[PDF] Apprentissage et inégalités au primaire : le cas de lenseignement





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l'enseignement des mathématiques mesures pour par Cédric Villani député de l'Essonne et Charles Torossian

Apprentissage et inégalités au primaire : le cas de lenseignement Apprentissage et inégalités au primaire : le cas de l"enseignement des mathématiques en éducation prioritaire Denis Butlen, Monique Charles-Pézard et Pascale Masselot Laboratoire de didactique André Revuz, Université Cergy-Pontoise

Novembre 2015

Contribution dans le cadre du rapport du Cnesco sur les inégalités scolaires d"origine sociale et

ethnoculturelle, à paraître en 2016. 2

Table des matières

Résumé

Introduction

I Des difficultés des élèves aux élèves en difficulté, quelques résultats de recherche

1 Enjeu et limites d"un enseignement visant à combler des lacunes

et des pré-requis non installés ........................................................... 11

2 Ménager des cheminements cognitifs spécifiques aux élèves en

difficulté, une nécessité peu prise en compte dans les pratiques, un domaine encore peu exploré par les recherches en didactique des mathématiques ...................................................................... 13

3 Aides procédurales et aides constructives

............................................... 14 II Pratiques de professeurs des écoles enseignant les mathématiques en ZEP

1 Les recherches sur les professeurs des écoles enseignant les ma-

thématiques dans des écoles scolarisant un public très défavorisé (Butlen, Pézard, Masselot, Ngono, Peltier) ............................................. 15

2 Des contradictions et des catégories de pratiques

...................................... 16

3 Trois problèmes du métier : installer une paix scolaire, exercer

une vigilance didactique, gérer la tension entre dévolution et institutionnalisation .... 18

4 L"installation d"une paix scolaire

........................................................ 18

5 L"exercice de la vigilance didactique

.................................................... 18

6 La gestion du couple dévolution/institutionnalisation

.................................. 19

7 Convergence avec d"autres travaux en didactique des mathéma-

tiques et en sociologie ................................................................... 21

Conclusion

Bibliographie

3 4

Résumé

Ce rapport présente des résultats de recherche sur les difficultés d"apprentissage des élèves en mathé-

matiques et sur des pratiques de professeurs (notamment du premier degré) enseignant les mathématiques

à des élèves relevant de l"éducation prioritaire. Les travaux évoqués sont pour la plupart des recherches

qualitatives.

Il semble que la prise en compte des difficultés rencontrées par les élèves dès l"école primaire, notamment

ceux issus de milieux socialement défavorisés, exige une transformation de la façon de concevoir l"enseigne-

ment des mathématiques à l"école, et donc, de certains contenus de la formation des professeurs des écoles

qui assureront cet enseignement. Il s"agit ici de montrer comment, les difficultés rencontrées par les élèves

pour atteindre un niveau de conceptualisation nécessaire aux apprentissages de notions mathématiques,

sont susceptibles d"être conjuguées, voire d"être renforcées par certaines pratiques enseignantes. Dans ce

rapport est mis en évidence un processus dialectique de construction des difficultés d"apprentissage des

mathématiques pouvant conduire certains élèves, notamment issus de milieux socialement défavorisés, à

fragiliser leurs connaissances, voire à ne pouvoir bénéficier des acquis accompagnant la maîtrise du socle

commun. Il est difficile, à ce jour, d"affirmer que ce phénomène de cumul est révélateur d"une mutation

de l"école; néanmoins, dépasser ces difficultés, élaborer d"autres pratiques d"enseignement constituent des

défis pour le système éducatif, la recherche, la formation et, plus généralement, la société.

Ce rapport comporte deux parties.

