[PDF] LA TENTATION DE LA RECONVERSION

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CAHIER DU " MONDE » N

O

23716 DAT JEUDI 8

AVRIL 2021

NE PEUT TRE VENDU SPARMENT

A l"Ecole internationale

de boulangerie,

Noyers-sur-Jabron,

(Alpes-de-Haute-Provence).

P. GHERDOUSSI/DIVERGENCE POUR " LE MONDE »

DES

RECONVERTIS

PRCOCES

Actifs insatisfaits,

de plus en plus de jeunes diplms rejoignent les bancs de l'enseignement suprieur pour repenser leur avenir

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REPRENDRE

SES TUDES,

MODE D'EMPLOI

Trouver

une formation, la financer, se lancer : les tapes-cls d'une reconversion sans stress

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LA TENTATION DE

LA RECONVERSION

Pour certains, la crise sanitaire est un dclencheur, pour d'autres, elle confirme un projet en cours. Jeunes diplms ou actifs dj bien intgrs, ils sont de plus en plus nombreux reprendre des tudes pour changer de trajectoire. A l'image de ces reconvertis la boulangerie, qui transforment radicalement leur mode de vie

J'avais 20 ans

MARIE ROSE MORO

Pionnire de la psychiatrie transculturelle,

la thrapeute travaille notamment auprs des enfants de migrants en difficult, la lumire de son propre parcours de fille de rfugis espagnols

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LES

CONFINEMENTS

OU LE DCLIC

Pour certains jeunes

diplms, " c'est le moment ou jamais de changer de vie », parfois de manire radicale. Un programme en ligne les accompagne dans leur transition

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2|à la uneLE MONDE CAMPUS JEUDI 8 AVRIL 2021

NÉO-BOULANGERS FAIRE DU PAIN

ET ROMPRE AVEC SON QUOTIDIEN

noyers-sur-jabron (alpes-de-haute-provence) - envoyée spéciale I ls ont tout lâché et les voilà dans le ptrin. Un ptri n joye ux, quoique collant et poussireux. Bien loin des open spaces aseptiss que la plupart ont frq uents. Dans la valle d u

Jabron, entre le mont Ventoux et Sisteron,

leur laboratoire fait face la montagne de

Lure enneige. a sent bon la tourte de sei-

gle, le ssame, la poudre de cacao¼ Vous l'aurez devin : nous sommes avec une bande de reconvertis la boulangerie.

Les 11 stagiaires, de 28 55 ans, ont sign

pour quatr e mois de for mation dip l- mante de niveau 4 (quivalent du bac pro- fessionnel) dvolue la panification au le- vain naturel. En alternance, ils vont passer neuf semaines ici, l'Ecole internationale de boulangerie (EIDB), et six semaines en entreprise. Tous ont le mme obje ctif : ouvrir leur propre tablissement bio, la ville ou la campagne. " On leur donne une caisse outils, ils pourront choisir de s'ins- taller seul dans la Creuse ou d'avoir 80 sala- ris Hongkong », précise Thomas Teffri-

Chambelland, le fondateur de l'cole, lui-

mme reconverti aprs une premire vie en tant qu'enseignant de biologie.

Lauriane Delarue, diplme de la Lincoln

University, en Angleterre, rve de proposer

seule sa gamme de pains et viennoiseries au l evain, en Charen te-Ma ritime, prs de

La Rochelle. Calot blanc sur la tte, elle ra-

conte sa " crise de la trentaine ». Au moment du premier confinement, en mars 2020, elle est mise au chmage partiel tandis qu'elle fte ses 30 ans : " J"ai réalisé qu"il me restait encore trente-cinq annes bosser et que je n'allais pas tenir », raconte celle qui était char- ge d'af faires dans un groupe d'outilla ge pour des entreprises du BTP. Un CDI, de bon- nes primes et une voiture de fonction : " Sur le papier, j'avais tout pour tre heureuse », ad- met Lauriane. Sauf qu'elle ne supporte plus de passer son temps sur des fichiers Excel et que, le dimanche soir, elle n'arrive plus dormir. " Il n"y avait pas de sens pour moi, il me manquait toujours le plaisir. Je pensais secrtement la ptisserie, mais le travail ds 3 heures du matin me faisait peur pour construire une famille¼ »

Comme la plu part d es diplômés qui se

tournent vers des mtiers manuels, avides de " concret » e t majo ritairement privilé- gis, il est primordial pour ces noboulan- gers de trouver un quilibre entre leurs vies personnelle et professio nnell e. D'aucuns n'ouvriront qu'en fin d' aprs-midi po ur prserver leurs nuits. " L"image du boulan- ger, enferm la nuit dans sa cave, ne peut pas tre un idal. On doit sortir de ce standard la Zola, revenir un rythme plus humain », souligne Thomas Teffri-Chambelland, qui milite pour une reconsidration du statut social de l'artisan.

