[PDF] Ville et pratiques décriture: lespace dune communauté à Cavaillon

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Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Thèse de doctorat d'histoire du Moyen Âge présentée le 4 octobre 2014 par

Maëlle R

AMAGE

Ville et pratiques d'écriture

L'espace d'une communauté à Cavaillon, mi

XIIIe-XVe siècle

Tome I

Mémoire réalisé sous la direction de Mme le Professeur Claude G

AUVARD (Université

Paris 1) et de M. le Professeur Bruno L

AURIOUX (Université Versailles Saint-Quentin)

Membres du jury :

Mme Claude Gauvard (Professeur émérite - Université Paris1 Panthéon-Sorbonne)

M. Philippe B

ERNARDI (Directeur de recherche au CNRS, Laboratoire de Médiévistique

Occidentale de Paris)

M. Pierre C

HASTANG (Professeur - Université Versailles-Saint-Quentin)

M. Didier L

ETT (Professeur - Université Paris VII - Denis Diderot)

M. Thierry P

ECOUT (Professeur - Université de Saint-Étienne) Photo de couverture : A.M. de Cavaillon, AA 1 n° 5.

Ville et pratiques d'écriture

L'espace d'une communauté à Cavaillon, mi

XIIIe-XVe siècle

Maëlle RAMAGE

Ce mémoire conclut mon cursus universitaire commencé en 2006 à l'Université de

Versailles-Saint-Quentin auprès d'Etienne Anheim, Pierre Chastang et Bruno Laurioux que je remercie en premier lieu d'avoir si bien su concilier humanité et bonne humeur au service d'un enseignement exigeant, riche et stimulant. Ils m'ont soutenue tout au long de mon doctorat. Avec Etienne Anheim, nous n'aurions pas pensé à Cavaillon sans les conseils de

Philippe Bernardi et ses connaissances des archives comtadines. Grâce à lui, j'ai découvert un

ensemble documentaire passionnant et méconnu dont l'étude requérait bien une thèse.

Thèse que j'ai réalisée à Paris 1 sur une idée de Laurent Feller, je peux depuis apprécier

la gentillesse dont il fait preuve à mon égard et le souci de ses étudiants. Madame Claude Gauvard m'a alors accueillie parmi ses doctorants et a suivi l'ensemble de mon travail de thèse, je tiens ici à l'en remercier chaleureusement.

Ce travail n'aurait pas été possible sans l'aide des archivistes et du personnel des

Archives départementales de Vaucluse, des Archives municipales de Cavaillon et de l'Archivio Segreto Vaticano. Je remercie également Madame Martella et Madame Maignan qui m'ont permis de photographier les documents, avec une pensée spéciale pour Hélène Maignan et Christiane Burgo qui m'ont toujours accueillie avec le sourire quand mon arrivée leur promettait une semaine de manutention du fonds des archives anciennes de la ville de Cavaillon et un encombrement notable de la salle de consultation ! Ces quelques lignes ne seraient pas complètes sans une attention particulière à ceux qui ont lu et relu mon texte, ont pris le temps de le corriger et de le commenter : un grand merci à Anne Hocquellet, Marie-Pascale de Montille, Emmanuel Grélois, Etienne Anheim (oui, encore), Emeline Marquis, Aurélie Thomas, Camille Lefauconnier, Véronique Decaix,

Charlotte Fain et Emmanuelle Portugal.

Enfin, sans aucun ordre, mes pensées vont à tous ceux dont la présence, le soutien, les

conseils m'ont aidée à terminer un doctorat à la fois long et difficile auquel je n'étais pas

préparée... A ma famille : Irène Etienne, David, Thomas, Laetitia, Céline, Michèle, Séverine,

Yannick et Pauline, à Caroline Cordier, toujours présente, Arnauld Sillet, Marion Chaigne, Valérie Theis, Dominique Iogna-Prat, Jean-Philippe Genet, Didier Lett, Joseph Morsel, Stéphane Gioanni, Armand Jamme, Etienne Hubert, Juliette Dumasy, Xavier Blary, Françoise

Bornes, Thierry, Julien, Aziz, Catherine, Maxime, Hélène, Franz, Jean-Jacques, Céline,

Harmony (cette liste est ouverte, inscrivez-vous si vous avez été oubliés !)

Et bien sûr, merci à mes étudiants pour leurs questions, leurs idées, leurs bavardages et

leurs bêtises, véritables bouffées d'oxygène. Par contre, vos copies...