Dans un premier temps, nous revenons sur des recherches, concernant l"identification des difficultés

d"apprentissage relatives à un contenu donné, qui, de plus en plus centrées sur les élèves en difficulté, ont

débouché sur des diagnostics plus larges éclairant certains phénomènes de contrat didactique (

Brousseau

1987
), ou liés aux pratiques enseignantes (

Perrin-Glorian

1992
). Les recherches menées dans des classes faibles du primaire et du début du collège (

Perrin-Glorian

1993

Butlen et Pézard

1992

Butlen et Le Poche

1997

) permettent d"énoncer un certain nombre de caractéristiques susceptibles d"être présentées par un élève

en difficulté en mathématiques. Si ce dernier ne les présente pas forcément toutes, il existe des phénomènes

de convergence, de seuil et de cumul qui concourent souvent à l"accumulation de difficultés; notamment,

une difficulté à capitaliser les connaissances et un manque de confiance dans les connaissances anciennes,

une certaine carence dans les représentations mentales et une absence fréquente de projet implicite de

réinvestissement se traduisant souvent par une grande difficulté à identifier les enjeux d"apprentissage des

situations qui leur sont proposées, une difficulté à changer de point de vue et un manque de flexibilité

cognitive s"accompagnant souvent d"une recherche d"algorithmes et de règles, une difficulté à gérer les

tâches complexes et une demande de relation privilégiée à l"adulte.

Ces recherches (

Perrin-Glorian

1992

Butlen et al.

2004
) mettent notamment en évidence des cercles

vicieux dans lesquels pourraient être entraînés professeur et élèves, conduisant à un renforcement des

5

difficultés d"apprentissage des seconds. Devant répondre aux demandes d"aides des élèves ne pouvant

réaliser les tâches qui leur sont prescrites, les professeurs sont souvent amenés à réduire leurs exigences,

à apporter des aides aux élèves, aides qui souvent transforment les tâches initiales en les simplifiant. Les

élèves les plus en difficulté ne sont alors pas confrontés aux mêmes activités que leurs pairs. De ce fait,

les apprentissages potentiels, susceptibles d"être induits, ne sont plus les mêmes. Ces aides et réponses ont

ainsi pour résultat, à moyen terme, de maintenir certains de ces élèves dans leur difficulté.

Dans les années suivantes, d"autres recherches ont développé, affiné, enrichi ce diagnostic et permis

de mieux comprendre les difficultés des élèves ainsi que les relations entre difficultés d"apprentissage et

pratiques enseignantes.

Les résultats de recherches menées sur les pratiques de professeurs des écoles enseignant les mathé-

matiques en éducation prioritaire mettent en évidence trois éléments susceptibles d"expliquer certaines des

difficultés rencontrées par les élèves. Le premier a trait aux effets sur les apprentissages potentiels des élèves

au quotidien d"une absence d"identification des enjeux d"enseignement, et aux limites des interventions des

enseignants pour les aider à dépasser ce manque. Le deuxième concerne une pratique enseignante, fréquente

et confortée par des injonctions institutionnelles, consistant à privilégier une stratégie de remédiation (c"est-

à-dire à mettre en place des dispositifs visant à combler des manques et lacunes) plutôt qu"à favoriser des

cheminements cognitifs mieux adaptés aux difficultés des élèves. Le troisième élément possible d"explication

est la nature des aides susceptibles d"être apportées par les enseignants qui cherchent à dépasser la tension

entre le recours à des aides procédurales tournées vers la résolution de la tâche et la proposition d"aides "à

visée constructive", tournées vers les apprentissages des élèves (aides conceptuelles). Dans une seconde partie, nous revenons sur des résultats établis (

Butlen et al.

2002
2010
) à partir

d"une analyse qualitative des pratiques de deux groupes comportant chacun une dizaine de professeurs des

écoles, observés pendant deux années consécutives, qui permettent de caractériser les pratiques observées,

de dégager un modèle permettant de décrire leur organisation et d"identifier ce que les auteurs ont qualifié

de "grandes questions de la profession". Les réponses à apporter à ces questions concernent la formation

initiale et la formation continue des professeurs des écoles.

