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École doctorale 180 : Sciences Humaines et Sociales Laboratoire Education, Discours et Apprentissages (EDA)L'enseignement de savoirs informatiques pour
débutants, du second cycle de la scolarité secondaire scientifique à l'université en FranceUne étude comparative
Volume I
Par Claver NIJIMBERE
Thèse de doctorat de Sciences de l'éducation Dirigée par Georges-Louis BARON et Mariam HASPEKIAN Présentée et soutenue publiquement le 19 juin 2015Devant un jury composé de :
Bruillard Éric, Professeur des universités, École Normale Supérieure de Cachan, Rapporteur
Komis Vassilis, Professeur des universités, Université de Patras (Grèce), Rapporteur Drot-Delange Béatrice, Maître de conférences, Université Blaise Pascal, MembreBaron Georges-Louis, Professeur des universités, Université Paris Descartes, Directeur de Thèse
Haspekian Mariam, Maître de conférences, Université Paris Descartes, Co-directrice de Thèse
Résumé :
Cette thèse de doctorat interroge l'enseignement et l'apprentissage de savoirs informatiques chez des
débutants en France. Elle vise à comprendre comment des débutants mettent en oeuvre et construisent
des savoirs informatiques.Nous avons utilisé une méthodologie qualitative de type ethnographique
mobilisant des observations, des questionnaires, des entretiens semi-directifs et des analyses de textes
officiels et de manuels. Nous avons aussi procédé par une approche comparative des pratiques des ly-
céens et des étudiants d'une part, et des enseignants, d'autre part.Les résultats montrent des pratiques contrastées, entretenues par des tensions dans le prescrit1. Au ly-
cée, en dehors d'ISN où l'informatique est rattachée aux mathématiques, les pratiques semblent in-
fluencées par quatre facteurs : la motivation (liée aux représentations), la formation continue des
enseignants, la jeunesse dans le métier etl'approche pédagogique utilisée. La pratique est focalisée
sur l'approche logique de l'algorithmique avec un travail au papier-crayon :la programmation est li-mitée, et lorsqu'elle a lieu, c'est plus avec une calculatrice mais aussi rarement avec le langage Algo-
box. Chez les élèves, l'algorithmique est vue comme un nouveau domaine supplémentaire introduit
en mathématiques mais différent des mathématiques et de l'informatique. Les très bons élèves en al-
gorithmique sont en général bons en mathématiques. L'ISN accueille desélèves de tous les profils,
mais avec des motivations différentes, allant de la découverte de l'informatique dans un contexte for-
mel au refuge des autres spécialités : leurs pratiques sont contrastées. C'est avec l'ISN qu'ils dé-
couvrent l'informatique au travers des formes d'enseignement variées et des problèmes de plus en
plus complexes. Les pratiques des enseignants restent influencées par leur formation d'origine, avec
un manque de recul chez les non-spécialistes d'informatique.À l'Université, les apprentissages des étudiants en programmation sont avancés, comparativement à
ceux des lycéens. Les programmes informatiques ainsi réalisés sont souvent sophistiqués et incor-
porent des éléments issus de différentes sources externes. Les notions mathématiques investies par les
étudiants sont souvent modestes.
