[PDF] BACCALAURÉAT - SESSION 2020



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Lalla secoue la tête Elle est heureuse parce que c’est tout

sur le sable de la plage Tous les enfants et Lalla regardent les mains de Naman « Alors il est arrivé quelque chose de terrible dans ce royaume, continue Naman Il est arrivé une grande sécheresse, un fléau de Dieu sur tout le royaume, et il n’y avait plus d’eau dans les rivières, ni dans les réservoirs,



[Lalla, née dans le désert, a vécu une enfance heureuse dans

[Lalla, née dans le désert, a vécu une enfance heureuse dans le bidonville d'une grande cité marocaine Adolescente, elle est obligée de fuir et se rend à Marseille Elle y découvre la misère et la faim, " la vie chez les esclaves " ] Lalla continue à marcher, en respirant avec peine La sueur coule toujours sur son



Désert, espace poétique des contradictions

Hawa’, pense Lalla, une seule fois, parce que cela est drôle, et lui fait du bien, comme un sourire, après tant de souffrance Puis elle attend, sans impatience, que vienne quelqu’un de la Cité des planches et du papier goudronné, un jeune garçon pêcheur de crabes, une vieille à la chasse au bois mort, ou bien une petite fille qui



Premier Amour Est Toujours Le Dernier

Certains l’appelaient Lalla Sakina, comme si elle Il y avait quelque chose d’indécent et en même temps de provocant Je dois rentrer Mon père m’attend



REVUE DES DEUX MONDES , 1st August 1868, pp 754-767

dit-elle quelque, chose : la musique d’Herculanum vous laisse froid Pour remplacer le caractère absent, nulle furie, nul entrain, aucun de ces grands coups de brosse qui, dans les peintures simplement décoratives, réjouissent les yeux et font taire en vous le sens critique



i Libri della Quercia

quelque chose de nouveau dans le domaine très com-pliqué des disciplines magiques Et des découvertes, elle en avait fait beaucoup, dont certaines avaient fait accomplir des pas de géant à la société des Magiques, améliorant énormément la qualité de vie de chacun d’eux Mais Lilla dei Sentieri ne s’y connaissait pas



BACCALAURÉAT - SESSION 2020

quelque chose sur le collier J’ai parlé plus fort Alors sans se retourner, il m’a répondu avec une sorte de rage rentrée : « Il est toujours là » Puis il est parti en tirant la bête qui se laissait traîner sur ses quatre pattes, et gémissait Albert Camus, L’étranger, 1942



Cahier dectivltes, p 54

Cahier d'activites, p 56 Acfivite 2 2, exercice 1 Corrige Les stagiaires font part des difficultes qu'ils eprouvent a utiliser Ie telephone pour prendre un rendez-vous aupres d'un professionnel de



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quelque chose à OT301 36 Bourbon Street Leidsekruisstraat 6-8 Ce sympathique bar niché dans le quartier animé de Leidseplein accueille tous les soirs de la semaine des groupes de musique éclectiques et internationaux 28 Bar Botanique / ATYPIQUE Eerste Van Swindenstraat 581 Petit bijou envahi de plantes, ce bar-restaurant vaut le coup d

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1BACCALAURÉAT - SESSION 2020 ÉPREUVES ANTICIPÉES DE FRANÇAIS 2019 DESCRIPTIF DES LECTURES ET ACTIVITÉS DE LA CLASSE Établissement : COURS BASTIDE - MARSEILLE Série : ES Nom et prénom de la candidate ou du candidat : Professeur responsable : M. DELOFFRE Alain Signature de l'enseignant : Signature du chef d'établissement:

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9SÉQUENCE 1 LE PERSONNAGE ROMANESQUE ET LA VILLE On étudie dans ce groupement la manière dont les romanciers modernes inscrivent leurs personnages dans un environnement urbain révélateur. LECTURES ANALYTIQUES Quatre textes

10 LE PERSONNAGE ROMANESQUE ET LA VILLE LECTURE ANALYTIQUE 1 En montant, dans l'escalier noir, j'ai heurté le vieux Salamano, mon voisin de palier. Il était avec son chien. Il y a huit ans qu'on les voit ensemble. L'épagneul a une maladie de peau, le rouge, je crois, qui lui fait perdre presque tous ses poils et qui le couvre de plaques et de croûtes brunes. À force de vivre avec lui, seuls tous les deux dans une petite chambre, le vieux Salamano a fini par lui ressembler. Il a des croûtes rougeâtres sur le visage et le poil jaune et rare. Le chien, lui, a pris de son patron une sorte d'allure voûtée, le museau en avant et le cou tendu. Ils ont l'air de la même race et pourtant ils se détestent. Deux fois par jour, à onze heures et à six heures, le vieux mène son chien promener. Depuis huit ans, ils n'ont pas changé leur itinéraire. On peut les voir le long de la rue de Lyon, le chien tirant l'homme jusqu'à ce que le vieux Salamano bute. Il bat son chien alors et il l'insulte. Le chien rampe de frayeur et se laisse traîner. À ce moment, c'est au vieux de le tirer. Quand le chien a oublié, il entraîne de nouveau son maître et il est de nouveau battu et insulté. Alors, ils restent tous les deux sur le trottoir et il s se regarden t, le chien ave c terreur, l'homme avec haine. C'est ainsi tous les jours. Quand le chien veut uriner, le vieux ne lui en laisse pas le temps et le tire, l'épagneul semant derrière lui une traînée de petites gouttes. Si par hasard, le chien fait dans la chambre, alors il est encore battu. Il y a huit ans que cela dure. Céleste dit toujours que " c'est malheureux », mais au fond, personne ne peut savoir. Quand je l'ai rencontré dans l'escalier, Salamano était en train d 'insulter son chie n. Il lui disait : " Salaud ! Charogne !» et le chien gémissait. J'ai dit : " Bonsoir », mais le vi eux insultai t touj ours. Alo rs je lui ai demandé ce que le chien lui avait fait. Il ne m'a pas répondu. Il disait seulement : " Salaud ! Charogne !» Je le devinais, penché sur son chi en, en tra in d'a rranger quelque chose sur le collier. J'ai parlé pl us fort. Alors sans se retourner, il m'a répondu avec une sorte de rage rentrée : " Il est toujours là. » Puis il est parti en tirant la bête qui se laissait traîner sur ses quatre pattes, et gémissait. Albert Camus, L'étranger, 1942.

11 LECTURE ANALYTIQUE 2 [Lalla, née dans le désert, a vécu une enfance heureuse dans le bidonville d'une grande cité marocaine. Adolescente, elle est obligée de fuir et se rend à Marseille. Elle y découvre la misère et la faim, " la vie chez les esclaves ".] Lalla continue à marcher, en respirant avec peine. La sueur coule toujours sur son front, le long de son dos, mouille ses reins, pique ses aisselles. Il n'y a personne dans les rues à cette heu re-là, seulement quelques chiens au poil hérissé , qui rongent leurs os en grogn ant. Les fenê tres au ras du sol sont fermées par des grillages, des barreaux. Plus hau t, les vol ets sont tirés, les maiso ns semblent abandonnées. Il y a un froid de mort qui sort des bouches des soupirails, des caves, des fenêtres noires. C'est comme une haleine de mort qui souffle le long des rues, qui emplit les recoins pourris au bas des murs. Où aller ? Lalla avance lentement de nouveau, elle tourne encore une fois à droite, vers le mur de la vieille maison. Lalla a toujours un peu peur, q uand ell e voit ces gran des fenêtres garni es de barreaux, parce qu'elle croit que c'est une prison où les gens sont morts autrefois ; on d it même que la nuit, parfois, on entend les gémissements des prisonniers derrière les barreaux des fenêtres. Ell e descend m aintenant le long de la rue des Pistol es, toujours déserte, et par la traverse de la Charité, pour voir, à travers le portail de pierre grise, l'étrange dôme rose qu'elle aime bien. Certains jours elle s'assoit sur le seuil d'une maison, et elle reste là à regarder très longtemps le dôme qui ressemble à un nuage, et elle oublie tout, jusqu'à ce qu'une femme vienne lui demander ce qu'elle fait là et l'oblige à s'en aller. Mais aujourd'hui, même le dôme rose lui fait peur, comme s'il y avait une menace derrière ses fenêtres étroites, ou comme si c'était un tombeau. Sans se retourner, elle s'en va vite, elle redescend vers la mer, le long des rues silencieuses. J.M.G. Le Clézio, Désert, 1980.