Ces recherches sur l"enseignement des mathématiques en ZEP montrent une certaine diversité dans les

pratiques, mais aussi des manières d"enseigner, le plus souvent partagées, qui se transmettent facilement

aux débutants parce qu"elles se révèlent suffisamment cohérentes et stables pour agir au quotidien sans

tout "réinventer". Ces pratiques se caractérisent par des scénarios d"enseignement proposant des tâches

réduites, algorithmisées, des anticipations très rapides sur les difficultés potentielles des élèves se traduisant

par une baisse des exigences du professeur, une absence fréquente, voire systématique de phases de synthèse

et d"institutionnalisation, une individualisation non contrôlée des enseignements comme du traitement des

comportements. Elles révèlent ainsi que certaines manières d"enseigner les mathématiques en éducation

prioritaire (majoritaires à l"école élémentaire selon les observations effectuées) peuvent, souvent à l"insu

des enseignants et contre leur volonté, hypothéquer les chances d"apprentissage pour certains ou du moins

accentuer les différences initiales. D"autres manières d"enseigner qui ont été observées en ZEP, toutefois

très minoritaires, permettent potentiellement aux élèves de construire des connaissances solides.

Butlen et al.

2010
) identifient trois grandes questions pour les professeurs qui déterminent, selon eux,

l"organisation des pratiques observées : l"installation de la paix scolaire (couple composé de la paix sociale

et de l"adhésion des élèves au projet de l"enseignement du professeur), l"exercice d"une vigilance didactique

6

(conditionnant la qualité des mathématiques proposées à la fréquentation des élèves et leur accessibilité

pour tous) et la gestion du couple processus de dévolution/d"institutionnalisation 1

Les résultats des recherches évoquées pose la question de l"enrichissement des pratiques enseignantes

et interroge donc la formation initiale et continue.

1. Le processus de dévolution décrit l"ensemble de l"activité du professeur qui consiste à amener l"élève à s"approprier le

problème à résoudre, à mobiliser les connaissances nécessaires et à assumer la responsabilité de la résolution. La dévolution est

un élément important du contrat didactique. Il ne suffit pas de "communiquer" un problème à un élève pour que ce problème

devienne son problème et qu"il se sente seul responsable de le résoudre. Il ne suffit pas, non plus, que l"élève accepte cette

responsabilité pour que le problème qu"il résout soit un problème "universel" dégagé de présupposés subjectifs. La dévolution

ne porte pas sur l"objet de l"enseignement mais sur les situations qui le caractérisent. C"est un processus qui porte sur toutes

les situations. Le processus d"institutionnalisation a pour but de donner aux connaissances éventuellement mobilisées par les

élèves un statut de savoir culturel et social. G. Brousseau précise que l"institutionnalisation porte aussi bien sur une situation

d"action que sur une situation de formulation ou de preuve. Les maîtres doivent prendre acte de ce que les élèves ont fait,

décrire ce qui s"est passé et qui a un rapport avec la connaissance visée, donner un statut aux événements de la classe comme

résultat des élèves et comme résultat de l"enseignant, assumer un objet d"enseignement, l"identifier, rapprocher ces productions

des connaissances des autres (culturelles ou du programme), indiquer qu"elles peuvent resservir. 7 8 Apprentissage et inégalités au primaire : le cas de l"enseignement des mathématiques en éducation prioritaire

Introduction

Ce rapport présente des résultats de recherches sur les difficultés d"apprentissage des élèves en mathé-

matiques et sur des pratiques de professeurs (notamment du premier degré) enseignant les mathématiques

à des élèves relevant de l"éducation prioritaire. Il s"agit notamment de recherches menées collectivement

par des chercheurs du laboratoire de didactique André Revuz 2 mais aussi d"autres recherches en didactique des mathématiques menées par des membres du réseau RESEIDA 3 . Les résultats de ces travaux rejoignent ceux menés par d"autres chercheurs situés dans d"autres champs disciplinaires 4

Les recherches évoquées dans ce rapport concernent essentiellement l"école élémentaire et le début du

collège (du cours préparatoire -première année de l"école élémentaire - à la classe de 5