A la mémoire de mes grands-parents

Mathilde et Marcel

ABREVIATIONS

A.M. de Cavaillon : Archives municipales de Cavaillon A.D. de Vaucluse : Archives départementales de Vaucluse

A.S.V. : Archivio Segreto Vaticano

Bib. Ing : Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras

Coll. : Collectorie

Int. et Ex. : Introitus et exitus

Reg. Av. : Regesta Avinionensa

- 1 -

INTRODUCTION

En novembre 1422, seize hommes de l'universitas de Cavaillon protestent contre les modalités suivies cette année pour l'élection du viguier

1. Ils arguent du non-respect du

fonctionnement de la seigneurie et des statuts, et nomment quatre procureurs avignonnais pour les représenter devant la justice pontificale

2. L'histoire ne dit pas, faute d'archives, si les

conseillers sont parvenus à se faire entendre. Elle nous dit, cependant, que cette action est entreprise " pour le bien et la commodité de l'universitas de la ville de Cavaillon et de la

chose publique, etc. », et atteste ainsi l'existence d'une universitas active dans la défense des

intérêts communs

3. Cette charte n'est pas isolée ; la petite cité épiscopale cavaillonnaise est au

contraire dotée d'un important fonds d'archives, conservé tant aux Archives municipales

qu'aux Archives départementales de Vaucluse, qui éclaire l'histoire de sa communauté

d'habitants à partir du milieu du XIIIe siècle. Malgré la richesse de la documentation, seules

quelques études locales et recherches archéologiques renseignent sur l'état de la cité durant

l'Antiquité et le Moyen Âge et deux mémoires d'études universitaires traitent, pour le

premier, des institutions communales du XIIIesiècle à 1592 et, pour le second, de la vie économique et sociale " d'un gros bourg rural » au milieu du

XIVe siècle4. Jamais, peut-être du

fait de sa modestie, la ville n'a été le sujet d'une analyse monographique sur le modèle des

thèses d'histoire urbaine des années 1960 et 1970. Si l'histoire de Cavaillon est mal connue, celle du Comtat Venaissin des XIIIe, XIVe et XVe siècles a, en revanche, été renouvelée

récemment par deux thèses récentes auxquelles s'ajoute celle de Monique Zerner sur les

1 A.M. de Cavaillon, BB 26 n° 4.

2 Id., BB 26 n° 5.

3 Ibid.,pro bono utilitate et comodo universitatis civitatis Cavallione et Rei publice et observancia

franquesiarum privilegiorum et immunitatum dicte civitatis,

4 Je renvoie, pour les travaux d'histoire locale, à la bibliographie générale. Les deux mémoires d'études

mentionnés sont J.-C. Cassard, J. Chiffoleau, H. Peretti, Etudes sur la société de Cavaillon et de sa région au

début du

XIVe siècle d'après les actes notariés, Mémoire de D.E.A dactylographié, ENS Saint-Cloud, 1973 ;

J.-P. Bony, L'administration de la ville de Cavaillon 1240-1592, Mémoire de D.E.A dactylographié, faculté

d'Aix-en-Provence, 1981. - 2 - cadastres comtadins du début du XVe siècle publiée en 19931. Richesse des archives et petit nombre des travaux, associés aux recherches sur le contexte comtadin, font de Cavaillon un

terrain propice à une étude de son universitas au cours des derniers siècles du Moyen Âge.

L'historiographie des universitates se confond, dans un premier temps, avec l'histoire

des villes, et elle est, comme l'a montré Bernard Lepetit, le fait d'érudits locaux décidés à

vanter les origines et la grandeur de leurs villes

2. Puis elle se développe dans la lignée des

thèses d'Augustin Thierry et d'Henri Pirenne, tant dans le cadre d'une histoire des villes

centrée sur les monographies, que dans celui de l'histoire du droit et des institutions

3.

Peut-être trop attachés à la classification opérée par Augustin Thierry qui divise la France

actuelle en trois zones : de consulat au Sud, de commune au Nord et de prévôté au Centre, les

historiens se sont concentrés sur une description formelle des institutions urbaines plus que sur leurs pratiques

4. Il en résulte une longue série de monographies urbaines qui démontre

l'éclosion, entre les XIIe et XVe siècles, de communautés d'habitants fondées en universitas ayant obtenu de leurs seigneurs la capacité d'administrer leurs affaires communes

5. Les

communautés d'habitants du Comtat Venaissin ont été envisagées selon la même évolution

des problématiques et, premièrement, dans le cadre d'une histoire institutionnelle qui s'est

attachée à retracer leur émancipation vis-à-vis du pouvoir seigneurial. Ainsi, selon Henri

