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LILE DES ESCLAVES - theatre-classiquefr

L'ILE DES ESCLAVES COMÉDIE Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens du Roi, le Lundi 5 mars 1725 À PARIS, NOËL PISSOT, Quai des Augustins, à la descente du Pont-Neuf, à la Croix d'or PIERRE DELORMEL, rue du Foin, à Sainte-Geneviève FRANÇOIS FLAHAUT, Quai des Augustins, au coin de la rue Pavée, au Roi du Portugal



LIle des esclaves Pierre de MARIVAUX

L'Ile des esclaves Pierre de MARIVAUX www livrefrance com Comédie en un acte et en prose représentée pour la première fois le 5 mars 1725 par les Comédiens Italiens Acteurs IPHICRATE, en 1725, rôle tenu parle sieur Mario ARLEQUIN, rôle tenu parle sieur Thomassin EUPHROSINE, rôle tenu par la demoiselle La Lande



L’Île des esclaves

L’Île des esclaves MARIVAUX L’ÎLE DES ESCLAVES ISBN : 978-2-0812-1774-4 editions flammarion com 09-III DOSSIER 1 Lectures et mises en scène de L’Île des esclaves 2 Images du valet au XVIIIe siècle 3 Mésalliances 4 Îles et utopies 5 Comédie et philosophie: les germes de la subversion Texte intégral Illustration : Virginie



LÎle des esclaves

10 L’Île des esclaves texte sont caractéristiques des premières Lumières, initiées en France dès 1685 par des écrivains comme Fontenelle et Bayle En effet, à la fin du XVIIe siècle, des intellectuels ébauchent une vaste entreprise de réexamen des savoirs, passés au crible de la raison :



L’ÎLE DES ESCLAVES - theatre-contemporain

Dans L’Île des esclaves, l’utopie repose sur l’inversion Un monde renversé qui permet d’envisager d’autres possibles dans la tradition du carnaval, héritage des saturnales romaines L’inversion est au cœur de la structure sociale de l’île Les esclaves ont imaginé ce renversement afin de « guérir » les maîtres



L’ÎLE DES ESCLAVES

des esclaves, Médée et Angelo, Tyran de Padoue, Alice, La Religieuse et George Dandin Elle travaille aussi avec de nombreux metteurs en scène tels que Guillaume Perrot, Pierre Debauche, Daniel Benoin, François Ferré, Arlette Allain, Gildas Bourdet, André Fornier



L’ÎLE

esclaves se sont affranchis de leurs maîtres Un singulier jeu de rôles, où le maître des lieux somme les rescapés d’échanger leurs sorts ; et voici que les maîtres deviennent serviteurs, que les asservis se transforment en « patrons » Tout cela avec un but avoué : que les puissants prennent conscience des souffrances et



DOSSIER PÉDAGOGIQUE L’Île des esclaves

C’est l’époque de L’île des esclaves en 1725 et de la Nouvelle Colonie en 1729 Marivaux s’intéresse à la réalité sociale de son époque et publie le fruit d’un travail de quinze ans (1726-1741), La Vie de Marianne



DOSSIER PEDAGOGIQUE L’ILE DES ESCLAVES

Dans l’Ile des Esclaves, Marivaux nous propose une exploration à la fois ludique et sans complaisance de la nature humaine et des grands thèmes philosophiques, éthiques et sociaux, qui marquent son époque Le mythe du bon sauvage, la question du pouvoir, de l’influence de l’argent sur l’individu, de

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L'ILE DES ESCLAVES

COMÉDIE

Représentée pour la première fois par les Comédiens

Italiens du Roi, le Lundi 5 mars 1725.

MARIVAUX, Pierre de (1688-1763)

1725
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Texte établi pas Paul FIEVRE, août 2011.

Publié par Ernest, Gwénola et Paul Fièvre pour Théâtre-Classique.fr,Décembre 2020. Pour une utilisation personnelle ou pédagogiqueuniquement. Contactez l'auteur pour une utilisation commerciale desoeuvres sous droits.

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L'ILE DES ESCLAVES

COMÉDIE

Représentée pour la première fois par les Comédiens

Italiens du Roi, le Lundi 5 mars 1725.

