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Eugène Ionesco,Le roi se meurt, 1963

Introduction

Le nom d'Eugène Ionesco, qui vécut au XXes., est associé au théâtre de l'absurde, dont l'ambition métaphysique est connue.La Cantatrice chauveamuse,La Leçoninquiète,Le roi se meurtinscrit le registre tragique dans un cadre déconcertant. Une scène de cette dernière pièce mérite d'être étudiée, car elle permet de mettre en évidence l'originalité du dramaturge, qui joue avec les codes du théâtre : le spectateur y assiste à la dégradation systématique du roi, ce personnage que la tradition entourait de respect, de dignité, de grandeur. Nous examineronstout d'abordles aspects matériels de cette désacralisation, nous verronsensuitequ'elle touche les domaines intellectuel et moral, et nous montrerons enfin que les rapports de forces qui s'instaurent entre les personnages confirment notre jugement. I. Une dégradation matérielle, soulignée par la mise en scène :

1. Décor, cadre.

Le spectateur ne peut situer la pièce dans une période historique. Il est plongé dans un monde imaginaire situé en dehors des références habituelles de la tragédie classique, la mythologie grecque, l'Antiquité romaine... Confirmation : des prénoms chrétiens (Marie, Marguerite), mais le roi a deux épouses, alors que le christianisme interdit la polygamie. + des "toiles d'araignées" dans la chambre à coucher du roi ! Nous sommes loin du luxe attendu dans un palais.

2. Entrée en scène du Roi.

Le Roi entre par la porte du fond, à droite : il n'était donc pas en scène au lever du rideau ! "Pieds nus" + "pantoufles" ! Le roi nous est montré comme un homme ordinaire, ,au moment où il se lève, et non comme un monarque porteur des signes de son pouvoir (sceptre, couronne).

Une "servante" et non une suivante, unconfident!

Remarquer aussi : il a du mal à se lever, du mal à marcher (donc à agir...).Progression : "pieds", "côtes", "tête" ; on passe de la marche à la réflexion (symbolisée par la tête) : tout ce qui fait la force d'un homme est altéré par la souffrance.

II. Dégradation intellectuelle et morale :

Piste à exploiter : Les réactions du roi devant l'adversité.

1. Devant la maladie,lucidité et courage (stoïcisme du héros

tragique traditionnel). "Je ne sais pas très bien ce que j'ai". "Je boite ? Je ne boite pas. Je boite un peu".Stoïcisme. Le héros tragique, traditionnellement, est parfaitement conscient et lucide ; il se grandit en acceptant un sort qu'il est capable de comprendre.

2. Devant le monde qui l'entoure

a)"Nuages ! assez de pluie. Je dis : assez. Assez de pluie. Je dis : assez. Ah ! Tout de même. Il recommence. Idiot de nuage. Il n'en finit plus celui-là avec ces gouttes à retardement." Le rois'adresse aux nuages - en vain, d'ailleurs ! Il ressemble à un enfant, et ses paroles sont un symbole de puérilité aussi bien que d'impuissance. Parodie du roi de tragédie qui s'adresse aux dieux : les apostrophes "Ciel", "Dieux" sont fréquentes dans les tragédies classiques. Ionesco passe du "Ciel" au "ciel'. b) "cette terre qui craque"... frontières qui reculent, sirènes qui hurlent... Vision métaphorique de la guerre. Mais qu'en retient le roi ? Le désagrément personnelque lui inflige le bruit. Le monarque n'assume pas ses responsabilités de chef d'État. La fin des élites :L'École Polytechnique est "tombée dans le trou"... "Il n'y a plus rien d'anormal puisque l'anormal est devenu habituel. Ainsitout s'arrange."Refus pathétique d'admettre la vérité. III. Dans les rapports de forces avec les autres personnages :

1. Les personnages secondaires :

Juliette, une servante, lui met des pantoufles : le roi devient un enfant. LE MÉDECIN,s'inclinanthumblement etmielleusement. Je me permets de souhaiter le bonjour à Votre Majesté. Ainsi que mes meilleurs vux.

MARGUERITE

Ce n'est plus qu'une formule creuse.

Le médecin est manifestementhypocrite- et le roi ne s'en rend pas compte.

2. Les reines :

a) MARIE

Vous avez mal, je vais vous soutenir.

La tendresse de Marie souligne la faiblesse du roi. b) L'agressivité de Marguerite permet de rappeler, systématiquement, que le roi doit mourir - et la révélation faite par Marguerite n'est même pas comprise par le roi : on peut parler de quiproquo. Marguerite est manifestement ravie de prononcer une phrase qui condamne le Roi, à court terme : "Sire, on doit vous annoncer que vous allez mourir." Ce personnage pitoyable, victime d'un véritable quiproquo, déclare alors : "Mais je le sais, bien sûr. Nous le savons tous. Vous me le rappellerez quand il sera temps." Il croit, à l'évidence, qu'on lui a rappelé une banalité : tous les hommes sont mortels, et lui-même, un jour lointain, n'échappera pas à son destin. Incapable de prendre conscience du caractère tragique de sa situation présente, le Roi n'a décidément rien à voir avec les grandes figures mythologiques ou historiques que nous a léguées la tradition littéraire.

Conclusion

Systématiquement dégradé, par la mise en scène, par les souffrances qu'il subit, par ses incompétences, ses résignations, le roi imaginé par Ionesco nous plonge dans un monde absurde qui est au fond celui dans lequel nous vivons : les hommes ne subissent-ils pas le lent naufrage de la vieillesse avant de disparaître ? Certes, la noblesse de la tragédie classique a disparu dansLe roi se meurt; cependant, l'essence de la tragédie subsiste, puisque le héros porte en lui le drame de la condition humaine, nous invite à nous reconnaître en lui et nous offre la catharsis dont parlait en son temps

Aristote.

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