12 LECTURE ANALYTIQUE 3 Ici marche Christine, le long des hauts immeubles, sans regarder, sans s'arrêter. Elle est grande et svelte, surtout avec son jean de velours noir et ses bottes courtes à talons très hauts. Elle porte aussi une veste de plastique blanc sur un pull rayé rouge et blanc. Ses cheveux blonds sont noués en queue de cheval, et elle a des boucles en métal doré qui pincent les lobes de ses oreilles. Le vent froid balaie la rue sans fin, venu de la mer, là-bas, de l'autre côté des collines, et qui remonte la vallée du fleuve en soulevant des poussières. C'est encore un vent d'hiver, et Christine se serre dans sa veste de plastique, elle ferme le col avec sa main droite, tandis qu'elle enfonce sa main gauche dans la poche arrière du pantalon, sur sa fesse. Il y a tant de silence qu'elle entend le bruit de ses talons résonner à travers tous les dédales des parkings, sur tous les murs des grands immeubles, et même jusqu'au fond des caves. Mais c'est peut-être le froid qui l'empêche d'entendre autre chose. Ses talo ns cognent sur le cimen t du trottoir, en faisa nt un bruit mét allique, dur, insistant, qui résonne beaucoup à l'intérieur de son corps, dans sa tête. Tandis qu'elle marche, de temps en temps elle cherche à se voir, dans les vitres des camionnettes arrêtées, ou bien dans les rétroviseurs extérieurs des gros camions. Elle cherche à se voir, avec un peu d'anxiété, en penchant un peu la tête, les yeux plissés. Dans les petits miroirs convexes, comme au milieu d'une brume bleue, elle voit alors sa silho uette noire et bla nche qui avance comme en dansant, longues jambes, longs bras, corps é vasé aux hanches, et petit vi sage en tê te d'épingle entouré par ses cheveux co uleur d'o r. Puis le visa ge grandi t, grossit, jusqu'à se déformer un peu, long nez, yeux noirs écartés comme ceux d'un poisson, bouche couleur cerise qui sourit et montre ses dents très blanches. Autrefois, Christine aurait ri à chaque fois, devant son reflet déformé. Mais maintenant l'anxiété est trop forte, et elle cherche à refaire son vrai visage, son vrai corps, à partir de l'image grotesque, tout en fermant les yeux, lorsqu'elle a dépassé le miroir. J.M.G. Le Clézio, " Ariane », La ronde et autres faits divers, 1982.

13 LECTURE ANALYTIQUE 4 c'est juste qu'il n'aurait pas fallu mourir pour ça, une canette, pour rien, comme si on pouvait accepter qu'ils tuent, les vigiles, si c'est utile, s'ils n'ont pas le choix, on doit pouvoir se résigner à adm ettre, on peut comprendre et tolérer même si ça nous choque et nous déplaît mais là, impossible, quelque chose se dresse devant nous qu'on ne peut pas supporter, ce meurtre, un meurtre, ils se sont fait plaisir, voilà, le fond de l'affaire c'est que c'était de leur jouissance à eux qu'ils étaient coupables et pas de l'injustice de sa mort, ça, qui ni le procureur ni les journalistes ni la police ni personne n'admettra jamais, que ces types-là se soient payés sur sa tête, et ils ont tout fait pour essayer de la comprendre, cette mort, tout fait pour lui donner un sens et la trouver un peu normale, ils ont écrit des papiers, ils en ont balancé sur lui pour savoir s'il était SDF ou quoi, s'il avait des antécédents et combien de vols à la tire ? ils en ont trouvé des trucs à dire, est-ce qu'il a fait de la taule ? des gardes à vue ? combien il a fait de gardes à vue, ton frère ? et est-ce qu'il était violent et alcoolique ? tu dois le savoir, toi, qu'est-ce que tu peux dire ? il vivait en foyer, c'est ça ? dans quel foyer, avec qui ? d'allocations ? de quoi ? de petits boulots ou bien aussi il faut dire combien ton frère n'aura été que l'ombre d'un homme et qu'on ne l'aura pas vu, l'homme qu'ils ont tué, celui sur lequel ils ont frappé, on ne l'a pas vu, pas regardé, si peu, et il est vrai que ce n'est pas beau du tout à voir, surtout quand c'est encore vivant, un corps qui attend sa mort, ce qu'ils ont fait de lui et non - mais non, je ne noircis pas le tableau, je te jure, je ne noircis rien du tout, tout ça c'est vrai, comme je te le dis, et tu restes là comme un con sans même savoir combien vaut une vie, tu le sais, non ? tu ne sais pas ? eh bien, dis-toi que lui a eu le temps de comprendre le prix de la sienne, et il pourrait le dire sans risque de se tromper ni de se mettre à pleurer parce que pour lui il y a ça aussi que le temps des pleurs c'est fini, ils l'en ont débarrassé et des rires aussi bien alors, d'où il est, il pourrait dire je vaux, je valais, une vie doit valoir un peu plus qu'une bière, un pack de six ? de douze ? de vingt-quatre bières, non, tu crois ? c'est trop ? Laurent Mauvignier, Ce que j'appelle oubli, 2011.

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15 SÉQUENCE 2 LECTURE ET ÉTUDE D'UNE OEUVRE INTÉGRALE : BEL AMI De GUY DE MAUPASSANT, 1885. En se concentrant essentiellement sur la première partie du roman, on étudie le parcours de formation que Maupassant fait suivre à son personnage. Comment l'écriture romanesque en souligne-t-elle les principales étapes ? LECTURES ANALYTIQUES Six textes

16LECTURE ET ÉTUDE D'UNE OEUVRE INTÉGRALE : BEL AMI DE GUY DE MAUPASSANT, 1885. LECTURE ANALYTIQUE 1 Quand la caissière lu i eut rend u la monnaie de sa pièce de cent sous, Georg es Duroy sortit du restaurant. Comme il portait beau par nature et par pose d'ancien sous-officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d 'un geste mil itaire et familier, et jeta sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulai re, un de ces re gards de jo li ga rçon, qui s'étendent comme des coups d'épervier. Les femmes avaient levé la tête vers lui, trois petites ouvrières, une maîtresse de musique entre deux âge s, mal peignée, négligée, coiff ée d'un chapeau toujours poussiéreux et vêtue toujours d'une robe de travers, et deux bourgeoises avec leurs maris, habituées de cette gargote à prix fixe. Lorsqu'il fut sur le trottoir, il demeura un instant immobile, se demandant ce qu'il allait faire. On était au 28 juin, et il lui restait juste en poche trois francs quarante pour finir le mois. C ela représentait deux dîners sans d éjeuners, ou deux déjeuners sans dîners, au choix. Il réfléchit que les repas du matin étant de vingt-deux sous, au lieu de trente que coûtaient ceux du soir, il lui resterait, en se contentant des déjeuners, un franc vingt centimes de boni, ce qui représentait encore deux collations au pain et au saucisson, plus deux bocks sur le boulevard. C'était là sa grande dépense et son grand plaisir des nuits; et il se mit à descendre la rue Notre-Dame-de-Lorette. Il marchait ainsi qu'au temps où il portait l'uniforme des hussards, la poitrine bombée, les jambes un peu entrouvertes comme s'il venait de d escendre de cheval; et il avançait brutalement dans la rue pleine de monde, heurtant les épaules, poussant les gens pour ne point se déranger de sa route. Il inclinait légèrement sur l'oreille son chapeau à haute forme assez défraîchi, et battait le pavé de son talon. Il avait l'air de toujours défier quelqu'un, les passants, les maisons, la ville entière, par chic de beau soldat tombé dans le civil. Quoique habillé d'un complet de soixante francs, il gardait une certaine élégance tapageuse, un peu commune, réelle cependant. Grand, bien fait, blond, d'un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée, qui semblait mousser

17sur sa lèvre, des yeux bleus, clairs, troués d'une pupille toute petite, des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne, il ressemblait bien au mauvais sujet des romans populaires. C'était une de ces soirées d'été où l'air manque dans Paris. La ville, chaude comme une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées, et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêtres basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces. Guy de Maupassant, Bel Ami, I, 1, 1885.