À PARIS, NOËL PISSOT, Quai des Augustins, à la descente du Pont-Neuf, à la Croix d'or. PIERRE DELORMEL, rue du Foin, à Sainte-Geneviève. FRANÇOIS FLAHAUT, Quai des Augustins, au coin de la rue Pavée, au Roi du Portugal. M. DCC. XXV Avec approbation, et privilège du Roi. - 3 -

ACTEURS

IPHICRATE.

ARLEQUIN.

EUPHROSINE.

CLÉANTHIS.

TRIVELIN.

DES HABITANTS DE L'ILE.

La scène est dans l'île des Esclaves.

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L'ILE DES ESCLAVES

Le théâtre représente une mer et des rochers d'un côté, et de l'autre quelques arbres et

des maisons.

SCÈNE PREMIÈRE.

Iphicrate s'avance tristement sur le théâtre avec Arlequin. IPHICRATE, s'avance tristement sur le théâtre avecArlequin.

Arlequin ?

ARLEQUIN, avec une bouteille de vin qu'il a à saceinture.

Mon patron.

IPHICRATE.

Que deviendrons-nous dans cette île ?

ARLEQUIN.

étique: Fièvre étique, fièvre habituelle qui amaigrit le corps. On dit aujourd'hui fièvre hectique. Par extension, très maigre. Corps, visage

étique. [L]Nous deviendrons maigres, étiques, et puis morts defaim ; voilà mon sentiment et notre histoire.

IPHICRATE.

Nous sommes seuls échappés du naufrage ; tous noscamarades ont péri, et j'envie maintenant leur sort.

ARLEQUIN.

Hélas ! Ils sont noyés dans la mer, et nous avons la mêmecommodité.

IPHICRATE.

Dis-moi ; quand notre vaisseau s'est brisé contre lerocher, quelques-uns des nôtres ont eu le temps de sejeter dans la chaloupe ; il est vrai que les vagues l'ontenveloppée, je ne sais ce qu'elle est devenue ; maispeut-être auront-ils eu le bonheur d'aborder en quelqueendroit de l'île, et je suis d'avis que nous les cherchions.

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ARLEQUIN.

Cherchons, il n'y a pas de mal à cela ; maisreposons-nous auparavant pour boire un petit coupd'eau-de-vie : j'ai sauvé ma pauvre bouteille, la voilà ;j'en boirai les deux tiers, comme de raison, et puis je vousdonnerai le reste.

IPHICRATE.

Eh, ne perdons point de temps, suis-moi, ne négligeonsrien pour nous tirer d'ici ; si je ne me sauve, je suis perdu,je ne reverrai jamais Athènes, car nous sommes dans l'îledes Esclaves.

ARLEQUIN.

Oh, oh ! Qu'est-ce que c'est que cette race-là ?

IPHICRATE.

Ce sont des esclaves de la Grèce révoltés contre leursmaîtres, et qui depuis cent ans sont venus s'établir dansune île, et je crois que c'est ici : tiens, voici sans doutequelques-unes de leurs cases ; et leur coutume, mon cherArlequin, est de tuer tous les maîtres qu'ils rencontrent,ou de les jeter dans l'esclavage.

ARLEQUIN.

Eh ! Chaque pays a sa coutume : ils tuent les maîtres, à labonne heure, je l'ai entendu dire aussi ; mais on dit qu'ilsne font rien aux esclaves comme moi.

IPHICRATE.

Cela est vrai.

ARLEQUIN.

Eh ! Encore vit-on.

IPHICRATE.

Mais je suis en danger de perdre la liberté, et peut-être lavie ; Arlequin, cela ne te suffit-il pas pour me plaindre.

ARLEQUIN, prenant sa bouteille pour boire.

Ah ! Je vous plains de tout mon coeur, cela est juste.

IPHICRATE.

Suis-moi donc ?

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ARLEQUIN, siffle.

Hu, hu, hu.

IPHICRATE.

Comment donc, que veux-tu dire ?

ARLEQUIN, distrait, chante.

Tala ta lara.

IPHICRATE.

Parle donc, as-tu perdu l'esprit, à quoi penses-tu ?

