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1

Jérémy Naïm

Récit bref

et récit enchâssé

01. Introduction

Qui lirait en continu l'ensemble des Contes et nouvelles de Maupassant serait surpris par la

récurrence du mot if de l'enchâssement narratif : à un dîne r de garçons, a u hasard d'une

rencontre entre deux amis, à quelque tablée de chasseurs, un personnage raconte une histoire pour le pl aisir de s es auditeurs fictifs. C e dispos itif se retr ouve dans près de 45% de la production contière de l'écrivain normand 1 Mais l'on aurait tort de voir dans cette récurrence un trait spécifique à Maupassant. De

façon générale, il y a un lien, historiquement constatable, entre le récit bref et le récit enchâssé.

Le lecteur de nouvelles au XIX

e siècle le sait bien, lui qui voyait déjà chez Balzac ou dans Les Diaboliques le recours à ce que Gracq appelait " l'alibi » d'un " porte-parole 2

». Et ce lien ne

s'arrête pas aux frontières du XIX e siècle. On sait encore, et on le verra au cours de cette

communication, que les modélisations de l'enchâssement narratif ont été formulées à partir des

recueils de récits brefs comme le Décaméron, l'Heptaméron ou Les Mille et Une Nuits. Comment expliquer ce lien, et que dit-il de la poétique du récit bref ? Pour répondre à

cette question, il faut d'abord dire un mot des notions utilisées aujourd'hui. Traditionnellement,

on définit le récit enchâssé comme un récit rapporté par un personnage à d'autres personnages.

Cette précision est importante, parce que le dispositif est à distinguer du récit à la première

personne : il s'agit véritablement d'un récit intégré à l'intérieur d'un autre énoncé ; on parle

parfois de récit dans le récit ou de récit encadré. Soit, par exemple, Les Mille et Une Nuits.

Jaloux et colérique, le roi Schahriar fait voeu d'épouser chaque soir une nouvelle femme, qu'il

assassine au petit matin. Schéhérazade invente un stratagème pour arrêter cette folie meurtrière.

Elle devient son épouse, et à la nuit tombée, lui raconte une histoire qu'elle laisse inachevée au

lever du jour. Le roi, qui doit reprendre son métier de roi, décide d'attendre la fin du conte, et

donc le lendemain matin, pour accomplir son crime. Mais le lendemain matin, Schéhérazade

n'a toujours pas achevé son récit, et pas davantage le troisième matin, ni le quatrième, et

jusqu'au mille-et-unième. Si d'aventure, elle finit un conte, elle en recommence un autre au

milieu de la nuit pour que le décalage perdure et qu'elle survive à l'heure funeste du réveil.

Dans ce dispositif, on considère classiquement que les récits rapportés par Schéhérazade sont

encadrés par sa propre hi stoire, de telle sorte qu'ils rencontrent là comme une fronti ère

ontologique : le personnage d'un conte raconté au roi ne peut pas, en théorie, se retrouver dans

l'histoire de Schahriar et de Schéhérazade. Le récit enchâssé pourrait ainsi se définir comme un

récit qui rencontre une limite, qui lui serait en quelque sorte extérieure.

Le récit bref aussi est un récit délimité. L'expression " récit bref », comme celle de

" récit court », est ca lquée sur l'angla is short story. Les théoriciens français l'utilisent de

préférence aux appellations génériques traditionnelles de " nouvelle » ou de " conte », parce

que plus englobante et moins labile. La principale qualité du récit bref serait ainsi la brièveté,

mais la brièveté est une qualité éminemment relative. Un récit peut être bref en comparaison

d'un autre plus long que lui. Il peut l'être aussi en raison du temps qu'il faut pour le lire (ce temps lui-même étant susceptible d'une comparaison). La compétence de lecture est aussi un facteur déterminant : un enfant ou un lecteur occasionnel trouvera sans doute plus long tel 1

Pour une discussion de ce décompte, voir Jérémy Naïm, Penser le récit enchâssé. L'invention d'une notion à

l'époque moderne (1830-1980), Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle (à paraître en mai 2020).

