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COMITÉ DE RÉFLEXION SUR LE PRÉAMBULE DE LA CONSTITUTION
Rapport au Président de la République
Décembre 2008
3Sommaire
Sommaire
Avant-Propos 5
Introduction 7
1. Constitution et Préambule 9
2. Le Préambule de la Constitution de 1958 11
Première partie
La doctrine du comité 19
A. Principe n
o1 : respecter l"héritage constitutionnel français 21
1. La richesse de l"héritage 21
2. La préservation de l"héritage 25
B. Principe n
o2 : assurer l"intangibilité de l"uvre
constitutionnelle récente 26C. Principe n
o3 : ne suggérer d"enrichissement du Préambule
que s"il présente sans conteste un effet utile 271. Le refus d"inscrire des dispositions de portée purement symbolique 28
2. Le refus de codifier la jurisprudence constitutionnelle 30
D. Principe n
o4 : conserver à l"intervention du pouvoir
constituant sa valeur d"ultime recours 34Deuxième partie
Les réponses du comité 37
A. L"ancrage européen de la République 39
1. Inscrire une nouvelle référence générale à l"ordre juridique
européen ? 402. Inscrire une référence spécifique aux traités internationaux et
européens de protection des droits fondamentaux ? 45B. La parité entre les hommes et les femmes 48
1. La situation avant la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 48
2. L"intervention du pouvoir constituant 51
C. Diversité, action positive, égalité des chances 521. La prohibition des discriminations fondées sur l"origine, la race
ou la religion 534 Rapport du comité de réexion sur le Préambule de la Constitution
2. L"importance des marges de manoeuvre offertes par le cadre
constitutionnel actuel pour mettre en oeuvre des politiques d"action positive 573. Le renoncement à la voie constitutionnelle au profit
du développement des politiques concrètes d"action positive 61D. Le pluralisme des courants d"expression et des médias 64
1. L"état du droit avant la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 64
2. L"intervention du pouvoir constituant 68
E. Le respect de la vie privée et la protection des données personnelles 691. La problématique 69
2. Constitutionnalisation et effet utile 71
3. Constitutionnalisation et adaptabilité 74
F. La bioéthique 77
1. La richesse du corpus législatif et jurisprudentiel 78
2. La pertinence de la voie législative et jurisprudentielle 83
G. La reconnaissance du principe de dignité de la personne humaine 851. Une présence juridique déjà généralisée et protéiforme 86
2. Un contenu multiple et incertain 92
3. L"opportunité d"une constitutionnalisation sélective et maîtrisée 95
Conclusion 97
Annexes 103
Annexe 1
Décret n° 2008-328 du 9 avril 2008 portant création d"un comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution 105Annexe 2
Le Préambule de la Constitution de la V
eRépublique
dans sa rédaction aujourd"hui en vigueur 107Annexe 3
Liste des personnalités entendues 113
Annexe 4
Compte rendu des interventions des personnalités auditionnées 115Annexe 5
Rappel des principes de valeur constitutionnelle dégagés par la jurisprudence en matière de droits et libertés
1955
Avant-propos
Avant-propos
La rÝexion quÓavec les autres membres du comit le Prsident de la Rpublique mÓa demand de conduire sur le Prambule de la Constitution tait difÜcile ; elle soulevait des questions dÓune trŽs grande complexit sur le plan juridique, dÓune grande sensibilit sur le plan politique, de grande importance sur le plan social.Elle a t riche, dense et utile.