ARLEQUIN, riant.

Ah, ah, ah, Monsieur Iphicrate, la drôle d'aventure ; jevous plains, par ma foi, mais je ne saurais m'empêcherd'en rire.

IPHICRATE, à part les premiers mots.

Le coquin abuse de ma situation, j'ai mal fait de lui direoù nous sommes. Haut. Arlequin, ta gaieté ne vient pas à propos, marchons de cecôté.

ARLEQUIN.

J'ai les jambes si engourdies.

IPHICRATE.

Avançons, je t'en prie.

ARLEQUIN.

Je t'en prie, je t'en prie ; comme vous êtes civil et poli ;c'est l'air du pays qui fait cela.

IPHICRATE.

Allons, hâtons-nous, faisons seulement une demi-lieuesur la côte pour chercher notre chaloupe, que noustrouverons peut-être avec une partie de nos gens ; et en cecas-là, nous nous rembarquerons avec eux.

ARLEQUIN, en badinant.

Badin, comme vous tournez cela.

Il chante.

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L'embarquement est divin Quand on vogue, vogue, vogue, L'embarquement est divinQuand on vogue avec Catin.

IPHICRATE, retenant sa colère.

Mais je ne te comprends point, mon cher Arlequin.

ARLEQUIN.

Mon cher patron, vos compliments me charment ; vousavez coutume de m'en faire à coups de gourdin qui nevalent pas ceux-là ; et le gourdin est dans la chaloupe.

IPHICRATE.

Eh ne sais-tu pas que je t'aime ?

ARLEQUIN.

Goberger (se) : Prendre ses aises, se

divertir, se moquer. [L]Oui ; mais les marques de votre amitié tombent toujourssur mes épaules, et cela est mal placé. Ainsi tenez, pource qui est de nos gens, que le ciel les bénisse ; s'ils sontmorts, en voilà pour longtemps ; s'ils sont en vie, cela sepassera, et je m'en goberge.

IPHICRATE, un peu ému.

Mais j'ai besoin d'eux, moi.

ARLEQUIN, indifféremment.

Oh cela se peut bien, chacun a ses affaires ; que je nevous dérange pas !

IPHICRATE.

Esclave insolent !

ARLEQUIN, riant.

Ah ah, vous parlez la langue d'Athènes ; mauvais jargonque je n'entends plus.

IPHICRATE.

Méconnais-tu ton maître, et n'es-tu plus mon esclave ?

ARLEQUIN, se reculant d'un air sérieux.

Je l'ai été, je le confesse à ta honte ; mais va, je te lepardonne : les hommes ne valent rien. Dans le paysd'Athènes j'étais ton esclave, tu me traitais comme unpauvre animal, et tu disais que cela était juste, parce quetu étais le plus fort : eh bien, Iphicrate, tu vas trouver iciplus fort que toi ; on va te faire esclave à ton tour ; on tedira aussi que cela est juste, et nous verrons ce que tupenseras de cette justice-là ; tu m'en diras ton sentiment,je t'attends là. Quand tu auras souffert, tu seras plus

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raisonnable ; tu sauras mieux ce qu'il est de faire souffriraux autres. Tout en irait mieux dans le monde, si ceux quite ressemblent recevaient la même leçon que toi. Adieu,mon ami, je vais trouver mes camarades et tes maîtres.

Il s'éloigne.

IPHICRATE, au désespoir, courant après lui l'épée àla main.

Juste ciel ! Peut-on être plus malheureux et plus outragéque je le suis ? Misérable, tu ne mérites pas de vivre.

ARLEQUIN.

Doucement ; tes forces sont bien diminuées, car je net'obéis plus, prends-y garde.

SCÈNE II.

Trivelin, avec cinq ou six insulaires, arrive conduisant une Dame etla suivante, et ils accourent à Iphicrate qu'ils voient l'épée à la main.

TRIVELIN, faisant saisir et désarmer Iphicrate parses gens.

Arrêtez, que voulez-vous faire ?

IPHICRATE.

Punir l'insolence de mon esclave.

TRIVELIN.