18LECTURE ANALYTIQUE 2 Comme il arrivait au coin de la place de l'Opéra, il croisa un gros jeune homme, dont il se rappela vaguement avoir vu la tête quelque part. Il se mit à le suivre en cherchant dans ses souvenirs, et répétant à mi-voix: "Où diable ai-je connu ce particulier-là?" Il fouillait dans sa pensée, sans parvenir à se le rappeler; puis tout d'un coup, par un singulier phénomène de mé moire, le même homme lui apparu t moins g ros, plus jeune, vêtu d'un uni forme de hussard. I l s'écria tout ha ut: "Tiens, Forestier!" et, allongeant le pas, il alla frapper sur l'épaule du marcheur. L'autre se retourna, le regarda, puis dit: "Qu'est-ce que vous me voulez, monsieur?" Duroy se mit à rire: "Tu ne me reconnais pas? - Non. - Georges Duroy du 6e hussards." Forestier tendit les deux mains: "Ah! mon vieux! comment vas-tu? - Très bien et toi? - Oh! moi, pas trop; figure-toi que j'ai une poitrine de papier mâché maintenant; je tousse six mois sur douze, à la suite d'une bronchite que j'ai attrapée à Bougival, l'année de mon retour à Paris, voici quatre ans maintenant. - Tiens! tu as l'air solide, pourtant." Et Forestier, prenant le bras de son ancien camarade, lui parla de sa maladie, lui raconta les consultations, les opinions et les conseils des médecins, la difficulté de suivre leurs avis dans sa position. On lui ordonnait de passer l'hiver dans le Midi; mais le pouvait-il? Il était marié et journaliste, dans une belle situation.

19"Je dirige la politique à La Vie Française. Je fais le Sénat au Salut, et, de temps en temps, des chroniques littéraires pour La Planète. Voilà, j'ai fait mon chemin." Duroy, surpris, le regardait. Il était bien changé, bien mûri. Il avait maintenant une allure, une tenue, un costume d'homme posé, sûr de lui, et un ventre d'homme qui dîne bien. Autref ois il était maigre , mince et souple, éto urdi, casseur d'assiettes, tapageur et toujours en train. En trois ans Paris en avait fait quelqu'un de tout autre, de gros et de sérieux, avec quelques cheveux blancs sur les tempes, bien qu'il n'eût pas plus de vingt-sept ans. Forestier demanda: "Où vas-tu?" Duroy répondit: "Nulle part, je fais un tour avant de rentrer. - Eh bien , veux-tu m'accom pagner à La Vie Française, où j'ai de s épreuv es à corriger; puis nous irons prendre un bock ensemble. - Je te suis." Et ils se mirent à marcher en se tenant par le bras avec cette familiarité facile qui subsiste entre compagnons d'école et entre camarades de régiment. "Qu'est-ce que tu fais à Paris?" dit Forestier. Duroy haussa les épaules: "Je crève de faim, tout simplement. Une fois mon temps fini, j'ai voulu venir ici pour... pour faire fortune ou plutôt pour vivre à Paris; et voilà six mois que je suis employé aux bureaux du chemin de fer du Nord, à quinze cents francs par an, rien de plus." Forestier murmura: "Bigre, ça n'est pas gras. - Je te crois. Mais comment veux-tu que je m'en tire? Je suis seul, je ne connais personne, je ne peux me recommander à personne. Ce n'est pas la bonne volonté qui me manque, mais les moyens." Son camarade le regarda des pieds à la tête, en homme pratique, qui juge un sujet, puis il prononça d'un ton convaincu: "Vois-tu, mon petit, tout dépend de l'aplomb, ici. Un homme un peu malin devient plus facilement ministre que chef de bureau. Il faut s'imposer et non pas demander. Mais comment diable n'as-tu pas trouvé mieux qu'une place d'employé au Nord?" Duroy reprit:

20"J'ai cherché partout, je n'ai rien découvert. Mais j'ai quelque chose en vue en ce moment, on m'offre d'entrer comme écuyer au manège Pellerin. Là, j'aurai, au bas mot, trois mille francs." Forestier s'arrêta net! "Ne fais pas ça, c'est stupide, quand tu devrais gagner dix mille francs. Tu te fermes l'avenir du coup. Dans ton bureau, au moins, tu es caché, personne ne te connaît, tu peux en sortir, si tu es fort, et faire ton chemin. Mais une fois écuyer, c'est fini. C'est comme si tu étais maître d'hôtel dans une maison où tout Paris va dîner. Quand tu auras donné des leçons d'équitation aux hommes du monde ou à leurs fils, ils ne pourront plus s'accoutumer à te considérer comme leur égal." Il se tut, réfléchit quelques secondes, puis demanda: "Es-tu bachelier? - Non. J'ai échoué deux fois. - Ça ne fait rien, du moment que tu as poussé tes études jusqu'au bout. Si on parle de Cicéron ou de Tibère, tu sais à peu près ce que c'est? - Oui, à peu près. - Bon, personne n'en sait davantage, à l'exception d'une vingtaine d'imbéciles qui ne sont pas fichus de se tirer d'affaire. Ça n'est pas difficile de passer pour fort, va; le tout est de ne pas se faire pincer en flagrant délit d'ignorance. On manoeuvre, on esquive la difficulté, on tourne l'obstacle, et on colle les aut res au moyen d'un dictionnaire. Tous les hommes sont bêtes comme des oies et ignorants comme des carpes." Guy de Maupassant, Bel Ami, I, 1, 1885.

21LECTURE ANALYTIQUE 3 "Monsieur Forestier, s'il vous plaît? - Au troisième, la porte à gauche." Le concierge avait répondu cela d' une voix aimable où apparaissait une considération pour son locataire. Et Georges Duroy monta l'escalier. Il était un peu gêné, intimidé, mal à l'aise. Il portait un habit pour la première fois de sa vie, et l'ensemble de sa toilette l'inquiétait: Il la sentait défectueuse en tout, par les bottines non vernies mais assez fines cependant, car il avait la coquetterie du pied, par la chemise de quatre francs cinquante achetée le matin même au Louvre, et dont le plastron trop mince se cassait déjà. Ses autres chemises, celles de tous les jours, ayant des avaries plus ou moins graves, il n'avait pu utiliser même la moins abîmée. Son pantalon, un peu' trop large, dessinait mal la jambe, semblait s'enrouler autour du mollet, avait cette apparence fripée que prennent les vêtements d'occasion sur les membres qu'ils recouvrent par aventure. Seul, l'habit n'allait pas mal, s'étant trouvé à peu près juste pour la taille. Il montait lentement les marches, le coeur battant, l'esprit anxieux, harcelé surtout par la crainte d'être ridicule; et, soudain, il aperçut en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. I ls se trouvaien t si près l 'un de l'autre que Duroy fit un mouvement en arrière, puis il demeura stupéfait: c'était lui-même, reflété par une haute glace en pied qui formait sur le palier du premier une longue perspective de galerie. Un élan de joie le fit tressaillir, tant il se jugea mieux qu'il n'aurait cru. N'ayant chez lui que son petit miroir à barbe, il n'avait pu se contempler entièrement, et comme il n'y voyait que fort mal les diverses parties de sa toilette improvisée, il s'exagérait les imperfections, s'affolait à l'idée d'être grotesque. Mais voilà qu'en s'apercevant brusquement dans la glace, il ne s'était pas même reconnu; il s'était pris pour un autre, pour un homme du monde, qu'il avait trouvé fort bien, fort chic, au premier coup d'oeil. Et maintenant, en se regardant avec soin, il reconnaissait que, vraiment, l'ensemble était satisfaisant.