Avec lÓensemble des membres du comit que je tiens ‡ remercier trŽs vivement, Le rapport exprime Ünalement une approche consensuelle en notre sein. Chacun a fait des pas vers les autres. CÓest le cas par exemple sur la reconnaissance du principe de dignit de la personne humaine, ‡ laquelle jÓtais personnellement trŽs attache mais ooe dÓautres voyaient un danger dÓatteinte ‡ la libert indi- viduelle. Nous avons trouv les bases dÓun compromis qui a satisfait tous les membres du comit et traduit un vritable quilibre. Pour le reste, le rapport a retenu une approche que dÓaucuns trouveront sans doute trop prudente. Cela mrite quelques mots dÓexplication. Chacun a dÓabord en mmoire que la rvision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a devanc les propositions du comit sur plusieurs sujets. Je pense, par exemple, ‡ la reconnaissance constitutionnelle expresse de la libert et du pluralisme des mdias ; je pense aussi ‡ la parit entre les femmes et les hommes, qui me tenait particuliŽrement ‡ cÍur lorsque jÓai accept cette mission, et dont je suis heu-reuse que le constituant ait dÓores et dj‡ dcid de lÓtendre au-del‡ du monde
politique. Quant aux autres thŽmes, le rapport montre clairement que le comit nÓa mis en doute aucun des objectifs poursuivis par la lettre de mission qui lui avait t adresse, et videmment pas lÓgalit des chances. Mais la question qui lui tait pose tait de savoir si la voie constitutionnelle tait la plus efÜcace, la plus directe, la plus ncessaire pour les atteindre. CÓest ‡ celle-l‡ seulement que le rapport conclut par la ngative. QuÓil me soit permis, en cet instant, de remercier le Prsident de la Rpublique dÓavoir eu le courage dÓengager cette dmarche et de nous avoir tmoign sa conÜance en nous conÜant cette mission. Celle-ci nous a conduits, comme 6 Rapport du comité de réexion sur le Préambule de la Constitution sans doute dsormais beaucoup de lecteurs, ‡ redcouvrir le Prambule de la Constitution. LÓurgence est moins ‡ le complter quÓ‡ en exploiter les richesses par des politiques ambitieuses, actives et concrŽtes. Ma conviction profonde est celle quÓexprime la conclusion du texte quÓon va lire : celui-ci aura atteint lÓun de ses buts essentiels AE s'il est lu non pas comme le constat d'une impossibilité de faire progresser la France sur le chemin du droit et de l'égalité, mais bien comme un encouragement à faire qu'elle y avance Ç.Paris, le 26 janvier 2009
Simone Veil
Prsidente du comit de rÝexion sur le Prambule de la Constitution 7Introduction
Introduction
AE Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la sépa- ration des pouvoirs dtermine, nÓa point de Constitution Ç : si, dŽs la Ün du XVIII e siŽcle, lÓarticle 16 de la Dclaration des droits de lÓhomme et du citoyen a dÜni ce quÓest une Constitution, ce nÓest quÓau milieu du XX e siŽcle que ce texte a acquis sa pleine dimension. Longtemps en effet, la Constitution nÓa t envisage en France que comme lÓensemble des normes juridiques rgissant lÓorganisation des pouvoirs publics et cÓest seulement lorsque le Conseil constitutionnel a confr valeur constitu- tionnelle aux dispositions de la Dclaration de 1789 et ‡ celles du Prambule de1946 que les droits et liberts noncs dans ces textes (dÓaucuns Ügurent dans le
juridique ont fait partie intgrante de la vie de nos concitoyens : la Constitution- charte des droits et liberts sÓest alors leve au niveau de la Constitution- sparation des pouvoirs. Cette vritable rvolution dans le droit constitutionnel franOEais a produit une rupture dÓautant plus forte quÓelle a eu pour effet de faire entrer dans le AE bloc de constitutionnalité Ç des principes proclams en 1789 et en 1946, plus gn- raux ou moins prcis que ceux qui Ügurent dans le texte de la Constitution de1958 proprement dite et autorisant donc au juge de la rue Montpensier ou plu-
t˜t exigeant de lui davantage de crativit dans lÓinterprtation des normes derfrence. Le juge constitutionnel a t ainsi amen, ‡ travers le contr˜le de
constitutionnalit des lois, ‡ formuler les principes constitutionnels qui fondent symbiose avec lÓvolution de la socit, exprimant ainsi une certaine AE idée de droit Ç, selon le mot clŽbre de Georges Burdeau. Au lendemain de son lection, prenant acte des changements et des transforma- tions survenus dans le monde et la socit franOEaise depuis un demi-siŽcle, le Prsident de la Rpublique dcidait dÓengager une rÝexion approfondie, dÓune part sur la modernisation et le rquilibrage des institutions, dÓautre part sur la conscration ou la rafÜrmation de valeurs fondamentales, manifestant sa volont que AE notre Constitution soit ‡ nouveau en avance sur son temps 1(1) Intervention du Prsident de la Rpublique devant la presse au palais de lÓ'lyse, 8 janvier