Votre esclave ? Vous vous trompez, et l'on vousapprendra à corriger vos termes. Il prend l'épée d'Iphicrate et la donne à Arlequin. Prenez cette épée, mon camarade, elle est à vous.

ARLEQUIN.

Que le ciel vous tienne gaillard, brave camarade que vousêtes !

TRIVELIN.

Comment vous appelez-vous ?

ARLEQUIN.

Est-ce mon nom que vous demandez ?

TRIVELIN.

Oui vraiment.

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ARLEQUIN.

Je n'en ai point, mon camarade.

TRIVELIN.

Quoi donc, vous n'en avez pas ?

ARLEQUIN.

Non, mon camarade, je n'ai que des sobriquets qu'il m'adonnés ; il m'appelle quelquefois Arlequin, quelquefoisHé.

TRIVELIN.

Hé, le terme est sans façon ; je reconnais ces Messieurs àde pareilles licences. Et lui, comment s'appelle-t-il ?

ARLEQUIN.

Oh, diantre, il s'appelle par un nom, lui ; c'est le seigneurIphicrate.

TRIVELIN.

Eh bien ! Changez de nom à présent ; soyez le seigneurIphicrate à votre tour ; et vous, Iphicrate, appelez-vousArlequin, ou bien Hé.

ARLEQUIN, sautant de joie, à son maître.

Oh, oh, que nous allons rire ! Seigneur Hé !

TRIVELIN, à Arlequin.

Souvenez-vous en prenant son nom, mon cher ami, qu'onvous le donne bien moins pour réjouir votre vanité, quepour le corriger de son orgueil.

ARLEQUIN.

Oui, oui, corrigeons, corrigeons.

IPHICRATE, regardant Arlequin.

Maraud !

ARLEQUIN.

Parlez donc, mon bon ami, voilà encore une licence quilui prend ; cela est-il du jeu ?

TRIVELIN, à Arlequin.

Dans ce moment-ci, il peut vous dire tout ce qu'il voudra.

À Iphicrate.

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Arlequin, votre aventure vous afflige, et vous êtes outrécontre Iphicrate et contre nous. Ne vous gênez point,soulagez-vous par l'emportement le plus vif ; traitez-le demisérable, et nous aussi, tout vous est permis à présent :mais ce moment-ci passé, n'oubliez pas que vous êtesArlequin, que voici Iphicrate, et que vous êtes auprès delui ce qu'il était auprès de vous : ce sont là nos lois, et macharge dans la République est de les faire observer en cecanton-ci.

ARLEQUIN.

Ah, la belle charge !

IPHICRATE.

Moi, l'esclave de ce misérable !

TRIVELIN.

Il a bien été le vôtre.

ARLEQUIN.

Hélas ! Il n'a qu'à être bien obéissant, j'aurai mille bontéspour lui.

IPHICRATE.

Vous me donnez la liberté de lui dire ce qu'il me plaira,ce n'est pas assez ; qu'on m'accorde encore un bâton.

ARLEQUIN.

Camarade, il demande à parler à mon dos, et je le metssous la protection de la République, au moins.

TRIVELIN.

Ne craignez rien.

CLÉANTHIS, à Trivelin.

Monsieur, je suis esclave aussi, moi, et du mêmevaisseau ; ne m'oubliez pas, s'il vous plaît.

TRIVELIN.

Non, ma belle enfant ; j'ai bien connu votre condition àvotre habit, et j'allais vous parler de ce qui vous regarde,quand je l'ai vu l'épée à la main : laissez-moi achever ceque j'avais à dire. Arlequin !

ARLEQUIN, croyant qu'on l'appelle.

Eh !... À propos, je m'appelle Iphicrate.

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TRIVELIN, continuant.

Tâchez de vous calmer ; vous savez qui nous sommes,sans doute.

ARLEQUIN.

Oh morbleu, d'aimables gens.

CLÉANTHIS.

Et raisonnables.

TRIVELIN.

