[PDF] Étude de la transplantation de mineurs de La Réunion en France





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Présidence de la République

1 janv. 2017 Au grade d'officier. M. Calvar (Patrick Louis)

Rapport à Madame la ministre des Outre-mer

COMMISSION TEMPORAIRE D'INFORMA

TION

ET DE RECHERCHE HISTORIQUE

Philippe VITALE, Président ;

Wilfrid BERTILE, Prosper EVE, Gilles GAUVIN, Membres.

19621984

Étude de la transplantation de mineurs de La Réunion en France hexagonale

Les cartes et graphiques ont été conçus et réalisés par la Commission et dessinés par le

(Emmanuel Marcadé) que nous remercions. " Rechercher les préoccupations éducatives de cette époque, cest hélas, se pencher sur une grande misère. Chercher un souci des conditions de vie non seulement matérielles mais aussi culturelles, éducatives et affectives, cest se pencher sur un grand vide (...) La vie de lenfant était réglée sur les facilités administratives au mépris total de ses plus élémentaires besoins : sécurité, permanence, continuité... ». Pierre Verdier, Lenfant en miettes, Paris, Dunod, 2013, p.23. 7

SOMMAIRE

INTRODUCTION ........................................................................................................................... 9

Chapitre Premier

'ÉE, UNE RÉPONSE DE L'ͨ PROBLÈMES » DE LA RÉUNION '͕'X BESOINS ' ?

I- La Réunion des années 1950 et 1960, un jeune département à la recherche du

hexagonale : le temps du BUMIDOM. ...................................................................................... 68

V-Une transplantation placée sous le signe de la misère. ...................................................... 102

Chapitre Deuxième

'À 'ION ʹ CONTEXTE ET ÉVOLUTION DE LA IVe RÉPUBLIQUE

À 1984.

I- De la IVe République à la loi programme de 1960 : une construction qui repose sur le rôle de

mineurs. .................................................................................................................................. 147

Debré. (1970-1973) ................................................................................................................ 155

(1974-1984). ........................................................................................................................... 161

Chapitre Troisième

LA TRANSPLANTATION DE MINEURS, UNE COMPOSANTE " SCANDALEUSE ͩ' ORGANISÉE DES RÉUNIONNAIS EN FRANCE HEXAGONALE ?

I- Le placement en établissements à La Réunion : entre insuffisance et lenteur de la mise à

II- Le placement familial à la Réunion : un nombre limité de possibilités et un personnel très

faiblement professionnalisé (1958-1984). .............................................................................. 179

8

VI- Des placements " scandaleux » : études, cas médicaux, " enfance inadaptée »,

regroupement familial et service national ? ........................................................................... 244

Chapitre Quatrième

'MINISTÈRE : LA CHAOT ' ͨ UTOPIE

DANGEREUSE ».

experimentations aux dépens de mineurs. ............................................................................ 279

IV- Quelles responsabilités pour le Ministère de tutelle ? ...................................................... 422

V- Quelles responsabilités pour Michel Debré ? ..................................................................... 457

CHAPITRE Cinquième

ENTRE RÉSILIENCE, DÉNI, DÉNONCIATION ET VICTIMISATION : UNE " ' » ?

CONCLUSION GÉNÉRALE ......................................................................................................... 609

TABLE DES ANNEXES ............................................................................................................... 615

ENTRETIENS ............................................................................................................................ 667

SOURCES ................................................................................................................................. 671

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE...................................................................................................... 675

TABLE DES FIGURES ET TABLEAUX .......................................................................................... 679

LES AUTEURS DU RAPPORT .................................................................................................... 681

TABLE DES MATIÈRES .............................................................................................................. 683

9

INTRODUCTION

Par arrêté en date du 9 février 2016, le ministère des Outre-mer a créé une " commission

temporaire dinformation et de recherche historique sur le déplacement vers la France

1 ». Il sagit denfants et dadolescents réunionnais, en

charge de lÉtat, " 1615 » selon un chiffre jusquici relayé par les médias, ou repris dans les

documentaires2, qui, de 1963 à 1982, dates communément utilisées3, ont été envoyés dans

lHexagone. Bien quils aient été placés dans 83 départements, on les appelle couramment " enfants de la Creuse », du nom du département qui en avait reçu le plus grand nombre4. Il importe, tout dabord, de définir certains termes employés dans le cadre de ce rapport de mission. Ils se partagent en trois groupes : lespace, les migrations, la population concernée. Pour ce qui est des territoires, les uns et les autres emploient couramment et indistinctement les mots France, Métropole, ou Hexagone. Pendant la période coloniale et jusque dans les années 1950 et 1960, on parlait de la France et de La Réunion comme deux

entités géographiques différentes sans que nul ne soit choqué. On disait " partir pour France ».

