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CÉCILE PETITDEMANGE

% U L Ń R O H U M X U \ P O P H G X S R O L PL T X H Thèse en cotutelle présentée à la Faculté des Sciences de la société de Docteur ès Sciences de la société mention science politique et anthropologie sociale et ethnologie

Thèse dirigée par :

Fabienne Samson, directrice de recherches, Institut de la Recherche pour le Développement (IRD) Didier Péclard, professeur associé de science politique, Université de

Genève.

Date de soutenance : 17 décembre 2021

M. Matteo Gianni, Université de Genève (président) ; M. Jean-François Bayart, Insitut des Hautes Études Internationales et du Développement (IHEID), Genève (rapporteur) ; Luis Martinez, CERI-Sciences po & Université de Genève (rapporteur) ; Jean-Pierre Dozon, EHESS ; Marielle Debos, Université de Paris-Nanterre ; Maud Saint-Lary, Institut de la

Recherche pour le Développement (IRD).

2

À Djamila Bakari, décédée peut-

être, quelque part, et comme tant

, au prix de la stabilité. 3 Jai le souvenir dune randonnée courant des planches de Montreux jusquau sommet des Rochers de Naye. Une thèse, cest un peu les mêmes souffrances et joies, avec dans les

derniers mètres, cette force dont on ne se croyait pas capable, qui fait en partie tout le sublime

de la montagne. Des débuts tâtonnants aux passages difficiles et instants de joie, Fabienne Samson et

Didier Péclard ont toujours répondu présents. Je les remercie infiniment de leur bienveillance

et profond humanisme. Mes remerciements à la Fondation Schmidheiny, dont lappui financier ma permis de terminer dans des conditions matérielles adéquates la rédaction de cette thèse. Merci à mes collègues de lÉcole Normale Supérieure de NDjamena, Ismail Tahir et Sali Bakari, de mavoir épaulée tout au long de cette recherche. Merci à Haoua, Ahmat Tijani, Hamid, la famille Issa Haroun, Félix, Néneck, Nicodème, la famille Derdé-Abackar Gory, la famille Mahamat Abderaman, Dr. Haggar, la famille Moussa Badaoui père et fils, Makaila. Tous, dune manière ou dune autre, mont donné un bout deux, se trouvant quelque part dans cette thèse. Merci à mes informateurs et interviewés qui ont accepté de jouer le jeu sans trop savoir de quoi il allait en retourner. Merci à la famille Atcheakou de mavoir accroché au continent africain. Merci à ma famille, tout spécialement ma mère, Corinne Petitdemange, qui a su accueillir

la place que prend une thèse. Mes kilomètres d'écriture, Lybeth, te doivent également beaucoup.

En France et en Suisse, de Paris, à Toulouse, en passant par Vevey, Strasbourg, Genève et Argut, je tiens à remercier celles et ceux qui nont cessé de me rassurer et daccueillir mes doutes. Tout spécialement Mme Pierson, Lucie, Kari, Annick, Marco, Élise et Lucas, Marina, Murielle, Bouba, Henriette, la famille Elghozi-Gutierrez. Une mention spéciale à Julie Bachmann pour son formidable travail de relecture et de mise en page. Des débuts de ma recherche à lheure où jécris ces lignes, je me suis (a)grandie. Merci

Zabou pour ta joie tranquille. Lépaule patiente de ton papa nous a été dun grand réconfort.

4

Résumé

En proposant une sociologie politique des islams au Tchad, cette thèse a pour objectif

politique, ce travail met en avant les logiques ambivalentes du champ religieux islamique trop

souvent réifié et réduit à son seul rigorisme et à ses potentialités violentes. En montrant

comment le champ religieux est tout autant produit comme producteur de rapports de domination -ils les plus rigoristes, est résolument un objet plastique aux recompositions sociales et aux transformations, dans un sens

caractère fortement structurant de la gouvernance au Tchad, renforçant dès lors les lignes de

stratification sociale.

Mots clés

Islam politique salafisme lutte antiterroriste dynamiques transnationales du religieux imaginaire politique Frères musulmans. 5

Abstract

By applying political sociology to Islam in Chad, this dissertation aims to enrich our understanding of the dynamics of state formation and construction through a religious lens. This thesis not only emphasizes the historicity of the dialogue between Islam and politics, but it also highlights, in a dynamic perspective, the ambivalent factors of the Islamic religious field, too often reified in terms of rigorism and potential violence. By showing how the religious field is both the product and the producer of relations of domination and social inequalities, but also of more intimate processes of political subjectivation, my analysis nuances and describes the complexity of the exercise of religion and its relationship to power. Islam in its various currents,

even the most rigorous, is definitely a tool subject to social restructuring and political

transformations.