Dans l'cole construite en bois de mlze

local, les lves travaillent la lumire natu- relle devant d'immenses baies vitres, au tra- vers desquelles on aperoit parfois quelques moutons. A raison de quatre groupes de onze personnes accueillies chaque anne, suivies au quotidien par quatre formateurs, l'EIDB fait dans le haut de gamme. Autant dire que les places sont chres ± 16 000 euros pour la formation diplmante d'artisan boulanger bio, souvent finance par un apport person- nel ± et la liste d'attente est longue comme le bras¼ En ce dbut de printemps, le secrtariat inscrit ses stagiaires pour la fin 2022.

SANS LEVURE NI ADDITIFS

A la sortie de ce cocon hors du monde - élec-

tron libre par rapport aux centres de forma- tion d'apprentis classiques ± 80 % des dipl- ms mont ent leur entrep rise. En p lus de quinze ans d'existence, le directeur de l'EIDB n'a relev aucune dfaillance : " Sur un réseau de 150, aucune n'a ferm pour raisons cono- miques, remarque celui qui a façonné son cole de boulangerie comme une cole de commerce. Nous sommes très attachés à l"in- gnierie de projet. Je suis le mauvais bougre qui les ramne la ralit : les stagiaires doi- vent s'investir dans une structure qui va durer et avec laquelle ils vont se payer. » Compte d'exploitation, business plan¼ tout y passe pour " déniaiser les gens sur l"argent », en plus d'apprendre faire la meilleure des miches

± sans levure ni additifs.

Jean-Laurent Cassely, journaliste auteur de

l'ouvrage La Révolte des premiers de la classe (Arkh, 2017), qui a fait de ces jeunes dipl- ms qui passent un CAP un objet d'tude, ob- serve ainsi que " ce qui est arrivé aux autres secteurs, prcdemment ªdisruptsº par le re- tour des artisans, n'pargne pas la boulange- rie ». Si personne ne sait où on sera dans dix ans, tout le monde semble d'accord pour dire que l'on mangera toujours du pain. " Plutôt qu'un dlire narcissique, c'est un choix ration- nel, poursuit-il. Contrairement à la saturation de certains commerces - de type fromagerie ou librairie -, le territoire est capable d"absor- ber un grand nombre de boulangeries. »

Car le pain n"est pas un produit comme les

autres. Tour tour, les reconvertis voquent sa " magie ». Au petit matin, il n"y a rien à part de la farine et de l'eau ; la tombe du jour, c"est une flopée de brioches, pains de campagne, fougasses et autres cookies qui seront distribus aux associations du coin. " La ptisserie, c'est joli, mais ce n'est pas vi- vant comme la boulangerie », tranche Maye

Lepoutre, Mexicaine de 35 ans, diplme

d'un master en chimie des plantes. Elle a arrt la recherche en biologie il y a quatre ans, lasse de faire " un boulot qui n"aboutit jamais », p our se lan cer da ns un CAP en ptisserie. Aujourd'hui, elle bifurque vers la boulangerie, conjuguant p laisir sensitif et intrt scientifique. " Il y a quelque chose de miraculeux dans toutes ces ractions chimi- ques. Pour faire du bon pain, on regarde la fermentation du levain, mais aussi la temp- rature de la pte, son pH¼ C'est une matire noble : on ne va pas ajouter de la dco ou des choses qui brillent. Et si tu n'es pas relax, tu vas le transmettre ta pte. »

Façon madele ine de Proust, le p ain es t

associ des souvenirs rassurants, une sen- sualit particul ire. " N"oublions pas que celui-ci a reprsent le corps du Christ pendant trs longt emps, rappelle l"histori en améri- cain Steven Kaplan, lui-mme pass par un

CAP de boulangerie, auteur de l'ouvrage Pour

le pain (Fayard, 2020). C"est un objet banal du quotidien, mais bien diffrent d'une chaus- sette ! Le pain porte les reliques de sa sacralit.