Ne m'interrompez point, mes enfants. Je pense donc quevous savez qui nous sommes. Quand nos pères, irrités dela cruauté de leurs maîtres, quittèrent la Grèce et vinrents'établir ici, dans le ressentiment des outrages qu'ilsavaient reçus de leurs patrons, la première loi qu'ils yfirent fut d'ôter la vie à tous les maîtres que le hasard oule naufrage conduirait dans leur île, et conséquemment derendre la liberté à tous les esclaves : la vengeance avaitdicté cette loi ; vingt ans après, la raison l'abolit, et endicta une plus douce. Nous ne nous vengeons plus devous, nous vous corrigeons ; ce n'est plus votre vie quenous poursuivons, c'est la barbarie de vos coeurs quenous voulons détruire ; nous vous jetons dans l'esclavagepour vous rendre sensibles aux maux qu'on y éprouve ;nous vous humilions, afin que, nous trouvant superbes,vous vous reprochiez de l'avoir été. Votre esclavage, ouplutôt votre cours d'humanité, dure trois ans, au boutdesquels on vous renvoie, si vos maîtres sont contents devos progrès : et si vous ne devenez pas meilleurs, nousvous retenons par charité pour les nouveaux malheureuxque vous iriez faire encore ailleurs, et par bonté pourvous, nous vous marions avec une de nos citoyennes. Cesont là nos lois à cet égard, mettez à profit leur rigueursalutaire. Remerciez le sort qui vous conduit ici ; il vousremet en nos mains, durs, injustes et superbes ; vousvoilà en mauvais état, nous entreprenons de vous guérir ;vous êtes moins nos esclaves que nos malades, et nous neprenons que trois ans pour vous rendre sains ;c'est-à-dire, humains, raisonnables et généreux pour toutevotre vie.

ARLEQUIN.

Purgation : Terme de médecine. Action

des remèdes purgatifs. [L]Et le tout gratis, sans purgation ni saignée. Peut-on de lasanté à meilleur compte ?

TRIVELIN.

Au reste, ne cherchez point à vous sauver de ces lieux,vous le tenteriez sans succès, et vous feriez votre fortuneplus mauvaise : commencez votre nouveau régime de viepar la patience.

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ARLEQUIN.

Dès que c'est pour son bien, qu'y a-t-il à dire ?

TRIVELIN, aux esclaves.

Quant à vous, mes enfants, qui devenez libres et citoyens,Iphicrate habitera cette case avec le nouvel Arlequin, etcette belle fille demeurera dans l'autre ; vous aurez soinde changer d'habit ensemble, c'est l'ordre.

À Arlequin.

Passez maintenant dans une maison qui est à côté, où l'onvous donnera à manger si vous en avez besoin. Je vousapprends, au reste, que vous avez huit jours à vousréjouir du changement de votre état ; après quoi l'on vousdonnera, comme à tout le monde, une occupationconvenable. Allez, je vous attends ici.

Aux insulaires.

Qu'on les conduise.

Aux femmes.

Et vous autres, restez.

Arlequin, en s'en allant, fait de grandes révérences à Cléanthis.

SCÈNE III.

Trivelin, Cléanthis esclave, Euphrosine, sa

maîtresse.

TRIVELIN.

Ah ça, ma compatriote ; car je regarde désormais notreîle comme votre patrie ; dites-moi aussi votre nom.

CLÉANTHIS, saluant.

Je m'appelle Cléanthis, et elle, Euphrosine.

TRIVELIN.

Cléanthis ? Passe pour cela.

CLÉANTHIS.

J'ai aussi des surnoms ; vous plaît-il de les savoir ?

TRIVELIN.

Oui-da. Et quels sont-ils ?

CLÉANTHIS.

Butorde : féminin de butor.

Familièrement, un homme stupide,

grossier, maladroit.J'en ai une liste : sotte, ridicule, bête, butorde, imbécile,et caetera. - 13 -

EUPHROSINE, en soupirant.

Impertinente que vous êtes !

CLÉANTHIS.

Tenez, tenez, en voilà encore un que j'oubliais.

TRIVELIN.

Effectivement, elle vous prend sur le fait. Dans votrepays, Euphrosine, on a bientôt dit des injures à ceux à quil'on en peut dire impunément.

EUPHROSINE.

Hélas ! Que voulez-vous que je lui réponde, dansl'étrange aventure où je me trouve ?

CLÉANTHIS.