2008.8 Rapport du comité de réexion sur le Préambule de la Constitution Les travaux du comit prsid par M. 'douard Balladur, auquel avait t conÜ, par dcret du 18 juillet 2007 1 , le soin dÓmettre des propositions sur le premier point, ont conduit ‡ lÓimportante rforme institutionnelle vote le 21 juillet 2008 par le Parlement runi en CongrŽs ‡ Versailles 2 La mission conÜe quelques mois plus tard au comit prsid par M me
Simone
Veil 3 tait dÓune autre nature : certes, les droits des gouverns cohabitent avecdÓune socit quant ‡ ses valeurs profondes rejaillit ncessairement sur lÓorgani-
sation des pouvoirs publics, mais il sÓagit ici de dterminer, ainsi que lÓa prcis le Prsident de la Rpublique, AE les libertés fondamentales reconnues à tout indi- vidu sur le sol de la République et le socle des valeurs dans lesquelles chacun de nos concitoyens peut se reconnaître Ç, cÓest-‡-dire AE des principes qui, au fond, dÜnissent lÓidentit rpublicaine, disent ce que nous sommes et vers quoi nous voulons aller Ç ; en dÓautres termes, tout ce qui ressortit ‡ lÓindividu en sa double qualit de personne humaine et de citoyen de la Rpublique. Trois thŽmes formuls sous forme de questions se posant AE avec une particu-lière acuité Ç ont t proposs au comit de rÝexion sur le Prambule de la
Constitution :
Î Doit-on permettre au lgislateur de mieux garantir lÓgal accŽs des femmes et Î Y a-t-il des principes directeurs sur lesquels il conviendrait de fonder, au-del‡de lÓvolution des techniques, notre approche des problŽmes lis ‡ la biothique ?
Î Faut-il rendre possibles de nouvelles politiques dÓintgration valorisant davantage la diversit de la socit franOEaise pour favoriser le respect effectif du principe dÓgalit ? Quatre autres thŽmes lui ont t suggrs : Î la reconnaissance du principe de dignit de la personne humaine, Î le pluralisme des courants dÓexpression et des mdias, Î le respect de la vie prive et la protection des donnes personnelles, Î lÓancrage europen de la Rpublique. LÓexamen de ces sujets trŽs divers et empreints de modernit imposait prala- blement au comit, qui, prenant part ‡ lÓhistoire constitutionnelle franOEaise, seencore, vers lÓavenir, de dlimiter trŽs exactement et trŽs prcisment le contexte
dans lequel sÓinscrivait son action. en particulier sur ses rapports avec la Constitution, sur sa signiÜcation et sur sa valeur juridique, y compris ‡ la lumiŽre de quelques exemples trangers (1). Il devait ensuite, sÓintressant au Prambule de la Constitution du 4 octobre1958, en examiner la mthode dÓlaboration et le contenu, ainsi que les prc-
dentes tentatives de rforme (2). (1) Dcret n o2007-1108 du 18 juillet 2007.
(2) Loi constitutionnelle n o2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la
V eRpublique.
(3) Dcret n o2008-328 du 9 avril 2008 (annexe 1).
9Introduction
1. Constitution et Préambule
Un prambule, cÓest, selon le Littr, AE ce qui s'écrit ou ce qui se dit avant de commencer quelque chose, et qui en est comme l'introduction, pour préparer le lecteur ou l'auditeur à ce qui doit suivre Ç et, selon le Robert, AE ce dont on fait prcder un texte de loi pour en exposer les motifs, les buts Ç ou encoreAE un expos dÓintentions pralable ‡ un discours, ‡ un crit Ç. Sous cet angle, le
Prambule dÓune Constitution sÓinspire dÓune dmarche littraire. en soi, qui nonce les principes et les droits des personnes. Prambule se confond plus ou moins, alors, avec Dclaration des droits. É cet gard, les quinze Constitutions dont sÓest dote la France au cours dÓune priode longue de deux cent dix-sept annes nous offrent un panorama vari : en 1791, la Dclaration des droits de lÓhomme et du citoyen du 26 aot 1789 est place avant la Constitution qui comporte par ailleurs un Prambule innomm ; en 1793 et en 1795, une dclaration des droits (et des devoirs) de lÓhomme et du citoyen insre au sein de la Constitution tient lieu de Prambule ; en 1814, en 1815 et en 1852, cÓest un expos des motifs ou AE proclamation Ç qui vaut Prambule ; en 1848, en 1946 et en 1958, le Prambule, expressment dsign comme tel, correspond ‡ une dclaration de principes et de droits. Quelle est alors la signiÜcation dÓun Prambule constitutionnel lorsquÓil sÓagit dÓautre chose que dÓun simple expos des motifs de la Constitution ? Il nÓest pas besoin dÓinsister sur lÓimportance des dclarations des droits dont lÓorigine sÓexplique par des raisons historiques. Elles traduisent avant tout la place croissante de lÓindividu Î auquel des liberts politiques et individuelles sont progressivement octroyes Î face ‡ lÓ'tat 1 Plus importante, pour ce qui concerne le prsent rapport, est lÓvolution de leur valeur juridique.Sous la IV
