c'est Socrate qui
passe (cf. DR 193). Avec ce modèle de la pensée, on oublie qu'il y a un danger pire pour la pensée :
la bêtise.Mengue, Philippe. "Deleuze et la question de la vérité en littérature". EREA 1.2 (automne 2003): i-xviii.
Il est évident que les actes de récognition existent et occupent une grande partie de notre vie
quotidienne : c'est une table, c'est une pomme, c'est le morceau de cire, bonjour Théétète. Mais qui peut croire que le destin de la pensée s'y joue, et que nous pensions quand nous reconnaissons ? (176)Ce modèle de la récognition érige la doxa en maîtresse et donne une "image grotesque" (195)
de la pensée ; elle interdit à la philosophie d'être ce qu'elle doit être : paradoxale, critique, subversive,
créatrice, c'est-à-dire révolutionnaire. La philosophie ne consiste pas à connaître mais à penser, selon
le programme kantien issu de la Dialectique transcendantale. Le sens, celui très spécifique qui sera
pensé dans Logique du sens, et non le vrai, est ce qui anime la philosophie. Deleuze parle aussi du
concept, comme événement de la pensée. Le concept n'a pas à se vérifier par sa correspondance à un
état de chose. Ce qui caractérise le concept c'est la consistance interne de ses prédicats. Et sa valeur
il l'obtient par sa capacité à rendre intégrable les différentes variables qu'il regroupe sans qu'il ait à la
gagner par sa conformité à un objet transcendant au plan de pensée. C'est pourquoi un concept
philosophique n'est ni vrai ni faux : "il est vain de se demander si Descartes a tort ou raison" (QP 31).
Le concept est un événement parce qu'il fait apparaître un sens du monde, de la réalité, qui
ne leur appartenait pas puisqu'il n'existait pas avant lui. Le concept est, comme il dit, "autopoiétique".
Sur ce point, la proximité avec l'art est totale : ils sont tous deux des pensées, c'est-à-dire des
créations qui n'ont d'autre référence que leur plan d'élaboration propre, qu'il appelle en raison de ce
qui précède "plan de consistance". Seul compte, détient valeur, non la vérité mais la puissance,
comme puissance d'innovation qu'on mesurera, après mai 68, à sa capacité de subversion, derévolution. C'est en cela seul que le concept fera événement, sera non "bête", c'est-à-dire affranchi de
la doxa commune, qu'il sera intéressant : "la philosophie ne consiste pas à savoir, et ce n'est pas la
vérité qui inspire la philosophie, mais des catégories comme celles d'Intéressant, de Remarquable, ou
d'Important qui décident de la réussite ou de l'échec" (80).La pensée esthétique ou philosophique congédiera donc la mimesis, l'imitation sous toutes ses
formes, et tous les postulats qui vont avec, pour une expérimentation en direction d'un sens nouveau
(QP 106). Par là, elle se libérera de son assujettissement au vrai qui emprisonne sa puissance interne
de création définie comme rupture avec toutes les formes de l'opinion. "La pensée comme telle
produit quelque chose d'intéressant, quand elle accède au mouvement infini qui la libère du vrai
comme paradigme supposé et reconquiert une puissance immanente de création" (133).L'art et la littérature, tous deux aussi oeuvres de la pensée, ne dérogent donc pas à ces
principes. L'oeuvre d'art ne vaut que par sa consistance interne selon le principe qui veut l'auto-position du créé (son indépendance, son autonomie, sa vie par soi). Donc, en vertu de ce principe,
l'oeuvre ne ressemble à rien, n'imite rien. Elle doit "tenir toute seule", par elle seule, sans dénoter ou
renvoyer à un monde en dehors d'elle qu'elle refléterait ou un sujet qu'elle exprimerait. L'oeuvre
littéraire vaut par soi, elle est par essence ce qui tient droit, debout : elle est un "monument" (158),
un être autonome et suffisant, un "bloc de sensations" (158) qu'on a arraché aux perceptionscourantes et aux affections quotidiennes et "qui ne doivent plus rien à ceux qui les ont éprouvé"
(158) : "L'artiste crée des blocs de percepts et d'affects, mais la seule loi de la création, c'est que le
composé doit tenir tout seul" (155) - "Il est vrai que toute oeuvre d'art est un monument..." (158).