Au-delà de la formation des enseignants, la motivation occupe une place fondamentale pour adhérer à
cet enseignement/apprentissage et soutenir des pratiques enseignantes comme chez les apprenants. Mots-clés :savoir informatique, algorithmique, mathématique, programmation des robots, projet,filière scientifique, second degré secondaire, licence de l'université, enseignement, débutant,
Burundi, France
1Les textes officiels et les manuels scolaires
2Title :
Teaching computer knowledge to beginners, in scientific secondary school and university in France: a comparative approachAbstract:
This thesis questions the teaching and learning of computer knowledge to beginners in France. It aims
to understand how beginners implement and build computer knowledge. We used a qualitative methodology mobilizing ethnographic observations, questionnaire, semi-structured interviews and theanalysis of official instructions and textbooks. We also conducted a comparative study of the practice
of both school and university students, on the one hand, and teachers, on the other hand.Results show contrasting situations between secondary schools and university. In high school,
algorithmic curricula exist within mathematic education. In this case, practice is influenced by four
factors: motivation (related to representation), professional development for teachers, youth in
business and pedagogical approach. The practice mainly focuses on a logical approach to algorithmicusing work paper and pencil: programming is limited, and when it occurs, it is often with a calculator
but rarely with the Algobox language. Among students, algorithms are perceived as a new domain in the mathematics programs, but different from both mathematics and informatics. Very good studentsin computing are generally good at math. Another elective course, specifically about informatics, has
also been recently implemented for grade 12 students. It welcomes students of all profiles, but withdifferent motivations, from the discovery of computers in a formal context to a shelter against other
elective courses: their practices are manyfold. Within ISN, they discover computers through various forms of education and problems of increasingcomplexity. Teacher practice is influenced by their original education, with a lack of experience for
non specialists teachers. At the University level, students show more advanced practice. They produce computer programs areoften sophisticated and incorporate elements from various external sources. The mathematics
knowledge invested by students is often modest. In addition to teacher's training, motivation is fundamental to adhere to this teaching/learning and support practice, both for teachers and students. Keywords : informatics knowledge, algorithmics, mathematics, educational robotics, scienti- fic learning, secondary education, higher education, Burundi, France 3Dédicace
À mon épouse et mes enfants qui ont supporté mon absence durant toute la période des études de master et de doctorat et m'ont encouragé à aller jusqu'au bout ; À mes parents, pour l'éducation qu'ils nous ont donnée ;À mes frères et soeurs, pour l'unité et la solidarité qui les ont toujours caractérisés ;
À mes amis et voisins, pour avoir été proches de ma petite famille en mon absence ;Je dédie cette thèse de doctorat.
4Remerciements
L'aboutissement de cette thèse de doctorat est le fruit du travail et de l'accompagnement de nom- breuses personnes que j'ai la joie de remercier.Mes vifs et sincères remerciements sont particulièrement adressés à Georges Louis Baron, directeur
de cette thèse. Votre disponibilité pour accompagner ce travail, vos conseils constructifs et vos en-
couragements tout au long de son déroulement d'une part et votre rigueur scientifique d'autre part,
ont contribué pour un meilleur achèvement.Mes remerciements s'adressent aussi à Mariam Haspekian, codirectrice de cette thèse. C'est avec
vous que j'ai commencé ma première publication. Vos conseils et votre rigueur scientifique m'ont été
d'un grand atout pour ce travail et me seront fort utiles pour la suite. Merci d'avoir accepté de codiri-
ger cette recherche.Je suis très reconnaissant à l'égard d'Éric Bruillard. C'est vous qui m'avez inspiré le goût de la re-
cherche en master 2 et qui m'avez accompagné jusqu'à aujourd'hui. Que cette étape franchie soit
votre satisfaction. Merci aussi d'avoir accepté d'être rapporteur de cette thèse de doctorat.
Mes remerciements vont également à l'endroit de Vassilis Komis pour avoir accepté de lire ce travail.
Merci d'avoir accepté de faire partie du Jury et d'évaluer ce travail.Mes remerciements sont aussi adressés à Béatrice Drot-Delange. Vous avez très tôt accepté de faire la
relecture de ma thèse. Merci pour votre disponibilité et d'avoir accepté de faire partie du Jury d'éva-
luation de ce travail.Je remercie aussi toutes les personnes qui ont contribué d'une façon ou d'une autre à ce que ce travail
aboutisse : les enseignants, les élèves et les étudiants qui ont été disponibles pour le recueil des don-
nées et tous ceux qui ont gentiment accepté de faire la relecture de cette thèse.Mes remerciements s'adressent aussi aux conseillers principaux d'éducation du Lycée Gustave Eiffel,
y compris Monsieur Védy qui n'est plus dans ce lycée, pour toutes les facilités mises à ma disposition
durant cette thèse et, aux surveillants pour leurs encouragements. Je suis très reconnaissant aux labo-
ratoires EDA et STEF pour leurs accompagnements dans mes premiers pas de chercheur.Enfin, un grand remerciement est adressé au Gouvernement du Burundi pour avoir financé mes
études de master et de doctorat.