e Rpublique, la Dclaration des droits tait, en dpit dÓune doctrine partage, considre tant par le juge administratif que par le juge judiciaire comme un ensemble de rŽgles juridiquement obligatoires mais ne sÓimposant pas ‡ la loi : comme pour la Constitution proprement dite, sa violation tait certes sanctionne, mais seulement lorsque celle-ci rsultait dÓun acte adminis- tratif 2 et non dÓune loi, rpute exprimer la volont gnrale 3(1) Le destin de la Dclaration de 1789 est, au demeurant, assez remarquable ‡ cet gard : place
Constitution de 1946 et reprise par celle de 1958, aprŽs avoir largement inspir la Dclaration uni-
verselle des droits de lÓhomme de 1948. (2) Voir notamment CE, Ass., 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris, Rec. p. 317, ‡ propos de la libert dÓassociation. (3) CE, Section, 6 novembre 1936, Arrighi, Rec. p. 966. 10 Rapport du comité de réexion sur le Préambule de la ConstitutionSous la V
e Rpublique, il en fut ainsi tant que le Conseil constitutionnel, nou- vellement charg du contr˜le de constitutionnalit des lois, se limita au r˜le, assign par la Constitution de 1958, dÓorgane rgulateur de lÓactivit des pou- voirs publics : sa mission tait cantonne ‡ lÓexamen de la rpartition de leurs comptences. Mais il en fut autrement lorsque le Conseil afÜrma son ind- pendance en revendiquant un r˜le de protecteur des liberts publiques et enoprant ‡ cette Ün ce que certains sont alls jusquÓ‡ appeler un AE coup d'État
de droit Ç : mettant un terme ‡ plusieurs controverses doctrinales et conÜrmant une jurisprudence du Conseil dÓ'tat du 12 fvrier 1960 1 , il intgra, de manière globale, par sa dcision Liberté d'association du 16 juillet 1971 2 , le Prambule de la Constitution de 1958 aux normes de rfrence du contr˜le de constitution- nalit. Cette jurisprudence sÓapplique tout ‡ la fois ‡ la Dclaration de 1789 3 au Prambule de 1946 4 et ‡ la Charte de lÓenvironnement de 2004 5 , tous ces lments faisant partie, avec le texte de la Constitution proprement dite, de ce quÓil est dsormais convenu dÓappeler le bloc de constitutionnalit. La dcision de 1971 6 , qui a marqu le vritable acte de naissance de lÓinstitution et qui nÓa jamais t remise en cause par le constituant, devait ouvrir la voie, peu de tempsaprŽs, ‡ lÓlargissement de la saisine du Conseil ‡ soixante dputs ou soixante
snateurs par la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974 et, trŽs rcemment, ‡ lÓexception dÓinconstitutionnalit reconnue aux justiciables par la loi constitu- tionnelle du 23 juillet 2008. En vertu de cette dcision fondatrice, toutes les rŽgles nonces dans le Prambule ont donc une gale valeur constitutionnelle et sont rputes, par faire lÓobjet dÓune conciliation permanente puisque les ventuels conÝits de par exemple, de son caractŽre plus rcent.(1) CE, Section, Société Eky, Lebon, p. 101, ‡ propos du principe de lgalit des dlits et des
peines issu de lÓarticle 8 de la Dclaration de 1789, dont le Conseil dÓ'tat a jug quÓil sÓimposait ‡
lÓautorit administrative. (2) CC, 16 juillet 1971, n o71-44 DC, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du
1 er juillet 1901 relative au contrat d'association, JO du 18 juillet 1971, p. 7114. (3) CC, 27 dcembre 1973, n o73-51 DC, Loi de Ünances pour 1974, JO du 28 dcembre 1973,
p. 14004. (4) CC, 16 juillet 1971, prc. note 2. (5) CC, 28 avril 2005, n o2005-514 DC, Loi relative à la création du registre international français,
JO du 4 mai 2005, p. 4702 ; CC, 7 juillet 2005, n
o2005-516 DC, Loi de programme Üxant les orien-
tations de la politique énergétique, JO du 14 juillet 2005, p. 11789 ; CC, 19 juin 2008, n o2008-564
DC, Loi relative aux organismes gntiquement modiÜs, JO du 26 juin 2008, p. 10228. (6) Certes, par une dcision du 19 juin 1970 (n o70-39 DC, JO du 21 juin 1970, p. 5806), le
Conseil constitutionnel avait dj‡ consacr la valeur juridique du Prambule de la Constitution
de 1958, mais la dcision Liberté d'association est AE celle qui le fait de la manière la plus écla-
tante, et à l'égard d'une loi et non plus d'un traité, Ç et, AE surtout Ç, elle AE explicite la rfrence au
Préambule Ç (Louis Favoreu et Lo"c Philip, Les Grandes Dcisions du Conseil constitutionnel,
14 edition, 2007, p. 245).