Au demeurant, le Monde entier les désigne encore ainsi actuellement. A linstar des Corses qui désignent la France comme le " continent », les Réunionnais, comme dautres Domiens5, ont lhabitude de parler de " la Métropole », avec ou sans " m » majuscule ou de la " France métropolitaine ». Comme certains voient dans lusage du terme " Métropole » des

réminiscences de la colonisation, afin de ménager les sensibilités politiques, nous retiendrons

1 -Lettres et Sciences Humaines, et ancien

député, Gilles Gauvin, agrégé et docteur en histoire, Philippe Vitale, maître de conférences en sociologie, Marie-

-L

Inspecteur général des affaires sociales honoraire a quitté la Commission le 4 janvier 2018.

2 Le chiffre a notamment été diffusé par le documentaire de William Cally et de Sudel Fuma, " Une enfance en

exil. Justice pour 1615 », Kapali Studios création, 2013. 3 -Mer -Mer (ANT). -Mer pour la Mobilité (LADOM).

4 215 selon le rapport de Mlle Plassat, assistante sociale de la Creuse, réalisé en janvier 1995 et remis aux IGAS

Christian Gal et Pierre Naves.

5 -mer.

10 ici les termes dHexagone ou de France hexagonale. utilisée Concernant les déplacements de population entre La Réunion et la France hexagonale

et vice-versa, le vocabulaire employé est incertain en raison de lambiguïté de ces mouvements

migratoires. Les populations étant juridiquement françaises, il sagit a priori de migrations internes. Mais la distance, le choc bioclimatique du passage dun milieu tropical à un milieu

tempéré ou linverse, les différences biophysiques, culturelles, sociologiques, économiques

entre les populations concernées font que le chercheur peut parler démigrés ou dimmigrés à

propos des populations qui se rendent des Outre-mer dans lHexagone et inversement6. Il ne

sagit pas dassimiler nos compatriotes à des étrangers, mais de tenir compte des réalités vécues

par les migrants dans lun et lautre des territoires. Pour ce qui est de la population concernée, les appellations usitées se partagent entre

" Enfants de la Creuse », " mineurs déportés », " mineurs déplacés » ou " mineurs

transplantés », " enfants exilés Nous avons opté pour " mineurs transplantés », expression

qui de notre point de vue, traduit le mieux le vécu de mineurs issus dun territoire et que lon implante dans un autre. Dailleurs, celle-ci est utilisée par de nombreux acteurs sociaux,

psychiatres ou médecins de lépoque pour souligner en particulier les difficultés dadaptation

auxquelles peuvent être confrontés les jeunes ainsi déplacés. Précisons que le terme " enfant »,

le plus employé, recouvre en fait un éventail dâges allant de la naissance à la majorité (21 ans

jusquen 1974, 18 ans depuis). Le terme " mineur » nous apparaît plus approprié et cest

pourquoi nous lavons retenu. Enfin, certains mineurs transplantés nétant pas nés à La Réunion

(nés à Madagascar, à Maurice ou dans lHexagone), tout en étant pris en charge par lAide

sociale à lenfance de ce département, au lieu dutiliser les termes " mineurs réunionnais »,

nous avons préféré ceux de " mineurs de La Réunion ». Laffaire interpelle sagissant denfants, dêtres vulnérables et sans défense puisquissus de milieux familiaux défaillants, dont on a ainsi disposé des vies. Les conditions parfois

contestables de leur " recrutement » à La Réunion, de leur mise en route, de leur accueil, le sort

variable qui leur avait été fait, le choc du déracinement ont provoqué chez beaucoup dentre

eux des souffrances et des traumatismes. Même sil en était question de façon périodique, cette