Les mots me manquent pour exprimer les remerciements que vous méritez. Je préfère le dire en cette
courte phrase : Que Dieu vous bénisse. 5Sigles et abréviations
ACM : Association for Computing Machinery
AFDI: Association Francophone pour la Didactique de l'Informatique AFSTIS: Association Française des Sciences et Technologies de l'Information et desSystèmes
AUF: Agence Universitaire de la Francophonie
B2i : Brevet Informatique et Internet
BEPC : Brevet d'Études du Premier Cycle
BTS : Brevet de Technicien Supérieur
CAPES : Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement du Second degréCAS : Computer At School
CDI : Centre de Documentation et d'Information
CE : Computer Engineering
CEPGL : Communauté économique des pays des Grands LacsC2i : Certificat Informatique et Internet
CERI : Centre pour la Recherche et l'Innovation dans l'Enseignement CNDP : Centre National de Documentation Pédagogique CNRS: Centre National pour la Recherche ScientifiqueCOMESA: Commun Market for East and South Africa
CONFEMEN : Conférence des Ministres de l'Éducation des pays ayant le français en partage CPGE : Classes Préparatoires aux Grandes ÉcolesCRI : Centre de Recherches et d'Innovation
CS: Computer Science
CSTA: Computer Science Teacher's Association
DEST : Diplôme d'Études Supérieures Techniques DGPC : Direction Générale de la Programmation et de la CoordinationDUT: Diplôme Universitaire de Technologie
EAC: East African Community
EAO : Enseignement Assisté par Ordinateur
EIAH: Environnement Informatique d'Apprentissage HumainENS: École Normale Supérieure
EPI : Enseignement Public et Informatique
6 ESPE : Écoles Supérieures de Professorat et de l'ÉducationIDH : Indice de Développement Humain
IMO: International Mathematic Olympiad
INRIA : Institut National de Recherches en Informatique et AutomatismeINSP : Institut National de Santé Publique
IOI: International Olympiad in Informatics
IPA: Institut de Pédagogie Appliquée
ISCA : Institut Supérieur des Cadres MilitairesISN : Informatique et Sciences du Numérique
IUT : Instituts Universitaire de Technologies
Li : Licence i (i := 1, 2 ou 3)
LSE: Langage Symbolique d'Enseignement
MEPS : Ministère de l'Enseignement Primaire et secondaireMIT : Massachussetts Institute Technology
MIAGE : Maîtrise d'Informatique Appliquée à la Gestion OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Économique PASEC : Programme d'Analyse des Systèmes Éducatifs de la CONFEMENPIB : Produit Intérieur Brut
PIT : Plan Informatique pour Tous
RP : Robotique Pédagogique
SI : Sciences de l'Ingénieur
SIF : Société Informatique de France
SILO : Science Informatique au Lycée : Oui !
SGEN : Syndicat Général de l'Éducation Nationale SPECIF : Société des Personnels Enseignants et Chercheurs en Informatique de France STEF: Sciences Technologies Éducation Formation STIC : Sciences et Technologies de l'Information et de CommunicationSVT : Sciences du Vivant et de la Terre
TI : Technologies de l'Information ou Texas InstrumentsUB : Université du Burundi
ULC : Université Laval du Canada
ULB : Université Lumière de Bujumbura
ZPD : Zone Proximale de Développement
7Sommaire
Sigles et abréviations.................................................................................................................6
INTRODUCTION GÉNÉRALE.............................................................................................10
1. Le numérique comme élément de culture et de formation des scientifiques..................12
2. Quelle informatique et comment l'enseigner aux débutants de niveau lycée ou
supérieur ?...........................................................................................................................14
3. Contexte et questionnement............................................................................................16
PREMIÈRE PARTIE : L'INFORMATIQUE ET SON ENSEIGNEMENT CHEZ LESChapitre I CADRE CONCEPTUEL........................................................................................21
1. Les jeunes face au numérique : quelles appropriations pour quels usages ?..................21
2. Le choix d'une approche systémique..............................................................................30
3. Aperçu sur le concept d'activité......................................................................................33
4. Différentes théories de l'activité ?..................................................................................37
6. Notre cadre théorique : TA adaptée au contexte de projets............................................46
Chapitre II PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE......................................................48
1. Enseignements de l'informatique au lycée : des questions insistantes...........................48
2. Enseignement de l'informatique en licence : contexte et éléments de problématique...52
3. Une discipline informatique sans enseignants spécialisés ?...........................................62
4. Méthodologies et données recueillies : le choix d'une approche qualitative..................66
5. Rappel des questions de recherche et hypothèses...........................................................80
Chapitre III REGARDS SUR L'INFORMATIQUE ET SON ENSEIGNEMENT ENFRANCE : Une histoire ancienne faite d'une série de faux départs.......................................82
1. Niveau supérieur : débuts et reconnaissance de la discipline informatique....................82
2. Regards sur l'informatique dans l'enseignement de second degré.................................83