11Introduction
Le Prambule à la française prsente ainsi une spciÜcit marque par rap- port ‡ ceux, plus classiques, dÓautres dmocraties 1 . Si le positionnement de la la Constitution reprsente davantage une diffrence de forme que de fond, il a indniablement eu pour consquence de retarder la conscration de leur valeur constitutionnelle et de leur opposabilit au lgislateur. La V eRpublique allait
heureusement fournir un terreau favorable.2. Le Préambule de la Constitution
de 1958 La France a une histoire constitutionnelle pour le moins mouvemente : cÓest sans doute le pays qui, depuis la Rvolution, a connu le plus grand nombre de Constitutions, une tous les quatorze ans en moyenne.La Constitution de 1958, si elle a certes t rvise ‡ diverses reprises, est celle
qui peut se targuer de la plus importante longvit aprŽs celle de 1875, elle aussi modiÜe plusieurs fois. Gnralement, une Constitution, faisant table rase du pass, sÓinscrit en réaction par rapport ‡ la prcdente : la Constitution de 1958 a ainsi rpudi celle de 1946 Mais, sÓagissant des droits fondamentaux, cÓest une autre option qui a t prise : le constituant de 1958 a dlibrment choisi la voie de la sédimentation 2 plut˜t que celle de la raction, la raison tenant sans doute ‡ une certaine vision de lÓhistoire dans les dmocraties occidentales, suivant laquelle un droit nouveauest toujours cens reprsenter un progrès, sÓajouter ‡ ce qui prcŽde plut˜t que
(1) En Rpublique fdrale dÓAllemagne, le Prambule de la Loi fondamentale du 23 mai 1949
constitue une simple introduction place avant un titre consacr aux AE droits fondamentaux Ç. En
Espagne, la Constitution du 29 dcembre 1978 est prcde dÓun Prambule consistant en une
proclamation de la nation espagnole et dbute par un titre intitul : AE Des droits et des devoirs fon-
damentaux Ç. En Italie, la Constitution du 27 dcembre 1947 ne contient pas de Prambule : elle
dbute directement par un nonc de AE principes fondamentaux Ç, suivi dÓune premiŽre partie sur
1994 comprend un titre II intitul : AE Des Belges et de leurs droits Ç. En Suisse, il en est galement
ainsi : la Constitution fdrale du 18 avril 1999 contient un titre II intitul : AE Droits fondamentaux,
citoyennet et buts sociaux Ç. En Angleterre, ce qui sÓapparente ‡ la Constitution est compos, dÓune
part, de textes multiples dont le plus ancien est la Magna Carta de 1215 et dont le plus clŽbre est
actuelles, le mouvement favorable ‡ lÓadoption dÓune dclaration des droits sur le modŽle de celles
qui accompagnent les Constitutions crites demeurant minoritaire en Angleterre ooe un tel modŽle
est perOEu comme incompatible avec le principe de souverainet du Parlement. Le Human Rights Actde 1998 est considr comme le premier texte, depuis le Bill of Rights de 1688, ‡ offrir une protec-
tion lgislative aux droits fondamentaux. La Constitution des 'tats-Unis du 17 septembre 1787 estla Constitution crite la plus ancienne. Mais ce sont les dix premiers amendements ‡ la Constitution
(sur 27 ‡ ce jour), adopts en 1791, qui sont prsents comme la Dclaration des droits de ce pays et
qui, relatifs ‡ la condition des personnes, consacrent des droits de lÓindividu et des droits du citoyen.
(2) Jean et Jean-'ric Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 20 edition, 2005, p. 174.