" affaire » na fait la une des médias quau début des années 2000 quand une des personnes 6 -mer (Iedom). 11

concernées a réclamé devant la Justice un milliard deuros à lÉtat pour " enlèvement,

séquestration de mineurs, rafle et déportation7 ». Depuis, elle sest imposée dans le débat public

au point que lAssemblée nationale, dans une résolution mémorielle adoptée le 18 février 2014,

et " relative aux enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 19708 » a

affirmé que " lÉtat a manqué à sa responsabilité morale envers ces pupilles » et demandé que

" la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée » et " que tout soit mis

-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle ». Dans le prolongement de cette résolution, le Gouvernement a créé cette " Commission dinformation et de recherche historique » dans le but : - " dapprofondir la connaissance historique sur les Enfants de la Creuse et contribuer à sa diffusion ;

- détablir un tableau précis des populations concernées et de leur situation démographique

aujourdhui ;

- de proposer une relation précise des décisions et des actes ayant permis le transfert denfants

et dadolescents réunionnais vers lHexagone ; - dentendre les associations et permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle ; - de proposer des actions et mesures permettant de favoriser le travail de mémoire individuel et collectif autour de cette question9 ». Laffaire dite des " enfants de la Creuse » ne se réduit pas à ce placement denfants et dadolescents originaires de La Réunion dans des départements de lHexagone, et notamment des départements ruraux. Elle témoigne de ce que fut lhistoire de lAide sociale à lenfance

(ASE) relevant de lautorité de lÉtat jusquen 1984, date depuis laquelle cette responsabilité

incombe aux départements, du fait des lois de décentralisation10. Par ricochet, cette affaire

révèle les failles de la politique générale de lASE qui, des années 1960 au début des années

7 Jean-Jacques Martial, en 2002. Il a publié son récit de vie dans : Jean-Jacques Martial, Une enfance volée, Paris,

Les Quatre Chemins, 2014 [première édition 2003]. 8

9 Arrêté du 9 février 2016, consultable sur legifrance.fr.

10 ui dépend alors du service de la Population. Ce service est réorganisé avec la création

783 du 30 juillet 1964, puis réorganisées par décret n°77-249 du 22 avril 1977 sous le nom de Direction

départements et depuis le 1er avril 2010 les DDASS ont été supprimées, toutes leurs compétences étant transférées

soit aux Agences régionales de santé, soit aux départements. 12

1980, navait ni les mêmes fondements, ni la même organisation, ni le même regard sur lenfant

quaujourdhui. Cette transplantation denfants et dadolescents est aussi une composante de la politique dÉtat, à partir de 1962, par le biais du Bureau pour le développement de la production agricole (BDPA) et poursuivie à partir de 1963, par le

Bureau pour le développement des Migrations Intéressant les Départements dOutre-Mer

(BUMIDOM), concernant aussi les Guyanais, Martiniquais et Guadeloupéens. Cette politique

migratoire en direction de lHexagone, précédée pour les Réunionnais dune migration

organisée par le BDPA vers Madagascar, à partir de 1952, résulte elle-même dun choix de

développement pour La Réunion, " vieille colonie » intégrée à sa " Métropole » par la

départementalisation en 1946. Par ses multiples facettes, laffaire des " enfants de la Creuse »

apparaît ainsi comme la partie émergée de nombreuses questions socialement vives à léchelle

nationale. Dune part, il y a celle " des enfants de la DDASS », et plus particulièrement celle de ladoption. Dautre part, il y a aussi la question des migrations ultramarines organisées par

lÉtat français et celle des mémoires de lesclavage11, du fait de lhistoire coloniale des " Quatre

Vieilles ».

Laffaire dite des " enfants de la Creuse » pose ainsi une série de questions dans

plusieurs domaines. En premier lieu, elle sapparente au phénomène plus général de transfert

de mineurs dun territoire à lautre de lHexagone et, en particulier, dans les zones rurales. Où

se situent alors les éléments constitutifs dune " responsabilité morale » de lÉtat dans le

transfert de mineurs de La Réunion ? Dans les supposés " vols » ou " enlèvements » denfants

en usant dabus ou de mensonges destinés à obtenir laccord des parents ou des proches ? Dans

la " déportation » par " convois » denfants pour aller " repeupler » les campagnes délaissées

de la France hexagonale ? Dans une " exploitation éhontée » assimilée à un esclavagisme

moderne des enfants " déportés » ? Dans le rôle de lÉtat incarné sur place par la figure tutélaire

de Michel Debré ? Ces assertions communément répandues devront être confrontées à une

analyse méthodique et critique des témoignages, de la littérature scientifique et romanesque

ainsi que des documents darchives concernant cette affaire. 11

Mémoires

leurs abolitions, Paris, La Découverte, 2005. 13

De même, ce transfert de pupilles et assimilés12 est intégré à la politique démigration

des Réunionnais vers " la Métropole », mise en place par une société dÉtat, le BUMIDOM.