3. Au coeur du débat : algorithmique et programmation...................................................106
4. Enseignement de l'informatique en marge du système scolaire...................................110
5. Situation internationale : analyse comparative.............................................................119
6. Conclusion....................................................................................................................123
Chapitre IV RECHERCHES EN DIDACTIQUE DE L'INFORMATIQUE : REVUE DE1. Recherches et classification thématique.......................................................................125
2. Concepts informatiques incontournables pour débutants.............................................145
3. Zoom sur les concepts de variable et de boucle informatiques.....................................148
4. Représentation mentale des systèmes informatiques....................................................160
5. Conclusion du chapitre..................................................................................................164
DEUXIÈME PARTIE : PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS............166 Chapitre V TEXTES OFFICIELS ET MANUELS CONCERNANT L'INFORMATIQUE1. Les textes officiels........................................................................................................167
82. Manuels scolaires de lycée............................................................................................184
3. Conclusion sur les textes officiels et les manuels de lycée...........................................195
Chapitre VI ENSEIGNEMENT DE L'ALGORITHMIQUE AU LYCÉE...........................1961. Les enseignants.............................................................................................................196
2. Le point de vue des élèves............................................................................................209
3. Conclusion du chapitre..................................................................................................220
Chapitre VII ENSEIGNEMENT ET APPRENTISSAGE DE L'OPTION ISN...................2231. Rappel des questions et hypothèses de recherche.........................................................223
2. Apprentissages des élèves en ISN.................................................................................224
3. Représentations et pratiques des enseignants d'ISN.....................................................240
4. Discussion et conclusion...............................................................................................248
Chapitre VIII NIVEAU LICENCE : Apprendre l'informatique par la programmation des1. Contexte........................................................................................................................255
2. Cas des robots LEGO MINDSTORMS NXT en licence 2...........................................255
3. Cas des robots NAO en licence 3..................................................................................263
4. Conclusion du chapitre..................................................................................................285
Chapitre IX DISCUSSION GÉNÉRALE, CONCLUSION ET PERSPECTIVES...............2871. Limites de la thèse.........................................................................................................287
2. Discussion générale.......................................................................................................290
3. Conclusion....................................................................................................................312
4. Perspectives : Enseignement de l'informatique au Burundi. Quelles leçons tirer des
choix français ?.................................................................................................................317
Index des auteurs cités...........................................................................................................357
Index des tableaux.................................................................................................................360
Index des illustrations............................................................................................................361
9INTRODUCTION GÉNÉRALE
" Ne nous trompons pas de combat : le premier que nous autres informaticiens avons à mener est celui de l'enseignement à tous d'un savoir et d'un savoir-faire informatique suffisants » (Maurice Nivat, 2009, p. 37)Le présent travail s'intéresse à l'enseignement et apprentissage de l'informatique pour débu-
tants en France au début du XXIᵉ siècle. Le sujet auquel nous avons consacré ces quatre an-
nées de thèse s'est constitué progressivement. Sa genèse se situe en 2010 lors de la rencontre
avec Monsieur Éric Bruillard et Madame Françoise Tort en master 2 au laboratoire STEF de l'ENS de Cachan.Alors que l'enseignement de l'informatique en mathématiques au lycée en France venait
d'être institué depuis 2009, la volonté de découvrir les liens entre l'enseignement des mathé-
matiques et de l'informatique et ma posture de spécialiste en enseignement des mathéma- tiques m'ont poussé à un choix d'un sujet de mémoire portant sur une exploration de cet enseignement de l'informatique dans le cours de mathématiques. Au cours de cette année de Master, les rencontres avec Monsieur Georges Louis Baron dansles séminaires de formation m'ont permis de découvrir son intérêt pour les technologies édu-