Dubled, le partage de la Provence en 1125 inaugure un siècle et demi d'une instabilité

politique que quelques grandes villes Comtadines mettent à profit pour se doter d'une constitution consulaire sur le modèle avignonnais

6. Il note cependant que la Couronne de

France fait payer à Avignon sa résistance en mettant fin à son autonomie en 1228 et que les autres institutions consulaires disparaissent en même temps pour laisser place à " de simples

universitates ».En 1910 toutefois, Marcel David se reporte à Faudon pour dire que " le

mouvement d'affranchissement avait déjà triomphé lorsque les papes devinrent souverains

1 Dans l'ordre de leur mention, G. Butaud, Guerre et vie publique en Comtat Venaissin et à Avignon (vers

1350-vers 1450), thèse de doctorat sous la direction de M. Zerner, Université de Nice-Sophia-Antipolis, 2001,

V. Theis, Le gouvernement pontifical du Comtat Venaissin, vers 1270-vers 1350, Rome, 2012 ; M. Zerner, Le

cadastre, le pouvoir et la terre. Le Comtat Venaissin pontifical au début du XV e siècle, Rome, 1993.

2 B. Lepetit, " La ville : cadre, objet, sujet », Enquête, n° 4, 1996, p. 11-34. Cet article rédigé en 1992 porte pour

titre original " L'histoire urbaine en France : 20 ans d'investigation » ; J.-L. Pinol (dir.), Histoire de l'Europe

urbaine. De l'Antiquité au

XVIIIe siècle, Paris, Seuil, 2003, p. 9.

3 H. Pirenne, Les villes du Moyen Âge. Essai d'histoire économique et sociale, Bruxelles, 1927 ; Id., Les villes et

les institutions urbaines, Paris-Bruxelles, 1939 ; J-L. Biget, " Les villes du Midi de la France au Moyen Age »,

Panoramas urbains : situation de l'histoire des villes, Paris, 1995, p.149-150.

4 A. Rigaudière, Saint-Flour, ville d'Auvergne au Bas Moyen Âge, Paris, 1982, p. 12-13 ; P. Michaud-Quantin,

Universitas. Expressions du mouvement communautaire dans le Moyen Âge latin, Paris, 1970.

5 Voir, par exemple, M. Hébert, Tarascon au XIVe siècle : histoire d'une communauté urbaine provençale, Aix-

en-Provence, 1979 ; L. Stouff, Arles à la fin du Moyen Âge, Aix-en-Provence, 1986.

6 H. Dubled, Histoire du Comtat Venaissin, Carpentras, 1981, p. 46-48.

- 3 -

incontestés du Venaissin1. » Il retrace ensuite les évolutions du " mouvement d'émancipation

communale » de la fin du XIII e siècle à la Révolution2. Ce courant historiographique a produit une somme considérable de connaissances sur les institutions urbaines et leurs rapports avec le pouvoir central, et reconstitué une chronologie générale de la dynamique urbaine tout en étudiant les villes et leurs formes de gouvernement pour elles-mêmes. Les travaux de Valérie Theis sur l'implantation du gouvernement pontifical dans le Comtat Venaissin sont venus modérer l'historiographie traditionnelle des communautés comtadines

3. Elle a en effet montré, par une analyse approfondie " de la diversité et de

l'évolution des rapports entre la papauté et les divers représentants des pouvoirs locaux », que

les communautés acquièrent une certaine autonomie entre la fin du

XIIIe siècle et le milieu du

XIVe siècle tout en restant sous la coupe du pouvoir pontifical. L'efficacité de l'encadrement des communautés est également sensible dans la thèse consacrée par Germain Butaud aux guerres du Comtat Venaissin

4. Ses pages sur la prise en charge de la guerre par les

communautés démontrent parfaitement le renforcement des institutions communales lié à la

nécessité de défendre les villes, tout en mettant en évidence la présence continue des officiers

pontificaux. A une échelle géographique plus large, notons que, selon Jean-Philippe Genet, l'un des apports majeurs des recherches sur la genèse de l'État moderne est d'avoir montré

que son apparition ne nécessite ni n'entraîne la disparition d'autres niveaux d'exercice

institutionnel comme celui des villes

5. Le système politique de l'Etat moderne est au contraire

collaboratif ; il laisse une grande part d'autonomie aux centres urbains

6. Cette recherche

s'inscrit dans la lignée de ces différents travaux, elle n'a pas pour objectif de livrer une

monographie supplémentaire, mais d'essayer de comprendre comment l'universitas de

Cavaillon parvient à développer son propre gouvernement, tout en évoluant à l'intérieur d'un

cadre seigneurial fermement établi. La coexistence de ces instances d'exercice du pouvoir - urbain, seigneurial et pontifical en ce qui concerne Cavaillon, le fait qu'elles ne se fassent pas systématiquement concurrence,

1 M. David, De l'organisation administrative, financière et judiciaire du Comtat Venaissin (1229-1791), Aix-en-

Provence, 1912, p. 39-40, citation extraite de V. Faudon, Essai sur les institutions judiciaires, politiques et

municipales d'Avignon et du Comté Venaissin sous les papes, par M. Victor Faudon,... discours prononcé le

4 novembre 1867, à l'audience de rentrée de la Cour impériale de Nîmes, Nîmes, 1867.