Même sil a ses spécificités, il amène donc à sinterroger sur cette politique qui a débouché sur

la constitution en France hexagonale dune " communauté » réunionnaise connaissant des problèmes didentité, daltérité et dinsertion. Enfin, que ce soit dans sa composante spécifique dite des " enfants de la Creuse » ou dans laction globale du BUMIDOM, la politique de migration ainsi organisée par lÉtat interpelle sur la relation asymétrique que la France hexagonale entretient avec ses " vieilles

colonies », fussent-elles devenues départements en 1946. Cest certes pour faire face aux

problèmes démographiques, économiques et sociaux de La Réunion que cette politique a été

est aussi pour répondre aux besoins français de main d

économie, demployées de maison, et de postulants pour ses emplois publics délaissés dans les

postes ou les hôpitaux et de repeuplement des campagnes. La loi de départementalisation de

1946 na pas effacé dun trait de plume le passé colonial de La Réunion, laquelle est encore à

la recherche du développement. La législation nationale ny a pas été appliquée immédiatement,

en particulier dans le domaine sanitaire et social, et surtout les représentations des uns et des autres vont continuer à influencer durablement les comportements et les politiques. Le présent rapport est le résultat de deux ans de travaux, durée dexistence qui a été

attribuée à la Commission. Au-delà des recherches personnelles déjà menées par ses membres

sur ce thème, la Commission a dabord recensé et pris connaissance de tout ce qui a été publié

à ce propos (travaux scientifiques, littérature romanesque, récits autobiographiques, bandes-

dessinées, toutes les productions audio-visuelles (reportages, interviews, films elle a dû identifier et senrichir des travaux en matière dAide sociale à l

Notre première préoccupation a été daller à la rencontre des ex-mineurs transplantés,

individuellement à La Réunion comme dans lHexagone ; et collectivement, aussi bien à La

Réunion, par deux fois, quà Paris, Guéret et Montpellier. Nous avons répondu, en outre, à de

nombreuses sollicitations par le biais déchanges téléphoniques, numériques ou dentrevues. Il

nous a semblé aussi nécessaire de rencontrer les responsables des collectivités locales de La

Réunion, dadministrations et dorganismes hexagonaux et des acteurs sociaux. Des séances de

travail ont été organisées avec les services de lASE du département et des archives

12

années 1960 et 1970, un jeune qui est pris en charge par la DDASS en France est désigné dans la pratique sous le

14

départementales de La Réunion. Nous tenons à remercier toutes ces personnes et institutions,

en particulier, les IGAS, Pierre Naves, Christian Gal et Michel Vernerey (ce dernier, un temps membre de notre Commission), les responsables des archives départementales de la Creuse, de lHérault, du Tarn et des archives nationales à Peyrefitte, ainsi que le directeur des archives départementales de La Réunion, Damien Vaisse, son adjointe Lise Di Pietro et leur équipe13. Une des difficultés rencontrées dans notre quête documentaire est venue des délais dobtention des autorisations nécessaires, comme pour tout chercheur travaillant sur les questions relevant du Temps présent. En outre, il a fallu composer avec la parcellisation des

sources, leur dispersion géographique et leurs disparités tant au niveau de leur état de

conservation que de leur contenu, lequel pouvait différer dune source à lautre sur les éléments

didentité, de statistiques ou de dates. De plus, lidentification de chacun des transplantés a

exigé un croisement minutieux de sources, quil a fallu localiser et auxquelles il a fallu accéder.

