Brisson Jean-Paul, Rome et l'âge d'or De Catulle à Ovide, vie et mort d'un mythe, La Découverte, Paris, 2001 Evans Rhiannon, « Searching for
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ƒ pour que le chant sublime d'Ovide résonne encore longtemps à travers les âges Page 2 © Cned, Français 6e — 243 Séquence 5
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NOUS PARLONS AUJOURD'HUI couramment d'âge d'or
quand nous voulons situer dans le temps le point d'apogée d'une civilisation, d'un mouvement artistique, d'une tech nologie, etc. Or cette notion, issue de l'Antiquité, ne possé dait pas à l'origine une telle dimension historique. C'est une représentation imaginaire de l'humanité des origines : celle-ci est conçue comme physiquement et moralement parfaite et porte pour cette raison le nom du métal le plus précieux. L'âge d'or est un mythe : il fait partie d'un récit étiologique plus large, celui des races, qui explique et justifie l'organisation sociale de la cité. Cependant, un mythe est aussi une structure ouverte, se prêtant à de multiples inter- prétations et reconstructions. De sa première apparition dans la littérature grecque à ses différents réemplois par les Romains, l'âge d'or a ainsi subi au cours des siècles une transformation radicale dont il est intéressant de suivre les différentes étapes pour en faire ressortir les enjeux idéologiques.AUX ORIGINES DE L'ÂGE D'OR : e siècle avant notre ère,Hésiode. Celui-ci, dans
Les Travaux et les Jours
(v. 106-201) décrit cinq races humaines dont quatre portent le nom d'un métal. La première génération est d'or : elle est située dans un temps indéterminé, sous le règne de Cronos, immédia tement après la création des dieux et des hommes. C'est un âge d'innocence où les mortels cohabitent pacifiquementavec toutes les autres créatures et les dieux. C'est aussi un âge d'oisiveté où les hommes n'ont pas besoin de peiner et de lutter pour survivre, grâce à une nature généreuse qui leur offre spontanément tout ce dont ils ont besoin. Cet âge jouit surtout d'un bonheur sans mélange, car les hommes qui le composent sont dotés d'un corps et d'un esprit inaccessibles à la dégénérescence et à la corruption. Ils ignorent les maux, la souffrance et même, jusqu'à un certain point, la mort : les hommes s'endorment au terme d'une très longue vie, sans conscience de la fuite du temps.
À cette race idéale, Hésiode oppose celles qui apparurent ensuite : la deuxième est d'argent, inférieure à la première par la force physique comme par l'intelligence. Son enfance et son adolescence fort longues contrastent avec la courte durée de sa vie adulte, consumée par la stupidité, la folie et surtout l'impiété. Elle est suivie d'une troisième, d'airain, d'une vigueur redoutable, impitoyable et qui ne se plait qu'à la guerre. La dernière génération est celle du fer, à laquelle Hésiode se désole d'appartenir. Assujettie aux fatigues et aux misères, cette génération doit travailler dur le jour pour survivre et supporter, la nuit, les tourments envoyés par les dieux. L'avenir immédiat que lui prédit Hésiode est sombre : la lutte de tous contre tous, le départ des vertus et l'anéan tissement final. Entre les âges d'airain et de fer, le poète intercale une race plus hétérogène, celle des héros des cycles des légendes thébaines et troyennes. En dépit de cet ajout, le mythe hésiodique n'a aucune prétention à l'historicité. Il a une dimension hautement morale : il représente l'évolution humaine comme un processus de décadence ininterrompu de génération en génération, symbolisé par le recours, pour dénommer chacune de celles-ci, à une échelle de métaux du plus noble au plus vil. Il oppose un présent peu enviable à un passé idéalisé, à jamais perdu.L'ÂGE D'OR :MÉTAMORPHOSES
D'UN MYTHE
Par Agnès Molinier Arbo,
professeure de langue et littérature latinesà l'université de Strasbourg
Le mythe de l'âge d'or a subi au cours des siècles d'importantes métamorphoses qui ont permis au récit étiologique originel d'être récupéré par l'idéologie de la monarchie impériale romaine. SOMMAIREL'ÂGE D'OR : MÉTAMORPHOSES D'UN MYTHE 31 Ce récit a durablement marqué la littérature posté rieure : il transparaît par exemple chez Platon pour justi fier, dansLa République
(III, 414b-415e), la répartition de la cité en trois classes inégales : l'or y est associé aux philo- sophes gouvernants, l'argent aux guerriers et l'airain et le fer aux travailleurs manuels. Mais c'est surtout l'âge d'or qui ressurgit épisodiquement dans les textes. Platon décrit encore, dansLes Lois
(4,713b-714b) ouLe Politique
(271c-272d), une génération dont les moeurs et le mode de vie possèdent bien des traits de la première race décrite par Hésiode. Cette dernière a également nourri des rêveries géographiques où des terres de confins (surtout des îles) sont décrites comme habitées par des peuples suprêmement heureux : on pense notamment aux îles Fortunées desOlympiques
de Pindare (2, 77) qui ressemblent singulièrement à celles où, selonHésiode (
Les Travaux et les Jours
, 169-173), les héros survi vants des guerres de Thèbes et de Troie vivent paisiblement dans l'abondance, ou encore à la fabuleuse île Panchée de l'Histoire sacrée
d'Évhémère.L'ÂGE D'OR DES PREMIERS POÈTES LATINS
Rome se dote relativement tard d'une littérature et celle-ciest à ses débuts explicitement fille de la Grèce, comme en témoigne entre autres la traduction par Ennius, père de la poésie latine, de l'Histoire sacrée d'Évhémère composée au tournant des
e et e siècles avant notre ère. Cette oeuvre perdue ne nous est connue que par des témoignages : on ne trouve pas dans les textes latins d'allusions à l'âge d'or avant la première moitié du er siècle avant notre ère. Jean-Paul Brisson établit à juste titre un lien entre leur apparition et la conjoncture historique : il s'agit d'une période particuliè rement troublée pour Rome, puisque la Ville voit éclater les premières guerres civiles qui marquent la transition entre la République et l'Empire. L'épicurien Lucrèce, dans son poèmeDe la Nature
(V, 925-1010), se plaît à décrire la première race d'hommes, beaucoup plus dure et résistante que les mortels de son époque, et surtout moins insatisfaite. Catulle évoque dans ses Poésies (64, 384-393) l'époque lointaine où les dieux venaient sans réticence se mêler aux hommes décrits comme encore pieux. Ces réminiscences de l'âge d'or hésio dique restent assez fugaces, mais leur nostalgie d'un passé bienheureux laisse peut-être transparaître quelque chose des malheurs du temps.Lucas Cranach l'Ancien,
L'Âge d'or
e siècle, peinture sur bois, 0,73 1,05 m, Munich (Allemagne), collection de peintures de l'État de Bavière,Alte Pinakothek.