Keywords

Political Islam Salafism counter-terrorism transnationalization of religion Muslim

Brotherhoods political imaginary

6

1. La polysémie des réformismes ..................................................................................................23

2. Pluralisation, globalisation et réappropriation ...........................................................................29

3. ......30

1. Les programmes de lutte antiterroriste comme techniques de gouvernementalité ....................35

2. .....................................................................................................................38

3. alence comme concept .................................................................................................42

1. Un terrain islamique sur ou sous-interprété ..............................................................................47

2. Penser et vivre la domination : expérience pratique et cheminement théorique .......................51

3. Mon travail de terrain ................................................................................................................56

4. Quelques éléments méthodologiques ........................................................................................59

5. Plan de thèse ..............................................................................................................................63

1. Une tradition islamique réinventée ............................................................................................77

2. Chercher la religion : fluidité des parcours migratoires ............................................................84

3. Un nouvel homme kreda : ressources transnationales et stratégies de distinction sociale ........89

7

1. P ......................................97

2. Revendications politiques et mobilisations identitaires ..........................................................104

3. Extraversion et institutionnalisation des dynamiques salafistes ..............................................110

1. " » ..................................................................121

2. Du FLT au CDR : le vernis islamiste ......................................................................................129

3. " »..............................................................136

1. Une laïcité " à la tchadienne » .................................................................................................151

2. ? ....................................................161

3. Programmes de prévention de la radicalisation : culture de la paix ou de la stigmatisation ? 167

1. " ? » : le CSAI comme outil clientéliste ...................................178

2. " : on affiche et on enlève » : stratégies identitaires et

flexibilité des alliances .....................................................................................................................182

3. " » ...........................................187

4. " » : rente diplomatique et légitimation du CSAI ...........................191

1. " » : politique du doute et dispositifs

de surveillance .................................................................................................................................201

2. Universalisme et imaginaire hégémonique .............................................................................212

3. "

» .........................................................................................................................................217

1. Les dynamiques du littéralisme salafi : un apolitisme ambivalent ..........................................240

2. "

» : la réalité politique négociée .....................................................................................249

3. : imaginaires et assignations identitaires .............................260

4. Les Frères musulmans ou la " citoyenneté vertueuse » ..........................................................264

8

1. " Avant on disait : je suis musulman. Maintenant on dit je suis salafiste » ............................273

2. " » : matrice identitaire islamique et modernité politique autochtone

3. " Faire comme font les siens » ................................................................................................290

1. " Le ghetto identitaire » des imaginaires .................................................................................306

2. " » : recompositions

politiques et imaginaire religieux .....................................................................................................319

3. La dignité dans la flexibilité ....................................................................................................329

1. Le lycée Fayçal : carrefour islamique frériste ? ......................................................................344

2. ? ..............................354

3. Modernisation des pratiques, et brouillage des identités religieuses .......................................360

1. Assignations identitaires et stratégies de pouvoir ...................................................................365

2. Légitimités clientélistes ...........................................................................................................369

3. .................................................................................375

1. Suspicion, contrôle financier et contraintes matérielles ..........................................................384

2. " » .....................................390

3. ...........................................................395

9

Figure 1 Découpage administratif du Tchad, par David Elghozi .......................................... 66

Figure 2 Répartition des groupes ethniques du Nord tchadien ............................................. 71

Figure 4 Hymne du Frolinat ................................................................................................ 107

Figure 5 Photo prise lors de la visite du roi Fayçal, le 17 novembre 1972, au milieu le

président Tombalbaye ............................................................................................................ 112

Figure 6

novembre 1972 ....................................................................................................................... 113

Figure 7 Cap-à-vis de

la position ambiguë du CS ................................................................................ 160 Figure 8 Abba Garde .................................................................... 188

Figure 9 1978 . 221

Figure 10 ............................... 225

Figure 11 Visite officielle du président Emmanuel Macron à son homologue tchadien, 23

décembre 2018 ....................................................................................................................... 233

Figure 12 ................................... 307

Figure 13 ............................ 324

Figure 14 Montage des réseaux sociaux opposant les comptempteurs du CMT 409 10 franç re Oueddeï, accentuations des termes arabes. Ils sont cependant en italique. Pour certains noms communs ciser et de les accorder à la grammaire française, comme cheikh/cheikhs, ou medersa/medersas, charia et djihad. Le nom de la structure Ansar al Sunna al Mohammadiya , car francisée dans les de prime abord inhabituel, car généralement se nomment eux-mêmes, ou désignent ce groupe. -dazaga. Cette langue Les noms des groupes ethniques sont substantivés : le groupe zaghawa, les Zaghawa. Les extraits de manuscrits en langue arabe sont directement traduits dans le texte. Si je ne fais pas, à chacune des citations, mention du traducteur, la plupart sont le fruit du travail de Mahamat Adam et Abdel Latif. Enfin, certains titres de chapitres sont des expressions émiques systématiquement mention de leurs auteurs, ces expressions se voulant des illustrations de dynamiques plus larges. 11

INTRIGUE, QUESTIONS DE DÉPART ET OBJECTIFS

Djamena, le conducteur de moto, qui est

également un ami proche averti , me montre de hauts murs flanqués de deux flamboyants minarets aux multiples haut-parleurs. " Tijanniyya

maintenant, ils viennent faire leurs rituels là. » Lorsque je lui demande à qui appartenait cet

