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Limaginaire terrestre chez Gaston Bachelard. Entre résistance et

L'imaginaire terrestre chez Gaston Bachelard. Entre résistance et intimité de la matièreJulien LamyIRPhiL (EA 4187) - Université Lyon 3julien.lamy@yahoo.frCycle de conférences " La conscience matérielle »

Ecole Supérieure d'Arts Appliqués - Vevey

Vendredi 8 mars 2013

"N'est-ce pas le démon de la matière qui sollicitele peintre qui devient modeleur et sculpteur?Au lyrisme de la couleur qui fut la joie de sa vie, il adjoint le lyrismede la matière qui fait trembler d'émotionles doigtssur la glaise.»Gaston Bachelard, " Henri de Waroquier sculpteur: l'homme et son destin » (1952), in Le droit de rêver, p. 47

Introduction (1): pourquoi Bachelard?La phénoménologie matérialiste: un éclairage philosophique inédit sur les rapports entre " conscience » et " matière ».

" Peut-on réveiller la conscience au contact de la matérialité? - autrement dit, la prise de conscience peut-elle se faire tout de suite devant cet au-delà de l'objet qu'est la matière ? » (Le matérialisme rationnel, 1953, p. 12)La division du matérialisme: science et imaginaire

"Pour tout dire d'un coup en une confidence personnelle, je viens de vivre durant une douzaine d'années toutes les circonstances de la division du matérialisme entre imagination et expérience. [...] Elle conduit, cette division, à prendre conscience d'une opposition radicale entre un matérialisme imaginaire et le matérialisme instruit» (Le matérialisme rationnel, p. 17)La valeur (in)actuelle du matérialisme imaginaire: la " sourde permanence » des intérêts primitifs et des puissances oniriques

" Les images matérielles soutiennent et alimentent des convictions profondes [c'est-à-dire enracinées dans l'inconscient humain], des convictions qui ont échappé à la discussion intellectualiste [...] Les 4 éléments réveillent - ou endorment - en nous des puissances» (Le matérialisme rationnel, p. 53)

Introduction (2): pourquoi Bachelard?Le privilège de la matière terrestre:un miroir dynamique du travail de l'homme et un stimulant de sa puissance d'agir

" Telle sera donc pour nous la matière : l'intimité de l'énergie du travailleur. Les objets de la terre nous rendent l'écho de notre promesse d'énergie. Le travail de la matière, dès que nous lui rendons son onirisme, éveille en nous un narcissismede

notre courage» (La terre et les rêveries de la volonté, 1948, p. 14). Un autre regard sur la psychologie de la création: explorer à fond la " zone intermédiaire » des valorisation imaginaires, entre les ruses

de l'intelligence et les puissances du corps " Avec les images engagées dans la transformation de la matière, nous sommes à la racine du pouvoir humain de création, à la racine du pouvoir étymologiquement

poétique » (" La poésie de la main », 1952, in Causeries, p. 72).Idée directrice:une approche complète et concrète de l'expérience intime du travail actif des matières par l'homme - à la fois charnelle

(la main), intellectuelle(l'esprit) et sensible(les affects)

3 moments de réflexion:•I. Le pluralisme "matériologique»•II. L'onirisme du travail •III. La poétique de la main

I. Le pluralisme matériologiqueOn peut dégager des nombreuses études consacrées par Bachelard à la science contemporaine et à la création artistique, que ce soit la poésie ou les arts plastiques,

trois approches différentes du réel et de la matière: -L'explication scientifique des phénomènes matériels -L'expérience immédiate et la connaissance commune-La rêverie poétique des objets et des matières

I. Le pluralisme matériologique (1)La matérialisme rationnel:-La désubstantialisation du réel-La phénoménotechnique-La dépersonnalisation de la connaissance-La " pulvérisation » de la matière

"L'ère scientifique où nous vivons nous éloigne des a priori matériels. En fait, la techniquecrée les matières exactes répondant à des besoins bien définis. Par exemple, la merveilleuse industrie des matières plastiques nous offre maintenant des milliers de matières aux caractéristiques bien déterminées, instituant un véritable matérialisme rationnel » (La terre et les rêveries de la volonté, p. 46)

I. Le pluralisme matériologique (2)Le matérialisme réaliste de l'homme commun:-La réalisme naïf-L'utilitarisme-Les valeurs sociales-Le " chosisme »

" On voit apparaître un pancalisme actif, un pancalisme qui doit promettre, qui doit projeter le beau au-delà de l'utile» (La terre et les rêveries de la volonté, p. 11)