Ce travail a pris beaucoup de temps et pourrait être poursuivi. Un des objectifs de notre mission étant détablir " un tableau précis des populations

concernées et de leur situation démographique aujourdhui » (article 1er de larrêté de création

de la Commission), il eût été nécessaire de croiser une liste, à établir, des mineurs avec des

banques de données actuelles (Insee, Sécurité afin de tenter de les

localiser et de déterminer leur situation socio-économique. Nous navons pas pu réaliser cette

tâche de manière aussi approfondie que nous laurions voulu. Malgré les demandes faites par

la Commission dès le début de ses travaux, la complexité des procédures et les changements

déquipes ministérielles nont pas permis de mener ce croisement à bonne fin, dans le délai

imparti à la Commission. Nous avons donc travaillé à partir de documents et déchantillons

partiels (recensement sur le site ministériel, questionnaire en ligne, fiches envoyées par les

transplantés, sondages dans les municipalités). Pour aider au recensement actuel des ex-mineurs

à La Réunion, un affichage a été demandé officiellement aux mairies, sans grand succès. Enfin,

laccomplissement de la mission sest fait en sus des activités professionnelles et sociales des commissaires, qui sy sont néanmoins consacrés avec énergie et détermination. On a pu reprocher au rapport de lIGAS de 200214 davoir " dédouané lÉtat », arguant de sa dépendance du pouvoir politique. La Commission nationale tient à affirmer son respect, mais aussi son entière indépendance vis-à-vis des institutions. Ses membres ne sont mus que 13 associatif accueillis.

14 Christian Gal et Pierre Naves,

années 1960 et 1970, IGAS, Rapport n°2002 117, octobre 2002. 15

par un souci de vérité scientifique, ce qui est la moindre des choses concernant des chercheurs,

des universitaires et par leur seule conscience dhommes et de citoyens responsables. Avant de conclure nos travaux par ce volumineux rapport, nous voudrions préciser que

nous avons conçu chacun de ses cinq chapitres comme un tout. Doù certaines répétitions, des

renvois internes ou de développements déjà traités, rappelés de façon succincte, destinés à

faciliter la compréhension du lecteur qui aborderait les différents chapitres dans lordre de son

choix. Pour la bonne compréhension de cette affaire, nous rappellerons dabord que la situation

économique, sociale et politique de La Réunion dans les premières années de la

départementalisation, ainsi que certains besoins de la France hexagonale, avaient motivé

lorganisation dune politique démigration, dont la transplantation de mineurs est une

composante. Mais, conformément à la mission qui nous a été confiée, ce sont lhistoire et les

modalités de la transplantation des " pupilles », la compréhension de cette " affaire », qui

Il en est de même de la situation actuelle des anciens mineurs

transplantés dont la spécificité ne peut être appréciée quen comparaison avec les populations

réunionnaise et hexagonale. Nous ferons aussi des préconisations pour la transmission de cet

épisode qui appartient à lhistoire des migrations ayant forgé la nation française et pour

laccompagnement des anciens " enfants de la DDASS15 » de La Réunion transplantés qui souhaitent reconstruire leur histoire personnelle. Il nous a semblé pourtant nécessaire daller plus loin. Cest ainsi que nous nous sommes interrogés sur la politique générale de lASE

depuis les années 1960 et sur les souffrances ainsi que les attentes des personnes qui ont dû, à

un moment de leur existence, être prises en charge par le service daide sociale. Il nous a semblé

aussi utile de faire des propositions pour un accompagnement des Réunionnais installés dans lHexagone, . Enfin cette affaire interpelle sur la question des relations entre La Réunion et la France hexagonale. Par ses ramifications, laffaire dite des " enfants de la Creuse » permet ainsi de passer

du particulier au général. On devra, certes, apporter des réponses aux demandes des ex-mineurs

transplantés. Mais, si elle amène à sintéresser au sort fait aux enfants relevant de lASE dhier

comme daujourdhui ; au nécessaire accompagnement des Réunionnais installés en France

hexagonale et au-delà, aux autres " Domiens » ; au modèle de développement appliqué à La

Réunion et aux autres Outre-mer, cette douloureuse affaire, révélatrice au sens photographique

15 Cette expression, de même que celle de " enfant de la Population » ou " pupille », témoigne des représentations

n enfant de la DDASS 16

du terme, de problématiques plus générales, aura servi le bien commun. Les personnes

transplantées y trouveront des réponses et y puiseront peut-être un certain réconfort, en sachant

que leur histoire personnelle résulte aussi de destins individuels, forgés au gré du hasard ou de

la nécessité, et dont il faut être capable dassumer les parts dombre et de lumière. 17

CHAPITRE PREMIER

L'ÉMIGRATION ORGANISÉE, UNE RÉPONSE DE L'ÉTAT AUX " PROBLÈMES » DE LA RÉUNION D'ALORS, AINSI QU'AUX BESOINS DE

L'HEXAGONE ?