22Alors il s'étudia comme font les acteurs pour apprendre leurs rôles. Il se sourit, se tendit la main, fit des gestes, exprima des sentimen ts: l'étonnem ent, le plaisir, l'approbation; et il chercha les degrés du sourire et les intentions de l'oeil pour se montrer galant auprès des dames, leur faire comprendre qu'on les admire et qu'on les désire. Une porte s'ouvrit dans l'escalier. Il eut peur d'être surpris et il se mit à monter fort vite et avec la crainte d'avoir été vu, minaudant ainsi, par quelque invité de son ami. En arrivant au second étage, il aperçut une autre glace et il ralentit sa marche pour se regarder passer. Sa tournure lui parut vraiment élégante. Il marchait bien. Et une confiance immodérée en lui-même emplit son âme. Certes, il réussirait avec cette figure-là et son désir d'arriver, et la résolution qu'il se connaissait et l'indépendance de son esprit. Il avait envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage. Il s'arrêta devant la troisième glace, frisa sa moustache d'un mouvement qui lui était familier, ôta son chapeau pour rajuster sa chevelure, et murmura à mi-voix, comme il faisait souvent: "Voilà une excellente invention." Puis, tendant la main vers le timbre, il sonna. La porte s'ouvrit presque aussitôt, et il se trouva en présence d'un valet en habit noir, grave, rasé, si parfait de tenue que Duroy se troubla de nouveau sans comprendre d'où lui venait cette vague émotion: d'une inconsciente comparaison, peut-être, entre la coupe de leurs vêtements. Ce laquais, qui avait des souliers vernis, demanda en prenant le pardessus que Duroy tenait sur son bras par peur de montrer les taches: "Qui dois-je annoncer?" Et il jeta le nom derrière une porte soulevée, dans un salon où il fallait entrer. Guy de Maupassant, Bel Ami, I, 2, 1885.

23LECTURE ANALYTIQUE 4 Il rapporta son article le lendemain. Il lui fut rendu de nouveau. L'ayant refait une troisième fois, et le voyant refusé, il comprit qu'il allait trop vite et que la main de Forestier pouvait seule l'aider dans sa route. Il ne parla donc plus des Souvenirs d'un chasseur d'Afrique, en se promettant d'être souple et rusé, puisq u'il le f allait, et de faire, en attendant mieu x, son mét ier de reporter avec zèle. Il connut les coulisses des théât res et celle s de la politique, les corrido rs et le vestibule des hommes d'État et de la Chambre des députés, les figures importantes des attachés de cabinet et les mines renfrognées des huissiers endormis. Il eut des rapports continus avec des ministres, des concierges, des généraux, des agents de police, des princes, des souteneurs, des courtisanes, des ambassadeurs, des évêque s, des proxénètes, des rastaqu ouères, des hommes du monde, des grecs, des cochers de fiacre, des garçons de café et bien d'autres, étant devenu l'ami intéressé et indifférent de tous ces gens, les confondant dans son estime, les toisant à la même mesure, les jugeant avec le même oeil, à force de les voir tous les jours, à toute heure, sans transition d'esprit, et de parler avec eux tous des mêmes affaires concernant son métier. Il se comparait lui-même à un homme qui goûterait, coup sur coup, les échantillons de tous les vins, et ne distinguerait bientôt plus le Château-Margaux de l'Argenteuil. Il devint en peu de temps un remarquable reporter, sûr de ses informations, rusé, rapide, subtil, une vraie valeur pour le journal, comme disait le père Walter, qui s'y connaissait en rédacteurs. Cependant, comme il ne touchait que dix centimes la ligne, plus ses deux cents francs de fixe, et comme la vie de boulevard, la vie de café, la vie de restaurant coûte cher, il n'avait jamais le sou et se désolait de sa misère. C'est un truc à saisir, pensait-il, en voyant certains confrères aller la poche pleine d'or, sans jamais comprendre quels moyens secrets ils pouvaient bien employer pour se procurer cette aisance. Et il soupçonnait avec envie des procédés inconnus et suspects, des services rendus, toute une contrebande acceptée et consentie. Or, il lui fallait pénétrer le mystère, entrer d ans l'association tacite, s' imposer aux camarades qui partageaient sans lui. Et il rêvait souvent le soir, en regardant de sa fenêtre passer les trains, aux procédés qu'il pourrait employer. Guy de Maupassant, Bel Ami, I, 4, 1885.

24LECTURE ANALYTIQUE 5 "Oh! vous ne comprenez même pas ce mot-là, vous, la mort. À votre âge, ça ne signifie rien. Au mien, il est terrible. "Oui, on le comprend tout d'un coup, on ne sait pas pourquoi ni à propos de quoi, et alors tout change d'aspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bête rongeuse. Je l'ai sentie peu à peu, mois par mois, heure par heure, me dégrader ainsi qu'une maison qui s'écroule. Elle m'a défiguré si complètement que je ne me reconnais pas. Je n'ai plus rien de moi, de moi l'homme radieux, frais et fort que j'étais à trente ans. Je l'ai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et méchante! Elle m'a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu'une âme désespérée qu'elle enlèvera bientôt aussi. //"Oui, elle m'a émiet té, la gueuse, elle a accomp li doucement et terriblement la longue destruction de mon être, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m'approche d'elle, chaque mouvement, chaque souffle hâte son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rêver, tout ce que nous faisons, c'est mourir. Vivre enfin, c'est mourir! "Oh! vous saurez cela! Si vous réfléchissiez seulement un quart d'heure, vous la verriez. "Qu'attendez-vous? De l'amour? Encore quelques baisers, et vous serez impuissant. "Et puis, après? De l'argent? Pour quoi faire? Pour payer des femmes? Joli bonheur? Pour manger beaucoup, devenir obèse et crier des nuits entières sous les morsures de la goutte? "Et puis encore? De la gloire? A quoi cela sert-il quand on ne peut plus la cueillir sous forme d'amour? "Et puis, après? Toujours la mort pour finir. "Moi, maintenant, je la vois de si près que j'ai souvent envie d'étendre les bras pour la repousser. Elle couvre la terre et emplit l'espa ce. Je la découvre partout. Les petites bêtes écrasées sur les routes, les feuilles qui tombent, le poil blanc aperçu dans la barbe d'un ami me ravagent le coeur et me crient: "La voilà!" "Elle me gâte tout ce que je fais, tout ce que je vois, ce que je mange et ce que je bois, tout ce que j'aime, les clairs de lune, les levers de soleil, la grande mer, les belles rivières, et l'air des soirs d'été, si doux à respirer!"