catives et les apprentissages instrumentés, ce qui a fortifié mon ambition d'approfondir le su-
jet antérieurement commencé dans le cadre d'une thèse de doctorat. L'institutionnalisationd'une discipline de spécialité " informatique et sciences du numérique » (ISN) au lycée en
2012 dans des lycées généraux, a changé la donne avec un nouveau un cadre contextuel. La
mise en place de cette spécialité a motivé davantage mon rêve étant donné que ces enseigne-
ments - informatique en mathématiques et informatique de spécialité - sont en général assu-
rés par des spécialistes des mathématiques. Baron a bien accepté d'encadrer cette recherche, en relation avec Mariam Haspekian. Pourcette dernière, j'avais déjà lu ses travaux de recherche sur l'instrumentation de l'enseignement
des mathématiques par le tableur, dans le cadre de cours de master.Au début, je pensais faire cette étude seulement au niveau du lycée, où les élèves sont totale-
ment débutants en informatique. Les difficultés d'accès au terrain ont poussé à un élargisse-
ment de cette étude à l'enseignement supérieur. Cet élargissement s'est, par la suite, avéré
10intéressant pour l'étude étant donné que les étudiants de licence, eux aussi, débutent en infor-
matique : ils n'ont pas connu une quelconque initiation disciplinaire à l'informatique dansleur scolarité obligatoire. L'existence de deux niveaux différents de l'enseignement de l'infor-
matique pour débutants, a donc permis de conduire la recherche dans une orientation didac- tique de l'informatique avec l'utilisation d'une approche comparative. L'informatique est à la fois une science autonome et un ensemble d'instruments. Actuelle-ment, grâce à elle, des progrès spectaculaires sont réalisés dans presque tous les domaines.
Pour Maurice Nivat, l'informatique est " une science pleine d'avenir ». Pourtant, plus d'un demi-siècle après sa reconnaissance (Baron & Bruillard, 1996), son enseignement commediscipline dans la scolarité de l'enseignement général n'est pas encore généralisé dans tous
les pays, même ceux industrialisés, y compris la France. Beaucoup de pays manquent de spécialistes d'informatique. Et parfois là où ils en existent,ils sont qualitativement insuffisants : ils ne possèdent pas de compétences nécessaires en in-
formatique pour faire face aux défis de recherches actuelles. Ceci entraîne plusieurs consé-
quences parmi lesquelles un enseignement précoce de l'informatique. L'absence del'enseignement de l'informatique très tôt chez des jeunes scolarisés implique le développe-
ment tardif des vocations scientifiques nécessaires voire indispensables pour des situations de recherches exigeant des connaissances scientifiques et des compétences technologiques de plus en plus avancées (Nivat, 2009). L'informatique, devenant une composante de la vie citoyenne, le contexte technologique a fi- nalement suscité une prise de conscience institutionnelle dans beaucoup de pays sur la néces-sité d'offrir une culture informatique à tous ses citoyens, des plus jeunes aux plus âgés. Dans
le cas de la France, la volonté de développer cette culture informatique pour tous, s'est aussi
récemment accompagnée de la mise en place d'un enseignement de savoirs informatiques dans le cours de mathématiques en 2009 et même d'une spécialité informatique optionnelle dans des lycées généraux scientifiques en 2012 (Drot-Delange, 2012). Cette recherche s'intéresse à la situation de cet enseignement et interroge les apprentissages des étudiants de licence en informatique et des lycéens de filière scientifique. 111. Le numérique comme élément de culture et de formation des
scientifquesLa culture numérique entre de plus en plus dans la culture générale des citoyens et tend à en
faire une partie composante. Cette culture repose sur l'informatique devenue une science multiforme. En effet," au fil des années, un consensus s'est progressivement dégagé surl'idée que l'informatique était désormais une composante de la culture générale de l'" hon-
nête homme » de notre époque et, à ce titre, un élément de la culture générale scolaire » (Ar-
chambault, 2009).À force d'être partout, l'informatique est devenue, non seulement participante mais aussi incontournable dans la vie quotidienne de tout homme.Auvu de ce contexte, G.Berry (2005)2 parle de " révolution numérique ». C'est un monde qui exige aux citoyens contemporains un mode de vie un peu particulier : l'acquisition d'un minimum de connaissances informatiques pour ne pas vivre dans" une nouvelle forme d'illettrisme »3. Selon Berry, cette révolution bouleverse tous les secteurs de la vie socio-économique, scien-tifique, culturelle... Loin de s'arrêter, elle va et ira plutôt en s'amplifiant affectant la vie des
citoyens en général et celle des jeunes en particulier :" on n'a encore rien vu, on n'en estqu'au début », ajoute-t-il, en soulignant l'urgente nécessité de l'enseignement de l'informa-
tique depuis tôt jusque plus tard. Pour lui, ce n'est pas en utilisant les technologies conçues
par d'autres qu'on devient créateur mais en comprenant leurs fondements et le mode tech- nique de la science informatique.Actuellement, l'informatique n'est pas seulement un élément de culture générale citoyenne,
mais elle constitue aussi l'un des plus grands débouchés d'emplois dans le monde. Son ensei-gnement au lycée semble donc une nécessité, tant la place de cette discipline devient de plus
en plus grande dans tous les secteurs de la vie, mais aussi comme outils de compréhension duMonde4.