èmedu collège). Ce sont

pour la plupart des recherches qualitatives. Si elles concernent un nombre limité d"élèves ou d"enseignants,

les types d"évaluation interne (évaluation des résultats au regard des objectifs attendus) et d"évaluation

externe (comparaison avec des groupes témoins, par exemple) mises en œuvre, le croisement d"analyses

de différents corpus de données (productions d"élèves, scénarios d"enseignement, entretiens, observations

effectives de séances s"appuyant sur des documents audio ou vidéo) garantissent la fiabilité des résultats

obtenus. L"inscription de ces recherches dans plusieurs cadres théoriques permet aussi de conforter les

résultats obtenus. Ainsi, plusieurs constats et résultats d"analyses se recoupent et convergent alors que

les méthodologies et cadres théoriques retenus diffèrent parfois, et convoquent des champs disciplinaires

différents (didactiques de disciplines différentes, sociologie, psychologie, par exemple) et que les recherches

sont menées dans plusieurs pays (Belgique, Suisse, Canada/Québec ou France).

Plusieurs de ces recherches concernent un nombre de classes, certes limité, mais cependant non négli-

geable (de 2 à 5 classes, soit entre 50 et 120 élèves, de chaque niveau de l"école élémentaire par exemple).

Les observations de pratiques enseignantes portent dans certaines recherches sur une dizaine d"enseignants

chaque fois et se déroulent sur un temps long (de une à trois années). Enfin, une des recherches signalées

dans les pistes de réflexion et les propositions pour la formation relève de recherches quantitatives.

Il semble que la prise en compte des difficultés rencontrées dès l"école primaire par les élèves, notamment

ceux issus de milieux socialement défavorisés, exige une véritable transformation de la façon d"enseigner les

mathématiques à l"école, donc de la formation d"enseignants polyvalents qui assureront ces enseignements.

2. Butlen D., Charles-Pézard M., Masselot P., Peltier M-L., Ngono B., Perrin M-J., Robert A., Vandebrouck F.

3. Margolinas C., Laparra M., Coulange L.

4. Il s"agit notamment de chercheurs de l"équipe ESCOL : Bautier E., Rochex J-Y., Bonnery S., Crinon J. mais aussi de

chercheurs d"autres laboratoires Cèbe S. ou Goigoux R. 9

Apprentissage et inégalités au primaire : le cas de l"enseignement des mathématiques en éducation

prioritaireTrente ans de recherches en didactique des mathématiques ont montré les effets limités des dispositifs de

remédiation et la résistance des enseignants à une formation s"appuyant sur des résultats de recherche,

mais qui serait trop éloignée des pratiques les plus courantes du terrain. Nous décrivons dans ce rapport

des phénomènes - certains d"entre eux semblent s"être manifestés dans les dernières décennies - qui se

cumulent et concourent à l"apparition de difficultés d"apprentissages. Il s"agit ici de montrer comment les

difficultés rencontrées par les élèves pour atteindre un niveau de conceptualisation nécessaire aux appren-

tissages de notions mathématiques peuvent se conjuguer, voire se renforcer en raison de certaines pratiques

enseignantes.

Ce rapport se propose de mettre en évidence un processus dialectique de construction des difficultés

d"apprentissage des mathématiques pouvant conduire des élèves, notamment issus de milieux socialement

défavorisés, à manifester des connaissances de plus en plus fragiles, voire à ne pouvoir bénéficier des

apprentissages nécessaires à la maîtrise du socle commun.

S"il est difficile, à ce jour, d"affirmer que ce phénomène de cumul est révélateur d"une mutation de

l"école, dépasser ces difficultés, élaborer des alternatives en termes d"enseignement constituent un défi posé

au système éducatif, à la recherche, à la formation et plus généralement, à la société.

I Des difcultés des élèves aux élèves en difculté, quelques résul- tats de recherche

Plusieurs chercheurs se sont intéressés à l"enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté.