7. La fonction de la littérature
Retenons de l'analyse qui précède ce mot d'ordre général, comme constitutif de la pensée
deleuzienne et de son esthétique : non la vérité mais l'intéressant ! Et examinons, maintenant, la
conception qu'il se fait de la littérature et les conséquences de cette libération à l'égard de la
domination du vrai. Le plus important à comprendre est que la littérature, bien que sans appel à la
transcendance, ne peut pas être enfermée dans la clôture du signifiant, de la langue. Les thèmes du
devenir et du dehors nous assurent de cette ouverture.1) Thème du devenir.
La littérature ne peut consister à décrire purement et simplement le monde que nous voyons,à en faire une copie exacte et fidèle, une réduplication. Ce serait inutile, puisque cette image du
monde nous l'avons déjà de par notre appartenance perceptive à lui. La littérature ne sert pas à
nommer le monde "puisque c'est déjà fait" (PSM 33) - par le langage ordinaire - mais à nommer
Mengue, Philippe. "Deleuze et la question de la vérité en littérature". EREA 1.2 (automne 2003): i-xviii.
"une sorte de double du monde capable d'en recueillir la violence et l'excès" (Intro. à SM 33), et cela
afin de reconduire plus loin, de relancer les forces de vie et de désir dans leur puissance de création
et d'invention. C'est ce que Deleuze entend par devenir. "Écrire est une affaire de devenir, toujours
inachevé, toujours en train de se faire, et qui déborde toute matière vivable ou vécue" (CC 15). La
littérature et la philosophie relèvent d'une seule et même activité, la pensée, et toutes deux n'ont
qu'une seule et même finalité : "inventer de nouvelles possibilités de vie", témoigner pour la vie, c'est
son "but ultime" (15) :"Libérer la vie de partout où elle est emprisonnée" (14) - "Il s'agit toujours de
libérer la vie là où elle est prisonnière" (QP 162). Ce programme n'est pas propre à la littérature, mais
à toutes les formes de pensée et de vie : contre l'imitation reproductive de la vie la production de vie
nouvelle. Telle est la tâche de la grande littérature comme de la grande philosophie.8. La langue dans la langue
2) Thème de la langue dans la langue
La littérature comme invention de nouvelles manières de sentir et de penser partage cettefinalité ultime avec la philosophie qui sont toutes deux des formes de pensée. Mais, quelle est la tâche
propre de la littérature ? La littérature qui ne peut servir à représenter le monde ne peut non plus
servir à communiquer, à transmettre ou délivrer un message, puisque nous avons la langue ordinaire,
dite "naturelle", pour cela, et, au niveau mondial, le "standard English". Mais à quoi sert donc la
littérature si elle ne sert pas à communiquer ? Réponse : à créer un nouveau langage (PSM 16), qui
seul peut permettre d'inventer de nouvelles possibilités de vie, de lancer des devenirs. Cette fonction
qui est la plus haute de la littérature suppose qu'on se soustraie au niveau descriptif et communicatif
du langage, qu'on déjoue les connotations codées usuelles. Ce qui est proprement, au sens deleuzien,
inventer une nouvelle langue : "le problème d'écrire : l'écrivain, comme dit Proust, invente dans la
langue une nouvelle langue, une langue étrangère en quelque sorte" (CC 15). Il s'ensuit donc une
double opération :la littérature présente déjà deux aspects, dans la mesure où elle opère une décomposition ou