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À la fin du
er siècle avant notre ère, après l'assassinat de César qui relance les luttes civiles, ce sentiment se fait plus pressant chez Horace. Dans lesÉpodes (16, 23-65), l'âge
de fer n'est plus une simple construction de l'esprit. Il existe bel et bien, et son cadre est la Rome contemporaine, métho- diquement détruite par les concitoyens du poète. En une sorte de fuite hors de l'espace et du temps, il rêve alors de quitter à jamais, avec les meilleurs des Romains, la Ville maudite pour gagner les mythiques îles Fortunées où les âmes pieuses coulent une vie oisive au milieu d'une nature qui leur dispense ses biens sans compter, loin des " siècles durcis par le fer ».L'ÂGE D'OR DE VIRGILE
Chez Horace, l'âge d'or apparaît comme un songe, un lieu imaginaire où il est possible, grâce à la magie de la poésie, de se réfugier pour échapper à un présent désormais intolérable et à une Rome devenue invivable. Or, la seizièmeÉpode est à
peu près contemporaine de la quatrièmeBucolique de Virgile,
dont l'optimisme forme un singulier contraste avec l'humeur sombre d'Horace. Dans ce poème, sans doute rédigé pendant une éphémère accalmie des guerres civiles, Virgile, poète- devin inspiré, annonce la venue prochaine d'un enfant : sa naissance marquera le début d'un nouvel âge d'or, qui s'épanouira progressivement au fur et à mesure que l'enfant grandira. Son adolescence gardera ainsi quelque trace du passé, puisque l'humanité continuera de cultiver la terre, de naviguer et de combattre. Mais quand il sera parvenu à l'âge adulte, les hommes jouiront enfin de tous les biens de l'âge d'or, sans avoir à souffrir ni à travailler. Depuis toujours, les commentateurs spéculent beau coup sur l'identité possible de cet enfant et sur les sources d'inspiration de l'écrivain. Virgile a certainement ici croisé le récit hésiodique avec le contenu de recueils oraculaires contemporains marqués par le messianisme juif (lesOracles
sibyllins ), les croyances néopythagoriciennes et la conception cyclique de l'histoire propre au savoir étrusque. On assiste en tout cas à un renversement radical du mythe, puisque l'âge d'or ne se situe plus dans un lointain passé mais dans un avenir proche ; il ne suscite plus chez l'homme le regret de sa perte irrémédiable, mais une attente sûre d'être rapi dement comblée. L'époque et le lieu de son avènement restent néanmoins encore indéterminés et la prophétie susceptible de se prêter à de multiples interprétations. Le message se fait plus précis dans la deuxième oeuvre de Virgile, Les Géorgiques. Dans le chant I (v. 121-159) de cette ample épopée consacrée à la vie des paysans et au travail des champs, le poète semble de prime abord revenir à une vision plus traditionnelle d'un âge de félicité originaire. Mais l'illusion ne dure pas long temps : la disparition de la première race n'est plus provo quée, comme dansLes Travaux et les Jours
(v. 42-105), parle courroux de Jupiter, fâché que Prométhée lui ait dérobé le feu pour l'offrir aux hommes. Le dieu est au contraire représenté comme un père bienveillant, soucieux de ne pas voir les hommes s'endormir dans l'oisiveté et désireux de les voir puiser dans les ressources de leur intelligence pour gagner eux-mêmes leur subsistance. On assiste à un nouveau renversement du mythe hésiodique : la fin de l'âge d'or ne représente plus, pour les hommes, le début de leur déchéance mais, au contraire, le commencement d'une émancipation et d'une grandeur qu'ils devront conquérir au fil des générations, grâce à l'apprentissage des différentes techniques artisanales, et notamment de l'agriculture.
Avant Virgile, Lucrèce, dans le passage mentionné plus haut, avait lui aussi laissé entendre que la fin de l'âge d'or n'avait pas seulement été un mal pour l'homme, car elle avait conduit à la maîtrise de la technologie. Virgile va beau coup plus loin dans