Ces recherches ont porté dans un premier temps sur l"identification de difficultés d"apprentissage des élèves

relatives à un contenu donné; elles se sont ensuite progressivement centrées sur les élèves en difficulté et ont

débouché sur des diagnostics plus larges éclairant certains phénomènes de contrat didactique

5

Brousseau

1987
) ou liés aux pratiques enseignantes (

Perrin-Glorian

1992
Les recherches menées dans des classes faibles du primaire et du début du collège (

Perrin-Glorian

1993

Butlen et Pézard

1992

Butlen et Le Poche

1997
) permettent d"énoncer un certain nombre de

caractéristiques susceptibles d"être observées chez un élève en difficulté en mathématiques. Ce dernier ne

les présente pas forcément toutes, mais il existe des phénomènes de convergence, de seuil et de cumul qui

concourent souvent à l"accumulation de difficultés. Citons notamment :

une difficulté à capitaliser les savoirs et un manque de confiance dans les connaissances anciennes;

une certaine carence dans les représentations mentales et une absence fréquente de projet implicite de

réinvestissement se traduisant souvent par une grande difficulté à identifier les enjeux d"apprentissage

5. Brousseau définit le contrat didactique comme le résultat de la négociation des rapports établis explicitement et/ou

implicitement entre un élève ou un groupe d"élèves, un certain milieu et un système éducatif, aux fins de faire s"approprier par

les élèves un savoir constitué ou en voie de constitution.

Il précise cette définition en signalant un paradoxe : le contrat didactique est en fait souvent intenable. Il met le professeur

devant une véritable injonction paradoxale : tout ce qu"il fait pour faire produire, par les élèves, les comportements qu"il attend,

tend à priver ces derniers des conditions nécessaires à la compréhension et à l"apprentissage de la notion visée : si le maître dit

ce qu"il veut, il ne peut plus l"obtenir.

Mais l"élève est lui aussi devant une injonction paradoxale : s"il accepte que, selon le contrat, le maître lui enseigne les

résultats, il ne les établit pas lui-même, et donc il n"apprend pas les mathématiques, il ne se les approprie pas. Apprendre,

implique pour lui de refuser le contrat mais aussi d"accepter la prise en charge.

Donc l"apprentissage va reposer, non pas sur le bon fonctionnement du contrat, mais sur ses ruptures.

10

I. Des difficultés des élèves aux élèves en difficulté, quelques résultats de recherche

des situations qui lui sont proposées;

une difficulté à changer de point de vue et un manque de flexibilité cognitive s"accompagnant souvent

d"une recherche de règles, voire de recettes;

une difficulté à accomplir les tâches complexes et une demande de relation privilégiée à l"adulte.

Perrin-Glorian met, dès 1992, en évidence un cercle vicieux dans lequel pourraient être entraînés profes-

seur et élèves et conduisant à un renforcement des difficultés d"apprentissage des seconds. Devant répondre

aux demandes d"aide des élèves ne pouvant réaliser les tâches qui leur sont prescrites, les professeurs sont

souvent amenés à réduire leurs exigences, à apporter des aides aux élèves, aides qui souvent transforment

les tâches initiales en les simplifiant. Les élèves les plus en difficulté ne sont alors pas confrontés aux mêmes

activités que leurs pairs. De ce fait, les apprentissages potentiels susceptibles d"être induits ne sont plus les

mêmes. Ces aides et réponses ont ainsi pour résultat, à moyen terme, de maintenir certains de ces élèves

dans leur difficulté.

Ces premières recherches sont développées, affinées et enrichies dans les années suivantes afin de mieux

comprendre à la fois les difficultés des élèves et les relations entre difficultés d"apprentissage et pratiques

enseignantes.

Les résultats de recherches menées sur les pratiques de professeurs des écoles enseignant les mathé-

matiques en éducation prioritaire mettent en évidence trois éléments susceptibles d"expliquer certaines des

difficultés rencontrées par les élèves. Le premier a trait aux effets d"une absence d"identification des enjeux

d"enseignement par les élèves sur leurs apprentissages potentiels au quotidien et les limites des interven-

tions des enseignants pour les aider à dépasser ce manque. Le deuxième concerne une pratique enseignante

fréquente et confortée par des injonctions institutionnelles : celle consistant à privilégier une stratégie de

remédiation (c"est-à-dire à mettre en place des dispositifs visant à combler des manques et des lacunes)

plutôt que de favoriser des cheminements cognitifs mieux adaptés aux difficultés des élèves. Enfin la nature

des aides susceptibles d"être apportées par les enseignants est aussi un élément possible d"explication :

comment dépasser la tension pouvant exister entre le recours à des aides procédurales tournées vers la

résolution de la tâche et la proposition d"aides "à visée constructive", tournées vers les apprentissages des

élèves (aides conceptuelles).