25Il allait doucement, un peu essoufflé, rêva nt tout h aut, oublia nt presque qu'on l'écoutait. Il reprit: "Et jamais un être ne revient, jamais... On garde les moules des statues, les empreintes qui refont toujours des objets pareils; mais mon corps, mon visage, mes pensées, mes désirs ne reparaîtront jamais. Et pourtant il naîtra des millions, des milliards d'êtres qui auront dans quelques centimètres carrés un nez, des yeux, un front, des joues et une bouche comme moi, et aussi une âme comme moi, sans que jamais je revienne, moi, sans que jam ais même quelque chose de moi reconnaissable reparaisse dans ces créatures in nombrables et différent es, indéfiniment différentes bien que pareilles à peu près. "A q uoi se rattacher? Ve rs qui j eter des cris de détresse? A quo i pou vons-nous croire? "Toutes les religions sont stupid es, avec leur morale puérile et leurs prom esses égoïstes, monstrueusement bêtes. "La mort seule est certaine." Il s'arrêta, prit Duroy par les deux extrémités du col de son pardessus, et, d'une voix lente: "Pensez à tout cela, jeune homme, pensez-y pendant des jours, des mois et des années, et vous verrez l'existence d'une autre façon. Essayez donc de vous dégager de tout ce qui vous enferme, faites cet effort surhumain de sortir vivant de votre corps, de vos intérêts, de vos pensées et de l'humanité tout entière, pour regarder ailleurs, et vous comprendrez combien on t peu d'imp ortance les querelles des romantiques et des naturalistes, et la discussion du budget." Il se remit à marcher d'un pas rapide. "Mais aussi vous sentirez l'effroyable détresse des désespérés. Vous vous débattrez, éperdu, noyé, dans les incertitudes. Vous crierez " A l'aide " de tous les côtés, et personne ne vous répondra . Vous tend rez les bras, vou s appellerez pour être secouru, aimé, consolé, sauvé; et personne ne viendra. "Pourquoi souffrons-nous ainsi? C'est que nous étions nés sans doute pour vivre davantage selon la matière et m oins selon l'espri t; mais, à force de penser, une disproportion s'est faite entre l'état de notre intelligence agrandie et les conditions immuables de notre vie. "Regardez les gens médiocres: à moins de grands désastres tombant sur eux ils se trouvent satisfaits, sans souf frir du malheur commun. Les bêt es non plu s ne le sentent pas." Il s'arrêta encore, réfléchit quelques secondes, puis d'un air las et résigné: "Moi, je suis un être perdu. Je n'ai ni père, ni mère, ni frère, ni soeur, ni femme, ni enfants, ni Dieu."

26Il ajouta, après un silence: "Je n'ai que la rime," Puis, levant la tête vers le firmament, où luisait la face pâle de la pleine lune, il déclama: Et je cherche le mot de cet obscur problème Dans le ciel noir et vide où flotte un astre blême. Guy de Maupassant, Bel Ami, I, 6, 1885.

27LECTURE ANALYTIQUE 6 Et voilà qu'un évêque les mariait, sa fille et son amant, dans une église, en face de deux mille personnes, et devant elle! Et elle ne pouvait rien dire? Elle ne pouvait pas empêcher cela? Elle ne pouvait pas crier: "Mais il est à moi, cet homme, c'est mon amant. Cette union que vous bénissez est infâme." Plusieurs femmes, attendries, murmurèrent: "Comme la pauvre mère est émue." L'évêque déclamait: "Vous êtes parmi les heureux de la terre, parmi les plus riches et les plus respectés. Vous, monsieur, que votre talent élève au-dessus des autres, vous qui écrivez, qui enseignez, qui conseillez, qui dirigez le peuple, vous avez une belle mission à remplir, un bel exemple à donner..." Du Roy l'écoutait, ivre d'orgueil. Un prélat de l'Église romaine lui parlait ainsi, à lui. Et il sentait, derrière son dos, une foule, une foule illustre venue pour lui. Il lui semblait qu'une force le poussait, le soulevait. Il devenait un des maîtres de la terre, lui, lui, le fils des deux pauvres paysans de Canteleu. Il les vit tout à coup dans leur humble cabaret, au sommet de la côte, au-dessus de la grande vallée de Rouen, son père et sa mère, donnant à boire aux campagnards du pays. Il leur avait envoyé cinq mille francs en héritant du comte de Vaudrec. Il allait maintenant leur en envoyer cinquante mille; et ils achèteraient un petit bien. Ils seraient contents, heureux. L'évêque avait terminé sa ha rangue. Un prêtre vê tu d'une étole dorée montai t à l'autel. Et les orgues recommencèrent à célébrer la gloire des nouveaux époux. Tantôt elles jetaient des clameurs prolongées, énormes, enflées comme des vagues, si sonores et si puissantes, qu'il semblait qu'elles dussent soulever et faire sauter le toit pour se répandre dans le ciel bleu. Leur bruit vibrant emplissait toute l'église, faisait frissonner la chair et les âmes. Puis tout à coup elles se calmaient; et des notes fines, ale rtes, couraient dans l' air, effleuraient l'ore ille comme des souffles légers; c'étaient de petits chants gracieux, menus, sautillants, qui voletaient ainsi que des oiseaux ; et soudain, cette coquet te musiq ue s'élargissait de nouv eau, redevenant effrayante de force et d'ampleur, comme si un grain de sable se métamorphosait en un monde. Puis des voix humaines s'élevèrent, passèrent au-dessus des têtes inclinées. Vauri et Landeck, de l'Opéra, chantaient. L'encens répandait une odeur fine de benjoin, et sur l'autel le sacrifice divin s'accomplissait; l'Homme-Dieu, à l'appel de son prêtre, descendait sur la terre pour consacrer le triomphe du baron Georges Du Roy. Bel-Ami, à genoux à côt é de Suzanne, avait baissé le front. Il se senta it en ce moment presque croyant, presque religieux, plein de reconnaissance pour la divinité qui l'avait ainsi favorisé, qui le traitait avec ces égards. Et sans savoir au juste à qui il s'adressait, il la remerciait de son succès.

28Lorsque l'office fut terminé, il se redressa, et donnant le bras à sa femme, il passa dans la sacristie . Alors comme nça l'interminable déf ilé des a ssistants. Georges, affolé de joie, se croyait un roi qu'un peuple venait acclamer. Il serrait des mains, balbutiait des mots qui ne signifiaient rien, saluait, répondait aux compliments: "Vous êtes bien aimable." Soudain il aperçut Mme de Marelle; et le souvenir de tous les baisers qu'il lui avait donnés, qu'elle lui a vait rendus, le souvenir de toutes leurs care sses, de ses gentillesses, du son de sa voix, du goût de ses lèvres, lui fit passer dans le sang le désir brusque de la reprendre. Elle était jolie, élégante, avec son air gamin et ses yeux vifs. Georges pensait: "Quelle charmante maîtresse, tout de même." Elle s'approcha un peu timide, un peu inquiète, et lui tendit la main. Il la reçut dans la sienne et la garda. Alors il sentit l'appel discret de ses doigts de femme, la douce pression qui pardonne et reprend. Et lui-même il la serrait, cette petite main, comme pour dire: "Je t'aime toujours, je suis à toi!" Leurs yeux se rencontrèrent, souriants, brillants, pleins d'amour. Elle murmura de sa voix gracieuse: "A bientôt, monsieur." Il répondit gaiement: "A bientôt, madame." Et elle s'éloigna. D'autres personnes se poussaient. La foule coulait devant lui comme un fleuve. Enfin elle s'éclaircit. Les derniers assistants partirent. Georges reprit le bras de Suzanne pour retraverser l'église. Elle était pleine de monde, car chacun avait regagné sa place, afin de les voir passer ensemble. Il allait lentement, d'un pas calme, la tête haute, les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte. Il sentait sur sa peau courir de longs frissons, ces frissons froids que d onnent les imme nses bonheurs. I l ne voyait personne. Il ne pensait qu'à lui. Lorsqu'il parvint sur le seuil, il aperçut la foule amassée, une foule noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges Du Roy. Le peuple de Paris le contemplait et l'enviait. Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concord e, la Chambre des députés. Et il lui sembla qu'il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon. Il descend it avec lenteur les marches d u haut perron entre deux haies de spectateurs. Mais il ne les voyait point; sa pensée maintenant revenait en arrière, et devant ses yeux ébloui s par l' éclatant soleil flottait l'image de M me de Ma relle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit. Guy de Maupassant, Bel Ami, II, 10, 1885.