2 Ibid. p. 74-90.

3 V. Theis, Le gouvernement pontifical..., p. 644-697.

4G. Butaud,Guerre et vie publique...,en particulier p. 402-500.

5 J.-Ph. Genet, " La genèse de l'État moderne », Actes de la recherche en sciences sociales, juin 1997, 118, p. 3.

Pour un bilan des publications liées à cet axe de recherches, nous renvoyons à ce même article, p. 3, note 1 pour

l'axe de recherche Genèse de l'État moderne lancé en 1984 et p. 4 pour l'axe Origins of the Modern States

développé à partir de 1989.

6 J.-Ph. Genet, " La genèse de l'État moderne »..., p. 8.

- 4 - suppose que chacune d'entre elles joue de ses propres outils. Il s'agit ici de comprendre quels moyens l'universitas de Cavaillon met en oeuvre dans la fondation de son gouvernement entre le milieu du XIIIe siècle et le début du XVe siècle. Or, cette période, qui voit naître et se

renforcer les institutions et les identités urbaines, est marquée, d'une part, par l'attention

particulière portée à l'organisation et à l'administration du territoire et, d'autre part, par le

recours à l'écrit de gestion

1. Cette recherche vient par conséquent prendre place au croisement

de deux champs historiographiques : l'histoire des représentations et des pratiques de l'espace, d'une part, et l'histoire des pratiques de l'écrit, d'autre part. A partir des années 1980 et surtout au cours des années 1990, l'histoire urbaine opère un

" tournant spatial » en prenant réellement en considération l'espace et sa matérialité

2. L'espace n'est plus pensé comme un cadre a priori, un support neutre, dans lequel vient se

construire une société mais comme un résultat des rapports sociaux. Cette appréhension ouvre

la voie à un renouvellement des problématiques. L'association de l'archéologie à l'analyse morphologique et le recours au cadastre ont

apporté des éléments majeurs dans la réflexion sur l'origine des groupements d'habitats,

appréhendée avec un primat de l'église ou de la seigneurie. Le groupe de recherches

" Sociétés et cadres de vie au Moyen Âge : approche archéologique » a travaillé sur

l'environnement des églises et la topographie religieuse des campagnes de 1995 à 2000 3. En

mettant en relation les éléments mentionnés dans les sources écrites, tels que les églises et les

châteaux, et les informations issues de campagnes de fouilles archéologiques, l'équipe,

dirigée par Elisabeth Zadora-Rio et Michel Fixot, a mis en avant le rôle des églises dans la

constitution des agglomérations et suggéré que les limites de l'espace protégé par le droit

d'asile et les institutions de paix avaient pu s'inscrire durablement dans la morphologie des

1 Voir pages suivantes et O. Capitani, R. Manselli, G. Cherubini, A. Pini, G. Chittolini, Comuni e istituzioni,

società e lotte per l'egemonia, Storia d'Italia, G. Galasso (dir.), vol.

IV, Turin, 1984 ; G. Gracco, A. Castagnetti,

A. Vasina, M. Luzzati, Comuni e signorie nell'Italia nordorientale e centrale : Veneto, Emilia-Romagna,

Toscana, Id., vol.

VII (2 t.), Turin, 1987 ; J. Dumasy, " Des hauts et des mas, conflits autour de l'estivage à Sévérac-le-Château (Rouergue) à la fin du XVe siècle », Hypothèse, Revue de l'Ecole doctorale d'Histoire de

Paris 1, 2005, p. 59-68 ; J. Lassalle, Entre Provence, Ligurie et Piémont. Litiges territoriaux et conflits

d'Alpages de la haute vallée de la Roya ( XIIe-XVe siècles), thèse de doctorat sous la direction de Monique Bourin,

Paris 1 Panthéon-Sorbonne, version dactylographiée, 2008 ; la costruzione della città comunale italiana.