1 Enjeu et limites d"un enseignement visant à combler des lacunes et des pré-requis non installés

Les recherches de

Butlen et Pézard

1992

Butlen et Pezard

2003

Butlen et Charles-Pézard

2007

sur l"enseignement du calcul mental ont mis en évidence une caractéristique importante manifestée par

les élèves en difficulté dans ce domaine : la forte tendance à toujours se réfugier dans des procédures de

calcul automatisées au détriment d"autres procédures prenant en compte les propriétés des nombres et

des opérations en jeu et susceptibles d"être davantage productrices d"apprentissage sur les nombres et les

opérations. Ainsi pour calculer 45 + 28, les élèves peuvent mettre en œuvre différentes procédures qui

se différencient par les connaissances mobilisées, et par leur coût en mémoire et en calcul. La procédure

quasi majoritaire au cycle 2, l"algorithme écrit, simulé mentalement, mobilise peu de connaissances sur les

propriétés des nombres en jeu, mais en revanche, est très coûteuse car elle nécessite de mémoriser beaucoup

de données. Les procédures basées sur des décompositions canoniques (dizaines et unités, comme dans 45

11

Apprentissage et inégalités au primaire : le cas de l"enseignement des mathématiques en éducation

prioritaire+ 28 = 45 + 20 + 8 = 65 + 8 = 73) nécessitent de connaître des décompositions souvent fréquentées.

Plus économiques que la précédente, elles restent coûteuses. D"autres procédures (rarement mobilisées sans

un enseignement spécifique comme 45 + 28 = 45 + 5 + 23 = 50 + 23 = 73 ou 45 + 28 = 45 + 30 - 2 =

75 - 2 = 73) réduisent le coût en mémoire et en calculs intermédiaires mais nécessitent la disponibilité de

décompositions moins souvent fréquentées. De plus, très liées aux nombres en jeu, ces dernières ne peuvent

être mobilisées à l"identique dans tous les calculs. Les élèves en difficulté préfèrent, dans un premier temps,

utiliser des procédures sûres (qui fonctionnent dans tous les cas et conduisent, à condition d"être menées

à terme, au résultat attendu) mais coûteuses, plutôt que des procédures mieux adaptées au calcul en

jeu. Ils se limitent davantage et plus longtemps aux premières. Ils font preuve de moins d"adaptabilité.

Un enseignement de calcul mental a pour but notamment de développer cette posture d"adaptabilité en

confrontant l"élève à des calculs divers, en jouant sur l"économie des procédures mobilisées. En effet, cette

adaptabilité favorisant une exploration des propriétés des nombres et des opérations se traduit à moyen

terme par un enrichissement des connaissances des élèves et par des calculs plus assurés.

Toutefois, pour mobiliser les procédures les plus adaptées au calcul évoqué ci-dessus, l"élève doit avoir

des connaissances disponibles relatives aux décompositions additives et soustractives des nombres. Nous

sommes en présence d"un paradoxe : pour que les élèves puissent échapper à une posture consistant à se

réfugier dans des algorithmes automatisés au profit d"une posture leur permettant de s"adapter au contexte

particulier du calcul et de mobiliser des procédures économiques, il est indispensable qu"ils disposent de

suffisamment de faits numériques 6 et de procédures élémentaires de calculs automatisés. Ce paradoxe du

calcul mental (appelé par les auteurs "paradoxe de l"automatisme") pourrait s"exprimer ainsi : pour échapper

à l"automatisme (en général), il faut posséder des automatismes (particuliers).

Ayant constaté ces manques chez les élèves en difficulté dans les classes observées, Butlen et Pézard

ont, dans un premier temps, mis au point un dispositif d"enseignement s"adressant spécifiquement à ces

élèves et ayant pour objectif d"installer les pré-requis qui leur faisaient défaut (

Butlen et Pezard

2003

Butlen

2007

). Si ce dispositif s"est révélé relativement efficace pour les élèves de niveau moyen et moyen

faible, il a eu nettement moins d"effets sur les apprentissages comme sur les performances des élèves les

plus en difficulté en calcul comme en mathématiques en général.