édifice auparavant, mon compagnon répond : " Aux salafistes, État leur a pris. Tu sais, le 11 septembre nous a fait beaucoup de mal. » Nous continuons notre route, moi quelque peu

interloquée par cette histoire de confiscation étatique, alors que le régime politique est,

constitutionnellement, laïcAsr, -midi non pas dans une mosquée de quartier pour prier, mais dans une mosquée bien spécifique dans le dédale des ruesommaire, rompt avec le large bâtiment " aux mains des tidjanites au-équente

régulièrement mon ami, prêt à quelques kilomètres de plus pour prier dans ce lieu, parce que,

dit-il, " ». Une fois

arrivée à bon port, je lui pose la question de cette étrange affaire de complexe aux mains de

État. Ce complexe, dénommé Shariqa Al Muntada, ONG transnationale anglo-saoudienne interdite de fonctionnement après le 11 septembre. Le Éducation et du Conseil Supérieur des Affaires Islamiques (CSAI), organe para-étatique en charge de la gouvernance islamique. Les locaux sert de lieu de prière et de bureau pour le CSAI. Cette anecdote fait émerger plusieurs questions au premier rang desquelles le rôle joué -t-il insinuer État

politique ? Pourquoi le bâtiment échoit-il au CSAI dont les bureaux sont attenants au ministère

? Existerait-État marquée par un fort tropisme tidjanite ? 12 Pourquoi les propos de mon compagnon laissent-ils entendre un certain conflit entre tendances islamiques ? La tendance salafiste serait-c religieux ? Enfin, en quoi le 11 septembre est-il synonyme de souffrance pour la communauté musulmane tchadienne ? Y aurait-il tentative de monopolisation dudi État dont les

prérogatives seraient étendues du fait de la lutte antiterroriste ? Ces quelques questions posent

en toile de fond la problématique plus générale des articulations entre politique et religieux.

État tchadien

Dans un contexte de porosité du politique et du religieux, il sagira de voir plus spécifiquement

statistiques récentes quant à la répartition religieuse de la population tchadienne1censement spécifique quant aux tendances islamiques majoritaires. , mais les modalités , pour des raisons que je développerai plus loin. -delà de la " wahhabisation » e par les chercheurs, résumée à la montée en visibilité

leurs rapports au politique et leur ancrage social. Je montrerai ainsi que ces groupes ne

au politique local vide, -historique des relations entre politique et islam dans ses multiples tendances réformistes permet de nuancer ce

schéma par trop simpliste et de mettre en exergue la variété des combinatoires possibles entre

État et religieux.

1 Le dernier recensement date de 2009. 58,5 % la population était musulmane, 34,6 % chrétienne (catholiques et

protestants confondus). Institut National de la Statistique, des Études Économiques et Démographiques, Deuxième

2012.
13 st construite religieux dans la sphère publique, tout comme les stratégies permettre de fournir une compréhension des transformations politiques articulées à la lutte

Élités

Pourquoi, et sur quels critères mon ami opère-t-il une distinction morale entre " son cheikh » et

les autres ? Y aurait-il des affinités entre un certain type de pratique islamique et un éthos spécifique ? Être salafiste serait-morale au contraire ? Dès lors, sur quoi se construisent ces catégorisations identitaires et en quoi performent-elles ? Par ailleurs, que signifie en pratique

être salafiste ? Se déclarer salafiste revient-il uniquement à opérer un choix entre différents

lieux de culte, comme la démar ? Quels sont dès lors les normes et imaginaires propres au courant salafiste et -- politique ? que une compréhension fine de ses modes opératoires dans ses dimensions quotidiennes. Au-delà nance

dérouler le fil de la fabrication identitaire des courants dits réformistes en tenant compte, dans

une perspective de longue durée, de la pluralité des entrepreneurs de transferts religieux, du lasticité de ces courants aux enjeux locaux. Le détour par -jacents à ces assignations. Si ma thèse ne porte pas à proprement parler sur les dynamiques inter-religieuses2, les wahhabisation

2 Voir sur cette question Henri Coudray, " Chrétiens et musulmans au Tchad », Islamochristiana, no 18, 1992 ;

Gondeu Ladiba, Appartenance religieuse, valeurs républicaines et vivre ensemble au Tchad, mémoire de master,

Yaoundé, Ucas, 2006.

14 co-construction plus ou moins conflictuelle des dynamiques institutionnelles inter-religieuses, catholique modalités de dialogue " en bas » entre musulmans et chrétiens que je souhaite investir, en politiques et Les pratiques, représentations et imaginaires des mouvements réformistes constituent un chad, me permettant de toucher à plusieurs État tchadien tant dans ses dimensions identitaires, économiques, que politiques. Au carrefour de nombreux phénomènes, les mouvements réformistes sont impliqués dans le champ des transformations socio-politiques, et nous parlent

de la construction du sujet citoyen, de ses valeurs morales et de ses représentations du politique.

ambivalences de la société tchadienne, entre cadre laïc et empreintes religieuses, rigidité

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