une destruction de la langue maternelle, mais aussi l'invention d'une nouvelle langue, parcréation du syntaxe (...). On dirait que la langue est prise d'un délire, qui la fait précisément
sortir de ses propres sillons. (16). Cependant, ce travail de déconstruction de la langue, cette sortie des sillons coutumiers,l'agrammatisme et l'asyntaxie auxquels peut avoir recours l'écrivain, n'est pas gratuit. Ce n'est pas un
"jeu" qui aurait comme tel sa finalité en soi, puisqu'il est suspendu à cette finalité plus haute qui est
de l'ordre d'une libération de la vie. Le rôle subversif et transgressif, intempestif, de la littérature
l'emporte sur sa puissance de vérité, mais se trouve lié à un puissant désir de liberté, de libérations
des flux, des lignes de fuite du désir.9. Percept et affect
3) Le thème du percept et de l'affect
La subversion du langage, en raison de sa finalité ultime, est donc inséparable d'une certaineforme de rapport au monde qu'elle ne perd pas de vue. La nouvelle langue ne débouche pas sur rien ;
elle n'est pas close ou repliée sur soi. Elle nous fait entendre ou voir quelque chose à travers ses mots
et ses procédés. La littérature, dit Deleuze, est faite de Visions et d'Auditions. Mais ce avec quoi elle
communique alors, ce n'est pas le monde perçu qu'elle représenterait, ni avec l'auteur dont elle
exprimerait ses états d'âme, ses affections. Les Percepts, qui comprennent les visions et les auditions,
et les affects, sont distincts des perceptions de l'objet et des affections du sujet percevant. Qu'est-ce
qu'un percept ? Le percept est une vision, ou une audition, mais ce n'est pas une perception. Au contraire, il est ce double, ce bloc de sensations, qui dans la perception nous fait voir, percevoirl'imperceptible, ce qui est à la limite du perçu, au-delà de tout "objet" et des catégories perceptives
qui ordonnent l'expérience du monde, comme au-delà de tout cliché ou stéréotype. De même, l'affect
est ce qui nous permet de conduire nos affections à la limite de ce que nous ressentons, à nous
entraîner dans ce que Deleuze appelle un "devenir", soit une intensité impersonnelle, pré-individuelle,
au-delà ou en deçà, de tout sujet personnel, de toute individualité. Il s'ensuit qu'"écrire n'est pas
Mengue, Philippe. "Deleuze et la question de la vérité en littérature". EREA 1.2 (automne 2003): i-xviii.
raconter ses souvenirs, ses voyages, ses amours et ses deuils, ses rêves et ses fantasmes" (13) -
"On n'écrit pas avec ses névroses" (13), car ce sont des retombées du processus de vie. La littérature est une immense fabulation. Mais, on le voit, fabuler ne consiste pas, pourDeleuze, à imaginer et projeter son moi ; "ce n'est pas une affaire privée" (9). Fabuler consiste à
s'élever à ces visons et auditions qui sont des devenirs impersonnels, supra individuels et collectifs,
au-delà du sujet comme de l'objet (et de leur accord comme vérité). La littérature ne révèle ni le
monde (ni l'être au monde dans son expérience originaire) ni n'exprime un sujet auteur. Elle n'a plus
d'autre sujet ou objet que ces visions ou auditions, les percepts de la vie qui font éclater les perceptions et les affections vécues pour tendre vers la limite de tout langage.La fabulation créatrice n'a rien à voir avec un souvenir même amplifié, ni un fantasme. En fait,
l'artiste, y compris le romancier, déborde les états perceptifs et les passages affectifs du vécu.