Oh Dame, il n'est plus si aisé de me répondre. Autrefois iln'y avait rien de si commode ; on n'avait affaire qu'à depauvres gens : fallait-il tant de cérémonies ? Faites cela,je le veux ; taisez-vous, sotte ! Voilà qui était fini. Mais àprésent il faut parler raison ; c'est un langage étrangerpour Madame ; elle l'apprendra avec le temps ; il faut sedonner patience : je ferai de mon mieux pour l'avancer.

TRIVELIN, à Cléanthis.

Modérez-vous, Euphrosine.

À Euphrosine.

Et vous, Cléanthis, ne vous abandonnez point à votredouleur. Je ne puis changer nos lois, ni vous enaffranchir : je vous ai montré combien elles étaientlouables et salutaires pour vous.

CLÉANTHIS.

Hum. Elle me trompera bien si elle amende.

TRIVELIN.

Mais comme vous êtes d'un sexe naturellement assezfaible, et que par là vous avez dû céder plus facilementqu'un homme aux exemples de hauteur, de mépris et dedureté qu'on vous a donnés chez vous contre leurspareils ; tout ce que je puis faire pour vous, c'est de prierEuphrosine de peser avec bonté les torts que vous avezavec elle, afin de les peser avec justice.

CLÉANTHIS.

Oh tenez, tout cela est trop savant pour moi, je n'ycomprends rien ; j'irai le grand chemin, je pèserai commeelle pesait ; ce qui viendra, nous le prendrons.

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TRIVELIN.

Doucement, point de vengeance.

CLÉANTHIS.

Mais, notre bon ami, au bout du compte, vous parlez deson sexe ; elle a le défaut d'être faible, je lui en offreautant ; je n'ai pas la vertu d'être forte. S'il faut quej'excuse toutes ses mauvaises manières à mon égard, ilfaudra donc qu'elle excuse aussi la rancune que j'en aicontre elle ; car je suis femme autant qu'elle, moi :voyons, qui est-ce qui décidera. Ne suis-je pas lamaîtresse, une fois ? Eh bien, qu'elle commence toujourspar excuser ma rancune ; et puis, moi, je lui pardonneraiquand je pourrai ce qu'elle m'a fait : qu'elle attende.

EUPHROSINE, à Trivelin.

Quels discours ! Faut-il que vous m'exposiez à lesentendre ?

CLÉANTHIS.

Souffrez-les, Madame, c'est le fruit de vos oeuvres.

TRIVELIN.

Allons, Euphrosine, modérez-vous.

CLÉANTHIS.

Que voulez-vous que je vous dise : quand on a de lacolère, il n'y a rien de tel pour la passer, que de lacontenter un peu, voyez-vous ; quand je l'aurai querelléeà mon aise une douzaine de fois seulement, elle en seraquitte ; mais il me faut cela.

TRIVELIN, à part, à Euphrosine.

Il faut que ceci ait son cours ; mais consolez-vous, celafinira plus tôt que vous ne pensez.

À Cléanthis.

J'espère, Euphrosine, que vous perdrez votreressentiment, et je vous y exhorte en ami. Venonsmaintenant à l'examen de son caractère : il est nécessaireque vous m'en donniez un portrait qui se doit faire devantla personne qu'on peint, afin qu'elle se connaisse, qu'ellerougisse de ses ridicules, si elle en a, et qu'elle se corrige.Nous avons là de bonnes intentions, comme vous voyez.Allons, commençons.

CLÉANTHIS.

Oh que cela est bien inventé ! Allons, me voilà prête ;interrogez-moi, je suis dans mon fort.

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EUPHROSINE, doucement.

Je vous prie, Monsieur, que je me retire, et que jen'entende point ce qu'elle va dire.

TRIVELIN.

Hélas ! Ma chère Dame, cela n'est fait que pour vous ; ilfaut que vous soyez présente.

CLÉANTHIS.

Restez, restez, un peu de honte est bientôt passée.

TRIVELIN.

Minaudière : Celui, celle qui use de la

minauderie ; mines et manières de galanterie par lesquelles on cherche à

plaire. [L]Vaine minaudière et coquette, voilà d'abord à peu prèssur quoi je vais vous interroger au hasard. Cela laregarde-t-il ?