2

Julien Gracq, " Ricochets de conversation », Préférences [1961], Paris, José Corti, 2015, p. 224.

2

roman que le lecteur professionnel jugera bref. À s'en tenir à ces trois exemples, il est possible

de dire que le récit bref, lui aussi, expérimente des limites : le cas échéant (mais il y en a

d'autres), des limites spatiales, temporelles ou humaines. Dans un article sur les récits sans fin,

Gilles Louÿs fait remarquer que le paradigme de l'inachèvement est une propriété essentielle

du roman 3 . On peut inverser cette hypothèse en se demandant si le bref n'est pas, par excellence,

le récit achevé, celui qui se développe dans un périmètre défini, aux frontières très diverses.

On comprend alors pourquoi le récit enchâssé rencontre si souvent le récit bref : il en

est, en quelque sorte, la quintessence. Récit bref et récit enchâssé sont toutes deux des formes

narratives qui expérimentent des frontières. Le postulat de cette intervention est ainsi que ce

lien privilégié fait apparaître quelques-unes des limites que le récit bref peut rencontrer, que je

classerai (de façon décroissante) s elon leur degré d'extério rité au texte : soit des limites

temporelles, matérielles et textuelles. Pour des raisons d'efficacité, les trois ne seront pas

traitées également. La première sera la plus développée ; je passerai rapidement sur la deuxième

qui excède le programme ; et le troisième recouvre en partie le propos d'Alain Vaillant.

02. La brièveté temporelle

Premier type de limite à explorer, donc, la limite temporelle. Elle se rencontre principalement dans ce qu'on appelle depuis le XIX e siècle les recueils de nouvelles à cadre. Dans la tradition occidentale, ces recueils ont pour origine le Décaméron de Boccace, publié au milieu du XIV e siècle. L'ouvrage commence par une longue introduction qui raconte les méfaits de la grande

peste à Florence et comment dix personnages se sont retrouvés exilés pendant dix jours, sans

occupation. Pour égayer leur séjour, ils décident donc que chaque jour, chacun d'entre eux racontera une histoire ou une anecdote. Telle est la proposition de l'un d'entre eux : Comme vous voyez, le soleil est haut, la chaleur forte, on n'entend que les cigales sur les

oliviers, et sans nul doute ce serait une sottise d'aller maintenant ailleurs. Il fait ici beau et frais ;

il y a, comme vous voyez, des damiers et des échiquiers avec lesquels chacun peut se distraire

à son gré. Mais si l'on suit mon avis sur ce point, nous ne passerons pas cette chaude partie du

jour à jouer (car au jeu l'esprit d'un des partenaires se trouble, sans grand plaisir pour l'autre ni

pour l'assistance), mais à conter des nouvelles (ce qui, pendant que l'un de nous raconte, peut combler de plaisir tout l'auditoire). Avant que vous ayez fini chacun de dire sa petite nouvelle, le soleil aura baissé, la chaleur diminué, et nous pourrons aller nous divertir où bon nous semblera 4 . (p. 56)

Le passage est intéressant, parce qu'il définit le récit (la " petite nouvelle ») en rapport à une

temporalité. Le récit est d'abord ce qui occupe du temps, celui situé entre le moment où le soleil

est haut dans le ciel et celui où il a baissé. Dans l'Heptaméron, le recueil de Marguerite de

Navarre, la justification des récits est similaire :

Et s'il vous plait que tous les jours depuis midi jusqu'à quatre heures, nous allions dans ce beau

pré le long de la rivière du Gave, o ù les arbres sont si feuillus que le soleil ne saurait percer

l'ombre ni échauffer la fraicheur, là, assis à nos aises, chacun dira quelque histoire qu'il aura vu

ou bien ouï dire à quelque homme digne de foi. Au bout de dix jours nous aurons parachevé la

centaine 5 3

Gilles Louÿs, " Pourquoi voulons-nous que nos fictions finissent ? Le roman entre incomplétude et recherche de

concordance », dans Michel Braud (éd.), Le Récit sans fin. Poétique du récit non clos, Paris, Classiques Garnier,

2016, p. 17-33.