29SÉQUENCE 3 LECTURE ET ÉTUDE D'UNE OEUVRE INTÉGRALE : DOM JUAN DE MOLIÈRE, 1665. On étudie la pièce de Molière sous l'angle de la mise en scène. En quoi le texte programme-t-il cette mise en scène ? Quels sont les effets recherchés par l'auteur dans l'évocation baroque du " grand seigneur méchant homme » ? La mise en scène de Daniel Mesguich (2003) est également étudiée. LECTURES ANALYTIQUES Six textes

30 LECTURE ET ÉTUDE D'UNE OEUVRE INTÉGRALE : DOM JUAN DE MOLIÈRE, 1665. LECTURE ANALYTIQUE 1 Acte 1, scène 1 Sganarelle, Gusman. Sganarelle, tenant une tabatière. Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien d'égal au tabac : c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droit et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'atten d pas m ême qu'o n en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matière. Reprenons un peu notre disco urs. Si bien donc, cher Gusman, que Do ne Elvi re, ta maîtresse, surprise de notre départ, s'est mise en campagne après nous, et son coeur, que mon maître a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis-tu, sans le venir chercher ici. Veux-tu qu'entre nous je te dise ma pensée ? J'ai peur qu'elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là. Gusman Et la raison encore ? Dis-moi, je te prie, Sganarelle, qui peut t'inspirer une peur d'un si mauvais augure ? Ton maître t'a-t-il ouvert son coeur là-dessus, et t'a-t-il dit qu'il eût pour nous quelque froideur qui l'ait obligé à partir ? Sganarelle Non pas ; mais, à vue de pays, je connais à peu près le train des choses ; et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerais presque que l'affaire va là. Je pourrais peut-être me tromper ; mais enfin, sur de tels sujets, l'expérience m'a pu donner quelques lumières.

31Gusman Quoi ? ce départ si peu prévu serait une infidélité de Dom Juan ? Il pourrait faire cette injure aux chastes feux de Done Elvire ? Sganarelle Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage... Gusman Un homme de sa qualité ferait une action si lâche ? Sganarelle Eh oui, sa qualité ! La raison en est belle, et c'est par là qu'il s'empêcherait des choses... Gusman Mais les saints noeuds du mariage le tiennent engagé. Sganarelle Eh ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois-moi, quel homme est Dom Juan. Gusman Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie ; et je ne comprends point comme après tant d'amour et tant d'impatience témoignée, tant d'hommages pressants, de voeux, de soupirs et de larmes, tant de lettres passionnées, de protestations ardentes et de serme nts réitérés, tant de transports enfin et tant d'emportements qu'il a fait paraître, jusqu'à forcer, dans sa passion, l'obstacle sacré d'un couvent, pour mettre Done Elvire en sa puissance, je ne comprend s pas, dis- je, comme, ap rès tout cela, il au rait le coeur de pouvoir manquer à sa parole. Sganarelle Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi ; et si tu connaissais le pèlerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu'il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n'en ai point de certitude encore : tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m'a point entretenu ; mais, par précaution, je t'apprends, inter nos, que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d'Epicure, en vrai Sardan apale, qui ferme l'oreill e à tout es les remontrances chrétiennes qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse : crois qu'il aurait plus fait pour

32sa passion, et qu'avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte ri en à contra cter ; il ne se sert point d'au tres pièges po ur attraper les belles, et c'est un ép ouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disais l e nom de toute s celles qu' il a épousée s en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours; ce n'est là qu'une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d'autres coup s de pinceau. Suff it qu'il faut que le courroux du C iel l'accable quelque jour ; qu'il me vaudrait bien mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que je souhaiterais qu'il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose ; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j'en aie : la crainte e n moi fait l'o ffice du zèle, bride mes sentiments, et me réduit d'applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste. Le voilà qui vient se promener dans ce palais : séparons-nous. Écoute au moins : je t'ai fait cette confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s'il fallait qu'il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti. Molière, Dom Juan, Acte I, scène 1.

33LECTURE ANALYTIQUE 2 Acte I, scène 2 Dom, Juan, Sganarelle Sganarelle Eh mon Dieu ! je sais mon Dom Juan sur le bout du doigt, et connais votre coeur pour le plus grand coureur du monde : il se plaît à se promener de liens en liens, et n'aime guère à demeurer en place. Dom Juan Et ne trouves-tu pas, dis-moi, que j'ai raison d'en user de la sorte ? Sganarelle Eh ! Monsieur. Dom Juan Quoi ? Parle. Sganarelle Assurément que vous avez raison, si vous le voulez ; on ne peut pas aller là contre. Mais si vous ne le vouliez pas, ce serait peut-être une autre affaire. Dom Juan Eh bien ! je te donne la liberté de parler et de me dire tes sentiments. Sganarelle En ce ca s, Monsi eur, je vo us dirai franchement que je n'approu ve point vot re méthode, et que je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme vous faites. Dom Juan Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premi er objet qui nous p rend, q u'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la con stance n'est bonne que pou r des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée

34la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos coe urs. Pour mo i, la beauté me ravit partout où je l a trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir l e mérite d e toutes, et ren ds à chacune le s hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon coeur à tout ce que je vois d'aimable ; et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le coeur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d'un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre coeur les charmes attrayants d'une conquête à faire. Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne, et j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs : je me sens un coeur à aimer toute la terre ; et com me Alex andre, je souhaiterais qu'i l y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. Sganarelle Vertu de ma vie, comme vous débitez ! Il semble que vous ayez appris cela par coeur, et vous parlez tout comme un livre. Molière, Dom Juan, Acte I, scène 2.

35LECTURE ANALYTIQUE 3 Acte III, scène 1 Dom Juan, Sganarelle Dom Juan, en habit de campagne, Sganarelle, en médecin. Sganarelle, en médecin Ma foi, Monsieur, avouez que j'ai eu raison, et que nous voilà l'un et l'autre déguisés à merveille. Votre premier dessein n'était point du tout à propos, et ceci nous cache bien mieux que tout ce que vous vouliez faire. Dom Juan, en habit de campagne Il est vrai que te voilà bien, et je ne sais où tu as été déterrer cet attirail ridicule. Sganarelle Oui ? C'est l'habit d'un vieux médecin, qui a été laissé en gage au lieu où je l'ai pris, et il m'en a coûté de l'argent pour l'avoir. Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met déjà en considération, que je suis salué des gens que je rencontre, et que l'on me vient consulter ainsi qu'un habile homme ? Dom Juan Comment donc ? Sganarelle Cinq ou six paysans et paysannes, en me voyant passer, me sont venus demander mon avis sur différentes maladies. Dom Juan Tu leur as répondu que tu n'y entendais rien ? Sganarelle Moi ? Point du tout. J'ai voulu soutenir l'honneur de mon habit : j'ai raisonné sur le mal, et leur ai fait des ordonnances à chacun. Dom Juan

36 Et quels remèdes encore leur as-tu ordonnés ? Sganarelle Ma foi ! Monsieur, j'en ai pris par où j'en ai pu attraper ; j'ai fait mes ordonnances à l'aventure, et ce se rait une ch ose pl aisante si les mal ades guérissaie nt, et qu'on m'en vînt remercier. Dom Juan Et pourquoi non ? Par quelle raison n'aurais-tu pas les mêmes privilèges qu'ont tous les autres médecins ? Ils n'ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès, et tu peux profiter comme eux du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard et des forces de la nature. Sganarelle Comment, Monsieur, vous êtes aussi impie en médecine ? Dom Juan C'est une des grandes erreurs qui soient parmi les hommes. Sganarelle Quoi ? vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au vin émétique ? Dom Juan Et pourquoi veux-tu que j'y croie ? Sganarelle Vous avez l'âme bien mécréante. Cependant vous voyez, depuis un temps, que le vin émétique fait bruire ses fuseaux. Ses miracles ont converti les plus incrédules esprits, et il n'y a pas trois semaines que j'en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux. Dom Juan Et quel ? Sganarelle Il y avait un homme qui, depuis six jours, était à l'agonie ; on ne savait plus que lui ordonner, et tous les remèdes ne faisaient rien ; on s'avisa à la fin de lui donner de l'émétique. Dom Juan