I. Le pluralisme matériologique (3)Le matérialisme imaginaire:-La promotion " poétique » des matières-L'ancrage de la vie onirique dans l'inconscient-La médiation des images matérielles-Le sujet et son " complément d'objet »

" Il faut alors étudier à part, loin de la science, un énorme domaine de convictions qui tiennent à une sorte de matérialisme inné, inscrit dans toute chair, de matérialisme inconscient, renforcé par des expériences cénésthésiques immédiates. Nous restons là dans le domaine de la chair natale, de la chaleur intime » (Le matérialisme rationnel, p. 21)

II. L'onirisme du travail: quelle approche de la matière? Bachelard prend soin de souligner qu'il se place du point de vue des

expériences esthétiques, et non pas des expériences positives, pour

aborder les imagesde l'élément terrestre. Ce qui est en jeu, c'est un " intérêt passionné »de la rêverie pour

les " beaux solides ». Mais au lieu de s'intéresser simplement à la " beauté des formes », Bachelard veut étudier plus spécifiquement

la " beauté des matières ». Afin de souligner d'emblée le lien essentiel que la matière terrestre

entretient avec les efforts du corps (la main, les doigts) et une certaine tonalité affective qui accompagne leur rencontre, Bachelard met le travail de l'élément terrestre sous le signe des " joies musculaires », mais aussi du " goût de travailler » et de l'" effort créateur des doigts ».

II. L'onirisme du travail (1): les forces /les formesL'obstacle " formaliste »: la première difficulté avec l'élément terrestre réside dans la surdétermination de la forme, en raison du primat de l'expérience perceptive habituelle (schème visuel). Selon Bachelard, le primat accordé aux formes sur les matières et sur les forces relève d'une perspective abstraite, ne parvenant pas à rendre compte de la " dramaturgie » de l'acte créateur, qui excède selon lui la dimension du projet, du plan ou de la maquette en mobilisant des forces de travail.

" Dès que l'imagination matérielle est éveillée, dès que l'imagination aime à dépasser le jeu des formes et des couleurs, pour rêver l'intimité profonde des choses, à l'étonnante richesse des substances du monde matériel, un dynamisme nouveau anime le corps et l'esprit, et voici que soudain la main elle-même, la main qui pétrit et qui taille, la main qui polit et qui écrase, s'enchante de sa force et de son travail. Nous entrons de le règne des images engagées» (" La poésie de la main », 1952, in Causeries)

II. L'onirisme du travail (2): les "provocations» de la matièreLa propriété de résistance:

" La terre , en effet, à la différence des trois autres éléments, a comme premiercaractère sa résistance. [...] La résistance de la matière terrestre [...] est immédiate et constante. Elle est tout de suite le partenaire objectif et franc de notre volonté» (La terre et les rêveries de la volonté, p. 16) La dialectique de la matière terrestre :le dur, le mou " C'est dans le travail excité si différemment par les matières dures et les matières molles que nous prenons conscience de nos propres puissances dynamiques» (La terre et les rêveries de la volonté, p. 24) La double psychologie du contre:la tension et la détente " Dès son esquisse, dès le premier gestecontre une matière dure, une tension primitive décide dans la main que tout l'être continuera de se tendre. Ayant sous la main une matière molle, on peut s'arrêterde malaxer. Devant une matière dure, il faut continuer d'agir» (Le droit de rêver, p. 108)

II. L'onirisme du travail (3): l'imagination au/du travail•Les rêveries de la volonté et l'imagination des forces:" La rêverie de la volonté a, en effet, pour fonction directe de nous

donner confianceen nous-même, confiance en notre puissance

laborieuse » (La terre et les rêveries de la volonté, p. 96)•La psychologie de l'action rationnelle (ou technique):

penser → agir •La psychologie de l'action créatrice selon Bachelard: rêver → penser → agir

II. L'onirisme du travail (4): la rêverie prospective•La rêverie prospective: anticiper le réel dans un rêve d'action, grâce aux images (synthèse de l'imagination et de la volonté). •La jouissance anticipée de la réalisation: une promesse d'oeuvre qui anime l'énergie du travailleur et donne de la durée à sa volonté.•L'imagination matérielle et dynamique favorise le travail de la

matière grâce à un processus de valorisation imaginaire, à des " illusions » fécondes et utiles pour commencer le travail. " Nous jouissons par avance de l'efficacité de notre volonté. Qu'on ne s'étonne donc pas que rêverd'images matérielles - oui simplement les rêver - c'est aussitôt tonifier la volonté» (La terre et les rêveries de la volonté, p. 29)