4

Boccace, Décaméron [1349-1353] (traduction de Marthe Dozon, Catherine Guimbard, Marc Scialom, sous la

direction de Christian Bec), Paris, Le Livre de poche, 1994, p. 56. 5

Marguerite de Navarre, Heptaméron [1559] (éd. Gisèle Mathieu-Castellani), Paris, Librairie Générale Française,

1999 p. 91.

3 Comme dans le Décaméron auquel il est fait allusion au début du prologue, raconter des histoires est un moyen pour lutter contre la chaleur, c'est-à-dire pour occuper une portion de

temps qui, sans cela, serait longue et ennuyeuse. Le récit permet de faire paraître le temps plus

court. Ce rapport à la temporalité est constitutif du recueil à cadre. Étymologiquement, le

Décaméron et l'Heptaméron sont les livres, respectivement, des dix et des sept journées. Dans

le recueil de tradition orientale, Les Mille et Une Nuits apparaissent bien sûr comme l'archétype

des récits qui occupent du temps, même si, stricto sensu, il n'y a pas " mille et une nuits » dans

le recueil, puisque le titre est une expression hyperbolique pour dire " beaucoup ». Mais la

réception du recueil en Occident crée, par l'effet d'une mauvaise lecture, une association entre

le conte et la limite temporelle, de sorte, qu'à la suite des Mille et Une Nuits, on a pu lire au XVIII e siècle, des Mille et un Jours traduits par Pétis de la Croix, des Mille et un Quart d'heures écrit parodiquement par Thomas Gueullette, et, d'Hamilton jusqu'à Edgar Poe, au moins cinq

ou six " mille et deuxième nuit », qui entérine l'idée qu'il y a vraiment mille et une nuits dans

le recueil 6 . En sortant du canon, on pourrait citer, également, un recueil de littérature jeunesse, Les Soupers de famille (1817), l'un des premiers du genre, dû à la plume de Julie Delafaye-

Bréhier. Tous les jeudis, un père de famille a l'habitude, après le souper, de raconter une histoire

à ses enfants. Le recueil, divisé en dix-huit soupers, rapporte dix-huit contes, chacun précédé

de la réaction enthousiaste des enfants et de quelques aventures familiales. On a ici un dispositif

mimétique d'une pratique que l'on peut supposer véritable, ou en tout cas, que l'on encourage :

il s'agit de structurer la lecture des plus petits en l'encadrant par une temporalité définie par

avance. L'histoire courte, c'est celle qu'on lit après le souper de telle heure à telle heure. Ce dernier exemple pose bien sûr la question de la réalité recouverte par cette limite

temporelle, et son impact, dès lors, sur l'écriture du récit bref. Roger Chartier a appelé naguère

à ne pas prendre trop au premier degré la représentation oralisante des récits de la Renaissance

7

qui ne feraient pas toujours l'objet d'une lecture à voix haute. L'on sait également que les contes

de Perrault, à la fin du XVII e siècle, sont d'abord des contes savants qui utilisent l'étiquetage

populaire pour montrer qu'une littérature moderne de tradition française est possible. De même,

les contes recueillis par les frères Grimm au siècle suivant : ils servent une idéologie nationale,

qui promeut l'oralité comme témoignage d'une culture populaire, sans que ces récits aient

vocation à être oralisés. L'oralité apparaît d'abord comme un élément structurant l'imaginaire

du récit bref. Ce dernier est le récit que l'on se raconte, que l'on s'échange, et dont la brièveté

est déterminée par les conditions de son énonciation. Ce type de récit a donc pour frontière son énonciation même. Harald Weinrich remarque ainsi que dans les recueils " anciens », les auteurs témoignent d'une plus grande conscience

entre " monde commenté » et " monde narré ». Le dispositif d'enchâssement narratif permet

en effet une répartition de ces deux fonctions majeures du langage : le récit bref narre ; les dialogues qui le précède nt et l e suivent le prolongent en lui accordant une ou plus ieurs

significations. Ainsi, le récit bref par temporalité se réduit le plus souvent à une trame narrative

faite d'une succession de passés s imples, quand un roman réaliste multiplie les à-côtés

descriptifs ou les analyses psychologiques qui permettent de contrôler le sens de l'intérieur

même du récit. Ces récits apparaissent dès lors comme des canevas, qui attendent d'être dotés

d'une signific ation morale, d'être intégrés dans une argumentation ou dans un débat, ou

simplement d'être repris et réutilisés par un meilleur conteur, qui saura mettre plus de charme