37 Il réchappa, n'est-ce pas ? Sganarelle Non, il mourut. Dom Juan L'effet est admirable. Sganarelle Comment ? il y avait six jours entiers qu'il ne pouvait mourir, et cela le fit mourir tout d'un coup. Voulez-vous rien de plus efficace ? Dom Juan Tu as raison. Sganarelle Mais laissons là la médecine, où vous ne croyez point, et parlons des autres choses ; car cet habit me donne de l'esprit, et je me sens en humeur de disputer contre vous. Vous savez bien que vous me permettez les disputes, et que vous ne me défendez que les remontrances. Dom Juan Eh bien ? Sganarelle Je veux savoir un peu vos pensées à fond. Est-il possible que vous ne croyiez point du tout au Ciel ? Dom Juan Laissons cela. Sganarelle C'est-à-dire que non. Et à l'Enfer ? Dom Juan Eh ! Sganarelle

38Tout de même. Et au diable, s'il vous plaît ? Dom Juan Oui, oui. Sganarelle Aussi peu. Ne croyez-vous point l'autre vie ? Dom Juan Ah ! ah ! ah ! Sganarelle Voilà un homme que j'aurai bien de la peine à convertir. Et dites-moi un peu, le Moine-Bourru, qu'en croyez-vous, eh ! Dom Juan La peste soit du fat ! Sganarelle Et voilà ce que je ne puis souffrir, car il n'y a rien de plus vrai que le Moine-Bourru, et je me ferais pendre pour celui-là. Mais encore faut-il croire en quelque chose dans le monde : qu'est-ce donc que vous croyez ? Dom Juan Ce que je crois ? Sganarelle Oui. Dom Juan Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit. Sganarelle La belle croyance et les beaux articles de foi que voici ! Votre religion, à ce que je vois, est donc l'arithmétique ? Molière, Dom Juan, Acte III, scène 1.

39LECTURE ANALYTIQUE 4 Acte III, scène 5 Dom Juan, Sganarelle. Sganarelle Il vous serait aisé de pacifier toutes choses. Dom Juan Oui ; mais ma passion est usée pour Done Elvire, et l'engagement ne compatit point avec mon humeur. J'aime la liberté en amour, tu le sais, et je ne saurais me résoudre à renfermer mon coeur entre quatre murailles. Je te l'ai dit vingt fois, j'ai une pente naturelle à me laisser aller à tout ce qui m'attire. Mon coeur est à toutes les belles, et c'est à elles à le prendre tour à tour, et à le garder tant qu'elles le pourront. Mais quel est le superbe édifice que je vois entre ces arbres ? Sganarelle Vous ne le savez pas ? Dom Juan Non, vraiment. Sganarelle Bon ! c'est le tombeau que le Commandeur faisait faire lorsque vous le tuâtes. Dom Juan Ah ! tu as raison. Je ne savais pas que c'était de ce côté-ci qu'il était. Tout le monde m'a dit des merveilles de cet ouvrage, aussi bien que de la statue du Commandeur, et j'ai envie de l'aller voir. Sganarelle Monsieur, n'allez point là. Dom Juan Pourquoi ? Sganarelle Cela n'est pas civil, d'aller voir un homme que vous avez tué.

40Dom Juan Au contraire, c'est une visite dont je lui veux faire civilité, et qu'il doit recevoir de bonne grâce, s'il est galant homme. Allons, entrons dedans. Le tombeau s'ouvre, où l'on voit un superbe mausolée et la statue du Commandeur. Sganarelle Ah ! que cela est beau ! Les belles statues ! le beau marbre ! les beaux piliers ! Ah ! que cela est beau ! Qu'en dites-vous, Monsieur ? Dom Juan Qu'on ne peut voir aller plus loin l'ambition d'un homme mort ; et ce que je trouve admirable, c'est qu'un homme qui s'est passé, durant sa vie, d'une assez simple demeure, en veuille avoir une si magnifique pour quand il n'en a plus que faire. Sganarelle Voici la statue du Commandeur. Dom Juan Parbleu ! le voilà bon, avec son habit d'empereur romain ! Sganarelle Ma foi, Monsieur, voilà qui est bien fait. Il semble qu'il est en vie, et qu'il s'en va parler. Il jette des regards sur nous qui me feraient peur, si j'étais tout seul, et je pense qu'il ne prend pas plaisir de nous voir. Dom Juan Il aurait tort, et ce serait mal recevoir l'honneur que je lui fais. Demande-lui s'il veut venir souper avec moi. Sganarelle C'est une chose dont il n'a pas besoin, je crois. Dom Juan Demande-lui, te dis-je. Sganarelle Vous moquez-vous ? Ce serait être fou que d'aller parler à une statue.

41Dom Juan Fais ce que je te dis. Sganarelle Quelle bizarrerie ! Seigneur Commandeur... Je ris de ma sottise, mais c'est mon maître qui me la fa it faire. Sei gneur Comm andeur, mo n maître Dom Jua n vous demande si vous voulez lui faire l'honneur de venir souper avec lui. (La statue baisse la tête.) Ha ! Dom Juan Qu'est-ce ? qu'as-tu ? Dis donc, veux-tu parler ? Sganarelle fait le même signe que lui a fait la statue et baisse la tête La statue... Dom Juan Eh bien ! que veux-tu dire, traître ? Sganarelle Je vous dis que la statue... Dom Juan Eh bien ! la statue ? Je t'assomme, si tu ne parles. Sganarelle La statue m'a fait signe. Dom Juan La peste le coquin ! Sganarelle Elle m'a fait signe, vous dis-je : il n'est rien de plus vrai. Allez-vous-en lui parler vous- même pour voir. Peut-être... Dom Juan Viens, maraud, viens, je te veux bien faire toucher au doigt ta poltronnerie. Prends garde. Le seigneur Commandeur voudrait-il venir souper avec moi ? La statue baisse encore la tête.

42Sganarelle Je ne voudrais pas en tenir dix pistoles. Eh bien ! Monsieur ? Dom Juan Allons, sortons d'ici. Sganarelle Voilà de mes esprits forts, qui ne veulent rien croire. Molière, Dom Juan, Acte III, scène 5.

43LECTURE ANALYTIQUE 5 Acte V, scène 4 Dom Juan, Sganarelle. Sganarelle Monsieur, quel diable de style prenez-vous là ? Ceci est bien pis que le reste, et je vous aimerais bien mieux encore comme vous étiez auparavant. J'espérais toujours de votre salut ; mais c'est maintenant que j'en désespère ; et je crois que le Ciel, qui vous a souffert jusques ici, ne pourra souffrir du tout cette dernière horreur. Dom Juan Va, va, le Ciel n'est pas si exact que tu penses ; et si toutes les fois que les hommes... Sganarelle Ah ! Monsieur, c'est le Ciel qui vous parle, et c'est un avis qu'il vous donne. Dom Juan Si le Ciel me donne un avis, il faut qu'il parle un peu plus clairement, s'il veut que je l'entende. Acte V, scène 5 Dom Juan, un spectre en femme voilée, Sganarelle. Le Spectre, en femme voilée Dom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel ; et s'il ne se repent ici, sa perte est résolue. Sganarelle Entendez-vous, Monsieur ? Dom Juan

44 Qui ose tenir ces paroles ? Je crois connaître cette voix. Sganarelle Ah ! Monsieur, c'est un spectre : je le reconnais au marcher. Dom Juan Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que c'est. Le Spectre change de figure, et représente le temps avec sa faux à la main. Sganarelle Ô Ciel ! voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure ? Dom Juan Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit. Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper. Sganarelle Ah ! Monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir. Dom Juan Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir. Allons, suis-moi. Acte V, scène 6 La statue, Dom Juan, Sganarelle. La Statue Arrêtez, Dom Juan : vous m'avez hier donné parole de venir manger avec moi. Dom Juan Oui. Où faut-il aller ?