CLÉANTHIS.

Vaine minaudière et coquette, si cela la regarde ? Ehvoilà ma chère maîtresse ; cela lui ressemble comme sonvisage.

EUPHROSINE.

N'en voilà-t-il pas assez, Monsieur ?

TRIVELIN.

Ah ! Je vous félicite du petit embarras que cela vousdonne ; vous sentez, c'est bon signe, et j'en augure bienpour l'avenir : mais ce ne sont encore là que les grandstraits ; détaillons un peu cela. En quoi donc, par exemple,lui trouvez-vous les défauts dont nous parlons ?

CLÉANTHIS.

Babillarde : Qui aime à babiller ;

Parler beaucoup, facilement, et

surtout pour le seul plaisir de parler.

[L]En quoi ? Partout, à toute heure, en tous lieux ; je vous aidit de m'interroger ; mais par où commencer, je n'en saisrien, je m'y perds ; il y a tant de choses, j'en ai tant vu,tant remarqué de toutes les espèces, que cela me brouille.Madame se tait, Madame parle ; elle regarde, elle esttriste, elle est gaie : silence, discours, regards, tristesse etjoie, c'est tout un, il n'y a que la couleur de différente ;c'est vanité muette, contente ou fâchée ; c'est coquetteriebabillarde, jalouse ou curieuse ; c'est Madame, toujoursvaine ou coquette l'un après l'autre, ou tous les deux à lafois : voilà ce que c'est, voilà par où je débute, rien quecela.

EUPHROSINE.

Je n'y saurais tenir.

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TRIVELIN.

Attendez donc, ce n'est qu'un début.

CLÉANTHIS.

Sémillant : D'une vivacité qui veut

plaire. [L]Madame se lève, a-t-elle bien dormi, le sommeil l'a-t-ilrendu belle, se sent elle du vif, du sémillant dans lesyeux ? Vite sur les armes ; la journée sera glorieuse.Qu'on m'habille ! Madame verra du monde aujourd'hui ;elle ira aux spectacles, aux promenades, aux assemblées ;son visage peut se manifester, peut soutenir le grand jour,il fera plaisir à voir, il n'y a qu'à le promener hardiment, ilest en état, il n'y a rien à craindre.

TRIVELIN, à Euphrosine.

Elle développe assez bien cela.

CLÉANTHIS.

Madame, au contraire, a-t-elle mal reposé : ah ! qu'onm'apporte un miroir ? Comme me voilà faite ! Que je suismal bâtie ! Cependant on se mire, on éprouve son visagede toutes les façons, rien ne réussit ; des yeux battus, unteint fatigué ; voilà qui est fini, il faut envelopper cevisage-là, nous n'aurons que du négligé, Madame neverra personne aujourd'hui, pas même le jour, si elle peut,du moins fera-t-il sombre dans la chambre. Cependant ilvient compagnie, on entre : que va-t-on penser du visagede Madame ? On croira qu'elle enlaidit : donnera-t-elle ceplaisir-là à ses bonnes amies ? Non, il y a remède à tout :vous allez voir. Comment vous portez-vous, Madame ?Très mal, Madame ; j'ai perdu le sommeil ; il y a huitjours que je n'ai fermé l'oeil ; je n'ose pas me montrer, jefais peur. Et cela veut dire : Messieurs, figurez-vous quece n'est point moi, au moins ; ne me regardez pas,remettez à me voir ; ne me jugez pas aujourd'hui ;attendez que j'aie dormi. J'entendais tout cela, moi, carnous autres esclaves, nous sommes doués contre nosmaîtres d'une pénétration !... Oh ! Ce sont de pauvresgens pour nous.

TRIVELIN, à Euphrosine.

Courage, Madame ; profitez de cette peinture-là, car elleme paraît fidèle.

EUPHROSINE.

Je ne sais où j'en suis.

CLÉANTHIS.

Vous en êtes aux deux tiers ; et j'achèverai, pourvu quecela ne vous ennuie pas. - 17 -

TRIVELIN.

Achevez, achevez ; Madame soutiendra bien le reste.

CLÉANTHIS.