C'est aussi le symbole de la ration de survie

pour nombre de Franais. » En 1789, Louis XVI a d'ailleurs t surnomm " le boulanger » : " Historiquement, la recherche du pain, c'est la conqute de la libert, souligne M. Kaplan. Les outsiders de l'EIDB sont porteurs de cette cul- ture franaise, avec cette ide : je deviens mon propre patron, et je fais ce que je veux grce au travail de mes mains. » Et pourtant, " dans la

France bourgeoise, il y a depuis longtemps

une rsistance l'apprentissage, un mpris pour les mtiers manuels », souligne l"histo- rien. " Les enfants devaient étudier pour ne pas tre souills par leur sueur en allant au fournil. Au XVIIIe siècle, on ne pouvait devenir boulanger que de pre en fils. Une forme de snobisme d'en haut et d'en bas. »

En arrivant d"horizons très divers, les jeu-

nes reconvertis la boulangerie cassent les codes de ceux qui n'ont jamais quitt le p- trin. Dans ce renversement de culture, il y a chez les noboulangers " un effet signature », selon l'expression de Jean-Laurent Cassely : " Ces métiers manuels offrent aux reconvertis une latitude crative. La filire du btiment n'est pas aussi courue par exemple. Et, dans l'inconscient collectif, le boulanger reprsente un personnage central, une star du village : un potentiel qui n'attend que d'tre revaloris par ceux qui savent jouer avec l'image. »

Les stagiaires de l"EIDB revendiquent leur

diffrence : ils veulent proposer un pain " qui [leur] ressemble ». En rupture avec l"homogé- nit de la baguette traditionnelle, ceux-l

Reportage Dans les Alpes-de-

Haute-Provence, une cole

forme des patrons boulangers.

Les stagiaires, issus de tous

les horizons, misent sur le pain pour rinventer leur vie CHAQUE MICHE SERAIT PORTEUSE D'UNE CONSCIENCE THIQUEET COLOGIQUE

L"Ecole internationale de boulangerie, à Noyers-sur-Jabron, dans les Alpes-de-Haute-Provence, propose une formation destinéeaux adultes en reconversion et porteurs d'un projet professionnel d'installation. PATRICK GHERDOUSSI/DIVERGENCE POUR " LE MONDE »

*05i4( :65

LE MONDE CAMPUS JEUDI 8 AVRIL 2021à la une|3

Des reconversions de plus en plus prcocesDéçus par la vie active, nombre de jeunes adultes diplômés renouent avec les études

C" est un m odèle qui a long- temps t une caractristique franaise et qui, peu peu, se fissure. Celui du diplme unique ob- tenu dans la continuit des tudes se- condaires, juste avant d'entrer dans la vie active, et dont on se prvaut tout au long de sa vie. Mais ce modle change.

Les jeunes adultes sont de plus en plus

nombreux reprendre des tudes pour obtenir un nouveau diplme, quelques annes apr s avoir commenc leur vie active, observe le Centre d'tudes et de rec herches sur les quali fication s (Creq), dans une tude parue fin 2020.

Depuis vingt ans, " ce phénomène conti-

nue d'augmenter au fil des enqutes », constate Alexie Robert, charge d'tu- des au Creq. La part de jeunes qui re- prennent des tudes dans les sept ans qui suivent leur entre dans le monde professionnel est ainsi passe de 14 % pour les jeunes diplms en 1998,

23 % pour ceux sortis en 2010, tous ni-

veaux de diplmes confondus. Et c"est sans compter toutes celles et ceux qui se reconvertissent au moyen des for- mations courtes non diplmantes.

Comment l'expliquer ? Par les difficul-

ts d'in sertion professionnelle tout d'abord. L'ge moyen d'accs un pre- mier emploi stable est pass de 20 ans en 1975 27 ans aujourd'hui, selon une tude du Conseil conomique, social et environnemental. " La transition entre tudes et march du travail s'est fluidi- fie pour les plus favoriss, mais elle est devenue plus floue et labyrinthique pour les autres. L'enjeu de ces reprises d'tudes est souvent de s'assurer un poste stable et un niveau de rmunration correct », estime le sociologue Franois Sarfati, chercheur au Conserv atoir e national des arts et mtiers (CNAM).