à son récit. La citation de l'Heptaméron donnée plus haut le rappelait, d'ailleurs, bien à propos :

6 Voir Evanghelia Stead, Contes de la mille et deuxième nuit, Grenoble, Million, 2011. 7

Roger Chartier relisant Noël du Fail appelle ainsi à minimiser le mimétisme du texte littéraire " Stratégies

éditoriales et lectures populaires, 1530-1660 », dans Rocher Chartier et Henri-Jean Martin (éds.), Histoire de

l'édition française [1982], t. 1, Paris, Fayard, 1989, p. 705-706). 4

il y est demandé à chaque conteur de rapporter " quelque histoire qu'il aura vu ou bien ouï dire

à quelque homme digne de foi ». Autrement, dit la particularité de ces récits temporellement

brefs est d'appartenir à un fonds commun, dans lequel chacun peut puiser et broder à sa guise une meilleure histoire. Ce qui explique sans doute qu'il existe un vaste vivier de récits brefs, fabliaux, fables, historiettes, anecdotes, contes, etc., qui ont fait l'objet de réécriture.

03. La brièveté matérielle

Le récit enchâssé permet de rencontrer une deuxième forme de brièveté narrative, à travers la

question de la matérialité du récit. J'entends par là qu'un récit peut être bref par rapport à un

ensemble qui l'est moins. Comme ce type me paraît être illustré principalement dans le roman

(a priori exclu du programme), je le traiterai plus rapidement que le précédent ; mais en développer quelques aspects permettra d'affiner notre définition du bref. On a remarqué depuis longtemps la prédominance du récit enchâssé dans le roman. Charles Sorel, dans Le Berger extravagant se moque ainsi " de tous les Héros de Romans, qui ne vont en aucun lieu qu'on ne leur raconte quelque Histoire 8

». Sorel vise L'Astrée, bien sûr,

mais aussi les romans espagnols constr uits sur une suc cession d'histoires disparates que

racontent des personnages de fortune. Ce modèle se retrouve jusqu'à Lesage, au début du XVIII

e siècle, avant de laisser la place à des formes narratives longues moins discontinues. Todorov,

dans les années 1960, écrit un bel article sur ce dispositif des " hommes-récits ». Il y explique

que, contrairement à ce que dit Henry James, tous les personnages de roman ne sont pas un support psychologique et que " tout récit ne consiste pas en une "description de caractères 9 Dans certains types de récit, dont le roman-fleuve en est l'exemple même, " le personnage, c'est une histoire virtuelle qui est l'histoire de sa vie. Tout nouveau personnage signifie une nouvelle intrigue. Nous sommes dans le royaume des hommes-récits 10

». Il y aurait, dans ce

type d'écriture, une logique horizontale de la narration, où la profondeur n'est pas créée, comme

dans le récit moderne, par un jeu sur les temps ou sur les points de vue, mais par la capacité d'un personnage à inscrire sa vie dans une histoire, dans un cheminement. Dans ces romans,

les récits enchâssés (qui peuvent occuper un espace important) sont " brefs » par rapport à la

structure qui les accueillent : les quelques quatre cents ou cinq cents pages du Roman comique

de Scarron ou les milliers qui composent l'Artamène ou le Grand Cyrus des Scudéry. Ces récits

font régulièrement l'objet d'un isolement typographique, ils ont le plus souvent un intertitre qui

les distinguent, de sorte que leur brièveté est d'abord l'effet d'une délimitation spatiale.