Une loi de 1946 érige La Réunion en département après 3 siècles de colonisation française. Aggravée par les conséquences de la Guerre, la situation est alors

catastrophique. Elle souffre dun sous-développement profond lié à ses structures et à labandon

dont elle a été lobjet à la fin de la période coloniale. La première phase de la transition

démographique dans laquelle elle entre provoque un accroissement rapide de la population. Elle

connait une société inégalitaire et paupérisée. Cette situation fait craindre aux autorités

lavènement de troubles sociaux et la remise en cause du statut départemental en faveur de lautonomie. Devant linsuffisance des solutions envisagées, elles considèrent lémigration

comme la meilleure solution densemble aux problèmes de lîle. Outre lexpérience limitée de

la Sakay (Madagascar), lémigration est organisée vers la France hexagonale. La transplantation de mineurs sinscrit dans cette politique. I- La Réunion des années 1950 et 1960, un jeune département à la recherche du développement et d'un équilibre social et politique. La situation de La Réunion à laube de la départementalisation a été maintes fois

analysée. Léconomie présente les aspects et les structures du sous-développement, la

population qui subit de façon très majoritaire de bas niveaux de vie saccroit très rapidement.

" La Réunion, département français doutre-mer, a gardé léconomie, la structure sociale, la

démographie dune colonie1 ». Structurellement, les choses nont guère évolué dans les années

1950 et dans la première moitié de la décennie 1960, époque où sélaborent puis se mettent en

place les politiques migratoires auxquelles se rattache la transplantation de mineurs de La Réunion vers la France Hexagonale. Ce tableau de La Réunion dalors éclaire sur les causes

1 Hildebert Isnard, " La Réunion, problèmes démographiques, économiques et sociaux », in revue de Géographie

Alpine, Grenoble, 1953, pp.607-628.

18 profondes de ces politiques tout en informant sur lenvironnement économique, social, culturel des " ex-mineurs » avant leur transplantation en France hexagonale. I-1. Une économie postcoloniale sous-développée. Au sortir de la période coloniale léconomie réunionnaise est extravertie. Son

fonctionnement se fait par et pour " la Métropole ». En application du système de lExclusif,

puis du pacte colonial et enfin de la préférence impériale, elle doit se suffire à elle-même donc

couvrir ses importations par ses exportations, sorganiser pour fournir des denrées tropicales à

" la Métropole » et servir de débouchés à ses produits manufacturés. De fait, en 1946, le taux

de couverture des importations par les exportations sétablit à 78 %, la balance commerciale étant équilibrée, voire excédentaire certaines années. A ce moteur de léconomie sajoute progressivement un autre, bien plus puissant, avec

la départementalisation et la construction européenne, les transferts publics. Il sagit des

dépenses de fonctionnement de lÉtat, y compris les aides sociales, ainsi que ses dépenses dinvestissements. Ces dernières sont couvertes par le FIDOM, (Fonds dInvestissement des Départements dOutre-Mer), branche du Fonds dinvestissement pour le développement

économique et social (FIDES), organisme français, créé par une loi du 30 avril 1946, chargé

dencourager le développement économique et social des territoires doutre-mer de lUnion française. Sy ajoutent depuis 1959, les crédits du FED (Fonds Européen de Développement pour les Pays et territoires dOutre-Mer) auxquels émarge La Réunion jusquau milieu des années 1970 malgré son statut départemental. Tableau 1 : Transferts publics de lÉtat (en millions de FCFA)