La propension à reprendre ses études

en dbut de vie active touche tous les niveaux de diplme, note le Creq. Mais ceux qui o nt un ni veau ba ccalau rat sont les plus enclins revenir sur les bancs de l'e nseign ement suprieur.

Comme Claire Lottin qui, aprs avoir

rat son bac littraire, a commenc tout de suite travailler. " J"en avais marre, je voulais gagner de l'argent et tre ind- pendante », s e souv ient-elle. S"en sui- vent cinq annes de petits boulots dans l'animation, la restaurat ion, l 'vne- mentiel. Elle dcide ensuite de repren- dre les tudes, par le biais d'un diplme d'accs aux tud es univ ersitaires (DAEU) l'universit Paris-I-Panthon-

Sorbonne, la rentre 2020. " Quand j"ai

choisi de chercher du travail aprs ma terminale, je savais dj que je repren- drais mes tudes un jour. Certains con- cours de la fonction publique sont acces- sibles sans le bac, mais avec le DAEU, si je veux me reconvertir de nouveau, ce sera plus simple », explique l"étudiante, qui veut travailler dans la criminologie. " Ces reprises d"études viennent consa- crer le rle central du diplme dans la socit franaise », analyse M. Sarfati. La majorit de ces jeunes cherchent ob- tenir un diplme du niveau suprieur celui obtenu dans le cadre de leur for- mation initiale, comme Betty Febvay.

Aprs son BTS commercial, elle a tra-

vaillé cinq ans dans la vente, d"abord en magasin puis com me tlco nseillre.

Elle a ens uite repris un bach elor en

marketing digital en alternance, au

Digital College, en septembre 202 0.

" J"avais le sentiment d"être peu reconnue dans mon travail, que les mtiers de la vente n'taient pas valoriss et qu'il me fallait obtenir un diplme bac + 3 pour progresser », e stime l"appren tie, qui n'exclut pas de poursuivre en master.

L"ALTERNANCE, LA VOIE ROYALE

Ces reco nversions précoces posent

aussi la question de l'orientation post- bac. La dception face la ralit d'un mtier, et le mal-tre qu'elle peut engen- drer, revient dans de nombreux tmoi- gnages. " Au lycée, on manque d"accom- pagnement sur ce que sont rellement les mti ers et ensuite cela n e fait que s'amplifier. On nous vend du rve », juge

Sophie Durel. Cette diplme d'un mas-

ter en management de l'innovation a travaill dans des c ollectivi ts avan t d'entamer une reconv ersion comme ingnieure acousticienne en suivant les cours du soir au CNAM. Une dmarche qu'elle a entame 27 ans, et qui va encore lui prendre plusieurs annes. " A

18 ans, on nous met une norme pression

pour s'ori enter, déplore la tout juste trentenaire. J"admire ceux qui arrivent trouver leur voie du premier coup. »

Selenn Danjean aussi est tombée de

haut quand elle a com menc tr a- vailler comme infirmire. " J"idéalisais le monde hospitalier travers les sries. a a t la douche froide. Je voyais mes collgues peu panouies, mais je me di- sais : "c"est peut-être ça la vie profession- nelle" », s e souv ient-elle. Deux ans et demi aprs l'obtention de son diplme et alors qu'elle est infirmire de nuit en réanimation, elle jette l"éponge et dé- cide de se reconvertir dans le secteur bancaire. Quelques semaines plus tard, la rentre 2019, elle signe un contrat de professionnalisation avec le CIC et l'Ecole suprieure de la banque. Elle ob- tient son bachelor en septembre 2020 et est embauche dans l'agence o elle a fait son alternance. " J"ai tout fait toute seule. On n'est pas assez accompagns pour changer de mtier », estime-t-elle.

Les dispositifs de financement pour

se rec onvertir se sont multip lis c es dernires annes. L'alternance fait fi- gure de vo ie roy ale. Depu is 2019, les contrats d'apprentissage peuvent tre signs jusqu' 30 ans (le contrat de pro- fessionnalisation, lui, est sans limi te d'ge). Au-dessus de 26 ans, l'apprenti touche 100 % du smic. " Je n"ai même pas perdu en salaire alors que je suis de nouveau tudiante. J'ai 28 ans, je suis partie de chez mes parents depuis long-quotesdbs_dbs44.pdfusesText_44

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