XXI° convegno internazionale di studi, Centro di studi di storia e d'arte (Pistoia, 2007), Pistoia, 2009 ; V. Theis,

Le gouvernement pontifical...; Sur l'usage de l'écrit de gestion par les gouvernements urbains, voir

principalement P. Chastang, La ville, le gouvernement et l'écrit à Montpellier (

XIIe-XIVe siècles), Paris, 2013.

2 B. Lepetit, Carnets de croquis. Sur la connaissance historique, Paris, 1999, p. 129-141.

3 B. Gauthiez, E. Zadora-Rio, H. Galinié (dir.), Village et ville au Moyen Âge : Les dynamiques morphologiques,

Tours, 2003, p. 11.

- 5 -

agglomérations1. Cette remise en question du modèle de l'incastellamento, développé par

Pierre Toubert donne naissance à la notion de village ecclésial qui a connu un vif succès

parmi les médiévistes. Selon Michel Lauwers notamment, les cimetières jouent un rôle plus

important que les châteaux dans la structuration des pôles de peuplement au cours du Moyen

Âge central. Ses travaux sur le cimetière, alliés à ceux de Dominique Iogna-Prat sur l'église

bâtiment expliquent la polarisation de l'espace autour des églises et des cimetières entre le

VIIe siècle et le XIIIe siècle2. L'acception de l'église comme lieu de l'accomplissement réel du

sacrifice du Christ et la définition progressive de la communauté chrétienne comme somme

des vivants et des morts, contribuent à fixer l'habitat à proximité directe de l'ensemble formé

par l'église et le cimetière. Ces travaux s'accompagnent d'une réflexion sur la territorialisation des institutions ecclésiastiques que sont la paroisse et le diocèse

3. A partir du

IXe siècle, la perception de la dîme joue un rôle dans la création d'un réseau de paroisses

comme autant d'unités territoriales ; toutes les personnes situées dans un périmètre défini

encerclant l'église lui versent la dîme et doivent, de plus, y être inhumées et y recevoir les

principaux sacrements

4. La paroisse acquiert ainsi une réalité sensible pour les habitants qui

en font partie. Les diocèses deviennent des territoires à partir du

Xe siècle, et cette évolution

arrive à maturité au XIIIe siècle ; en témoignent les conflits de juridictions qui éclatent parfois entre évêques voisins

5. Tous ces travaux font apparaître une lente polarisation du peuplement

autour de l'église bâtiment et à l'intérieur de l'Eglise, institution formalisée à l'aide

essentiellement d'outils théologiques et liturgiques, processus auquel Michel Lauwers a donné le nom d'inecclesiamento

6. L'évolution des formes d'encadrement des hommes et

l'émergence d'un espace social gouverné par l'Eglise au cours du Moyen Âge central sont

bien éclairées, mais il en va différemment des derniers siècles du Moyen Âge. Cela malgré la

thèse de Monique Bourin, publiée en 1987, sur la formation des villages du Bas-Languedoc du Xe au XIVe siècle7. L'auteur y établit le lien entre une nouvelle morphologie d'habitat, le castrum, et la naissance d'un mode de sociabilité : la communauté villageoise. Elle décrit

1 P. Toubert, Les Structures du Latium médiéval : le Latium méridional et la Sabine du IXe siècle à la fin du

XIIe siècle, Rome, 1973.

2 M. Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l'Occident médiéval, Paris, 2005 ; D.

Iogna-Prat, La maison Dieu. Une histoire monumentale de l'Eglise au Moyen Âge, Paris, 2006.

3 Voir en particulier D. Iogna-Prat, E. Zadora-Rio (dir.), La paroisse, genèse d'une forme territoriale,

Médiévales, n° 48, 2005, p. 5-119 ; F. Mazel (dir.), L'espace du diocèse. Genèse d'un territoire dans l'Occident

médiéval (

Ve-XIIIe siècle), Rennes, 2008.

4M. Lauwers, " Paroisse, paroissiens et territoire. Remarques surParochiadans les textes latins du Moyen

Âge », Médiévales, n° 48, 2005, p. 11-32 ; Naissance du cimetière..., p. 49.

5 Id., " Territorium non facere diocesim... Conflits, limites et représentations territoriales du diocèse

Ve-XIIIe siècle) », F. Mazel (dir.), L'espace du diocèse..., p. 23-65.

6 Id.,La naissance du cimetière..., p. 269.

7 M. Bourin, Villages médiévaux en Bas-Languedoc : genèse d'une sociabilité, Xe-XIVe siècle, Paris, 1987.

- 6 - l'évolution du castrum, qui, d'abord simple concentration de l'habitat, devient progressivement un groupe social, entre 1130 et 1180, qui donne naissance aux universitatesquotesdbs_dbs32.pdfusesText_38

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