Tout se passait comme si les élèves en difficulté se révélaient le plus souvent incapables de bénéficier

de cet enseignement. Pour expliquer ce constat, plusieurs éléments ont été proposés (

Butlen

2004
). Parmi ceux-ci, il en

identifie un, plus particulièrement lié à la nature de l"activité de calcul mental : ce type d"activité demande

à l"élève de déterminer très rapidement, en quelques secondes, la qualité de la tâche qu"il doit réaliser, et de

percevoir l"enjeu de l"activité nécessaire pour cela. Ainsi, dans le cas d"un élève de CE1 ou de CE2, si on lui

demande de calculer le complément à 30 du nombre 28 (c"est-à-dire 2 = 30 - 28), il est raisonnable d"exiger

de sa part la reconnaissance de l"analogie avec le complément à 10 de 8 et la mobilisation d"un résultat

mémorisé, restitué de manière quasi automatique et non reconstruit à l"occasion du calcul. En revanche, si

on demande au même élève de calculer mentalement 45 + 28, il doit alors, pour optimiser ses chances de

6. Fait numérique : il s"agit du résultat d"un calcul (souvent élémentaire) mémorisé et donc aisément mobilisable par l"élève

comme par exemple les tables d"addition ou de multiplication. Toutefois, les faits numériques ne se réduisent pas aux seules

"tables"; ils peuvent faire référence par exemple à la "règle des zéros" : multiplication ou division d"un nombre entier ou

décimal par une puissance de 10 ou aux multiples de 25, 50, 250, etc., voire à des calculs moins élémentaires.

12

I. Des difficultés des élèves aux élèves en difficulté, quelques résultats de recherche

réussite, non pas reproduire une technique automatisée, mais mobiliser par exemple le résultat automatisé

précédent pour mettre en œuvre une procédure adaptée. Cela nécessite donc que l"élève perçoive très vite

la qualité de la tâche qui lui est demandée : produire un résultat automatisé (installé en mémoire à long

terme) ou mobiliser et adapter une connaissance de ce type dans le cadre d"un calcul plus complexe. Il doit

pouvoir faire la différence entre les calculs qui nécessitent une réponse "automatisée" et ceux qui demandent

une adaptation. Pour être réussie mais aussi bénéfique en terme d"apprentissage, l"activité de calcul mental

nécessite donc que l"élève puisse percevoir les enjeux d"apprentissage (forcément implicites) du calcul qui

lui est demandé. Nous retrouvons un effet de certaines caractéristiques énoncées par Perrin-Glorian.

Si une pratique régulière de calcul mental permet en général progressivement aux élèves d"apprendre

à déterminer ces enjeux et donc de profiter de ce type d"activité, les élèves les plus en difficulté s"en

révèlent, malheureusement, souvent incapables. Une explicitation directe de ces enjeux n"est pas possible

car cela amènerait le professeur à effectuer le calcul à la place de l"élève et à le cantonner dans une

tâche de reproduction. Une explicitation différée du professeur est peut être plus abordable mais se révèle

souvent incompréhensible par l"élève en grande difficulté qui n"a pu en faire l"expérience dans l"action. Cette

explicitation nécessite alors la mise en place de dispositifs spécifiques adaptés, ayant pour but de dépasser

cette impossibilité à appréhender dans l"action ou dans le discours du professeur l"enjeu d"apprentissage.

L"absence d"identification de ces enjeux apparaît de façon récurrente dans de nombreuses études sur

les élèves en difficulté, qu"elles relèvent des recherches en didactique des mathématiques (Perrin-Glorian,

Coulange, Margolinas) ou d"autres disciplines, comme la sociologie.