Cet isolement pose la question de leur autonomie. Là-dessus, deux thèses peuvent s'opposer. Celle de Victor Chklovski, l'un des créateurs de l'OPOIAZ et l'un des premiers

penseurs du récit enchâssé, qui postule une similarité de structures entre ce type de roman et le

recueil de nouvelles. En analysant Gil Blas, Chklovski explique ainsi que le personnage de Gil

Blas doit être considéré comme un " fil dont sont cousus ensemble les épisodes du roman - un

fil gris 11 ». L'analyse peut sans doute être discutée, puisque tout lecteur de Lesage sait bien que

le personnage de Gil Blas évolue au cours de la narration, passant de l'étudiant naïf au valet

roublard et expérimenté. Mais la réflexion de Chklovski porte juste quand elle fait apparaître le

caractère déstructuré du roman , dont bie n des r écits intermédiaires ne commun iquent

qu'artificiellement avec l'histoire principale. Chacun en fera l'expérience en lisant le Gil Blas 8 Cité par René Godenne, Histoire de la nouvelle française aux XVII e et XVIII e siècles, Genève, Droz, 1970, p. 47. Pour plus de lisibilité, je modernise l'orthographe de toutes les citations. 9

Tzvetan Todorov, " Les hommes-récits » [1968], Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1971, p. 81.

10

Ibid., p. 82.

11

Victor Chklovski, Victor, Sur la théorie de la prose [1929] (trad. par Guy Verret), Lausanne, L'Âge d'homme,

1973, p. 101.

5 sur un an : on peut avoir oublier tous les personnages et reprendre le livre sans difficulté. Comme dans Le Diable boiteux, les récits enchâssés y sont isolés les uns des autres. Faut-il donc considérer le roman d'ancien régime comme une succession de récits brefs ? C'est une question de spécialiste que je ne trancherai pas, mais il est intéressant de connaître la position d'Ugo Dionne, grand connaisseur du roman des XVII e et XVIII e siècles.

Dans La Voie aux chapitres

12 , Dionne défend une thèse simple : que la division du roman en chapitres ne se normalise pas avant la fin du XVIII e siècle. Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de chapitres avant cette période, bien entendu, mais plutôt que la tendance romanesque est de recourir à un dispositif de divisions éditoriales, comme le tome ou le volume, ou bien, de

divisions infra-textuelles, comme la lettre ou le récit enchâssé. Les récits brefs insérés dans les

romans d'Ancien Régime appartiendraient ainsi à la préhistoire du chapitre en tant que division

romanesque. Sans être contradictoire avec celle de Chklovski, cette thèse fait apparaître une

dimension plus cohésive du récit bref, et peut-être, dès lors, moins autonome. Je ne pousse pas davantage l'analyse qu'il faudrait approfondir en lien avec les débats sur le roman au XVII e siècle (est-ce qu'il doit ou non se conformer à l'unité d'action ?). Mais

cet aperçu a le mérite de faire voir l'importance de la question de l'autonomie dans notre rapport

à la brièveté. Il est certain que l'imaginaire moderne de la nouvelle tend à nous faire concevoir

le récit bref dans son isolement. Mais il ne faut pas oublier qu'historiquement, le récit bref n'est

jamais publié seul.

04. La brièveté textuelle

Dans la trame que j'ai tracée, la brièveté du récit progresse vers des limites de plus en plus

internes au récit même. Dans le premier type, les limites sont extérieures au récit, puisque celui-

ci tient sa brièveté de ses conditions d'énonciation. Dans le deuxième cas, les limites du récit

bref sont celles du support matériel où il est publié. Dans le troisième et dernier cas, le récit

bref construit ses propres limites, sans référence à un extérieur. Et c'est justement le recours au

récit enchâssé qui en fournit l'une des illustrations les plus remarquables.

Le XIX

e siècle voit apparaître une forme d'enchâssement qui n'existait pas avant :

l'enchâssement dans le récit bref isolé, celui de Balzac ou de Maupassant, où l'histoire s'ouvre

sur la délégation de parole à un personnage. La nouveauté de cette forme tient à son absence

apparente de fonction. Auparavant, l'enchâssement est réservé aux macrostructures que sont,

d'un côté le roman, de l'autre, le recueil, et sert une fonction de disposition de la matière

narrative : dans le recueil, il permet le découpage en journées ou en soirées ; dans le roman, il

a le rôle d'un quasi-chapitre. D'évidence, aucune de ces fonctions ne se trouve ré alisée

lorsqu'un personnage de Maupassant raconte une anecdote à un dîner de garçons. L'hypothèse

que je fais pour terminer est la suivante : que ce dispositif permet de souligner les limites

textuelles de la nouvelle, et d'en définir la brièveté de l'intérieur. L'enchâssement permettrait

d'accentuer une limite interne au récit. Elle est une expérience de la clôture. Le récit enchâssé dans la nouvelle permet en effe t d'enclore le récit doublement.