III. La poétique de la main (1)La main vs. l'oeil : l'action du corps en mouvement (motricité) prime sur la contemplation (perception)

" Toute main est conscience d'action» (Le droit de rêver, p. 68)Le refus de l'engagement dans la vie dynamique: alors que la contemplation est une mise à distance des choses, qui donne

le monde à voir comme un spectacle, le travail engage une participation active de l'homme aux matières " La contemplation est une vue superficielle, une attitude qui nous empêche de comprendre activement l'univers. L'action, sous sa forme prolongée, apporte que de plus grandes leçons que la contemplation » (La terre et les rêveries de la volonté, p. 63)

III. La poétique de la main (2)La " poétique du toucher »:Bachelard évoque un expérience sensible augmentée par l'imagination, une " poétique des tonalités musculaires » qui met en jeu une poétique du sensible (La poétique de la rêverie, p. 174) L'importance de notre présence charnelle et rêveuse au

monde, qui fait de la main un véhicule/un pivot de notre expérience esthétique, et pas seulement un " instrument » utilitaire ou techniqueLa sensation du monde augmentée par la rêverie poétique, ainsi que les images matérielles et cosmiques

III. La poétique de la main (3)Le toucher, la proximité, le contact :c'est par le toucher que se joue la véritable rencontreavec la matière et les éléments,

qui détermine notre présence au monde comme un bonheur

du toucherUne expérience paradigmatique: le travail de la pâte " Toute véritable rencontre implique une présence, un face-à-face, une

incarnation. Si le corps souvent nous gêne - le plus souvent il s'impose à nous avec ses besoins et ses défauts - c'est aussi et surtout par lui qu'on peut habiter ce monde et aller à la rencontre d'autrui. Le monde resterait intouchable et lointain sans un corps pour l'habiter ; il serait inhabitable sans un corps pour le goûter, le ressentir, le contempler... » (Michela Marzano, Philosophie du corps, p. 21)

III. La poétique de la main (4)Contre le processus de " dématérialisation » de la plupart de

nos pratiques contemporaines et de " virtualisation »de la matière ou du corps, remettre le corps, dans sa chair et dans

sa matérialité, au centre l'acte créateurReconsidérer la valeur de l'expérience proprement charnelle,

préfigurée et augmentée par l'imagination, dans la création artistique, sans surdéterminer le projet intellectuel " L'être humain est une personne incarnée: sans corps, elle n'existerait pas, par le corps, elle est liée à la matérialité du monde. C'est pourquoi l'expérience du corps est toujours double : nous avons avec notre corps une relation qui est à la fois instrumentaleet constitutive» (Michela Marzano, Philosophie du corps, p. 8).

Conclusions (1):la joie du travail au contact des éléments et des matièresLa psychologie du créateur :un rapport avant tout poétique et sensible, imprégné par des affects, à l'expérience des matièresL'importance des affects et la jouissance:la phénoménologie primitive de notre rapport aux matières est celle de l'intérêt et de la passionL'importance de l'onirisme:comme le disait déjà Bachelard, pour créer il faut " bien rêver » et non pas simplement bien voir ou bien penser.

" Enlevez les rêves, vous assommez l'ouvrier. Négligez les puissances oniriques, vous anéantissez le travailleur. Chaque travail à son onirisme, chaque matière travaillée apporte ses rêveries intimes. Le respect des forces psychologiques profondes doit nous conduire à préserver de toute atteinte l'onirisme du travailleur. On ne fait rien de bon à contre-coeur, c'est-à-dire à contre-rêve. L'onirisme du travail est la condition même de l'intégrité mentale du travailleur » (La terre et les rêveries de la volonté, pp. 92-93).

Conclusions (2):quelques questions soulevées par la matériologie bachelardienneUne éthique de la création:peut-on faire de la poétique du travail un outil de transformation de sa propre pratique ?

Peut-on appliquer concrètement les suggestions de

Bachelard ?

Le problème, c'est l'usage réfléchi des images et de la rêverie Une pédagogie du travail des matières:peut-on apprendre à un apprenti comment bien rêver les matières qu'il travaille?

Les rêveries de la volonté peuvent-elles être stimulées dans un cadre scolaire? Si la technique s'apprend par mimétisme et compréhension, la rêverie ne s'apprend pas dans le cadre une transmission de maître à élève, il faut en faire l'expérience par soi-même (solitude rêveuse), être soi-même au contact des matièresquotesdbs_dbs33.pdfusesText_39
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