12 Rapport du comité de réexion sur le Préambule de la Constitution le remplacer ou le limiter. Les rformes constitutionnelles postrieures ont suivi cette voie : jamais le constituant Î pas plus celui de 2008 que les prcdents Î nÓest revenu sur un principe de valeur constitutionnelle 1 De prime abord, le Prambule de la Constitution du 4 octobre 1958, compos de deux alinas, se prsente comme un texte en retrait par rapport ‡ ses prdces- 2Ç. Et pourtant il
nÓen est rien car, en 1958, le Prambule se rfŽre expressment ‡ deux textes, la
Dclaration des droits de lÓhomme et du citoyen du 26 aot 1789 et le Prambule de la Constitution du 27 octobre 1946. É partir de 2005, il se rfrera ‡ trois textes, la Charte de lÓenvironnement de 2004 sÓajoutant aux deux autres. Le Prambule rdig en 1958 nÓnonce donc pas immdiatement de rŽgles : il en appelle ‡ des textes antrieurs. Pourquoi en a-t-il t ainsi ? Il semble que le constituant de 1958, AE soucieux avant tout de fonder un rgime politique efÜcace, s'est davantage préoccupé de restaurer l'autorité de l'État et du gouvernement que de réécrire les droits de l'homme et du citoyen 3Ç. Ce qui a fait dire ‡ Georges
Burdeau, dŽs le printemps 1959, que, AE dans lÓimmdiat, la seule afÜrmation qu'autorise l'observation objective, c'est que le changement de régime se traduit exclusivement par une modiÜcation des techniques gouvernementales Ç et que AE ni la philosophie sociale, ni l'idéologie politique antérieure n'ont été atteintes 4 Les trois textes qui composent le Prambule diffŽrent par les circonstances his- toriques de leur laboration, mais surtout par leur inspiration. Comme on le sait, la dclaration de 1789 5 est fondamentalement imprgne de libralisme et(1) Si dÓaucuns considŽrent que la parit, introduite dans la sphŽre politique en 1999 puis dans le
champ professionnel et social en 2008, a fait exception ‡ cette rŽgle en permettant des drogations
au principe dÓgalit dans sa conception traditionnelle, elle a t prsente par ses promoteurs, et
majoritairement perOEue, comme le moyen de mieux le mettre en Íuvre ou comme un nouvel clai- rage sur un idal inchang. (2) V. Jean et Jean-'ric Gicquel, op. cit., p. 95. (3) Simon-Louis Formery, La Constitution commente article par article, Hachette suprieur, 11 edition, 2007-2008, p. 6.
(4) AE La conception du pouvoir selon la Constitution du 4 octobre 1958 Ç, Revue française de science politique, mars 1959, p. 87.(5) 'voqu seulement le 19 juin 1789, le principe dÓune dclaration des droits de lÓhomme fut
admis par lÓAssemble le 4 aot et cÓest ‡ partir dÓun projet collectif labor en quelques jours
que la Constituante allait voter, article par article, du 20 au 26 aot, la Dclaration des droits de
lÓhomme et du citoyen, renvoyant lÓexamen dÓautres articles ‡ la Ün des travaux sur la Constitution :
Íuvre collective de synthŽse, ce texte de plus de deux siŽcles qui nous rgit encore et qui fait
lÓadmiration des autres nations fut, en son temps, considr comme inachev. Ainsi une motion
Mougins de Roquefort du 27 aot 1789 nonOEa-t-elle que : AE L'Assemblée nationale décrète qu'elle
borne quant ‡ prsent la Dclaration des droits de lÓhomme et du citoyen aux dix-sept articles
la prosprit publique, sauf ‡ ajouter aprŽs le travail de la Constitution les articles quÓelle croirait
lÓexamen des articles additionnels aprŽs la rdaction de la Constitution et proposa, aÜn de dissiper
toute ambigu"t : AE L'Assemblée nationale reconnaît que la Déclaration des Droits de l'Homme et
du Citoyen nÓest pas Ünie [È], quÓelle va sÓoccuper sans relˆche de la Constitution ; si, dans le
cours de sa discussion, il se présente quelque article qui mérite d'être inséré dans la Déclaration, il
sera soumis ‡ la dlibration, lorsque la Constitution sera termine Ç, ce qui fut adopt. Cependant,
contrairement ‡ la volont des constituants, le cours de la Rvolution voulut que la Dclaration
nÓait pas de suite. Sur ces aspects, v. Pierre Bercis, Guide des droits de l'homme. La conquête des
libertés, EDICEF, 1993, p. 37 et s. 13