Vous souvenez-vous d'un soir où vous étiez avec cecavalier si bien fait ? J'étais dans la chambre ; vous vousentreteniez bas ; mais j'ai l'oreille fine : vous vouliez luiplaire sans faire semblant de rien ; vous parliez d'unefemme qu'il voyait souvent. Cette femme-là est aimable,disiez-vous ; elle a les yeux petits, mais très doux ; etlà-dessus vous ouvriez les vôtres, vous vous donniez destons, des gestes de tête, de petites contorsions, desvivacités. Je riais. Vous réussîtes pourtant, le cavalier s'yprit ; il vous offrit son coeur. À moi ? lui dîtes-vous. Oui,Madame, à vous-même, à tout ce qu'il y a de plusaimable au monde. Continuez, folâtre, continuez,dites-vous, en ôtant vos gants sous prétexte de m'endemander d'autres. Mais vous avez la main belle ; il lavit ; il la prit, il la baisa ; cela anima sa déclaration ; etc'était là les gants que vous demandiez. Eh bien, ysuis-je ?

TRIVELIN, à Euphrosine.

En vérité, elle a raison.

CLÉANTHIS.

Écoutez, écoutez, voici le plus plaisant. Un jour qu'ellepouvait m'entendre, et qu'elle croyait que je ne m'endoutais pas, je parlais d'elle, et je dis : Oh, pour cela ilfaut l'avouer, Madame est une des plus belles femmes dumonde. Que de bontés, pendant huit jours, ce petit mot-làne me valut-il pas ! J'essayai en pareille occasion de direque Madame était une femme très raisonnable : oh, jen'eus rien, cela ne prit point ; et c'était bien fait, car je laflattais.

EUPHROSINE.

Monsieur, je ne resterai point, ou l'on me fera rester parforce ; je ne puis en souffrir davantage.

TRIVELIN.

En voila donc assez pour à présent.

CLÉANTHIS.

Mignardise : Affectation de

gentillesse, de délicatesse.Ruelle : Petite rue. ou Fig. Ruelle du lit, ou, simplement, la ruelle, espace

laissé entre le lit et la muraille. [L]J'allais parler des vapeurs de mignardise auxquellesMadame est sujette à la moindre odeur. Elle ne sait pasqu'un jour je mis à son insu des fleurs dans la ruelle deson lit pour voir ce qu'il en serait. J'attendais une vapeur,elle est encore à venir. Le lendemain, en compagnie, unerose parut ; crac ! La vapeur arrive.

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TRIVELIN.

Cela suffit, Euphrosine, promenez-vous un moment àquelques pas de nous, parce que j'ai quelque chose à luidire ; elle ira vous rejoindre ensuite.

CLÉANTHIS, s'en allant.

Recommandez-lui d'être docile, au moins. Adieu, notrebon ami ; je vous ai diverti, j'en suis bien aise. Une autrefois je vous dirai comme quoi Madame s'abstient souventde mettre de beaux habits, pour en mettre un négligé quilui marque tendrement la taille. C'est encore une finesseque cet habit-là ; on dirait qu'une femme qui le met ne sesoucie pas de paraître, mais à d'autre ; on s'y ramassedans un corset appétissant, on y montre sa bonne façonnaturelle ; on y dit aux gens : Regardez mes grâces, ellessont à moi, celles-là ; et d'un autre côté on veut leur direaussi : Voyez comme je m'habille, quelle simplicité, il n'ya point de coquetterie dans mon fait.

TRIVELIN.

Mais je vous ai prié de nous laisser.

CLÉANTHIS.

Je sors, et tantôt nous reprendrons le discours, qui serafort divertissant ; car vous verrez aussi comme quoiMadame entre dans une loge au spectacle, avec quelleemphase, avec quel air imposant, quoique d'un air distraitet sans y penser ; car c'est la belle éducation qui donnecet orgueil-là. Vous verrez comme dans la loge on y jetteun regard indifférent et dédaigneux sur des femmes quisont à côté, et qu'on ne connaît pas. Bonjour, notre bonami, je vais à notre auberge.

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SCÈNE IV.

Trivelin, Euphrosine.

TRIVELIN.

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