Néanmoins, les systèmes éducatifs des divers pays ont eu de la peine à prendre la mesure de
cette discipline-carrefour, entre technologie et science autonome, en évolution constante et2Il est " professeur d'informatique, titulaire de la chaire Algorithmique, machines et langages au Collège de
France - première chaire dans le domaine de l'informatique -, et lauréat 2014 de la médaille d'or du
CNRS » : http://www.adjectif.net/spip/spip.php ? breve642, site consulté le 20 février 2015
3Archambault, J.P, se référant aux travaux antérieurs de M. Lévy et J. P. Jouvet, compare actuellement
l'incapacité à l'usage des TIC comme une nouvelle forme d'illettrisme aussi handicapante que ne pas savoir
lire et écrire 12 dont les contours ont beaucoup varié au cours du temps (Baron, 2012). Au sein d'un même pays, diverses approches sont souvent mises en oeuvre. En France, deux courants en tension se sont opposés5. D'un côté, il y a un courant de ceuxqui prônaient une culture numérique acquise par l'approche " outil » de l'informatique, tour-
née vers des utilisations de l'informatique dans les disciplines déjà existantes. De l'autre cô-
té, ceux qui défendaient une approche " objet » de l'informatique, mettant en avant une
introduction d'une discipline informatique à l'instar des autres disciplines du lycée. Berry(2008), l'un des défenseurs de ce courant, déplore le retard de l'école française dans l'accom-
pagnement des élèves, citoyens et futurs travailleurs, dans l'acquisition de la culture informa-
tique, actuellement incontournable :" L'enseignement en collège, lycée, classes préparatoires, grandes écoles (pas en faculté)
est très en retard à la fois par rapport à la réalité informatique mais aussi par rapport à
lapratique des jeunes. On est toujours dans la confusion entre apprendre à utiliser l'or- dinateur et comprendre les notions et concepts de l'informatique ». Après beaucoup de plaidoyers en faveur d'un enseignement de l'informatique au lycée, desréformes de programmes d'enseignement ont été opérées. La première étape a été l'introduc-
tion d'éléments d'algorithmique dans le programme de mathématiques en classe de secondedans les sections scientifiques depuis l'année scolaire 2009. La deuxième étape a été l'ouver-
ture de l'enseignement du numérique au lycée après la classe de seconde (Cabane, 2012).D'abord, il s'agit de la spécialité SIN (Système d'Information et Numérique) de la série
STI2D (Sciences et Technologies de l'Industrie et du Développement Durable) et d'autrepart, de la spécialité ISN (Informatique et Sciences du Numérique) pour les élèves de la
classe de terminale. Des attentes de ces nouveaux enseignements au niveau du lycée sontgrandes : ces spécialités ont pour but de répondre au manque de bacheliers qui vont s'orienter
vers les études scientifiques de l'enseignement supérieur telles que dans les domaines des sciences et technologies du numérique, de l'information et de la communication, précise Ca- bane (ibid.). Bien que ces enseignements, déjà en application, n'offrent pas une culture nu-mérique améliorée à tous les élèves avant leur obtention du baccalauréat, une nette impulsion
est attendue dans le cadre de l'enseignement du numérique et de l'informatique en France. informatique-cest-un-changement.html, site consulté le 27 octobre 2014 13Cette thèse de doctorat s'inscrit dans ce contexte et s'intéresse à l'enseignement/apprentis-
sage de l'informatique chez les débutants6. Par une approche comparative, l'étude vise à rendre compte des modalités d'appropriations des savoirs informatiques de base chez les dé- butants. Elle s'intéresse aux pratiques d'apprentissages chez les lycéens scientifiques (de laclasse de seconde à la terminale) et les étudiants de licence informatique en France. Il est in-
téressant de mieux comprendrece qui se passe aussi à l'université parce que les étudiants de
licence, bien que non débutants complets en informatique, sont proches des lycéens en filière