C'est un voyant, un devenant. Comment raconterait-il ce qui lui est arrivé ou ce qu'il imagine, puisqu'il est une ombre ? Il a vu dans la vie quelque chose de trop grand, de trop intolérable aussi, et les étreintes de la vie avec ce qui la menace... (QP 161).10. Le dehors
4) Le thème du dehors
Nous venons de rencontrer le thème deleuzien du dehors. Qu'est, en effet, cette limite verslaquelle l'oeuvre littéraire nous entraîne ? L'oeuvre communique avec le dehors, répond-il (9). Les
visions et les auditions qui composent le dehors : que nous font-elles alors voir et entendre ? Ce qui
est à la limite du visible et de l'audible, et qui est à la limite du soutenable : c'est pourquoi Deleuze dit
que l'écrivain (comme le philosophe, d'ailleurs) témoigne de quelque chose qui est trop grand pour lui
(le philosophe avec ses concepts s'avance à la limite du pensable). L'artiste comme les philosophes
reviennent toujours du pays des morts (67). C'est que penser en artiste ou en philosophe n'est pasune chose innocente. C'est un "exercice dangereux" (44) : "Penser c'est toujours suivre, comme il dit,
une ligne de sorcière" (44). Pour bien comprendre ce thème dans lequel, à mon sens, se concentre l'essentiel de lapensée de Deleuze dans ce qu'elle de plus beau, il faut revenir à une questions aussi apparemment
bête et triviale mais fondamentale que : Qu'est-ce que penser ? On ne se le demande jamais assez.On ne réalise plus assez que depuis Nietzsche ce n'est plus tranquillement contempler des Idées, ou
communiquer et débattre entre amis, ou retrouver ou réveiller la Proto-opinion, l'Urdoxa qui soutient
notre rapport au monde vécu, pour reprendre des expressions de Deleuze qu'il utilise pour disqualifier
tour à tour, Platon, le démocratisme de la philosophie de la communication, et la phénoménologie
issue de Husserl, Merleau-Ponty et Heidegger compris. Non, penser n'est rien de tout cela. Qu'est-ce ?
C'est, quand on est par excellence un nietzschéen et un héraclitéen comme Deleuze, affronter le
chaos. Comment s'opère cette plongée dans le chaos du devenir, qui défait toute identité, stabilité et
toute continuité ? Le penseur emporte dans sa plongée comme un radeau, une planche, ou plutôt il
trace un plan qui va recouper ce chaos. C'est sur ce plan qu'il va tenter de faire consister ses concepts
ou ses affects et percepts. Voilà ce qu'est penser : c'est plonger dans l'abîme pour tenter de l'illuminer
une seconde. D'où l'air étrange des penseurs (71). Le penseur, qu'est aussi l'artiste, revient toujours
de cette plongée "avec les yeux rouges, même si ce sont les yeux de l'esprit" (44).Il y a un contresens à éviter pour bien saisir cette idée de dehors. Les auditions et les visions
de l'écrivain sont "des passages de la vie dans le langage" (CC 16). Visions et auditions ne se séparent
donc pas d'une écriture, d'une langue nouvelle, qu'on aura taillée dans la langue usuelle de la
communication. Si l'écriture ne se sépare pas d'un voir et d'un entendre : "l'écrivain comme voyant et
entendant, but ultime de la littérature. (16) - c'est de chaque écrivain qu'il faut dire : c'est un voyant,
c'est un entendant" (9). Corrélativement les visons et les auditions ne nous sont données que dans et
par le langage, grâce à des moyens littéraires spécifiques. Deleuze ne veut donc pas parler
d'expériences ineffables, quasi mystiques, au-delà des mots, en dehors du langage. Ce qui est à la
limite du langage, est encore dans le langage, en sa bordure interne, et ne renvoie absolument pas à
ce qui serait hors langage, puisque on sortirait de la littérature, de la pensée. C'est toujours à travers
les mots, entre les mots, dans leur interstices, par leurs organisation, composition, soit exactement ce
qu'on appelle un style, qu'on voit et qu'on entend (9), qu'on produit une ligne de fuite, un devenir. Ce
qu'on fait voir et entendre c'est le dehors qui se montre depuis le langage, son dehors propre à lui. Le
Mengue, Philippe. "Deleuze et la question de la vérité en littérature". EREA 1.2 (automne 2003): i-xviii.
dehors du langage, elle en est le dehors : elle est faite de visions et d'auditions non langagières, mais
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