On pourrait dire en particulier que tout se passe comme si ces élèves les plus en difficulté conservaient

une certaine incapacité à anticiper suffisamment pour "se lancer" dans une procédure partiellement nouvelle,

privés très souvent de travailler sur des connaissances un peu proches des leurs (dans leur zone proximale

de développement 7 2

Ménager des cheminements cognitifs spéciques aux élèves en difculté, une né-

cessité peu prise en compte dans les pratiques, un domaine encore peu exploré par les recherches en didactique des mathématiques

Dans le souci de mieux expliciter les enjeux de savoirs des situations d"apprentissage, Butlen et Pézard

ont élaboré des situations spécifiques et les ont expérimenté au cycle 3. Il s"agissait d"activités de bilan de

savoirs et de construction d"une mémoire collective de la classe. Les élèves devaient périodiquement (toutes

les deux ou trois semaines) produire collectivement un texte résumant "tout ce qui a été appris et qu"il est

important de retenir dans la période qui a précédé" (

Butlen et Pezard

2003

Butlen

2007
). Ils ont constaté

que ce type de situations de production d"écrit, basé sur un débat entre pairs, permettait d"aménager des

cheminements cognitifs particuliers, profitables pour certains élèves en difficulté. C"est le cas notamment

de la production collective de ce qu"ils ont appelé des textes de statut intermédiaire entre l"énoncé très

contextualisé (un exemple isolé de calcul par exemple) et l"énoncé décontextualisé, formel, d"une règle ou

d"une propriété mathématique. Les élèves produisent collectivement des énoncés de règles ou de propriétés

7. Zone proximale de développement (ZPD) Ce concept central dans les travaux de Vygotsky exprime la différence entre

ce que l"enfant peut apprendre s"il est seul et ce qu"il peut, en potentiel, apprendre si on (notamment un adulte) lui fournit

une aide. 13

Apprentissage et inégalités au primaire : le cas de l"enseignement des mathématiques en éducation

prioritaires"appuyant sur un exemple générique élaboré lors du débat entre pairs8ou s"en accompagnant. Ce recours

au générique révèle une étape indispensable, pour certains élèves, dans le processus de conceptualisation.

Ils ont également constaté que ce type de situations est difficile à mettre en œuvre pour les professeurs;

d"une part, parce que les élèves au départ résistent à entrer dans le dispositif et d"autre part, parce que le

professeur doit renoncer provisoirement à un de ses rôles : énoncer le savoir à retenir pour permettre une

élaboration collective de celui-ci par les élèves. Ceci est d"autant plus difficile que la production n"est pas

celle attendue (énoncé expert) mais le résultat d"un compromis entre différents niveaux cognitifs. De plus,

cela nécessite une phase assez longue de familiarisation avec la situation (plusieurs semaines) pour que les

élèves adhèrent collectivement au dispositif.

La mise en œuvre de ce type de situations nécessite une formation spécifique explicitant les enjeux

d"apprentissage visés mais aussi explicitant les conditions de cette mise en œuvre. Butlen et Pézard ont

constaté que le dispositif explicité ci-dessus, s"il permettait à certains élèves très faibles de dépasser certaines

de leurs difficultés, profitait davantage aux élèves en difficulté moyenne qu"aux élèves en grande difficulté.

La durée de l"expérimentation (deux années scolaires) était sans doute encore insuffisante pour permettre

à la majorité de ces élèves de changer de posture, d"apprendre suffisamment longtemps à appréhender les

enjeux des situations et en particulier à savoir s"adapter au contexte des situations qui leur sont proposées. Il

est possible que ces élèves aient acquis, lors des années précédentes, des habitudes de travail qui s"opposent

à ce changement de posture. Le pas de côté qui leur est demandé semble trop important. Ce sont sans

doute des raisons qui peuvent expliquer pour une part cet impact limité.

Cet exemple de cheminement cognitif se rapproche d"autres recherches menées dans le cadre de l"éduca-

tion prioritaire et faisant appel à des bilans de savoirs réguliers mais s"inscrivant dans le cadre d"un tutorat

individualisé. C"est le cas notamment des travaux de Caroline Sheepers (le journal des apprentissages 2008).

Il nous paraît indispensable de développer des recherches visant à identifier les cheminements cognitifs

spécifiques pouvant être profitables, voire indispensables à certains apprentissages. Ces cheminements, s"ils

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