scientifique. Tout comme ces derniers, les étudiants n'ont connu aucune initiation scolaire à l'informatique avant l'entrée à l'université.2. Quelle informatique et comment l'enseigner aux débutants de niveau
lycée ou supérieur ? Michel Beaudouin-Lafon (2010, p. 52) souligne un manque d'unanimité sur la nature de l'in- formatique à enseigner aux débutants dans la scolarité obligatoire. " La réflexion sur ce qu'il faudrait apprendre de l'informatique dans les collèges et ly- cées passe d'abord par une réflexion de ce qu'est l'informatique en tant que science.Je sais d'expérience que les idées évoquées ci-dessus sont loin d'être partagées par
l'ensemble de la communauté informatique, notamment francophone, sans doute à cause du poids important de la filiation mathématique de l'informatique dans notre pays, que l'on voit reflété dans les propositions telles que celles de Gérard Berry ouGilles Dowek »
Aujourd'hui, l'informatique est une science. Elle comprend des terminologies et des concepts divers. Sa construction, comme d'ailleurs celle de la discipline scolaire informa- tique, a été longue, progressive et plurielle (Baron & Bruillard, 2001) : la science informa- tique était d'abord conçue comme un ensemble de méthodes et de techniques, unifiées parl'ordinateur. Quant à son enseignement, il a toujours posé de difficultés, prenant des formes
et des approches diverses. Jacques Arsac quiplaide pour une introduction de la science infor- matique dans l'enseignement général, trouve que,comme toute discipline," enseigner l'in-6Nous considérons comme débutants en informatique les lycéens qui sont en situation d'initiation à
l'informatique. Ils n'ont jamais connu dans leur cursus de scolarité, aucune formation discipline scolaire à
l'informatique. 14formatique, c'est faire que l'élève maîtrise ses concepts, et puisse les identifier dans une ap-
plication concrète » (Arsac, 1993). Pour Félix Paoletti, l'enseignement de l'informatique doit couvrir trois dimensions (Paoletti,1993) : une dimension scientifique, une dimension technique et une dimension sociétale. Ces
dimensions de l'informatique ont un caractère universel. Récemment, Steve Furber7 (Furber,2012) distingue et développe ces dimensions en trois formes d'informatique proposées pour
enseignement au Royaume Uni : la science informatique, la technologie de l'information etla culture numérique. La première forme - science informatique - recouvre à elle seule, selon
les pays, différentes terminologies (Gander et al., 2013) : " Computer science » (CS), commela terminologie dominante aux États unis ; " Computer Science » et " Informatics » deux ter-
minologies plus fréquentes en Europe et,datalogie en Scandinavie (Arsac, 1989) .La deuxième forme est la technologie de l'information - " Information technology » (IT) - qui consiste en un enseignement spécifique des utilisations des technologies. La troisième formeest la culture numérique - " digital literacy ». Située entre les deux premières formes, elle
consiste en l'utilisation des logiciels pour enseigner d'autres disciplines. La science informatique, comme beaucoup d'autres sciences tant scientifiques qu'humaines et sociales, a ses caractéristiques. L'association britannique CAS (" Computer At School ») la définit comme une discipline avec les cinq caractéristiques suivantes : (1) un corps deconnaissances qui comprend un cadre théorique où les idées et les concepts sont circonscrits,
(2) un ensemble rigoureux de techniques et de méthodes, (3) une façon de raisonner et de fonctionner, donc un courant paradigmatique, (4) un ensemble stable de concepts et, (5) une indépendance aux technologies spécifiques.Comme déjà précisé, les formes " CS » et " IT » de la science informatique sont à la fois
complémentaires et différentes8. Les concepts spécifiques de chacune d'elle permettent de les
caractériser et les distinguer. Définie comme une discipline rigoureuse, la science informa- tique (" CS ») se compose de deux types de concepts stables (Furber, 2012) : •des concepts qui sont au coeur de la méthode de la science informatique : programme, algorithme, structures de données, architecture et communication ;7Il est professeur de génie informatique à l'École des sciences informatiques à l'Université de Manchester :