1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958

1 368 1 401 1 763 2 549 3 127 3 103 3 317

Source : SEDES

Ces crédits publics qui montent en puissance au cours de notre période ont accru la demande. Au lieu de les orienter principalement vers le secteur productif en ré-enracinant une

production locale extravertie, le choix a été fait davoir recours principalement à limportation,

ce qui a provoqué un déficit sans cesse plus profond de la balance commerciale. Le taux de couverture des importations par les exportations tombe à 52 % en 1962 et à 35 % en 1965. Comme par le passé, La Réunion exporte presque tout ce quelle produit et importe presque tout ce quelle consomme. Les exportations se font essentiellement vers la France 19

hexagonale ou la zone CFA. Elles sont dominées par le sucre et ses dérivés. Les importations

sont extrêmement diversifiées. " La Métropole » est là-encore le principal fournisseur. Héritage du pacte colonial, le monopole du pavillon perdure dans les liaisons maritimes (Conférence Internationale Madagascar, Comores, La Réunion, Maurice CIMACOREM) et aériennes (monopole dAir-France) entre La Réunion et la France et grève les frais dapproche. Si on ajoute le poids des intermédiaires, notamment les pratiques de

représentations exclusives, la parcellisation du commerce de distribution, le résultat est un coût

de la vie très élevé et en hausse à La Réunion. Entre 1955 et 1963, les prix de détail sont passés

de lindice 100 à lindice 118. Ces choix économiques font que La Réunion garde une économie peu diversifiée et

déséquilibrée. Au lendemain de la départementalisation, on a reconstitué le potentiel sucrier, la

France ayant besoin de sucre au sortir de la Guerre. Le Premier Plan ou Plan Monnet (1946-

1952) fixa pour lîle un objectif de production de 150 000 tonnes, alors quelle nen produisait

que 85 734 tonnes en 1938. Dès 1947 la production de 1938 est rattrapée et en 1952, lobjectif

du Plan est dépassé avec 157 793 tonnes. Cela est dû principalement à la modernisation des

usines, facilitée encore à partir de 1952 par un décret qui exonère dimpôts les bénéfices

industriels et commerciaux réinvestis dans lîle. A partir de 1954, on sattache à moderniser

aussi les façons culturales (épierrage, plantation de variétés nouvelles à plus hauts rendements,

paiement, à partir de 1954, de la canne daprès sa teneur en sucre et pas seulement son poids).

Le contingent payé à prix garanti, fixé en 1934 à 64 000 tonnes, passe à 199 400 tonnes en

1957. La production sucrière augmente considérablement, atteignant un record jamais plus

égalé de 262 481 tonnes en 1961. Le secteur primaire est ainsi essentiellement fondé sur le sucre et ses produits dérivés et constitue encore 26,6 % du PIB en 19632. Lévolution de la

production des huiles essentielles et de la vanille est plus heurtée, en raison de la variabilité des

cours. Entre 1949 et 1957, lindice des exportations en valeur de ces produits passe de 100 à

268 pour les huiles essentielles, avec un pic à 290 en 1951 et un étiage à 169 en 1953 ; pour la

vanille, lindice passe de 100 en 1949 à 341 en 1957, avec un pic à 360 en 1956 et un étiage à

61 en 1952. Au cours de cette période, La Réunion cultive quelque 62 000 ha dont 40 000 en

canne à sucre. Celle-ci emploie encore 90 % de la main dicole, fournissant 99 % des exportations en tonnage et près de 90 % de celles-ci en valeur. Sa part dans le PIB passe de

24 % en 1952 à 22 % en 1955 et à 20 % en 1958. Selon la Société dEtudes pour le

Développement Economique et Social (SEDES), en 1962, le sucre et le rhum forment 61 % de

2 Source : comptes économiques légers

du département de La Réunion pour la période 1952-1960, 1962. 20 la valeur de la production agricole, laissant le reste aux cultures secondaires dexportation

(huiles essentielles et vanille), aux cultures vivrières et à un élevage très largement traditionnel.

La part du secteur primaire dans la population active connaît une rapide régression. Elle chute de 58,59 % de la population active en 1946 à 47 % en 19643. Le recul de lemploi agricole

affecte les petits planteurs aussi bien dans le secteur de la canne que dans les cultures

secondaires des Hauts. Il sen suit un exode rural qui gonfle rapidement la population des villes provoquant lextension des bidonvilles. La poussée urbaine sobserve surtout entre 1954 et

1967. Au cours de cette période, quand la population totale saccroît de 51,8 %, celle de Saint-

Denis fait plus que doubler (+104,1 %), celle du port connaît un accroissement de 85 %. Narrivant plus à semployer dans lagriculture et les autres activités informelles, de nombreux

Réunionnais veulent profiter des équipements et de facilités de villes qui sont les premières

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