Lorsqu'il s'achève, il ferme ainsi l'action et l'énonciation qui la rapporte. Soit, par exemple, le

bref texte de Balzac, Z. Marcas (1840). Z. Marcas est le nom du personnage principal du récit,

homme mystérieux, qui eût pu être grand politique si la chance avait été de son côté. Ses voisins

se font raconter son destin manqué, qui le conduit à finir sa vie dans un garni, ignoré de tous.

La fin du récit enchâssé coïncide à peu près à la fin de Z. Marcas, qui dès lors apparaît comme

une double clôture : 12 Ugo Dionne, La Voie aux chapitres, Paris, Seuil, 2008. 6 Marcas ne laissa pas de quoi se faire enterrer, Juste et moi nous eûmes bien de la peine

à lui éviter la honte du char des pauvres, et nous suivîmes tous deux, seuls, le corbillard de Z.

Marcas, qui fut jeté dans la fosse commune au cimetière de Montparnasse. Nous nous regardâmes tous tristement en écoutant ce récit, le dernier de ceux que nous

fit Charles Rabourdin, la veille du jour où il s'embarqua sur un brick, au Havre, pour les îles de

la Malaisie, car nous connaissions plus d'un Marcas, plus d'une victime de ce dévouement politique, récompensé par la trahison ou par l'oubli.

Le premier paragraphe achève le récit sur Marcas, tandis que le second clôt l'ensemble du récit

bref, en insistant sur la défaite morale du personnage. Le motif du départ exotique renforce encore le sentiment d'un processus achevé. La fin de Marcas est ainsi doublement, voire triplement soulignée. Ce type de soulignement est partout dans les nouvelles du XIX e siècle, que ce soit par un

effet de clôture en aval du récit ou en amont. Ferdinand Brunetière (1888) remarquait déjà la

tendance de Maupassant " à introduire le récit principal au moyen d'une aventure de voyage ou de chasse 13 », soit une manière de repousser le récit en en marquant plus fortement l'entrée. Si

Brunetière condamne cet artifice, il répond à une logique esthétique qu'Harald Weinrich a su

mettre en valeur. Weinrich remarque qu'à la différence des nouvelles anciennes, les nouvelles modernes ne sont plus écrites uniquement au passé simple. L'imparfait (et notamment

l'imparfait de rupture) s'y répand davantage, et particulièrement au début et à la fin des récits.

Cela donnerait l'impression que les actions au passé simple encadrées par l'imparfait seraient en quelque sorte " mises en relief » par ce contraste d'aspect. Weinrich explique cette tendance

par la disparition de l'ancien cadre des recueils de la Renaissance, où les nouvelles étaient en

contraste avec les séquences de dialogue qui les précèdent et qui les suivent. Ce que Weinrich

ne voit pas, c'est que le cadre ne disparaît pas tout à fait au XIX e siècle : il se déplace des recueils

de nouvelles aux nouvelles mêmes. Un écrivain un peu oublié, Joseph Méry, après avoir achevé

une nouvelle de table comme en fera Maupassant, écrit : " Ainsi se termina ce Décaméron en raccourci 14 . » L'hypothèse que j'ai proposée il y a quelque temps est que cet te structure d'enchâssement, au même titre que l'imparfait de rupture analysée par Weinric h, sert de

dispositif de mise en relief. La frontière entre le début et la fin du récit se déplace à l'intérieur

même du récit bref. Et la brièveté se caractériserait, dès lors, par la capacité du récit à rendre

visible ses limites internes.