45La Statue Donnez-moi la main. Dom Juan La voilà. La Statue Dom Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre. Dom Juan Ô Ciel ! que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah ! Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan ; la terre s'ouvre et l'abîme ; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé. Sganarelle Ah ! mes gages ! mes gages ! Voilà par sa mort un chacun satisfait : Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est co ntent. Il n'y a que moi seul de malheureux. Mes gages ! Mes gages ! Mes gages ! Molière, Dom Juan, Acte V, scènes 4, 5 et 6, 1665.

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47 SÉQUENCE 4 VANITÉ ET CONDITION HUMAINE DANS LES GENRES DE L'ARGUMENTATION On étudie comment sont abordés, à travers plusieurs genres littéraires, les questions de la vanité des illusions et de la condition humaine mortelle. LECTURES ANALYTIQUES Cinq textes

48 VANITÉ ET CONDITION HUMAINE DANS LES GENRES DE L'ARGUMENTATION LECTURE ANALYTIQUE 1 La vie humaine est semblable à un chemin dont l'issue est un précipice affreux. On nous en avertit dès le premier pas ; mais la loi est portée, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner en arriè re. Marche ! marche ! Un poids i nvincible, une force irrésistible nous entraîne. Il f aut sans cesse a vancer vers le précipice. Mille traverses, mille peines nous fatiguent et nous inquiètent dans la route. Encore si je pouvais éviter ce précipice affreux ! Non, non, il faut marcher, il faut courir : telle est la rapidité des années. On se console pourtant parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divert issent, des eaux coura ntes, des fleu rs qui passent. On voudrait s'a rrêter : Marche ! marche ! Et cep endant on voit tomber derrière soi tout ce qu'on avait passé ; fracas effroyable ! inévitable ruine ! On se console, parce qu'on emp orte quelques fleurs cueillies en p assant, qu'on voit se faner entre ses mains du matin au soir et quelques fruits qu'on perd en les goûtant : enchantement ! illusion ! Toujours entraîné, tu approches du gouffre affreux : déjà tout commence à s'effacer ; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riante s, les eaux moins claires : tout se ternit, tout s'efface. L'ombre de la mo rt se présente ; on commence à sentir l'approche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord. Encore un pas : déjà l'horreur trouble les sens, la têt e tourne, les yeux s'éga rent. Il faut marcher on voudra it retourner en arrière ; plus de moyens : tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé. Bossuet (1627 - 1704), Sermon pour le jour de Pâques, 1772 (posthume).

49 LECTURE ANALYTIQUE 2 Ainsi l'homme est si malheureux qu'il s'ennuierait même sans aucune cause d'ennui par l'état propre de sa complexion. Et il est si vain qu'étant plein de mille causes essentielles d'ennui, la moindre chose comme un billard et une balle qu'il pousse suffisent pour le divertir. D'où vient que cet homme qui a perdu depuis peu de mois son fils unique et qui accablé de procès et d e querelle s était ce ma tin si trou blé, n'y pense plus maintenant. Ne vous en étonnez pas, il est tout occupé à voir par où passera ce sanglier que ses chiens poursuivent avec tant d'ardeur depuis six heures. Il n'en faut pas davantage. L'homme, quelque plein de tristesse qu'il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps-là, et l'homme, quelque heureux qu'il soit, s'il n'est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement, qui empêche l'ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. Sans divertissement il n'y a point de joie, avec le divertissement il n'y a point de tristesse. Et c'est aussi ce qui forme le bonheur des personnes de grande condition qu'ils ont un nomb re de personnes qui l es divertissent et qu'il s ont le pouvoir de se maintenir en cet état. Prenez-y garde , qu'est-ce autre chose d'être surint endant, chance lier, premier président sinon d'être en une condition où l'on a le matin un grand nombre de gens qui viennent de tous côtés pour ne leur laisser pas une heure en la journée où ils puissent penser à eux-mêmes, et quand ils sont dans la disgrâce, et qu'on les renvoie à leurs maisons de s champ s où ils ne ma nquent ni de bien s ni de domestiques pour les assister dans leur besoin, ils ne laissent pas d'être misérables et abandonnés parce que personne ne les empêche de songer à eux. » Blaise Pascal, Pensées, 1661.

50 LECTURE ANALYTIQUE 3 Tous les hommes recherchent d'être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu'ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n'y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet obj et. C'est le motif de toutes l es actions de tous les hommes. Jusqu'à ceux qui vont se pendre. Et cependant depuis un si grand nombre d'années jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions. [...] Qu'est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu'il y a eu autrefois dans l'homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu'il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l'environne, recherchant des choses absentes le secours qu'il n'obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c'est-à-dire que par Dieu même. Blaise Pascal, Pensées, 1661.

51 LECTURE ANALYTIQUE 4 " La Mort et le Bûcheron » Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans, Gémissant et courbé marchait à pas pesants, Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur, Il met bas son fagot, il songe à son malheur. Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ? En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? Point de pain quelquefois, et jamais de repos. Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, Le créancier, et la corvée Lui font d'un malheureux la peinture achevée. Il appelle la Mort, elle vient sans tarder, Lui demande ce qu'il faut faire. " C'est, dit-il, afin de m'aider A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. » Le trépas vient tout guérir ; Mais ne bougeons d'où nous sommes. Plutôt souffrir que mourir, C'est la devise des hommes. Jean de La Fontaine, Fables, 1668.

52 LECTURE ANALYTIQUE 5 Regrettera qui veut le bon vieux temps Et l'âge d'or2, et le règne d'Astrée2, Et les beaux jours de Saturne et de Rhée2, Et le jardin de nos premiers parents; Moi je rends grâce à la nature sage Qui, pour mon bien, m'a fait naître en cet âge Tant décrié par nos pauvres docteurs3 : Ce temps profane est tout fait pour mes moeurs. J'aime le luxe, et même la mollesse, Tous les plaisirs, les arts de toute espèce, La propreté, le goût, les ornements : Tout honnête homme a de tels sentiments. Il est bien doux pour mon coeur très immonde De voir ici l'abondance à la ronde, Mère des arts et des heureux travaux, Nous apporter, de sa source féconde, Et des besoins et des plaisirs nouveaux. L'or de la terre et les trésors de l'onde, Leurs habitants et les peuples de l'air, Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde. Oh ! le bon temps que ce siècle de fer !

53Le superflu, chose très nécessaire, A réuni l'un et l'autre hémisphère. Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux Qui du Texel4, de Londres, de Bordeaux, S'en vont chercher, par un heureux échange, Ces nouveaux biens, nés aux sources du Gange, Tandis qu'au loin, vainqueurs des musulmans, Nos vins de France enivrent les sultans ! Quand la nature était dans son enfance, Nos bons aïeux vivaient dans l'ignorance, Ne connaissant ni le tien ni le mien. Qu'auraient-ils pu connaître ? ils n'avaient rien; [...] Voltaire, " Le Mondain », 1736. 1. "mondain" : au XVIII° siècle, désigne celui qui vit dans son siècle et non pas retiré du monde. 2. "âge d'or, Astrée, Saturne, Rhée" : dans la mythologie, divinités de l'âge d'or; ce dernier désigne l'époque heureuse des débuts de l'humanité, par opposition aux époques suivantes qui marquent une dégradation (âge d'argent, d'airain, de fer. 3. "nos pauvres docteurs" : nos savants, nos érudits. 4. "Texel" : île de Hollande.

54LECTURE ANALYTIQUE 6 (voir aussi séquence 2) "Oh! vous ne comprenez même pas ce mot-là, vous, la mort. A votre âge, ça ne signifie rien. Au mien, il est terrible. "Oui, on le comprend tout d'un coup, on ne sait pas pourquoi ni à propos de quoi, et alors tout change d'aspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bête rongeuse. Je l'ai sentie peu à peu, mois par mois, heure par heure, me dégrader ainsi qu'une maison qui s'écroule. Elle m'a défiguré si complètement que je ne me reconnais pas. Je n'ai plus rien de moi, de moi l'hquotesdbs_dbs5.pdfusesText_10