01-12-Computing-in-Schools.pdf, Site consulté le 21 janvier 2014
8http://www.computingatschool.org.uk/data/uploads/ComputingCurric.pdf, Site consulté le 21 janvier 2014
15 •des concepts qui sont à la base de la pensée informatique et qui interviennent lors dela résolution des problèmes : la modélisation, la décomposition, la généralisation et la
conception, l'écriture, le test, l'explication et le débogage des codes informatiques. Définie comme une étude des applications des systèmes informatiques et des usages des logi-ciels pré-existants, la technologie de l'information, quant à elle, est une partie de la science
informatique avec ses caractéristiques propres.Un enseignement de l'informatique au lycée est une nécessité justifiée par la place et l'intérêt
de cette science dans tous les secteurs de la vie. Pour GillesDowek (2005), cette discipline aurait pour but principal l'" enseignement d'un langage de programmation et d'algorithmes de base, avec l'objectif de savoir écrire un programme au moment de passer son bac.». Dans cet enseignement, l'apprentissage de l'algorithmique et la programmation serait prioritaire pour leur apport important pour les lycéennes et lycéens dans leur développement intellec- tuel. Certaines des potentialités permises sont soulignées : une approche de projets, une miseen application des savoirs acquis, un pont entre le langage et l'action et un intérêt pour la ri-
gueur scientifique. Dans le point suivant, nous abordons la problématique à l'origine de la recherche et qui sera plus développée dans la deuxième partie de la thèse.3. Contexte et questionnement
Aujourd'hui, un enseignement de notions informatiques est entré au lycée scientifique en France. Mais, tout comme les notions algorithmiques ont été introduites dans le cours de ma-thématiques, la discipline informatique est en général confiée aux non-spécialistes de l'infor-
matique et particulièrement aux enseignants des mathématiques. Deux problèmes se posent.Le premier problème est que les élèves à qui ces programmes d'enseignement sont destinés
n'ont jamais connu une quelconque initiation scolaire à l'informatique. Cela interroge leurscompétences à s'approprier un tel enseignement. Le deuxième problème est relatif aux ensei-
gnants à qui cet enseignement est confié. Étant des spécialistes des mathématiques, l'institu-
tion suppose que les enseignants de mathématiques sont capables d'enseigner les notionsinformatiques en général et l'algorithmique en particulier. Ce qui n'est pas toujours vrai car,
malgré leur rapprochement, les deux disciplines - mathématiques et informatique- ont les ob- jectifs qui restent assez différents. 16 Comment des débutants en informatique construisent et mettent en application ces savoirs in- formatiques dans un tel contexte ? La situation semble évoluer avec l'ISN : des enseignants volontaires, issus des autres spécia-lités, ont été choisis pour conduire cet enseignement. Néanmoins, attribuer un enseignement
d'une discipline informatique aux non-spécialistes par la simple raison qu'ils sont volontaireset ont une certaine familiarité avec l'informatique, ne serait-il pas une utopie ? Ces critères
suffisent-ils pour garantir un succès de son enseignement ?La situation semble similaire en début d'université. Jusqu'à présent, les étudiants de licence
qui commencent l'université, n'ont jamais connu d'initiation scolaire à l'informatique. À la
seule différence qu'en licence informatique, leurs professeurs sont des spécialistes d'infor-matique, les étudiants en début d'université, sont dans les mêmes conditions que les lycéens
du point de vue de leurs bagages informatiques. Ils ont été donc tous considérés comme dé-
butants en informatique. Cette similarité de ces deux publics du point de vue de l'informatique nous a interpellé pourconduire notre étude de façon comparative sur les deux niveaux : lycée scientifique général
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