Il ne faut pas négliger dans ces récits la manière dont le cadre, en assignant au récit des

objectifs narratifs précis, accentue la brièveté même du texte. Je prendrai comme exemple la

nouvelle " Changement à vue » de Re né Maiz eroy, publiée dans l e Gil Blas avant d'être

recueillie en 1886 dans un recueil intitulé Amours de garnison. Le récit commence comme chez Maupassant, à un dîner de garçons. On se souvient des anciens compagnons de garnison, et la conversation tombe sur un certain La Roche-Frileuse, marquis de son état, mangeur d'héritage,

aventurier, bretteur, dilettante patenté, qui, à la grande surprise de tous, se serait marié. Chacun

a présent à l'esprit une anecdote le mettant en scène, et notamment Jean de Perchepinte qui se

rappelle le " méchant tour qu'une fois - pendant la traversée de Marseille à Alger - l'effronté

noceur avait joué à une grosse baderne d'intendant 15

». Et de raconter le méchant tour. En

apparence topique et quelconque, cette introduction permet d'assigner des objectifs textuels

précis au récit. Il devra suivre une localisation (" la traversée de Marseille à Alger »), un type

d'intrigue (" un méchant tour ») et une caractérisation actancielle (" l'effronté noceur » contre

la " grosse baderne d'intendant »). Tant que ces éléments ne sont pas réalisés textuellement, le

récit apparaîtra manqué. Mais par leur précision, ils inscrivent le récit dans le petit, dans

13

Ferdinand Brunetière, " Les Nouvelles de M. de Maupassant », Revue des Deux Mondes, t. 89, 1888, p. 704.

14

Joseph Méry, " Une nuit à table », Les Nuits parisiennes, Paris, Michel Lévy frères, 1855, p. 246.

15

René Maizeroy, " Changement à vue », Amours de garnison, Paris, La librairie illustrée, 1886, p. 198-199.

7

l'anecdote, à la manière d'un fabliau médiéval ou d'un recueil de faits des petits et grands

hommes. Nous attendons un bon tour, voire une grivoiserie. Et comme t oute " blague

mordante », plus vite sera la chute, plus vif sera le plaisir. En surdéterminant les obligations du

récit, le cadre inscrit celui-ci dans un genre contraint à la brièveté.

05. Conclusion

Que retenir du parcours proposé dans cette intervention ? Probablement qu'il y a plusieurs

manières pour un récit d'être bref. Il n'est pas envisageable de définir la brièveté par la quantité :

une conférence de huit pages peut être plus longue qu'un récit de deux cents. La reconnaissance

de la brièveté est très variable dans l'histoire et ne relève pas toujours d'une poétique spécifique.

En quoi par exemple, un récit quantitativement bref comme le Dom Carlos de Saint-Réal se

distingue de La Princesse de Clèves, plus long ? Pareillement, les mots que l'on a utilisés pour

désigner les genres du bref se sont montrés extraordinairement labiles. On a vu des romans être

appelés nouvelles, et des nouvelles, romans. Sans parler de l'instabilité du terme même de

nouvelle, ou de son cousin pas si éloigné, le conte. D'où l'idée défendue ici que la brièveté est

une réalisation variable, dont la caractérisation principale est l'expérience de la limite. J'ai

esquissé dans cette communication trois formes historiques du bref, qui me paraissent être des formes tendancielles. Dans le recueil de nouvelles à cadre, qu'on pratique majoritairement jusqu'au début du XIX e siècle, la brièveté est affaire de temps : le récit est bref parce qu'il est présumé occuper l'espace d'un temps possible pour sa lecture à voix haute. Dans le roman

d'Ancien Régime, le récit bref apparaît comme une disposition de la narration, fragmentée par

la multiplication des intrigues secondaires. Il faudrait se demander dans quelle mesure ces récits

sont autonomes, mais ils renvoient à une limite spatiale et matérielle de notre rapport au bref.

Dans la nouvelle du XIX

e siècle, on voit de plus en plus se développer des limites textuelles qui

définissent le bref de l'intérieur, en accentuant les pôles d'ouverture et de fermeture du récit.

Alors que dans le recueil, l'énonciation narrative est perçue comme oralisée, elle est ici vécue

comme représentée.quotesdbs_dbs46.pdfusesText_46